Lettres de la guerre de Ivo M. Ferreira
Film soutenu

Lettres de la guerre

Ivo M. Ferreira

Distribution : Memento Films Distribution

Date de sortie : 12/04/2017

PORTUGAL – 2016 – 1H45 – 1;85 – 5.1

En 1971, un jeune médecin portugais est mobilisé deux ans dans l’armée pour servir en Angola où fait rage une guerre coloniale absurde et inutile. Chaque jour, il envoie à sa femme enceinte des lettres d’amour poétiques, sensuelles et passionnées. Ce jeune homme, en train de devenir écrivain, c’est António Lobo Antunes dont 280 lettres ont été publiées en 2005. Elles sont l’inspiration du film qui en propose une lecture intime et leur donne vie.

COMPÉTITION OFFICIELLE – FESTIVAL DE BERLIN 2016

Avec : António Miguel Nunes • Maria José Margarida Vila-Nova • Major M. Ricardo Pereira • Le Capitaine João Pedro Vaz • 2nd lieutenant Eleutério Simão Cayatte • Caporal Hilário Isac Graça • Caporal Carica Francisco Hestnes Ferreira • 2nd Lieutenant professeur João Pedro Mamede • Soldat Ferreira Tiago Aldeida • Catolo Orlando Sérgio

Mise en scène Ivo M. Ferreira • Scénario Ivo M. Ferreira et Edgar Medina d’après le livre Lettres de la Guerre de António Lobo Antunes [éditions Christian Bourgois]• Image João Ribeiro • Son Ricardo Leal • Décors Nuno G. Mello • Costumes Lucha d’Orey • Maquillage Blue • Montage Sandro Aguilar • Mixage Tiago Matos • Producteur exécutif Joaquim Carvalho • Co-producteurs Georges Schoucair et Michel Merkt • Producteurs Luis Urbano et Sandro Aguilar

Ivo M. Ferreira

Ivo M. Ferreira est à Lisbonne en 1975. Diplômé en photographie et communication audiovisuelle, il choisit de poursuivre ses études à London Film School et à l’université de Bucarest avant de voyager aux quatre coins du monde.
C’est à Macao, en 1997, alors qu’il visite le continent asiatique, qu’il produit et réalise son premier film documentaire, O HOMEN DA BICILETA – DIARIO DE MACAU. Il est ensuite invité à réaliser un deuxième film dans le cadre de l’Expo 98 qui se tient un an plus tard à Lisbonne sur le thème « Les océans, un patrimoine pour le futur ». En 2000, il travaille avec le théâtre Elinga de Luanda en Angola. Une expérience qui lui ouvre les portes d’un pays où il va réaliser une série de documentaires anthropologiques. Deux ans plus tard, il passe à la fiction avec EM VOLTA qui est sélectionné au festival international du film de Bangkok. En 2009, il signe APRIL SHOWERS, présenté au festival de Rotterdam.
En 2016, son adaptation de LETTRES DE LA GUERRE d’après le livre d’António Lobo Antunes a les honneurs de la compétition au festival de Berlin. Ivo M. Ferreira vit actuellement à Macao.

Filmographie

2016 Lettres de la guerre
2009 April shower (Aaguas mil)
2006 Fios de fiar (doc)
2003 A procura de sabino (doc)
2002 Em volta
2001 Angola em cena (doc)
1998 O que foi ? (cm)
1997 O homen da bicileta – Diaro de macau (doc)

AUX ORIGINES DU LIVRE

LETTRES DE LA GUERRE d’António Lobo Antunes (éditions Christian Bougois)

Préface du livre par Maria José et Joana Lobo Antunes – Traduit par Carlos Batista

« Les lettres de ce livre furent écrites par un homme de vingt-huit ans, dans le cadre intime de sa relation avec sa femme, isolé de tout et de tous durant deux ans de guerre coloniale en Angola, sans qu’il pense qu’elles seraient publiées un jour. Nous n’allons pas décrire ces lettres : chacun les lira à sa manière, assurément différente de la nôtre. Mais quelle qu’en soit l’approche, littéraire, biographique, document de guerre ou histoire d’amour, nous savons qu’elles sont extraordinaires sous tous ces aspects.
Le choix de les publier n’est pas nôtre : c’est la volonté expresse de notre mère, destinataire et conservatrice de cette correspondance jusqu’à une date récente. Elle nous a toujours dit que nous pourrions la lire et la publier après sa mort, et ce moment est à présent venu.
Nos parents se sont rencontrés durant l’été 1966 sur la plage des Pommes. En 1969, notre père obtint son doctorat en médecine et fut appelé sous les drapeaux, avant de partir pour la guerre coloniale. Ils décidèrent de se marier le 8 août 1970, notre mère tomba enceinte le mois suivant et notre père partit pour l’Angola le 6 janvier 1971.
Les lettres presque quotidiennes se sont interrompues lors de trois périodes : durant les vacances de notre père à Lisbonne (trente-cinq jours en septembre 1971) ; entre avril et juillet 1972, avec l’arrivée de mère et fille à Marimba, jusqu’au moment où notre mère contracta une hépatite et fut hospitalisée à Luanda ; et entre août 1972 et janvier 1973, avec le retour de la famille à Marimba. La dernière lettre date du 30 janvier 1973, époque où mère et fille reparties à Luanda regagnèrent Marimba, pour y rester jusqu’à la fin du service militaire, en mars 1973.
« De ce vivre ici sur ce papier décrit » était le titre que notre père avait choisi pour son premier roman publié. À l’époque, ce titre fut rejeté par l’éditeur et remplacé par « Mémoire d’éléphant ». C’est une citation d’une lettre d’Angelo de Lima (1872-1921) au professeur Miguel Bombarda. Ce poète passa plusieurs années de sa vie interné dans les hôpitaux de Conde de Ferreira, à Porto, et de Rilhafoles, à Lisbonne, où il fut suivi par Bombarda, et où il mourut. Ses « Poésies complètes » furent publiées en 1971, et ce fut toujours un auteur très apprécié par notre père, ainsi qu’un cas clinique par lui étudié ; en 1974 notre père obtint le prix Sandoz de psychiatrie avec « Folie et création artistique : Angelo de Lima, poète d’Orpheu », travail présenté à la Société portugaise de neurologie et psychiatrie.
Les lettres présentées ici sont les transcriptions intégrales des originaux. Nous avons décidé de masquer quelques noms pour ménager la susceptibilité des personnes concernées ou celle de leur famille.
Voici donc le livre d’amour de nos parents, duquel nous sommes nées et dont nous sommes fières. Nous sommes nées de deux êtres exceptionnels en tout, que nous donnons en partie à connaître dans ces lettres. Le reste nous appartient. »

Lisbonne, mars 2005


António Lobo Antunes

Né en 1942 à Lisbonne et issu de la grande bourgeoisie portugaise, António Lobo Antunes a fait des études de médecine et s’est spécialisé en psychiatrie, métier qu’il a exercé à l’hôpital Miguel Bombarda dans les années 1970-1980. Au début des années 1970, il a été envoyé en Angola où il a participé à la guerre coloniale, comme tous les jeunes hommes de sa génération. Auteur à ce jour de plus de trente ouvrages traduits dans les principales langues et publiés pour la plupart chez Christian Bourgois éditeur, il est aujourd’hui l’une des grandes figures de la littérature contemporaine. De nombreux travaux ont été consacrés à son œuvre, et il a reçu de multiples prix littéraires, dont le Prix Union Latine en 2003, le Prix Jérusalem en 2005 et le prix Camões en 2007.


ENTRETIEN AVEC IVO M. FERREIRA

réalisateur et scénariste

Comment est né ce projet ?
Je voulais depuis longtemps faire un film qui parlerait de la guerre coloniale, mais je ne savais pas de quelle manière traiter ce sujet. Un soir, alors que je rentrais de voyage, j’ai trouvé ma femme en train de lire ces « Lettres de la guerre » à notre fils Martim qui n’était pas encore né et qu’elle portrait dans son ventre. J’ai très vite pensé que c’était peut-être là l’histoire que j’avais envie de raconter : celle d’un amour brutalement interrompu par une guerre aussi injuste qu’incompréhensible. De cette manière, à travers le récit d’António Lobo Antunes, je pouvais évoquer tout un pan de l’histoire récente du Portugal dont personne n’aime jamais parler.

Etait-ce aussi pour vous une manière de montrer la force d’un amour qui abolit les distances grâce au pouvoir des mots ?
Les lettres – et le film – montrent comment un jeune médecin militaire est devenu l’un des plus grands auteurs de tous les temps, mais la femme à qui il s’adresse est également très présente même si elle est physiquement loin de lui. J’aimais beaucoup l’idée de travailler autour de cette absence. Les images de Maria José sont les projections de l’esprit d’António : ses pensées, ses souvenirs, ses rêves. Et pourtant Maria est une vraie personne qui a bel et bien existé. Je l’ai filmée comme si elle était sur le point de disparaître, quelqu’un qui se perdrait sur le chemin de la mémoire.

Le film est une adaptation des écrits d’António Lobo Antunes, pour autant avez-vous pu y apporter votre propre point de vue ?
Le film est ma propre interprétation de l’histoire d’António et Maria José. J’ai d’ailleurs utilisé le noir et blanc à la manière d’un filtre entre la réalité des faits et le l’histoire que je mets en scène. C’était une étape nécessaire pour passer du livre au film.

Comment s’est déroulée votre collaboration avec António Lobo Antunes et sa famille ?
Nous avons fait ce film ensemble. C’était pour moi la seule manière possible de procéder même si ces lettres n’avaient plus un caractère privé à partir de moment où elles avaient été rassemblées et publiées dans un livre. Je n’aurais jamais pu mener à bien ce projet sans l’accord de Maria José et Joana – les filles António Lobo Antunes. Nous leur avions promis, moi-même, mon coscénariste et mes producteurs, d’agir avec douceur et élégance, et nous avons toujours veillé à respecter notre parole. Nous avons inclus dans le film des détails de la vie quotidienne d’António, par exemple la manière qu’il a de tenir sa cigarette quand il écrit, tout en respectant son intimité.

Combien de temps avez-vous tourné en Angola ?
Nous avons pris environ quatre semaines pour tout mettre en place, puis nous avons tourné pendant un peu plus d’un mois.

Vous avez vu et revu plusieurs « films de guerre » avant de vous lancer dans ce projet afin de déterminer ce que vous vouliez faire et surtout ne pas faire, notamment en termes artistiques. Votre film frappe d’ailleurs par la beauté qui anime ses images sans pour autant esthétiser la violence. Comment avez-vous réussi à trouver ce juste équilibre ?
Je ne crois pas à l’esthétisation comme une démarche artistique. La beauté dont vous parlez est plus une question d’élégance, elle relève de la manière de traiter un sujet, d’être en accord avec celui-ci, de l’aimer comme on aime la vie. Pour moi, il s’agit avant tout d’éviter les clichés. Je voulais certes faire un film sur la guerre, mais je ne voulais pas montrer des hommes qui tirent d’un côté et de l’autre de l’écran. Mes références étaient plus APOCALYPSE NOW, certains documentaires sur la guerre coloniale portugaise, les films de Terrence Malick pour l’utilisation de la voix-off, TABOU de Miguel Gomes pour son noir et blanc et sa manière de montrer l’Afrique… Ces films n’ont pas forcément beaucoup de points communs, mais ils mettent tous en scène des héros qui effectuent des voyages intérieurs comme António Lobo Antunes dans LETTRES DE LA GUERRE. Je n’ai pas voulu non plus imiter le style d’autres cinéastes, mais simplement trouver le mien. J’ai fait mon film comme si c’était le dernier, et ça chaque jour.
Le film est très réaliste dans sa manière de transcrire un monde et une époque…
Je souhaitais que les acteurs connaissent le mieux possible l’univers et l’époque dans lesquels leurs personnages évoluaient. Ils ont rencontré des militaires qui leur ont parlé de leur expérience au combat et ils ont appris à tenir une arme. Je leur ai aussi demandé d’écrire de vrais aérogrammes (lettres expédiées par avion ndla) à leurs proches. Nous avons ensemble discuté des personnages de chacun afin qu’ils apprennent à mieux les connaître. Du coup, ils étaient tous extrêmement motivés par le projet et très impliqués dans le récit. Je crois d’ailleurs que l’énergie que nous avons mise à faire le film se voit à l’écran.

Ce sont les lettres qui ont donné corps au film…
Absolument, mais aussi les recherches que nous avons effectuées en nous plongeant dans les archives militaires et en interviewant les compagnons de régiment d’António Lobo Antunes.

Vous avez travaillé autour de l’idée de « distance » tant au niveau du couple séparé par la guerre que des individus isolés à des milliers de kilomètres de chez eux…
Précisément. Je voulais montrer l’agonie et le drame collectif de tout un pays. Le film est aussi inspiré des histoires de ces hommes qui ont réellement vécu la guerre sur le terrain. Certains n’avaient peut-être jamais vu une voiture avant d’être enrôlés par l’armée et se retrouvaient envoyés au combat du jour au lendemain. Comment peut-on arracher quelqu’un à sa vie et le plonger dans un tel chaos ? Dans le film, vous pouvez entendre l’appel de Marcello Caetano (dernier premier ministre du régime Estado Novo entre 1968 et 1974) à défendre le Portugal contre ses ennemis alors que cette idée était indéfendable dès 1971. Beaucoup de gens considéraient déjà à l’époque que cette guerre était une honte pour le pays. J’ai aujourd’hui 40 ans, ces lettres ont été écrites trois ans avant ma naissance, le temps est donc venu de s’emparer du sujet, d’en débattre, de parler de ce qui s’est vraiment passé.

Cette manière d’évoquer l’histoire d’un pays à travers le destin de vos personnages revient souvent dans votre œuvre…
Oui. Je voulais que l’auteur de ces lettres se confonde avec les autres soldats et que tous finissent éventuellement par se ressembler. Ces hommes partagent une histoire commune comme un peuple partage l’histoire d’un pays. Ils sont dépassés par ce qu’ils vivent dans un espace-temps où passé, présent et futur se confondent.
Ces hommes semblent résignés, ils sont isolés, loin de leurs proches, et pourtant ils ne perdent pas espoir… C’est l’espoir qui leur permet de survivre.

Et l’amour ?
L’amour aussi, notamment à travers les lettres. Celles-ci maintiennent leur auteur en vie. Elles constituent son unique lien avec le reste du monde.