Etienne monte à Paris pour faire des études de cinéma à l’université.
Il y rencontre Mathias et Jean-Noël qui nourrissent la même passion que lui.
Mais l’année qui s’écoule va bousculer leurs illusions…
Avec : Etienne Andranic Manet • Jean-Noël Gonzague Van Bervesselès • Mathias Corentin Fila • Lucie Diane Rouxel • Valentina Jenna Thiam • Annabelle Sophie Verbeeck • Barbara Valentine Catzeflis • Héloïse Charlotte Van Bervesselès • Paul Rossi Nicolas Bouchaud • William Laurent Delbecque • Solange Jeanne Ruff
Réalisateur et scénariste Jean Paul Civeyrac • Assistant réalisateur Tigrane Avédikian • Image Pierre-Hubert Martin • Montage Louise Narboni • Décors Brigitte Brassart • Costumes /Scripte Claire Dubien • Son François Méreu • Mixage Philippe Grivel • Casting Constance Demontoy • Régie Flore Camus • Producteurs délégués Frédéric Niedermayer, Michèle et Laurent Pétin • Production Moby Dick Films
Jean-Paul Civeyrac
Né
en 1964, Jean Paul Civeyrac fait des études de philosophie à
l’Université de Lyon avant d’étudier à la Fémis à Paris. Là, il réalise
le court métrage « La Vie selon Luc » (1991), sélectionné en compétition
à Cannes.
En 1996, il tourne son premier long métrage, « Ni d’Ève ni d’Adam »,
suivi de « Les Solitaires », « Fantômes », et « Le doux amour des hommes
». « Toutes ces belles promesses » gagne le Prix Jean Vigo en 2003. Il
signe encore « À travers la forêt », « Des filles en noir », sélectionné
en 2010 à la Quinzaine des réalisateurs à Cannes, et « Mon amie
Victoria » en 2014. En parallèle, il se consacre à l’enseignement à la
Fémis, à l’Université Paris VIII, et au Cours Florent. De L’incidence
Éditeur a publié en 2014 un recueil de textes consacrés au cinéma et à
la musique, « Écrit entre les jours » ; et P.O.L un essai sur le cinéma «
Rose pourquoi » en 2017.
Filmographie
Longs-métrages
2018 Mes provinciales
2014 Mon amie victoria
2010 Des filles en noir
2005 À travers la forêt
2003 Toutes ces belles promesses
2002 Le doux amour des hommes
2001 Fantômes
2000 Les solitaires
1997 Ni d’Ève ni d’Adam
Courts-métrages
2016 Un jour de blues chez Elena
2012 Françoise au printemps
Fairy Queen
2011 Une heure avec Alice
Louise, le dimanche
2008 Malila s’est envolée
2006 Ma belle rebelle & Mon prince charmant
2 x 11 minutes
2004 Tristesse beau visage
1991 La vie selon Luc
ENTRETIEN AVEC JEAN-PAUL CIVEYRAC
Réalisateur et scénariste
Qu’est-ce qui vous a conduit à réaliser ce film-là, maintenant ?
Ce film est très lié à ma rencontre avec Frédéric Niedermayer, mon
producteur. On avait envie d’un film peu onéreux, qui pourrait se faire
rapidement. J’ai écrit le scénario en deux mois, et quatre mois plus
tard, on tournait ! Tout s’est fait dans un rapport de confiance, dans
une énergie qui n’a jamais faibli, un peu comme dans un rêve tant tout
s’est enchaîné de façon quasi miraculeuse, en rencontrant à tous les
stades de la fabrication du film des personnes que le projet
enthousiasmait (distributeurs, acteurs, équipe technique, etc).
Quant au scénario lui-même, qui raconte des histoires d’étudiants en
cinéma, il a plusieurs sources qui se sont cristallisées d’un seul coup.
D’abord mon expérience personnelle : ayant été étudiant à la Fémis, y
ayant ensuite dirigé le département de réalisation, et enseignant
maintenant à Paris VIII, j’ai été depuis 30 ans en contact permanent
avec des étudiants en cinéma. C’est donc un sujet que je connais bien.
Il y a eu aussi les petites fictions réalisées pour le site d’Arte, «
Blow Up », dans lesquelles j’ai mis en scène des personnages parlant de
cinéma – par exemple, « Une heure avec Alice », avec Adèle Haenel et
Grégoire Leprince-Ringuet, à partir des « Amours d’une blonde » de Milos
Forman. Et puis, la découverte de « La porte d’Ilitch » de Marlen
Khoutsiev a été aussi déterminante. Ce film, qui m’a ébloui, est
l’histoire d’une amitié entre trois jeunes garçons au départ de leur
vie. Je l’ai vu en juin 2016 ; en juillet, je commençais à écrire.
En imaginant un récit en forme d’éducation sentimentale, je voulais
parler de cinéma, d’amitié, d’amour et de politique aussi, et réaliser
un film un peu comme un premier film, dans une urgence – même si, bien
entendu, il n’aurait pu être ce qu’il est devenu sans l’expérience de
tous mes films précédents.
La ferveur des étudiants pour le cinéma est-elle une flamme immuable ?
Oui, bien sûr, mais parmi l’ensemble des étudiants, seule une minorité
la possède réellement. À cet âge-là, beaucoup se cherchent encore ou
sont simplement attirés par le milieu du cinéma, et souvent, s’ils y
trouvent ensuite une place, ils ne réalisent pas de films. La ferveur
cinématographique dont parle « Mes provinciales » est celle qui anime
tous ceux pour qui faire des films est une quête existentielle. Ils
doivent être à la hauteur de l’idée qu’ils se font de leur art et
d’eux-mêmes ; et c’est bien sûr la vie qui va se charger de leur
apprendre où ils se trouvent exactement.
Vous aussi avez été un provincial qui monte à Paris étudier le cinéma.
Oui, j’habitais près de Saint-Étienne, et l’arrivée à Paris a été un
bouleversement considérable. Vu de Firminy, venir à Paris où je ne
connaissais personne, c’était comme aller à Tokyo : c’était la grande
aventure ! Mais à la Fémis, une bonnemoitié de ma promotion venait de
province. Dans la petite bande de quatre ou cinq que nous formions, cela
aussi nous rapprochait. On se retrouvait à la Cinémathèque, on
dialoguait avec des critiques parisiens qu’on avait lus, avec des
cinéastes qu’on aimait. Le monde du cinéma, vécu jusqu’alors depuis la
solitude de nos chambres d’adolescents, soudain se concrétisait. Durant
toutes ces années, quelqu’un comme Jean-Claude Biette, par exemple, a
énormément compté pour moi. Et puis, plus concrètement, venir à Paris,
c’était aussi régler les difficultés de logement et d’argent.
Heureusement, comme beaucoup à la Fémis, j’étais boursier. D’une
certaine fa çon, filmer Paris en noir et blanc, c’était tenter de lui
conférer quelque chose de romanesque, de restituer un peu de cette
aventure que vit tout provincial en la découvrant, c’est-à-dire, au
fond, de lui donner une beauté toute particulière.
Un autre thème du film, c’est le passage du rêve au réel.
Seul en province, on se sent doué, invincible, mais arrivé à Paris, on
se confronte aux autres. Cela crée une émulation mais aussi une sorte de
concurrence. On est soudain confronté à ce qu’on fait, à ce que l’on
peut faire, on quitte le rêve flou de ce que l’on croyait être capable
de faire. C’est brutal, douloureux, on tombe parfois dans des trous
abominables. La scène où il faut sortir Etienne de son lit parce qu’il
ne veut pas aller tourner, et bien je l’ai réellement vécue. J’étais
tellement convaincu que ce que je faisais était mauvais que je ne
voulais plus me montrer ! Ainsi, dans le film, Etienne va peu à peu se
mesurer aux autres, à lui-même, et découvrir ses propres limites.
Le titre « Mes provinciales » semble jouer sur plusieurs tableaux…
D’un côté, il évoque les jeunes filles avec lesquelles Etienne a des
relations sentimentales – j’ai pensé à « Mes petites amoureuses » de
Rimbaud –, et de l’autre, il fait bien sûr référence à Pascal, et
notamment à ce qu’il dit de l’imposture, de la pureté des intentions en
conformité avec les actes. Peu à peu, Etienne apprend à ne pas se mentir
à lui-même, à ne pas s’illusionner sur ses propres capacités,
artistiques et sentimentales. Par exemple, à ne pas s’imaginer fidèle
quand il ne l’est pas.
Le film est très autobiographique ?
Le film mêle de façon très libre des expériences vécues et de la
fiction pure. C’est donc plus de l’auto-fiction que de l’autobiographie.
Mais il est vrai que c’est sans doute la première fois que j’ai si peu
de distance avec mes personnages, que je les connais aussi intimement.
J’ai pu parler à chaque acteur très précisément et très longuement de
son personnage, du texte, du sous-texte, des références en jeu. Pendant
la préparation, on a fait beaucoup de séances de travail dramaturgique,
comme authéâtre. J’ai tenté de leur transmettre un peu de cette ferveur
cinématographique, et ils ont plongé dans leur rôle avec une générosité
et une avidité qui, aujourd’hui encore, m’impressionnent beaucoup. Comme
nous avions décidé de tourner sans attendre, l’élan qui s’est créé
pendant ces répétitions ne s’est heureusement pas perdu.
Les acteurs de votre film sont quasiment inconnus.
Travailler avec de jeunes acteurs est toujours un grand plaisir. À
chaque film, ils me donnent la sensation que moi aussi, je suis au
début, que je recommence quelque chose. Vierges de leur image, ils sont
d’une grande disponibilité, et d’une émouvante humilité.
Dans « Mes provinciales », il y a comme un écho entre ces acteurs et
ces personnages d’étudiants en cinéma. En effet, ces étudiants, que je
côtoie toute l’année à Paris 8, et qui ont beaucoup inspiré le scénario
en se mêlant à l’auto-fiction liée à mon propre passé d’étudiant,
partagent quelque chose avec ces acteurs en devenir : ils commencent
tout juste à faire des films, ils sont incertains de leur talent,
inquiets de l’avenir que le monde leur réserve (socialement mais aussi
écologiquement, politiquement, etc), ils manifestent à la fois une
innocence et une lucidité qui, souvent, les amènent à un fort
engagement. Qu’ils soient incarnés dans le film par la façon d’être et
de parler d’une nouvelle génération
d’acteurs du cinéma français a permis, me semble t-il, de trouver une
justesse de représentation, et par là, de toucher à des problématiques
et à des émotions très contemporaines.
Comment avez-vous procédé, pour faire le casting ?
Pour le casting, je ne prends jamais une scène extraite du scénario :
la voir jouer tant de fois finit par l’user, et le jour où on doit la
tourner, elle n’inspire plus grand chose de vivant. Je préfère donc
écrire une nouvelle scène mettant en scène les personnages du film. Pour
« Mes provinciales », j’ai écrit un dialogue où il était question d’art
et de son importance dans la vie, car, dans le film, les discussions au
sujet du cinéma devaient être parfaitement crédibles. Certains acteurs
passant le casting ne parvenaient pas à donner l’illusion de savoir de
quoi ils parlaient. Cela a permis de faire un premier choix. Ensuite,
j’ai ajouté une deuxième partie à la scène où l’un des personnages
avouait son amour à l’autre, et ceci afin de me permettre de voir
comment les acteurs, à qui on demandait de jouer les deux rôles,
pouvaient atteindre une émotion forte. Et c’est après avoir choisi tous
les acteurs qui nous paraissaient les plus authentiquement intenses
qu’on a distribué les rôles. C’est donc en même temps que moi qu’ils ont
découvert les personnages qu’ils allaient interpréter. Une lecture du
scénario par tous a permis de vérifier que nous ne nous étions pas
trompés dans la répartition des rôles – ce qui était possible car chacun
apportait à son personnage
quelque chose que je n’avais pas prévu et qui me semblait l’enrichir.
Si j’ai procédé ainsi, c’est que je crois à la combinaison d’une
personne vivante et d’un personnage de papier afin de créer le caractère
unique d’un personnage cinématographique.
« Mes provinciales » est un film réaliste, ce qui n’est pas toujours le cas dans votre cinéma.
J’ai fait des films de réalisme intérieur, et d’autres de réalisme
extérieur, comme disait Jean Renoir. Certains d’eux parlent d’un monde
totalement fantasmé, voire onirique, d’autres, comme « Mes provinciales
», parlent d’un monde bien réel, même si, bien sûr, je suis toujours
très loin du naturalisme. Dans ce film, il y a un vrai contexte, une
vraie ville, avec des rapports entre les gens que l’on peut reconnaître.
Bergman excellait dans ces deux manières d’être réaliste. « Persona »
d’un côté, « Scènes de la vie conjugale » de l’autre. Avec « Fanny et
Alexandre », il a réussi à associer les deux, et c’est un de mes films
de chevet.
Quels ont été vos partis pris de mise en scène ?
J’ai pensé qu’il fallait une mise en scène simple, économe,
transparente, qu’on oublie la caméra, qu’elle s’efface, qu’elle ne soit
pas entre le spectateur et les personnages. C’est le contraire d’« À
travers la forêt » où il y a dix plans séquences, et où la caméra est
comme un personnage créant l’espace et la durée. Si, dans « Mes
provinciales », il n’y a
que des plans fixes et des panoramiques (sauf dans les tout derniers
plans), avec une caméra qui filme des dialogues de gens qui marchent ou
sont assis, c’est parce que j’ai pensé que l’intérêt du film résidait
précisément dans ces personnages-là – et donc, ces acteurs-là. Orson
Welles racontait qu’on avait demandé à Chaplin : « Pourquoi vos cadres
ne sont jamais intéressants ? Et Chaplin avait répondu : « Parce que
c’est moi qui suis intéressant ». C’est une réponse qui me semble
parfaite.
Le montage a beaucoup fait évoluer le film ?
L’intérieur de chacune des séquences n’a pas posé de grandes
difficultés. En revanche la structure d’ensemble du film a demandé pas
mal d’ajustements par rapport au scénario. En fait, j’avais imaginé le
film comme une chronique de la vie estudiantine, juxtaposant librement
les scènes, sans grands liens de cause à effet, mais cette mosaïque ne
marchait pas complètement. J’ai découvert ainsi que le film avait une
ampleur romanesque plus importante que prévue. Le montage a donc rétabli
les causes et les effets, renforcé la structure romanesque, et un peu
ôté de cet aspect « chronique » que possédait le scénario.
L’omniprésence de Bach est une constante chez vous…
C’est le seul compositeur que je puisse écouter tous les jours sans
jamais me lasser ! Mais si j’ai prêté à Etienne ce même goût, c’est
aussi que,
lorsque j’étais étudiant, je me suis construit à l’aide d’artistes
radicaux : Godard, Straub/Huillet, Bresson, Pasolini, Genet, Emily
Dickinson, etc, et donc, oui, Jean-Sébastien Bach. Avoir de solides
repères me paraît un besoin légitime quand on est étudiant mais ils
finissent par écraser tout le reste. C’est avec le temps qu’on apprend à
aimer aussi beaucoup d’autres choses, et sans les contradictions qu’on
présupposait un peu dogmatiquement. Comme, par exemple, dans le film,
cette musique assez sentimentale, associée à l’amour, et qui est de Giya
Kancheli.
Vous avez filmé vos personnages avec beaucoup de bienveillance…
C’est encore l’héritage de Renoir, le fameux « chacun a ses raisons ».
Je n’aime pas les films qui se livrent au jeu de massacre, où l’on ne
montre que des personnages méchants, bêtes, aliénés, le réalisateur
laissant entendre au spectateur, flatté et rendu complice, qu’ils ne
sont pas, eux, comme ces gens-là sur l’écran. J’essaie de mettre en
valeur tous les personnages que je filme, en laissant le spectateur
libre d’en penser ce qu’il veut.