Film soutenu

Hors Satan

Bruno Dumont

Distribution : Pyramide Distribution

Date de sortie : 19/10/2011

France - 2011 - 1h49 - 2.35 Scope

En bord de Manche, sur la Côte d’Opale, près d’un hameau, de ses dunes et ses marais, demeure un gars étrange qui vivote, braconne, prie et fait des feux. Un vagabond venu de nulle part qui, dans un même souffle, chasse le mal d’un village hanté par le démon et met le monde hors satan.

Sélection Officielle – Un Certain Regard – Festival de Cannes 2011

Avec : Le gars David Dewaele La fille Alexandra Lematre La mère Valérie Mestdagh La mère de la gamine Sonia Barthélémy La gamine Juliette Bacquet Le garde Christophe Bon L’homme au chien Dominique Caffier La routarde Aurore Broutin

Réalisation Bruno Dumont Scénario Bruno Dumont Image Yves Cape Mixage Emmanuel Croset Montage Bruno Dumont, Basile Belkhiri Musique Nom Son Philippe Lecoeur Producteur exécutif Muriel Merlin Production 3 B Productions

Bruno Dumont

Bruno Dumont est né en 1958 dans le Nord de la France, à Bailleul (qui signifie « belle » en flamand). Alors qu’il enseigne la philosophie, il réalise à partir de 1986 des films documentaires et publicitaires.En 1993, il signe son premier court métrage Paris (Paris ), puis l’année suivante, il écrit pour la télévision quatre volets de la série documentaire Arthur et les fusées, ainsi qu’un scénario de court métrage, Marie et Freddy. Ces deux personnages deviennent les héros de son premier long métrage tourné dans le Nord-Pas de Calais, La Vie de Jésus, qui reçoit le prix Jean Vigo 1997.
Il réalise ensuite L’Humanité, récompensé au festival de Cannes par le Grand Prix du Jury. En 2003, il tourne dans le désert américain, Twentynine Palms.
Il revient dans le nord de la France avec Flandres en 2006, qui lui vaut une nouvelle fois le Grand Prix du Jury à Cannes. Trois ans plus tard, Bruno Dumont realise Hadewijch, moins frontalement provoquant que ses précédents films, dans lequel il s’interroge sur la foi. 

Filmographie

2011 HORS SATAN 2009 HADEWIJCH 2006 FLANDRES 2003 TWENTYNINE PALMS 1999 L’HUMANITÉ 1997 LA VIE DE JÉSUS 1994 MARIE ET FREDDY 1993 PARIS

Entretien avec Bruno Dumont

Y a-t-il une source à Hors Satan ?
Dans le premier plan de La Vie de Jésus, on voyait une petite cabane en tôle, qui était habitée par un ermite… J’ai eu envie de faire un film autour d’un tel personnage. J’ai commencé à écrire une histoire qui se passait là, à Bailleul, donc dans les Flandres. Après avoir beaucoup circulé pour Flandres et Hadewijch, l’envie est venue de changer de décor et de tourner un film ancré dans un lieu unique. Un personnage d’ermite permettait cette stabilité, dans un autre territoire que je connais bien, où je vis une partie de l’année depuis mon enfance.

Où est-ce ?
Sur la Côte d’Opale, dans le Pas-de-Calais, près de Boulogne sur Mer. J’ai écrit le scénario à partir de ces paysages, de cette lumière, et de mon désir de me situer dans cet endroit. Je suis assez sensible aux paysages, mes films partent toujours d’un lieu, pour son rendu. Les paysages qu’on voit dans le film se trouvent dans un domaine de dunes et de bois protégé, en principe il est interdit d’y aller – ce qui n’a pas facilité le tournage… Mais il me plaisait parce qu’il est composé d’une très grande variété de types de végétation, de terrains, pratiquement chaque dune a sa couleur propre… Au même endroit je disposais d’une diversité visuelle considérable. J’ai écrit après avoir longtemps marché dans la zone. J’ai choisi des emplacements, ensuite j’ai rédigé le scénario. J’ai besoin de cette puissance de la nature pour donner de l’intensité à des scènes où souvent il va se passer des choses très simples.

Cette intensité vient des paysages, mais aussi de la manière de filmer…
Oui, la mise en scène vise à rendre visible la force qui émane de personnages et de situations qui en eux-mêmes sont souvent ordinaires, ou pourraient passer pour tels en étant filmés autrement… Ces rapports de force constituent l’art probable de la mise en scène elle-même.

Une des dimensions essentielles de cette mise en scène comme intensification passe par une utilisation très particulière du son, dans un film où les dialogues sont réduits au minimum et où la musique est absente.
Tout est en son direct et « mono », ce sont exactement les sons correspondants à la prise, je ne les ai ni modifiés ni réenregistrés. Il y a des bruits que je ne désire pas, mais je les prends avec le reste, stoïquement – on entend même parfois les rails de travel – ling, ou la mise au point de l’objectif. Je ne travaille plus avec un monteur son, et il n’y a aucune post-synchro. La matière sonore est très riche, pas du tout domestiquée. Du coup, quand il y a du silence, on le sent bien et fort.

Qui sont ces acteurs ? Vous les connaissez au moment d’écrire ?
Je connaissais David Dewaele, j’ai déjà fait deux films avec lui, il avait des rôles secondaires dans Flandres et Hadewijch. J’avais envie de lui donner un premier rôle. Je sais comment il se comporte devant la caméra, j’ai écrit en pensant à lui. En revanche, je ne connaissais pas Alexandra Lematre, que j’ai rencontrée par hasard dans un café de Bailleul. On a fait des essais, elle était très bien. J’ai aimé sa pudeur, sa manière d’avoir du mal à partager ses sentiments.

Elle répondait à ce que vous attendiez pour le personnage ?
Non, ça ne marche pas comme ça. Je ne construis pas mes personnages de manière définitive, je suis prêt à accueillir ce qui va arriver, et bien sûr celui ou celle qui va jouer, et les transformations que sa présence, sa manière vont engendrer. C’est donc aussi un travail sur moi-même.

Mais en même temps, sur le tournage, vous êtes très directif.
Oui, j’insiste pour obtenir quelque chose de particulier, qui correspond au film pour son ensemble. Mais mon exigence s’inscrit toujours à l’intérieur de ce que l’acteur me donne et qui vient de lui. Pour prendre une comparaison, il est la couleur, mais c’est moi qui choisis l’intensité de cette couleur. Nous parlons avant le début du tournage, nous nous mettons d’accord sur ce que nous allons faire ensemble. Ensuite, les acteurs découvrent chaque matin ce qu’ils vont jouer exactement, mais cela s’inscrit toujours dans le cadre que nous avons défini, à l’intérieur des grandes lignes qu’ils connaissent. Je ne les prends pas par surprise.

Dans ce film, vous avez radicalisé votre manière de filmer : plus encore que vos précédents films, Hors Satan est composé presqu’uniquement de plans très larges, qui montrent les paysages, et de gros plans.
Oui, ma manière de filmer a changé, elle est plus composée. Jusqu’alors, j’avais tendance à considérer que l’intrigue et ses personnages primaient, et que l’équipe de réalisation devait suivre. Je ne fais plus ça. On y perdait beaucoup sur le plan de la qualité des plans. Il faut que le bien joué soit bien filmé. Cette fois la définition de ce qu’on allait voir était beaucoup plus ferme avant chaque prise ; par exemple, il y avait un grand nombre de marques au sol pour délimiter les mouvements des acteurs. Ça change leur façon de jouer, et ils sont « bien filmés », au sens où les angles, les points de vue sont les plus riches. Cette manière de tourner contribue à donner de la puissance à des plans où il se passe quelque chose qui en soi peut être très banal.

Vous aviez décidé d’un vocabulaire visuel particulier pour ce film ?
Oui, comme pour chacun de mes films. Ce travail de composition est non seulement nécessaire mais il doit être perceptible par le spectateur, il participe du projet. Pour Hors satan, outre l’alternance plans très larges/gros plans, j’ai voulu employer beaucoup des plongées et des contre-plongées. L’émotion doit venir des positions de la caméra au moins autant que de ce qui se passe ou de ce qui se dit. La composition des cadres, par exemple la place de l’horizon, donne du tempérament au sujet. Cette approche – celle du style – était déjà celle des romans de Zola, ou des tableaux impressionnistes : l’idée que le sujet doit être simple, ordinaire, et que ce n’est pas là que ça se passe. C’est dans le déploiement de la peinture, ou de l’écriture (ou de la mise en scène) que la chose a lieu.

Il n’y a pas que la mise en scène qui construise cette intensification, il y a aussi des actes excessifs, disproportionnés.
C’est indispensable. Si on montre naturellement des gestes ordinaires, il ne se passe rien. Il faut de la disproportion, dans les actions et le jeu même des acteurs, mais à condition que ce déséquilibre ait un sens, qu’il fasse percevoir autre chose que ce qu’on voit superficiellement. Il faut de la représentation !

Hors satan se confronte à un des défis auquel le cinéma a affaire depuis toujours : filmer un miracle. Défi auquel vous trouvez une réponse très particulière.
J’ai longtemps cherché comment filmer une telle situation d’une manière qui n’implique pas une relation à la religion. Je ne suis pas croyant, mon film ne contient l’exigence d’aucune autre foi que dans le cinéma. Puisque pour moi le cinéma c’est ce qui permet de faire place à l’extraordinaire dans l’ordinaire, et de laisser percevoir ce qu’il y a de divin chez les humains, de l’éprouver. C’est ce qui rapproche le cinéma de la mystique : la mystique dit « regardez la terre, vous verrez le ciel ». Eh bien le cinéma avec ses appareils peut faire ça. Et il n’y a plus besoin de religion pour autant.

Le titre Hors satan incite à se référer à Bernanos.
A bon droit. Chez Bernanos, j’ai appris qu’en regardant bien l’ordinaire on voyait apparaître le surnaturel. Selon moi il y a une grande proximité de Zola à Bernanos.

Si on vous dit que c’est un film sur le bien et le mal…
C’est le matériau de départ, mais d’une manière ou d’une autre c’est le cas de tous les films, non ? Sauf qu’on est moins dans une opposition simpliste que dans la construction d’un rapport au monde, un rapport où cela existe, le bien et le mal, et où il s’agit de trouver sa place, de « faire ce qui il y a à faire ». Ce « faire » n’est pas moral, il est vital. Il s’agit de se confronter à ce monde, et à la possibilité d’agir, pas d’aller prêcher ce qui est bien ou ce qui est mal. Le film ne fait pas la morale, il prend acte de gestes. Il est par-delà le bien et le mal, à sa manière. Et après, ça se passe dans le for intérieur de chacun : le film a vocation à susciter les réactions de chacun pour lui-même, pendant et surtout après le film, à partir des expériences éprouvées pendant qu’on le regarde. Je ne fais absolument pas un « cinéma d’idées », je fais un cinéma de sensations, à partir des paysages, des présences physiques, des sons. 

Entretien réalisé par Jean-Michel Frodon


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