Haewon et les hommes de Hong Sangsoo
Film soutenu

Haewon et les hommes

Hong Sangsoo

Distribution : Les Acacias

Date de sortie : 16/10/2013

Corée du Sud - 2013 - 1h30 - DCP - 1.85

Haewon, une jeune et belle étudiante, veut mettre fin à la liaison qu’elle entretient avec son professeur Seongjun. Se sentant déprimée par le départ de sa mère qui part s’installer  au Canada, elle le contacte à nouveau. Ce jour-là,  ils rencontrent des étudiants dans un restaurant et  leur relation est révélée. Haewon est de plus en plus perturbée et Seongjun émet l’idée qu’ils partent ailleurs tous les deux…

COMPÉTITION OFFICIELLE – FESTIVAL DE BERLIN 2013

Avec : Haewon JUNG Eunchae • Seongjun LEE Sunkyun • Yeonju YE Jiwon • Yungshik YU Junsang • La mère de Haewon KIM Jaok • Jungwon, le professeur des USA KIM Euisung

Réalisation et Scénario HONG Sangsoo • Image KIM Hyungkoo, PARK Hongyeol • Lumière YI Yuiheang • Son KIM Yongjoo • Prise de son KO Ayoung • Montage HAHM Sungwon, SON Yeonji • Musique JEONG Yongjin • Productrice KIM Kyounghee • Production JEONWONSA Film Co.

Hong Sangsoo

Fils de parents divorcés, un officier de l’armée sud-coréenne, et une employée de maison de production de films, Hong Sangsoo découvre le cinéma en regardant les films hollywoodiens à la télévision. Au cours d’une conversation bien arrosée, un homme de théâtre suggère à ce garçon désoeuvré de se lancer dans la mise en scène. Hong Sangsoo s’inscrit alors à l’université de Chungang, à Séoul, dans le département « théâtre et cinéma ». Il part ensuite vivre aux Etats-Unis, étudiant au College of Arts and Crafts de Californie et à l’Art Institute de Chicago, où il réalise plusieurs courts métrages expérimentaux.
Il réalise en 1996 son premier long métrage, Le Jour où le cochon est tombé dans le puits suivi deux ans plus tard du Pouvoir de la province de Kangwon et en 2000 de La Vierge mise à nu par ses prétendants. Salués par la critique et primés dans les festivals (Rotterdam, Vancouver, Pusan), ces trois films sortiront en France en 2003. Sangsoo y décrit avec un remarquable sens du détail le quotidien de jeunes Coréens, leurs relations de couple conflictuelles et leur malaise existentiel latent.
Suivront trois oeuvres coproduites par la France, Turning Gate en 2002, La femme est l’avenir de l’homme en 2004 et Conte de cinéma en 2005. Avec Woman on the Beach (2007), Night and Day (2008) et Les Femmes de mes amis (2009), le cinéaste confirme ses obsessions. Oscillant toujours entre l’expérimentation conceptuelle et le réalisme.
Ha Ha Ha et Oki’s Movie, réalisés en 2010, et Matins calmes à Séoul (The Day He arrives) en 2011, confirment le fait que, si chacun des titres semble répéter le précédent, il s’en distingue toujours subtilement et essentiellement.
En 2012, In Another Country dans lequel joue Isabelle Huppert est présenté en compétition officielle au Festival de Cannes.
En 2013, Haewon et les hommes (Nobody’s Daughter Haewon) est sélectionné au festival de Berlin. Sunhi (Our Sunhi) est présenté au festival du film asiatique de Deauville et reçoit le prix de la mise en scène au festival de Locarno. En 2014, Hill of Freedom reçoit la Montgolfière d’Or au festival des trois Continents à Nantes.

Filmographie

2018 Hotel by the river
2017
Grass
2017 Le jour d ‘après
2017 La caméra de Claire
2017 Seule sur la plage la nuit
2015 Un jour avec, Un jour sans
2014 Hill of freedom
2013 our Sunhi
2012 Haewon et les hommes
2012 In Another Country
2011 The Day he arrives (Matins calmes à Séoul) 
2010 Oki’s movies
2010 ha ha ha
2009 Les femmes de mes amis
2008 Night and Day
2007 Woman on the beach
2005 Conte de cinéma
2004 La femme est l’avenir de l’homme
2002 Turning gate
2000 La vierge mise à nu par ses prétendants
1998 Le pouvoir de la province de Kangwon
1996 Le jour où le cochon est tombé dans le puits

ENTRETIEN AVEC HONG SANGSOO

Les rêves de Haewon

Haewon, est un très joli prénom. Comment l’avez-vous imaginé ?J’ai commencé à réfléchir au nom du personnage après avoir engagé Jung Eunchae. L’héroïne a une personnalité forte et vient d’une famille riche. Telle fut ma première impression en rencontrant l’actrice. Haewon est un prénom féminin usuel en Corée, j’ai seulement changé la calligraphie. J’ai remplacé le caractère chinois « Hae », qu’on utilise habituellement, par un autre caractère suggérant plus de force. Quant à « won », cela veut dire « qui a eu une vie choyée ». C’est pour ça qu’elle est un peu enfermée dans son propre monde, en dehors de la réalité. Elle est comme une jeune fille dans un jardin, protégée par une très haute muraille. En même temps grâce à sa poli- tesse, elle possède certaines facilités pour établir des liens sociaux avec les gens. En mélangeant toutes ces im- pressions, j’ai créé son prénom.

A quel moment vous est apparue la structure du film ?
Depuis Oki’s movie, je commence à tourner sans structure  précise. A partir du premier ou deuxième jour de tournage, en voyant les images que j’ai filmées, la structure globale me vient naturellement. Pour Haewon et les hommes, j’ai adopté une forme de rêve dès le premier jour. C’est lié au long rêve de l’écriture du journal intime. Le film raconte quelques jours de la vie d’une fille âgée d’une vingtaine année. C’est pour ça que je ne voulais pas conclure définitivement son histoire avec Seongjun. J’ai voulu mettre en relief les souhaits de Haewon et sa confusion sentimentale. Je ne voulais surtout pas que les spectateurs ressentent la partie rêvée comme une his- toire à dormir debout. Les rêves devaient être aussi crédibles que la réalité.

Même dans vos films précédents, la frontière entre rêve et réalité est floue. Dans Haewon et les hommes, ce n’est qu’à la fin que vous indiquez qu’il s’agit d’un rêve. 
Si j’informe  au préalable les spectateurs qu’il s’agit d’un rêve, ils auront un préjugé. Je considère les rêves du film comme une autre réalité. A la fin du rêve, je donne un indice pour ne pas plonger les spectateurs dans la confusion.

Avant la fin, on devine tout de même que c’était un rêve. Les désirs et les peur de Haewon influencent les anecdotes et les personnages. Il y a une ambiance un peu irréelle, comme la rencontre avec le professeur qui parle avec Scorsese au téléphone et appelle les taxis par la pensée.
Bien sûr, certains actes et situations sont intrigants mais ce n’est pas très irréel non plus. L’attitude du professeur et les conseils qu’il donne à Haewon sont assez vraisemblables. Les retrouvailles  au fort avec Seongjun et leur conversation, reflètent ses souhaits et la peine qu’elle a sur le cœur. Au bout du compte, comme c’était un rêve, cela reste quelque chose de frustrant.

Y a-t’ il une scène que vous aimez particulièrement  dans Haewon et les hommes ?
Celle où Haewon demande au vieil homme qu’elle croise au fort de lui offrir un verre. Même si cette scène n’est qu’un rêve, quelqu’un la console pour la première fois. C’est pour ça qu’elle se rappelle de lui à son réveil et pas des autres hommes, tel le professeur aux USA, qui reflète sa relation douloureuse avec Seongjun.

Promenade sentimentale à Séoul

Vous avez tourné à Seochon, à l’ouest de Séoul, au fort Namhan et un peu à la bibliothèque de l’université où vous enseignez.
Comme j’avais déjà tourné Matins calmes à Séoul dans le quartier de Bookchon, qui se situe au nord, je me suis baladé à Seochon sans idée précise. J’ai bien aimé le parc Sajik qui préservait quelque chose de l’ancien temps. Même la statue énorme dans le parc me plaisait. En marchant dans les ruelles de ce quartier, j’avais l’impression de me retrouver dans les années 70 et 80. J’ai aussi visité le fort. On peut ressentir dans cet endroit le mode de vie de nos ancêtres et leurs efforts pour se protéger des attaques ennemies. Je n’arrive pas à déterminer clairement le rapport entre le fort et le personnage de la mère de Haewon, mais il y a sûrement un lien entre les deux. Ces décors pourraient symboliser l’histoire de cette famille. Malgré le passage du temps, le fort est toujours là, de même que cette statue que la mère a vue depuis qu’elle est enfant. Même si on représente le passé comme quelque chose de grandiose, aussi imposant que cette statue, il est peuplé de gens comme Haewon aussi incertains de leur avenir.

Certains divisent vos films en deux catégories : ceux qui partent en voyage et ceux qui restent sur place. De quelle catégorie se rapproche Haewon et les hommes ?
De mon point de vue, aller au travail et en revenir constitue aussi un voyage. Même si on a l’impression  de faire chaque jour le même trajet, notre sentiment s’en trouve changé. On part au loin pour vivre des choses différentes, mais notre personnalité profonde n’évolue pas si facilement. C’est pour ça que le résultat des voyages est toujours décevant. Plutôt que me fixer des buts éloignés, je préfère regarder autour de moi. J’ai appris ça ces derniers temps. Cela peut être le point de départ d’un nouveau voyage : constater de nouvelles choses dans mon quotidien. A cet égard, tous les films que je réalise avec cet esprit peuvent être considérés comme des films de voyage.

Les autres personnages trouvent l’apparence et l’état d’esprit de Haewon « exotiques ». Elle-même veut vivre à l’étranger. Vous avez aussi abordé le thème de l’« exotisme » dans In another country. Quel serait cet « autre pays » pour Haewon ?
Haewon ne semble pas s‘adapter à sa vie. Elle dit à sa mère qu’elle est née dans une mauvaise époque et elle s’intéresse soudain à un professeur qui habite à l’étranger et veut l’épouser. Même dans son rêve, on la prend pour une métisse. A cause de tout ça, Haewon représente quelqu’un pour qui « vivre n’est pas si facile ». Si elle part juste pour fuir ses problèmes, elle ne parviendra pas à changer. Comme vous dites, même si elle rêve de vivre dans « another country », j’imagine qu’elle ne partira pas.

Le journal de Haewon

Dans Matins calmes à Séoul (The Day He Arrives), Seongjun (Yu Junsang) demande à Yejun (Kim Bokyung) d’écrire son journal intime. Dans Night and Day et Haewon et les hommes, le journal intime tient lieu de structure à l’œuvre.
Je n’ai pas pensé relier le journal  de Haewon à ceux de mes films précédents. Le journal intime est surtout pratique pour transformer le quotidien en narration tout en laissant la forme très libre. Je fais surtout attention à l’efficacité  de l’agencement des différentes parties du scénario. J’utilise parfois des éléments venant de mes films précédents mais je ne le fais pas toujours consciemment. Bien sûr, je sais que mon nouveau film sera aussi vu par des spectateurs connaissant mes films précédents. Cette fois-ci,  j’ai un peu hésité à faire apparaître Yu Junsang et Ye Jiwon (les rôles de Jungshik et Yeonju) avec les mêmes noms et situation que dans Ha Ha Ha. Finalement, l’idée m’a semblé pas mal.

La figure de Haewon écrivant son journal intime apparaît plusieurs fois dans le film. Lorsque vous voyez quelqu’un écrire ou être endormi vous le trouvez spécialement joli ?
Dans la vie quotidienne, dans un café par exemple, si quelqu’un écrit ou lit, mon regard va naturellement vers lui. Cette image me parait très jolie et j’adore regarder une personne se livrant à ces activités. Elle me semble très estimable. C’est cette impression que j’essaye de retranscrire. Quelqu’un d’endormi m’apaise aussi. J’aime bien l’image d’une personne endormie, dans une bibliothèque, épuisée par ses études.

Hasards et coïncidences

Le hasard est l’un des grands principes qui structure votre œuvre. Est-ce le hasard qui a amené Jane Birkin dans votre film ?Jane Birkin voulait me rencontrer  à l’occasion de son concert à Séoul. Peut-être parce qu’Isabelle Huppert lui avait parlé de moi. Je lui ai dit que le tournage allait commencer et à ma grande surprise,  elle m’a dit qu’elle pourrait faire un caméo. J’ai apprécié son amabilité et j’ai réfléchi à ce que j’allais faire avec elle. Kim Kyun- ghee, ma productrice m’a alors fait remarquer que Jun Eunchae était une grande fan de Charlotte Gainsbourg. C’est vrai qu’il y a aussi une certaine ressemblance physique entre Jung Eunchae et Charlotte. A partir de là, j’ai créé la rencontre avec Jane. L’allure exotique de Jung Eunchae et son personnage aspirant à aller à l’étranger collaient bien avec cette scène. La présence de Jane fut un heureux hasard.

Un cinéma artisanal et humain

Si je ne me trompe pas, l’appareil à cassette de Seongjun est le vôtre. Même dans la vie réelle, vous aimez écouter de la musique avec d’autres personnes. Pourtant, de nos jours, les gens préfèrent écouter de la musique en solitaire.
Oui, Je préfère le son du déroulement des cassettes audio à celui du digital, c’est plus palpable qu’un signal in- visible. Je trouve ce son réconfortant, même s’il y a des parasites. J’aime voir la bande de la cassette se dérouler à travers une petite fenêtre en plastique. J’aime aussi écouter de la musique en compagnie d’autres personnes. J’aime bien faire des choses collectivement. Nous vivons dans une époque où l’on perd les occasions de faire des choses ensemble que ce soit quotidien ou exceptionnel. Pourtant au fond d’eux-mêmes, les gens désirent être ensemble. Même les gens qui ont un caractère fermé aimeraient s’amuser avec les autres. On a besoin de ça parfois. A une certaine époque, cette forme de culture existait. Lorsque je vois un pays où les gens ont conservé ce mode de vie, je les envie.

Si le prix était le même, vous préfèreriez tourner en pellicule  ?
Dès mon apprentissage, j’ai beaucoup aimé la pellicule. Je pensais : cette matière, avec ses parasites, contient des choses étranges. Dans sa rudesse, il y a quelque chose qui pourrait influencer les sentiments des hommes. Maintenant, son coût et la rareté du matériel de tournage empêchent d’utiliser de la pellicule. J’essaie de ne plus y penser.
La recherche de la sincérité

Haewon semble beaucoup réfléchir  sur le mensonge et la vérité. Elle quitte le repas entre étudiants en disant : « Désolée d’avoir menti ». Elle est très sensible à l’attitude de Seongjun qui ment pour dissimuler leur relation.
Personne n’est à l’aise avec le mensonge. On ment souvent par faiblesse, pour éviter de se confronter à la réalité. Tout le monde ment lors de certaines situations. Haewon semble quelqu’un de fort. Pourtant, si on la regarde attentivement, même sa façon très directe de parler ne prouve pas qu’elle ait confiance en elle. C’est aussi un trait caractéristique de son âge. Souvent, face à la franchise des jeunes, les adultes culpabilisent.

On entend plusieurs fois dans les dialogues « Tu es très jolie ». C’est un adjectif qui semble vous plaire ?
Oui. Pour moi, si on aime vraiment bien quelqu’un, des mots comme « Joli » et « mignon » semblent plus sincères que « Tu es magnifique, je t’aime ». C’est un avis personnel.

J’ai beaucoup aimé les dialogues du professeur qui travaille aux USA. : « Il me faut quelqu’un avec une forte personnalité qui ne se laisse pas briser. »
C’est quelqu’un qui a dû adapter sa personnalité, sans doute pour de bonnes raisons. Pourtant, ce genre de per- sonne finira un jour à en avoir marre de lui-même.  Même s’il veut rester sincère, il se mettra à douter de ses multiples talents et ne saura plus s’ils sont vrais ou faux. Imaginez qu’un jour, il rencontre une jeune fille naïve, très naturelle et sans prétention. Cette personne lui paraîtrait sûrement très attirante.

« Faire un film » et « enseigner le cinéma »

Depuis Ha Ha Ha, vous faites à peu près trois films tous les deux ans. C’est lié à votre rythme de travail à la fac ?
Si je ne tourne qu’un film par an ça me laisse trop de temps de repos. Deux fois par an, c’est un peu trop chargé pour m’occuper de la post production et de la sortie en salle. J’enseigne à la fac pour des raisons matérielles. Il y a une sorte de conflit entre « faire un film » et « enseigner le cinéma ».

Comment séparez-vous ces deux pratiques ?« Faire un film » demande un certain esprit d’aventure. Pour « enseigner le cinéma », il faut comprendre ses étu- diants et trouver la bonne méthode pour travailler ensemble. Les deux pratiques demandent une attitude tout à fait différente. J’essaie toujours de trouver le bon chemin pour aller de l’une à l’autre. A moins qu’un étudiant ait déjà une très forte détermination, j’essaye que mes étudiants se découvrent une passion à « faire des films ». Je leur demande de faire un film à partir de choses qu’ils aiment vraiment ou qu’ils observent au quotidien. Et puis je les pousse à aller jusqu’au bout et achever leur projet. Au début, certains étudiants pourraient avoir une forme de résistance à ma méthode. Mais une fois que leur projet est achevé, ils comprennent qu’un film n’est pas fait pour être vu une fois et oublié. Ils réalisent qu’ils peuvent montrer la vérité et qu’un film est cette chose étrange que l’on partage avec d’autres.

Propos issus d’un entretien réalisé par Kim Haelee.
Choix des textes et adaptation : Seo Seung-hee