Homeland : année zéro de Abbas Fahdel
Film soutenu

Homeland : Irak année zéro

Abbas Fahdel

Distribution : Nour Films

Date de sortie : 10/02/2016

2014 / Irak / documentaire / 2K / DOLBY 5.1 - (Partie I : 2h40 - Partie II : 2h54)

« HOMELAND : Irak année zéro » du cinéaste irakien Abbas Fahdel est une fresque puissante qui nous plonge pendant deux ans dans le quotidien de sa famille peu avant la chute de Saddam Hussein, puis au lendemain de l’invasion américaine de 2003.
Ce documentaire est découpé en deux parties – l’avant et l’après.
I – Avant la chute La première partie décrit les instants de vie d’une famille qui se prépare à la guerre. Elle va être terrible, mais il y a quand même l’espoir de voir une démocratie s’installer après la chute de la dictature. Que peut-il leur arriver de pire ?
II – Après la bataille La seconde partie, après la chute du régime, est davantage tournée en extérieur. Les langues se délient et on découvre un peuple anéanti, un pays mis à feu et à sang où dans les rues, les incidents éclatent, les bandes rivales s’affrontent.
Pendant 334 minutes, nous partageons les joies et les craintes de cette famille irakienne qui nous montre à quel point toutes les familles du monde ont les mêmes aspirations : travailler, éduquer leurs enfants, rire, aimer, s’impliquer dans leur société…
Abbas Fahdel nous montre également qu’au coeur de la guerre il existe des hommes, des femmes et des enfants exceptionnels, des héros du quotidien, « des gens qui sont nos frères humains et que l’on quitte le coeur brisé quand le film prend brutalement fin ».

Abbas Fahdel

Abbas Fahdel est un réalisateur, scénariste et critique de cinéma franco-irakien, né à Hilla, Babylone, en Irak. Installé en France depuis l’âge de 18 ans, il y étudie le cinéma en suivant notamment les cours d’Éric Rohmer, Jean Rouch et Serge Daney, jusqu’à obtenir un doctorat de l’Université Paris 1 Panthéon- Sorbonne.
En janvier 2002, muni d’un passeport français, il retourne en Irak et y tourne Retour à Babylone, un documentaire dans lequel il s’interroge : « Que sont devenus mes amis d’enfance ? Qu’est-ce que la vie d’ici a fait d’eux ? Qu’est-ce que la vie d’ici aurait pu faire de moi si je n’avais pas choisi de suivre ailleurs le cours de ma destinée ? » En filigrane de cette quête-enquête dans la terre natale transparaît la situation dramatique d’un pays meurtri par les années de guerre et de dictature. Un an plus tard, en février 2003, devant l’imminence d’une nouvelle guerre, il retourne de nouveau en Irak et entreprend de filmer les siens avec le superstitieux espoir de les préserver des dangers qui les menacent. Rentré en France quand l’invasion américaine de l’Irak commence, il n’a plus de nouvelles de ses proches. Il revient en Irak deux mois plus tard et découvre un pays secoué par la violence, qui semble n’avoir échappé au cauchemar de la dictature que pour tomber dans le chaos, un pays où pourtant tout demeure possible, le meilleur comme le pire. Ce moment historique constitue la matière de son second documentaire, intitulé Nous les Irakiens.
En 2008, il termine son premier long métrage de fiction, L’Aube du monde, tourné en Égypte et interprété par Hafsia Herzi et Hiam Abbass.
En 2015, il revient au cinéma documentaire avec le monumental HOMELAND : Irak année zéro.

Filmographie

2015 HOMELAND : IRAK ANNEE ZERO, long métrage, documentaire
2008 L’AUBE DU MONDE, long métrage, fiction
2004 NOUS LES IRAKIENS, documentaire
2002 RETOUR A BABYLONE, documentaire

ENTRETIEN AVEC ABBAS FAHDEL

( extraits d’entretiens recueillis au Festival de Lussas )

D’où vous est venue l’idée de ce documentaire ?
Le fait d’avoir quitté un pays en guerre engendre une forme de culpabilité. Evidemment, je n’y suis pour rien, mais tout survivant culpabilise. Cela faisait quinze ans que je vivais en France et en 2002, lorsque la menace d’une guerre s’est précisée, j’ai compris que l’Irak de ma jeunesse, celui que j’avais quitté pour venir étudier le cinéma à Paris, que cet Irak là était en passe de disparaître. J’ai senti le besoin d’y retourner pour filmer, je sentais qu’il y allait avoir quelque chose qui allait bouleverser la réalité. J’ai donc décidé d’y aller avec une caméra, de filmer toutes les petites choses du quotidien pour les sauver de l’anéantissement. Pour rejoindre les miens aussi, et peut-être mourir avec eux. Comme le dit l’un des protagonistes du film : « A quoi bon rester en vie, si tout le reste de notre famille mourrait ? ».

La durée du film est assez exceptionnelle. Etait-ce nécessaire pour vous ?
J’ai beaucoup filmé : de février 2002 jusqu’à début mars 2003. On attendait la guerre qui n’arrivaitpas. Il a fallu que je rentre à Paris pour la naissance de ma fille. Une fois arrivé en France, la guerre a été déclenchée en Irak, et je me suis donc organisé pour y retourner deux ou trois semaines après. J’ai continué de filmer et me suis arrêté lorsqu’un drame est survenu dans ma famille : mon neveu Haidar, qui avait onze ans à l’époque et qui s’était imposé comme personnage principal du film, a reçu une balle perdue dans la tête. Pour moi, il n’était plus question de filmer après sa mort, et même de regarder les images. C’était impossible ; je ne pouvais pas. Les images sont restées dans les boîtes pendant dix ans et, en 2013, à l’occasion du 10 anniversaire de l’invasion de l’Irak, je me suis dit qu’il fallait que je les voie. Je ne savais pas ce qu’elles valaient, des quatre périodes de tournage organisées avant et après la chute du régime, j’avais rapporté 120 heures de rushes et elles devaient avoir une valeur historique. J’ai regardé, et j’ai tout de suite vu Homeland : Irak, année zéro possible. La question principale était : est-ce que j’ai le droit de le faire ? Est-ce que les parents d’Haidar avaient envie que le monde entier voie ces images-là ? Je leur ai demandé leur avis : ils m’ont donné leur approbation, mais m’ont prévenu qu’ils ne pourraient pas regarder le film. J’ai passé un an et demi sur le montage, qui est avant tout un travail technique, rébarbatif même, sans parler du mixage et de l’étalonnage. Me poser des questions de forme et de technique a été salutaire pour finir le film. Cette prise de distance s’est faite progressivement. Si j’étais resté dans l’émotion, je n’aurais pas pu le finir, j’aurais sans doute même abandonné dès le premier jour.

Que souhaitiez-vous montrer avant tout en réalisant ce documentaire ?
Mon but était de faire un film impressionniste. Je ne voulais pas donner de commentaires ou poser des questions. L’image suffit. Je mise beaucoup sur l’intelligence du spectateur. Mes deux premiers documentaires ont été produits pas la télévision française et j’ai souffert du formatage : 52 minutes, pas de plans silencieux, pas de plans séquences… Mon film est un peu une réaction à tous ces compromis que j’ai dû faire pour mes deux premiers films.

Pourquoi avez-vous décidé de construire votre film en deux parties ?
La première partie du film est exclusivement tournée en intérieur, avec ma famille. Les Irakiens vivent sous la dictature de Saddam, l’une des plus terribles au monde. Un régime très policier, très paranoïaque. La moindre critique contre le régime menait à une exécution. Sous Saddam, les familles devaient absolument avoir un portrait de lui dans leur maison. Dans chaque quartier, il y avait une cellule du parti Baas. De temps à autre, ils rendaient visite aux familles sous prétexte de les saluer. En réalité, ils vérifiaient s’il y avait bien un portrait de Saddam affiché au mur. Dans les conversations privées, je savais bien ce que ma famille pensait, mais il était hors de question de filmer ça : c’était trop risqué. Sous Saddam, aucun Irakien ne filmait sa famille. Personne n’avait de caméra, Internet n’existait pas – même les photocopieuses étaient interdites. Lorsque j’ai fait entrer mon matériel en prétextant de tourner de simples images familiales, on m’a rappelé qu’il me faudrait, avant de partir, les soumettre au Bureau de la censure de l’Office du cinéma. J’ai donc spécialement tourné des images inoffensives. Quant à celles qui ne l’étaient pas, j’ai dû ruser pour les faire sortir.
Par contre, dans la seconde partie, après la chute du régime, les langues se délient. Il a fallu que l’on sorteet que j’utilise les membres de ma famille comme passagers. Je n’avais pas d’autorisation  de tourner, donc pour déjouer les soupçons je demandais à un ami comédien, Sami Kaftan, aussi connu que Gérard Depardieu en France, de venir avec nous. En le voyant devant ma caméra, tout le monde pensait que je tournais pour la télévision officielle, et je n’avais aucun problème.

Avez-vous tout de suite pensé à mettre Haidar en personnage principal de votre film ?
Le choix de faire de mon neveu Haidar un compagnon de tournage, de l’emmener avec moi filmer dans les rues, s’est fait naturellement. Je ne l’ai pas connu à sa naissance : je l’ai découvert en même temps que le début du tournage. Pour lui, j’étais une sorte d’oncle d’Amérique. J’ai bouleversé son quotidien, Les enfants ne peuvent pas sortir sans être accompagnés, et le père travaille : moi je l’emmenais avec moi. Je me suis énormément attaché à lui. Il s’est accaparé le personnage, le film, et je l’ai laissé faire. En regardant les images, je pleurais tout le temps… Mais en même temps je trouvais cet enfant tellement formidable que je voulais que les gens le voient. C’est une manière de le ressusciter.

Pourquoi avoir choisi de mettre un sous-titre à votre film ?
Le sous-titre, Irak année zéro m’est venu à l’esprit pendant le montage, et mélange certainement plusieurs choses, autour de la figure d’un enfant, qui circule dans un pays en ruine… Mais la grande différence, je crois, c’est que Rossellini était un étranger là où il filmait Allemagne année zéro.Il est italien et a vu à Berlin quelque chose de très noir, de très pessimiste. En ce qui me concerne, j’ai malgré tout vu la résilience d’un peuple, sans doute parce que c’était le mien, et peu à peu je me suis mis à me concentrer sur cette faculté des Irakiens à aller à l’école, au travail, à l’université, sans se décourager, car elle m’impressionne énormément.

Et pour vous aujourd’hui, y-a-t-il un avenir pour l’Irak ?
Il y a eu la guerre Iran-Irak, de 1980 à 1988, puis, après un court répit, l’intervention américaine de 1991, avec la coalition internationale. Ont suivi les douze ans d’embargo, qui sont peut-être pire que la guerre, et génèrent de la rancoeur… Les gens de Daesh, aujourd’hui, c’est aussi la génération de l’embargo.

En résumé, pourquoi avoir fait ce film ?
Ce film est contaminé par mon bonheur d’être avec les miens. Et pourtant, l’Irak est invivable. Quand je suis en France, je deviens pessimiste sur mon pays. Tous les jours, on compte une dizaine de morts, mais plus personne n’en parle. C’est devenu la routine. Mais quand j’y retourne, je retrouve un peu d’espoir. (…) Une nouvelle génération ose brandir ses slogans : “Ni sunnites, ni chiites. On veut un Etat laïque. » Ce film est la chose la plus importante que j’aie pu faire et ferai jamais.


IRAK 1991-2003, MISE EN PERSPECTIVE HISTORIQUE

– 2 août 1990 : l’Irak de Saddam Hussein, qui sort d’une guerre longue et coûteuse avec l’Iran, a une industrie exsangue et une dette pharaonique. Saddam Hussein décide d’envahir le Koweït pour s’emparer de ses puits de pétrole.
– 16 janvier 1991 : Début de l’opération « Tempête du désert » conduite par les Etats-Unis et par leurs alliés pour libérer le Koweit.
– Les 26 et 27 février 1991 : Offensive des 100 heures des forces alliées qui détruit l’ensemble des unités irakiennes (environ 2000 véhicules militaires et plusieurs milliers de victimes dans l’armée irakienne) qui se repliaient entre le Koweit et la ville irakienne de Bassora.
– 25 au 27 février 1991 : Sabotage des puits de pétrole au Koweit par les soldats irakiens.
– l’après-guerre : Printemps 1991, massacre des Kurdes et des Chiites que la coalition avait incités à se révolter contre Saddam Hussein.
– Depuis août 1990, l’Irak est soumis à l’embargo international. Selon certaines estimations, 1,5 million d’Irakiens auraient péri par manque de nourriture ou de médicaments durant l’embargo international. 30% de la population souffrait de malnutrition.
– l’Irak signe un accord en mai 1996 pour la mise en place du programme proposé dans une résolution des Nations-Unies. Le programme commence réellement en octobre 1997 et les premières livraisons de denrées alimentaires et médicaments datent de mai 1998. Conçu comme une « mesure temporaire destinée à couvrir les besoins humanitaires du peuple irakien », le programme « Pétrole contre nourriture » fonctionne de 1996 à 2003, brassant en tout 64 milliards de dollars. Il permet à l’Irak de vendre son pétrole et d’acheter en échange de la nourriture, des médicaments et de nombreux services, cela sous la supervision de l’ONU. Il est interrompu par l’ONU à la suite de la mise en place de l’Autorité provisoire de la coalition en 2003.


LA SECONDE GUERRE DU GOLFE

– La guerre d’Irak, ou « seconde guerre du Golfe », a commencé officiellement le 20 mars 2003 avec l’invasion de l’Irak (dite « opération liberté irakienne ») par la coalition menée par les États-Unis contre le Parti Baas de Saddam Hussein. L’invasion a conduit à la défaite rapide de l’armée irakienne, à la capture et l’exécution de Saddam Hussein et à la mise en place d’un nouveau gouvernement. Cette guerre est, à ce jour, l’unique mise en oeuvre du concept de guerre préventive développé par l’administration Bush pour parer à la menace des armes de destruction massive dont cette dernière affirmait, à tort, détenir la preuve dans un rapport présenté au conseil de sécurité de l’ONU le 12 septembre 2014.

– Le président George W. Bush a officiellement déclaré l’achèvement des combats le 1er mai 2003, sous la bannière « Mission accomplie ». Toutefois, la violence contre les forces de la coalition a rapidement conduit à une guerre asymétrique impliquant plusieurs groupes d’insurgés, des milices, des membres d’Al-Qaida, l’armée américaine et les forces du nouveau gouvernement irakien. La guérilla irakienne est menée côté sunnite, principalement par l’Armée islamique en Irak, par les baasistes de l’Armée des hommes de la Naqshbandiyya et par les djihadistes d’Al-Qaïda en Irak qui forment, en 2006, l’État islamique d’Irak. Plusieurs milices chiites sont également constituées, la principale étant l’Armée du Mahdi.

– Le 26 février 2006, un attentat contre la Mosquée d’Or à Samarra provoque le début d’une guerre confessionnelle entre Sunnites et Chiites qui fait des centaines de milliers de morts. Elle s’achève en 2008 par la victoire des milices chiites qui prennent le contrôle de Bagdad et chassent la majeure partie de la population sunnite de la capitale, tandis que Nouri al-Maliki forme un gouvernement à la tête du parti chiite Dawa.

– À partir de 2009, les États-Unis se désengagent progressivement en finançant notamment les milices sunnites Sahwa, afin d’affronter l’État islamique d’Irak. Alors que les milices chiites rallient progressivement le pouvoir, les Sahwa contribuent à marginaliser les djihadistes et instaurer une relative accalmie en Irak.

– Le 18 décembre 2011, les forces américaines achèvent leur retrait du pays. La Coalition militaire en Irak aura duré 3 207 jours, soit huit ans et neuf mois. Mais les violences continuent. Dès le lendemain du retrait total des forces américaines, Tareq al-Hachemi, chef du Parti islamique irakien, fait l’objet d’un mandat d’arrêt qui relance la crise confessionnelle. La politique sectaire du Premier ministre chiite Nouri al-Maliki jette ainsi de nombreux sunnites dans l’opposition, les attaques de l’État islamique d’Irak continuent de faire des milliers de morts, et les ambitions indépendantistes des Kurdes, qui ont formé un Gouvernement régional du Kurdistan autonome en 2005, se heurtent de plus en plus au gouvernement central irakien.

– En 2013, l’influence du Printemps arabe se fait ressentir, des manifestations réclament le départ d’Al-Maliki, mais la répression fait des centaines de morts. En décembre 2013, la situation dégénère et des tribus sunnites se soulèvent dans la province Al-Anbar. Cette insurrection est considérée comme le début de la seconde guerre civile irakienne.

– Puis en juin 2014, l’État islamique en Irak et au Levant, renforcé par son engagement dans la guerre civile syrienne, lance une grande offensive dans l’ouest de l’Irak. Le gouvernement irakien perd le contrôle d’un tiers de son territoire. Face à la progression des djihadistes, les États-Unis interviennent de nouveau en août 2014 et forment en septembre, avec plusieurs pays européens et arabes, une deuxième coalition qui engage des opérations aériennes pour soutenir l’armée irakienne et les peshmergas kurdes.
Selon les estimations, la guerre d’Irak a fait environ un million de morts.