Film soutenu

Kinatay

Brillante Ma Mendoza

Distribution : Equation

Date de sortie : 18/11/2009

France / Philippines – 2009 – 1h50 – 35 mm – couleur – 1.85 – dolby SR

Peping, un jeune étudiant en criminologie, est recruté par son ancien camarade de classe, Abyong, pour travailler en tant qu’homme à tout faire au service d’un gang local de Manille. Cette activité lui permet de gagner de l’argent facilement pour faire vivre son enfant et sa jeune fiancée, qu’il a décidé d’épouser. Mais pour cela, il lui faut encore plus d’argent. Abyong propose alors au jeune homme de s’engager dans une « mission spéciale », particulièrement bien rémunérée…

Prix de la mise en scène – Festival de Cannes 2009

réalisation Brillante Mendoza / scénario Armando Lao / image Odyssey Flores / montage Kats Serraon / direction artistique Harley Alcasid, Deans Habal / musique originale Tereza Barrozo / casting Ed Instrella / producteur Didier Costet /  

Brillante Ma Mendoza

Né le 30 juillet 1960 à San Fernando, aux Philippines, Brillante Ma Mendoza commence à travailler comme chef décorateur pour le cinéma et des films publicitaires pour la télévision. Son premier long métrage, Masahista (Le Masseur) obtient le Léopard d’or au Festival international du film de Locarno en 2005 et ouvre la voie à un cinéma indépendant aux Philippines. Cette même année, il crée Center Stage Productions (CSP), une maison de production indépendante.
Brillante Ma Mendoza continue à faire des films et documentaires montrant la vie des Philippins et les marges de la société, et contribue à la formation d’un public pour le cinéma indépendant dans le pays. Ses films sont montrés dans les écoles à travers le pays et Manoro (The Teacher) est officiellement inscrit dans les programmes scolaires.
Brillante Ma Mendoza est le premier réalisateur philippin distingué par la France, qui l’a nommé Chevalier de l’Ordre des Arts et des Lettres.

FILMOGRAPHIE

2005 MASAHISTA (LE MASSEUR)
LÉOPARD D’OR, FESTIVAL DE LOCARNO

2006 KALEDO (SUMMERHEAT)

2006 MANORO (THE TEACHER) Documentaire

2007 JOHN JOHN (FOSTER CHILD)
QUINZAINE DES RÉALISATEURS, FESTIVAL DE CANNES

2007 TIRADOR (SLINGSHOT)

2008 SERBIS
EN COMPÉTITION, FESTIVAL DE CANNES

2009 KINATAY 
PRIX DE LA MISE EN SCÈNE, FESTIVAL DE CANNES

2009 LOLA 

2012 CAPTIVE 
EN COMPÉTITION, FESTIVAL DE BERLIN

2012 THY WOMB 

2013 SAPI (POSSESSED) 

2015 TAKLUB
MENTION SPÉCIALE ET PRIX DU JURY ŒCUMÉNIQUE,
UN CERTAIN REGARD, FESTIVAL DE CANNES

2016 MA’ ROSA
PRIX D’INTERPRÉTATION FÉMININE, FESTIVAL DE CANNES

Révélé en 2007 avec le film John John, poignante plongée dans les bidonvilles de Manille, incompris l’an dernier avec Serbis, où il filmait par de longs et virtuoses plans-séquences la vie d’un cinéma porno, le Philippin Brillante Mendoza signe cette année une œuvre à la fois  dérangeante et époustouflante, et s’impose comme un cinéaste majeur.
Comparable, sur le plan du débat qu’il suscite, au Reservoir Dogs (1992) de Quentin Tarantino, cette plongée dans l’horreur s’inspire de faits réels. Le film commence par une évocation de la vie grouillante dans les rues de Manille.
Il faut un talent hors pair pour restituer les éclats de couleurs, le  brouhaha de clameurs et de klaxons, le grouillement de citadins, le marché, les embouteillages, l’effervescence d’un peuple courant vers mille activités, et parmi ces gens, un jeune couple filant pour aller se mettre la bague au doigt, être consacré mari et femme par un juge qui officie à la bonne franquette.
La noce se conclut par un repas familial dans un restaurant. Peping, le jeune marié, étudiant en criminologie, vient de suivre un cours sur l’art et la manière pour un flic d’enquêter sur une scène de crime. Il est entraîné par un copain à faire des heures supplémentaires comme homme de main au service d’un gang, afin de faire vivre les siens.

FEMME COUPÉE EN MORCEAUX
Mendoza filme en temps réel, comme dans un documentaire, le cauchemar et les angoisses de ce jeune homme jusqu’au vomissement. Car le récit bascule dans quelque chose d’hallucinant, une initiation traumatique.
Voilà Peping témoin et complice du kidnapping d’une prostituée coupable de n’avoir pas réglé des dettes de drogue. Après un interminable périple en camionnette, de nuit, que Mendoza filme comme un affolement mental, un voyage sans retour possible vers l’enfer, la femme est enfermée dans le sous-sol d’une villa, brutalisée, déshabillée, violée, tuée sauvagement et coupée en morceaux.
Tel quel, ce résumé de l’intrigue ne peut que susciter méfiance ou rejet, sauf addiction au spectacle des pires supplices. Mais à aucun moment Mendoza ne peut être accusé de complaisance. Sa façon d’orchestrer les plans, les sons, les percées de lumière dans les ténèbres, la claustrophobie dans la camionnette avec éclairs des phares de voiture, la montée de la peur, la violence perpétrée sur l’otage gémissante, ses supplications lorsqu’elle est torturée, l’oppression panique de Peping face à ces actes, sa fièvre à vouloir s’échapper, faire évader la femme, en vain, sont irréprochables.
« L’intégrité, une fois perdue, est perdue à jamais », souligne le cinéaste. Kinatay renvoie à des lâchetés universelles, à la difficulté d’intervenir, à la transformation d’un innocent en monstre par son silence. La captation d’une telle impuissance devant tant d’inhumanité est magistrale.

Jean-Luc Douin, Le Monde, 19 mai 2009


Propos de Brillante Ma Mendoza

KINATAY
KINATAY signifie « massacre » en philippin. L’histoire se base sur des faits réels. Pendant la préparation de mon film SLINGSHOT, j’interviewais des petits escrocs et je suis tombé par hasard sur la confession d’un étudiant en criminologie qui avait vécu une expérience similaire à celle vécue par le personnage de Peping dans le film. J’ai été fasciné en écoutant le témoignage de ce jeune homme, et je me suis dit que ce serait un sujet passionnant pour un film. L’idée de faire face à la mort à l’endroit et au moment le plus inattendu me plaisait beaucoup. On prend conscience du caractère totalement aléatoire de la mort.

L’HORREUR
Je ne dirais pas que KINATAY est un film d’horreur, mais on y retrouve certains éléments propres à ce genre-là. J’ai fait en sorte que le crime survienne de manière inattendue, et non au tout début du film, comme c’est le cas en général dans les films d’horreur. J’ai aussi montré petit à petit les horreurs infligées à cette femme de façon à faire naître graduellement la peur. Le but d’un film d’horreur est généralement d’effrayer les spectateurs. Mon intention avec ce film était d’amener le public à un degré d’angoisse supérieur –  l’angoisse qui naît non seulement des dangers qu’on perçoit comme réels, mais également des dangers dont on n’a pas conscience.

LE MONDE ET SES DANGERS
N’importe qui d’entre nous pourrait se retrouver à la place de Peping. Il est relativement innocent et inconscient des dangers que peut comporter le monde. Ce qui lui arrive dans KINATAY pourrait arriver à n’importe qui, n’importe où dans le monde. Bien qu’il puisse être considéré comme complice du crime, il en est aussi victime. D’une certaine façon, il est témoin de sa propre mort. Au moment où Peping rentre dans le van, il prend part au crime, consciemment ou pas. Il ne pourra plus en réchapper. Même s’il le  pouvait physiquement, il ne le pourrait plus psychologiquement.  Il a déjà vendu son âme.

A LA FOIS VICTIME ET COMPLICE
Madonna, la prostituée, représente la vulnérabilité universelle  de tout être humain. Les assassins se montrent particulièrement  inhumains à son égard, à plusieurs niveaux, affichant tout  simplement leur monstruosité. Pourtant, j’ai décidé de ne pas rendre  cette violence trop esthétique. Je voulais me concentrer sur le malaise qu’un témoin peut ressentir face à de telles exactions. Nous partageons les sentiments de Peping face à l’horreur. Tout comme lui, nous sommes piégés, nous, spectateurs, à la fois  victimes et complices. Il voudrait la sauver, mais il ne le peut pas. Nous sommes témoins de telles horreurs à travers le monde, mais nous nous trouvons dans une situation inextricable. Que peut-on  faire pour arrêter ça ? En tant que réalisateur, je prends part à la dénonciation de ces horreurs qui agitent le monde. Mais si nous sommes seulement témoins, sans rien faire, alors nous aussi, nous sommes  complices.

LA VALEUR D’UNE VIE
Dans la première partie de KINATAY, il y a une scène où Peping croise une foule de gens et une équipe TV rassemblées autour d’un homme suicidaire perché sur un panneau publicitaire. C’est assez ironique dans la mesure où Peping ne sait pas encore que plus tard dans la nuit il s’interrogera sur la valeur d’une vie, choix  que le suicidaire a déjà fait. L’ironie étant que le lendemain, ce sera l’histoire de Peping qui remplacera celle de cet homme à la une de l’actualité.

DE L’EXTÉRIEUR VERS L’INTÉRIEUR
Quand on voit Peping à l’école de police, son professeur donne un cours sur la nécessité d’enquêter de l’extérieur vers l’intérieur. De l’extérieur vers l’intérieur. J’ai essayé de le mettre en images et de montrer que le personnage principal a une vie normale. Je  voulais décrire sa relation non seulement avec sa famille mais montrer également comment il évolue dans son milieu jusqu’à sa rencontre avec le gang. C’est la nuit, pendant sa mission avec les tueurs, que nous découvrons ses sentiments les plus intimes et sa vision sur lui-même et son futur.

CONTRASTES
J’avais des intentions très précises non seulement sur le traitement narratif du passage du jour à la nuit dans KINATAY, mais aussi sur la création de l’univers esthétique des décors, des costumes et de la réalisation qui recouvre toute l’esthétique de l’image. Je  voulais que la luminosité et l’aspect joyeux du jour tranche avec la noirceur et le suspense des scènes nocturnes lorsque le personnage principal s’approche de la maison des criminels. Le bruit de la rue pendant la journée et les bruits effrayants lors des déplacements dans le van ainsi que la musique étaient essentiels pour faire ressortir ce que le personnage principal ressent en son for  intérieur. Tout comme lui, la ville de Manille est pleine de mystères. La nuit, elle prend un autre visage.

TEMPS RÉEL ET SUSPENSE
Durant la mission cauchemardesque de Peping, il y a de longues périodes où l’on vit son horreur en temps réel. Je pense que le temps réel était le choix le plus pertinent pour montrer le suspense car le public se sent plus proche de ce que ressent le personnage. Plus le traitement est brut, plus il devient efficace, de par son  aspect documentaire. C’était aussi important pour moi de placer le personnage de Peping dans une situation imprévue. J’ai choisi délibérément de laisser le public et Peping dans l’ignorance quant au crime pour préserver le suspense. En donnant des détails petit à petit durant le voyage de Peping, nous pouvons vivre de façon plus proche ce qu’il ressent. Je voulais que les spectateurs aient l’impression de conduire le van avec lui.

TOURNER À L’INTÉRIEUR DU VAN
J’ai tourné les scènes de jour en 35 mm et les scènes de nuit en HD. Je voulais plus de contrastes entre les deux parties du film. D’un point de vue logistique et technique, KINATAY a été mon film  le plus difficile à ce jour. Il y a plusieurs scènes se déroulant à l’intérieur du van des criminels. L’équipe lumière devait rester sur le toit du véhicule en marche pour éclairer le visage des acteurs à  l’intérieur. La source principale venait des lampadaires et des phares des voitures. Les micros étaient montés à l’intérieur du van tandis que je me faufilais à l’arrière du véhicule avec le directeur de la photo et l’ingénieur du son.

VÉRITÉ ET AUTHENTICITÉ
Une chose en commun entre KINATAY, SERBIS et tous mes films, c’est la vérité et l’authenticité avec lesquelles j’essaie de décrire mes histoires et mes personnages. J’apprends beaucoup à chacun de mes films et je pense que j’ai encore beaucoup à apprendre. J’ai appris en tournant avec KINATAY à être toujours préparé à toute éventualité. Souvent, je me sens complètement seul dans mon rôle de  réalisateur mais de tels challenges me poussent à me surpasser.