Sunhi de Hong Sangsoo
Film soutenu

Sunhi

Hong Sangsoo

Distribution : Les Films Camélia

Date de sortie : 09/07/2014

Corée du Sud || 2013 | 1h30 | DCP | couleurs

Diplômée en cinéma, Sunhi rend visite à l’un de ses professeurs, Choi, en vue d’obtenir une lettre de recommandation lui permettant d’aller étudier aux États-Unis. Ce jour là, elle revoit deux hommes de son passé : son ex-petit ami Munsu et Jaehak, un réalisateur diplômé de la même école qu’elle. Pendant le temps qu’ils passent ensemble, Suhni reçoit leurs différents conseils sur la vie ; mais les trois hommes la définissent et parlent d’elle comme s’ils ne la connaissaient pas vraiment. Ils ont curieusement tous les trois la même opinion sur elle, formulée de manière similaire, et leurs réflexions semblent de moins en moins pertinentes. Mais heureusement Sunhi obtient une excellente lettre de recommandation qui la fait espérer que tous les compliments sur le papier correspondent à la réalité. 

Avec : Jeong Jae-yeong, Jeong Yu-mi, Kim Sang-jung

Scénario Hong Sang-soo •Photo Park Hong-yeol • Montage Hahm Sung-won • Musique Jeong Yong-jin • Production Jeonwonsa Co. • Producteur délégué Kim Kyoung-hee

Hong Sangsoo

Fils de parents divorcés, un officier de l’armée sud-coréenne, et une employée de maison de production de films, Hong Sangsoo découvre le cinéma en regardant les films hollywoodiens à la télévision. Au cours d’une conversation bien arrosée, un homme de théâtre suggère à ce garçon désoeuvré de se lancer dans la mise en scène. Hong Sangsoo s’inscrit alors à l’université de Chungang, à Séoul, dans le département « théâtre et cinéma ». Il part ensuite vivre aux Etats-Unis, étudiant au College of Arts and Crafts de Californie et à l’Art Institute de Chicago, où il réalise plusieurs courts métrages expérimentaux.
Il réalise en 1996 son premier long métrage, Le Jour où le cochon est tombé dans le puits suivi deux ans plus tard du Pouvoir de la province de Kangwon et en 2000 de La Vierge mise à nu par ses prétendants. Salués par la critique et primés dans les festivals (Rotterdam, Vancouver, Pusan), ces trois films sortiront en France en 2003. Sangsoo y décrit avec un remarquable sens du détail le quotidien de jeunes Coréens, leurs relations de couple conflictuelles et leur malaise existentiel latent.
Suivront trois oeuvres coproduites par la France, Turning Gate en 2002, La femme est l’avenir de l’homme en 2004 et Conte de cinéma en 2005. Avec Woman on the Beach (2007), Night and Day (2008) et Les Femmes de mes amis (2009), le cinéaste confirme ses obsessions. Oscillant toujours entre l’expérimentation conceptuelle et le réalisme.
Ha Ha Ha et Oki’s Movie, réalisés en 2010, et Matins calmes à Séoul (The Day He arrives) en 2011, confirment le fait que, si chacun des titres semble répéter le précédent, il s’en distingue toujours subtilement et essentiellement.
En 2012, In Another Country dans lequel joue Isabelle Huppert est présenté en compétition officielle au Festival de Cannes.
En 2013, Haewon et les hommes (Nobody’s Daughter Haewon) est sélectionné au festival de Berlin. Sunhi (Our Sunhi) est présenté au festival du film asiatique de Deauville et reçoit le prix de la mise en scène au festival de Locarno. En 2014, Hill of Freedom reçoit la Montgolfière d’Or au festival des trois Continents à Nantes.

Filmographie

2018 Hotel by the river
2017
Grass
2017 Le jour d ‘après
2017 La caméra de Claire
2017 Seule sur la plage la nuit
2015 Un jour avec, Un jour sans
2014 Hill of freedom
2013 our Sunhi
2012 Haewon et les hommes
2012 In Another Country
2011 The Day he arrives (Matins calmes à Séoul) 
2010 Oki’s movies
2010 ha ha ha
2009 Les femmes de mes amis
2008 Night and Day
2007 Woman on the beach
2005 Conte de cinéma
2004 La femme est l’avenir de l’homme
2002 Turning gate
2000 La vierge mise à nu par ses prétendants
1998 Le pouvoir de la province de Kangwon
1996 Le jour où le cochon est tombé dans le puits

ENTRETIEN AVEC HONG SANGSOO

Depuis OKI’S MOVIE, je crois que vous choisissez en amont seulement les acteurs, le lieu, et la période de l’action tandis que pour la structure cinématographique, vous laissez une part de hasard ainsi que votre intuition qui interviendra sur le tournage. Dans le cas de SUNHI, comment vous sont venus ce hasard et cette intuition et comment l’histoire qui aboutit à la configuration actuelle est venue à vous ?
Je crois qu’après le choix de mes acteurs, ce que je voulais ujste avant le tournage du film, c’était le fait d’avoir « une étudiante qui vient demander une lettre de recommandation ». Puis le deuxième jour de tournage, la configuration générale du film s’est révélée à moi avec le fait de juger quelqu’un, partager les conseils de la vie, observer, et.c

La distribution des rôles à JUNG Yumi, LEE Sunkyun, KIM Sangjoong et JUNG Jaeyoung a dû être un élément important avant le tournage. Avez-vous choisi ces acteurs en ayant à l’esprit qu’il s’agirait de l’histoire de 3 hommes et d’une femme ?
Je voulais d’abord LEE Sunkyun et JUNG Yumi, puis mon choix s’est porté sur KIM Sangjoong et après, JUNG Jaeyoung. LEE Sunkyun et JUNG Yumi étaient au cœur de l’histoire et KIM Sangjoong est arrivé, ensuite j’ai pensé que JUNG Jaeyoung devait être également de la partie. J’ai pensé à 3 hommes d’une force équivalente et à une fille. Lorsque je me suis décidé sur les acteurs, j’ai tout de suite eu des idées sur les relations qu’allait avoir l’actrice avec chacun d’eux. Et j’ai prolongé ce sentiment tout le long du film.

Du point de vue du spectateur, on sent la tonalité du film à travers l’harmonie entre la couleur du générique de début et la musique. Dans ce film, pourquoi avez-vous choisi le jaune des feuilles de ginkgo par rapport à toutes les autres couleurs de l’automne ?
Je ne pourrais pas expliquer pourquoi, je savais seulement que c’était la bonne couleur. C’était joli.

Si on pouvait classer grossièrement vos films précédents comme des films d’été et des films d’hiver, cette année, vous nous offrez soudain un film de printemps et un film d’automne. Y a-t-il une raison pour laquelle SUNHI est un film d’automne ?
L’automne était en train de se terminer lorsque nous tournions, c’était début novembre. Je crois que j’étais un peu anxieux car je voulais capturer le peu de lumière d’automne et de feuilles mortes qui restaient. Mais je ne sais pas quelle est la raison qui m’y a poussé.

JUNG Jaeyoung et LEE Minwoo travaillent pour la 1re fois avec vous. L’entrée et la sortie de LEE est aussi inattendue et drôle que celle de RYU Dukhwan dans HAEWON ET LES HOMMES tandis que la présence de JUNG parait si naturelle qu’il parait toujours avoir été dans votre univers alors même qu’il joue presque à contre-emploi dans ce film. Qu’avez-vous perçu chez ces 2 acteurs et que vouliez vous faire ressortir en eux ?
Bien sûr, ils avaient une fraicheur. Mais c’est éprouvant d’en parler comme ça, donc je préférerais ne pas répondre à la question. LEE Minwoo m’a été présenté par KIM Sangjoong un peu avant le tournage et JUNG m’avait été recommandé par YU Junsang depuis très longtemps.

Après avoir été exclu du « cercle des hommes de Sunhi », le personnage joué par LEE Minwoo ne revient plus à l’écran. Quel rôle a-t-il dans le film ? Il parait différent du personnage joué par RYU Dukhwan dans HAEWON ET LES HOMMES.
C’est un homme plein d’entrain mais qui ne réfléchit pas assez. Il met Sunhi en colère et elle va boire. Sunhi se souvient avoir été un peu gauche et mal à l’aise entourée de gens et il vient le lui rappeler comme s’il la trouvait étrange ou qu’il ne la considérait pas. Et c’est comme ça qu’elle rencontre son ancien petit ami. 

Dans vos films précédents, la musique qui nous était familière était en général la musique classique ou le piano de JUNG Yongjin. Mais dans ce film, on entend à plusieurs reprises la chanson « Home » de CHOI Eunjin. Il y a des paroles spécifiques et la chanson est assez typée, ce qui fait une différence avec les morceaux de musique que vous utilisiez jusqu’ici. Qu’est-ce qui vous a touché dans cette chanson ?
Je passais et je suis entré pour la première fois dans le magasin que tient CHOI Eunjin près du quartier de Bukchon. Je voulais jeter un coup d’œil pour savoir si je pouvais le filmer dans mon prochain film, mais elle m’a accueilli gentiment et m’a même donné son CD enregistré. Quelques jours plus tard, ma productrice m’a fait écouter le CD et j’ai bien aimé la chanson « Home ». Je l’ai écoutée plus d’une dizaine de fois et je suis retourné au magasin. Comme c’était juste après avoir décidé que JUNG Jaeyoung tournerait avec moi, je lui ai proposé qu’on se retrouve au magasin. On a bu ensemble et CHOI a chanté, c’est là que je me suis décidé : je tournerais le film dans le magasin et j’utiliserais la chanson. Quand je l’écoute maintenant, j’éprouve encore une autre sensation par rapport à ce moment-là. Bref, la 1re fois que j’ai écouté la chanson en boucle, j’en suis tombé amoureux et le choix de l’utiliser dans le film a sûrement joué un rôle dans ma manière de faire le film en relation avec le temps et la saison.

La chanson « Home » est utilisé 3 fois au sein du film et elle est reprise à la fin avec la musique originale, hors-champ. Quelle est la raison pour laquelle vous avez employé ainsi la musique ?
Après avoir utilisé la chanson pour la 1re fois sur le tournage, je savais qu’elle réapparaitrait plus tard dans le film.

Je crois que la scène où Jehak et Munsu se rencontrent au café Arirang est la scène la plus longue (sans coupe) de tous vos films. Combien de minutes dure cette scène ? J’ai l’impression que le jeu proche de l’improvisation de LEE Sunkyun a joué un rôle dans la longueur de la scène et que cela vous a plu. Quels aspects de la scène vous ont apporté satisfaction ?
Oui, il est clair que c’est la scène la plus longue. Je crois qu’elle dure environ 13 minutes mais il faudrait vérifier. J’ai beaucoup bu pendant cette scène. Comme elle est longue, c’était évident que ça bloquait toujours quelque part. Je n’abandonnais pas et je persévérais. Parfois ça marche, on arrive à exprimer ce qu’on veut et ça tient la route. Si on a de la chance, la scène marche. Je l’ai revue plusieurs fois et à chaque fois, elle me rire.

Lorsque Munsu (LEE Sunkyun) dit « il faut aller jusqu’au bout des choses pour savoir ce qui est vraiment important », il fait soudain un grand geste. Quel a été le contexte qui a donné naissance à son jeu ?
LEE Sunkyun ne se rappelait plus de la fin de la phrase et il essaie peut-être de faire n’importe quoi pour se rattraper ?

Même lorsque Sunhi et Jehak sont en train de boire, on remarque leurs gestuelles. Le mouvement de leurs mains est très marquant surtout. Leur aviez-vous donné une directive spéciale ?
Je me souviens avoir demandé à JUNG Jaeyoung de toucher le visage de JUNG Yumi, mais pour le reste, ça vient des 2 acteurs de façon naturelle.

Dans SUNHI, les gens parlent beaucoup. Ils jugent Sunhi, ils se donnent des conseils. Est-ce que le film parle de notre vision de Sunhi ou des mots qui entourent ce personnage ?  
Nous voyons Sunhi de nos propres yeux, et les hommes parlent d’elles dans le film. Nous percevons l’écart entre les deux et on pense à ce personnage. On peut penser également à la signification des mots.

Les trois hommes, Munsu, Jehak et le professeur Choi, décrivent Sunhi comme une personne timide, un peu folle mais qui sait discerner. Pourtant dans le film, à aucun moment, le spectateur peut se faire sa propre idée sur cette description, car le comportement de Sunhi ne montre rien qui le justifie. C’est comme l’écart qui existe entre la réalité de Sunhi et ce qu’on dit sur la réalité de Sunhi. J’aimerais savoir ce que vous pensez de la différence entre ce qui est montré et ce qui est dit.
Pour que les mots puissent avoir du poids, il faut qu’ils soient très précis et c’est très difficile à cause de plusieurs raisons. Ce n’est pas parce qu’on a compris que le cœur du sujet se révèle être vraiment le cœur du sujet, parfois ça ne l’est pas dans la vie. On espère croire aux mots parce ceux-ci sont simplement gais et on continue. Je crois qu’il vaut mieux ne pas être à la recherche de quelque chose de trop profond dans la vie, du moins en ce qui me concerne.

SUNHI me paraît être très pesant quelque part. En comparaison, si on remarquait dans HAEWON ET LES HOMMES le thème du rêve et une porte d’entrée vers le mystérieux, SUNHI donne l’impression de relations tissées comme des grosses masses collées les unes aux autres. De plus, les commentaires en voix-off qu’on entendait dans vos derniers films et qui donnait une impression multidimensionnelle a disparu dans ce film. Qu’en pensez-vous ?
La longueur des scènes et l’accord est un peu différent, il y a moins de zooms aussi, les inserts donnent une autre impression, il y a beaucoup plus d’entrées et de sorties de personnages et c’est pourquoi il y a peu de grosses masses et que celles-ci s’enchaînent. La raison réside peut-être dans le contenu des discussions, dans l’utilisation longue de la musique et la répétition du lieu.

Dans la séquence finale, les 3 hommes errent dans le Palais Changgyeong et disent des choses fausses sur Sunhi, ce qui est une scène assez humoristique et très limpide, mais je me demandais si vous aviez eu envie d’une fin alternative ou un peu plus ambigüe.
Je trouvais que c’était une bonne fin et que c’était gentil. Et puis, c’est dans la même veine que le reste du film.

Dans CONTE D’HIVER d’Eric Rohmer, l’héroïne demande à l’homme le plus intelligent parmi tous ses prétendants pourquoi il l’aime, celui-ci répond « parce que tu es prévisible » et je me souviens avoir éclaté de rire. Les 3 hommes de SUNHI semblent adopter la même posture, et pourtant ils semblent aussi l’aimer parce qu’ils ne la connaissent pas bien. Quelle est la part d’illusion chez une personne qui en aime une autre parce qu’elle est persuadée de la connaitre ?
De toute façon, on ne peut rien bien connaître. Mais aimer parce qu’on croit bien connaitre quelqu’un, c’est problématique. Il faut d’abord aimer et aimer sans condition. C’est en aimant qu’on perçoit d’autres aspects de la personne aimée. Prendre du plaisir dans ce processus de découverte me parait bien. C’est parce qu’on aime qu’on peut se retenir davantage, qu’on vainc nos peurs ou nos gênes au fond de nous et qu’on peut accepter cet autre aspect insoupçonné et dérangeant des débuts. Ca, c’est un bonus et grâce à ça, on peut changer petit à petit.

Lorsque vous devez écrire une lettre de recommandation pour un étudiant puisque vous êtes professeur dans la vraie vie, et que vous devez le décrire, que ressentez-vous ? Pensez-vous qu’il y a une distinction entre décrire quelqu’un à l’oral ou à l’écrit ?
Je n’aime pas trop rédiger des lettres de recommandation mais je le fais parce que la personne me dit que ça peut l’aider. J’espère seulement aimer cette personne et bien m’entendre avec elle. C’est également divertissant de découvrir  petit à petit les différents aspects que l’on ne soupçonnait pas. Ca ne rentre pas dans le descriptif de la personne, c’est seulement une petite découverte de la journée. Lorsqu’on montre une personne selon une expression artistique comme à travers une caméra, on croit au miracle que le processus de cet outil fournira et on s’appuie dessus. La description, c’est bon pour un mode d’emploi qui sert à monter un ventilateur.

La place de la femme est toujours très particulière dans vos films. Est-ce qu’il est difficile pour les 3 hommes d’approcher cette place dans le film ?
Ici, il est question de Sunhi mais dans TURNING GATE, il s’agissait de Kyungsoo. C’est seulement parce que des titres comme « Munsu’s Movie » ou « Our Kyungsoo » ne me viennent pas à l’esprit. Si mes titres ont des prénoms féminins, c’est sûrement à cause du petit espoir ou fantasme que j’ai sur les femmes parce que je n’en suis pas une.

J’ai souvent eu l’impression d’être réconforté en regardant vos films, mais je ne sais pas ce qu’est ce réconfort au juste. Mais quand on regarde vos derniers films, on voit que les personnages recherchent ce réconfort. Ca fait presque peine à les voir se démener et souffrir. Par exemple, dans ce film, j’avais l’impression que le soleil automnal, la chanson de CHOI Eunjin qu’on entend comme dans un rêve, le paysage et le temps qui s’est arrêté au palais Changgyeong ainsi que le poulet et les scènes répétées où l’on boit étaient différentes formes de réconfort. Mais les personnages ne s’en rendent pas compte et ça m’attristait d’autant plus. Que pensez-vous du réconfort qu’apporte la vie ou le cinéma ?   
Je vous remercie beaucoup de vos mots encourageants. Je pense qu’un film peut réconforter une personne. Pour moi, ça a été le cas. La personne qui réalise le film ne doit se concentrer qu’à faire le film de son mieux. Ce qui se passe après arrivera si ça doit arriver.

par la revue CINE21 (17/09/2013)
Questions posées par JUNG Hansuk, LEE Hookyung, NAM Daeun, KIM Hyeri, SONG Kyungwon et JUNG Hongsoo