Noor de Çağla Zencirci et Guillaume Giovanetti
Film recommandé

Noor

Çağla Zencirci et Guillaume Giovanetti

Distribution : Zootrope Films et Luminor

Date de sortie : 23/04/2014

France / Turquie – 2012 - 1h18 – couleur – 2.35

Noor veut être un homme.
Il ne fait plus partie des Khusras, la communauté des transgenres du Pakistan. Et il a définitivement tourné la page de l’histoire d’amour qu’il a eue avec l’un d’entre eux.
Désormais, il a un travail d’homme dans un centre de décoration de camions, et il sait ce qu’il veut : trouver
une femme qui l’acceptera tel qu’il est…

ACID Cannes 2012
Festival Chéries/Chéris 2013 – Grand Prix
Festival de Dieppe 2012 – Grand Prix
Festival des images aux mots 2014 de Toulouse – Prix du public
Festival du film Plan Séquence 2012 d’Arras
Festival Désir Désir de Tours 2014
Festival du film d’Alès 2014
Festival Méditerranéen de Rome, Italie 2012 – Prix Spécial du Jury
Asian American International Film Festival 2013, New York – prix de la meilleure fiction
Festival MIX Milano di cinema gaylesbico e queer culture 2013, Italie – mention spéciale

Avec : Noor Noor • Uzma Uzma Ali • Baba Baba Muhammad • Gunga Gunga Sain

Réalisation Çağla Zencirci, Guillaume Giovanetti • Scénario Çağla Zencirci, Guillaume Giovanetti • Production Cristine Asperti, Svetlana Novak • Image Jacques Ballard • Montage Tristan Meunier, Michko Netchak • Son Alexandre Andrillon • Musique Abaji

Çağla Zencirci et Guillaume Giovanetti

Çağla Zencirci et Guillaume Giovanetti ont réalisé ensemble sept courts métrages et documentaires (tournés dans des pays aussi différents que la Turquie, l’Allemagne, l’Iran ou le Japon) qui ont reçu plus d’une centaine de récompenses dans des festivals internationaux aussi prestigieux que Berlin, Locarno ou Rotterdam. Révélé par l’ACID lors du Festival International du Film de Cannes 2012, Noor, leur premier long métrage, a ensuite été sélectionné dans de nombreux festivals dont celui de Karlovy Vary et d’Arras. Ils viennent de terminer la post-production de Ningen, leur seconde fiction, écrit en résidence à la prestigieuse Villa Kujoyama de Kyoto.

Entretien avec Çagla Zencirci et Guillaume Giovanetti

Pourquoi avoir choisi le Pakistan pour y tourner votre premier long métrage ?
Nous nous sommes rendus au Pakistan pour la première fois en 2002. Guillaume ayant vécu en Turquie et moi étant turque, nous nous attendions à trouver des similitudes entre les deux cultures, mais nous avons néanmoins été surpris par un certain nombre d’autres aspects de ce pays. En particulier sa cinégénie et les histoires que nous racontait la population locale. A tel point que nous y avons tourné notre premier court métrage documentaire ! Après cette première expérience, nous sommes retournés au Pakistan quasiment chaque année, et nous y avons passé de longs mois à étudier cette culture. Au début, nous prenions juste du plaisir à être avec nos amis, mais progressivement, ce pays étant une telle source d’inspiration, nous avons décidé d’y développer Noor.

Comment vous est venue l’idée du film ?
Lors d’un festival religieux qui rassemble des millions de Pakistanais et d’Indiens, Guillaume, qui est pratiquement imberbe, a été abordé dans une rue étroite et bondée par un jeune garçon peu éduqué et lui-même imberbe. Cet homme a été sincèrement surpris que Guillaume puisse, dans son pays, avoir une compagne du fait de son « handicap ». Puis il a disparu et nous avons complètement oublié cette anecdote. Quelques mois plus tard, cet épisode a ressurgi dans nos esprits et nous avons eu envie de poser la question de la masculinité dans cette région, autrement dit : au-delà de l’apparence physique et des codes sociaux, être un homme, cela signifie quoi ?

Comment s’est fait le casting du film ?
Etant donné qu’en parallèle de l’élaboration du film, nous réalisions des courts métrages, nous avons développé un principe de réalisation qui nous a conduits à travailler avec des acteurs nonprofessionnels jouant dans des histoires que nous écrivions pour eux et fondées sur leur propre vie. Pour Noor, cela nous a pris plusieurs mois. Après avoir traversé plusieurs régions et rencontré plusieurs prétendants possibles pour le rôle principal, nous sommes tombés sur Noor lui-même dans un bazar de Lahore, au Pendjab. Même si c’était la première fois de sa vie qu’il rencontrait des personnes venant d’un autre pays, il s’est ouvert à nous et nous a raconté le jour même son histoire, celle d’un Khusra qui voulait redevenir un homme. Sa manière de raconter son histoire et son comportement étaient aussi la preuve d’une personnalité très intelligente capable de porter un long métrage sur ses épaules. Après l’avoir écouté chez lui pendant plus de cinq heures, nous savions que nous avions notre personnage principal. Il ne nous restait plus qu’à construire notre film autour de sa situation de l’époque.

Connaissiez-vous les Khusras avant de faire un film basé sur l’histoire de l’un d’entre eux ? Avez-vous fait des recherches les concernant ?
Au cours des années que nous avons passées au Pakistan, nous avons souvent rencontré des Khusras, car ils font partie de la société civile, en particulier au Pendjab et à Karachi. On les voit dans la rue, aux mariages et lors des célébrations pour les nouveau-nés. Les Khusras sont composés de transsexuels, de transgenres ainsi que d’hommes qui se travestissent en femme pour gagner leur vie. La population pense par ailleurs qu’ils ont des pouvoirs spirituels liés à l’extrême dénuement dans lequel ils vivent. Sachant que leur communauté, comme les Hijras en Inde, a été souvent dépeinte dans les films locaux, nous ne cherchions pas spécifiquement à faire un film sur eux. Lorsque nous avons rencontré Noor, nous avons passé beaucoup de temps avec lui, comme à notre habitude, pour comprendre qui il était intimement. C’était une étape indispensable pour arriver à le diriger le mieux possible. Nous avons aussi passé beaucoup de temps au contact de Khusras que Noor nous a présentés. Nous sommes restés chez eux, nous les avons accompagnés lors d’événements spéciaux et avons participé à leurs réunions privées. En se rapprochant ainsi d’eux, certains ont accepté de jouer dans notre film. Ça a été une expérience incroyable.

Est-il facile de vouloir sortir de la « caste » dont on fait partie au Pakistan ?
Même si le Pakistan est un pays musulman, il a conservé un système similaire à celui des castes en Inde. Il est donc extrêmement difficile de sortir de n’importe quel groupe social. Et en particulier de celui des Khusras qui est une communauté très soudée, avec des règles très précises et qui fonctionne sur un système d’entraide. Lorsqu’on en sort, on redevient seul. Il y a aussi un rapport maître/élève chez les Khusras qui fait que les maîtres s’occupent des élèves jusqu’à ce que ceux-ci deviennent des maîtres et s’occupent d’eux et de leurs propres élèves. Noor a rencontré les Khusras à l’âge de huit ans, s’est progressivement intégré à cette communauté et a toujours été pris en charge par ce groupe. Il est beaucoup plus difficile pour lui de faire face seul à une société très masculine, qui, de surcroît, a des règles très strictes concernant la masculinité.

Comment avez-vous trouvé les financements pour un tel film ?
Sachant que nous n’étions pas pakistanais, il a été particulièrement compliqué de trouver des financements internationaux pour faire le film car personne ne pensait que nous pouvions faire un film réussi sur le Pakistan. Peu importait le temps que nous avions passé sur place et notre connaissance de la culture traditionnelle locale. La situation au Pakistan était pire encore, car le cinéma indépendant y était en déshérence totale, la plupart des réalisateurs pakistanais ne pouvant compter que sur euxmêmes pour continuer à faire du cinéma. Il nous a fallu un certain nombre d’années pour trouver d’abord en France, puis au Pakistan, des producteurs suffisamment aventureux pour nous suivre et nous aider sur le budget et la logistique. Nous avons été également amenés à utiliser notre propre structure de production en Turquie.

Quels types de problèmes avez-vous rencontrés lors du tournage ?
Au fil des années, nous avons constitué notre « golden team », une équipe légère de douze personnes faite de techniciens pakistanais et français qui se sont donnés entièrement dans le film, et ceci malgré le budget réduit et le nombre important de lieux de tournage. Nous avons aussi bénéficié, dans toutes les régions du Pakistan où nous avons filmé, de l’aide d’amis de longue date, qui, pour nous rendre service, ont joué dans le film, et ont fait participer leur famille et leurs amis. Nous n’avons connu aucun problème avec les autorités locales, qui nous ont beaucoup soutenus. Simplement, dans certaines parties du Pakistan, comme par exemple dans une zone de la Karakoram Highway, nous nous sommes contentés de filmer des décors en équipe réduite, par décence vis-à-vis de la population locale, que la présence d’une équipe de tournage composée d’étrangers et d’un ancien Khusra aurait pu gêner. En fait, nous avons eu surtout des soucis sur le plan technique. La chaleur extrême qui régnait à certains endroits a très souvent endommagé notre équipement. Mais le moment le plus dantesque du tournage, nous l’avons vécu dans la vallée de Hunza début juin. Dix jours avant notre arrivée, il y a eu un important glissement de terrain qui a créé une digue naturelle et modifié le climat local. Alors que nous venions du Pendjab où il faisait 40 degrés, nous avons dû apprendre à dormir la nuit
sous des tentes par moins dix degrés. Au-delà de la pluie et de la neige, inhabituelles en cette saison, le problème a surtout été de n’avoir pas pu accéder à certains lieux qu’on avait repérés et aux personnes qu’on avait castées. On a par conséquent dû changer plusieurs séquences à la dernière minute et trouver des solutions en un rien de temps. Mais nous avons pu nous appuyer sur notre expérience passée du travail avec les non-professionnels, qui suppose une grande flexibilité de réécriture sur le tournage. 

Noor, qui veut dire « lumière » en arabe, trouve t-il finalement ce qu’il est parti chercher ?
Il cherche en effet l’amour. Mais il s’agit avant tout pour Noor d’une quête vers l’autre qui se couple avec une recherche sur soi-même. Il veut s’assumer en tant qu’homme, alors que son apparence et certains de ses automatismes sont encore très féminins. C’est en définissant ce qu’il pense de lui-même qu’il pourra trouver sa lumière.