Film soutenu

TENGO SUEÑOS ELÉCTRICOS

Valentina Maurel

Distribution : Geko Distribution

Date de sortie : 08/03/2023

Belgique, France, Costa Rica / 2022 / 1h43

Alors que ses parents se séparent, Eva, 16 ans, décide de vivre avec son père, un artiste bohème. Débute alors la recherche d’un appartement dans la ville de San José. Mais l’adolescente va devoir affronter la souffrance de son père et la violence qui le traverse.

Locarno Film Festival 2022 – Léopard de la meilleure réalisation, Léopard de la meilleure interprétation féminine, Léopard de la meilleure interprétation masculine
San Sebastian Film Festival – Horizontes latinos Award
Festival de Biarritz Amérique latine – Coup de coeur du Jury pour l’interprète principale féminine Daniela Marín Navarro

Eva Daniela Marín Navarro • Martin Reinaldo Amien Gutiérrez • Anca Vivian Rodríguez Barquero • Sol Adriana Castro García• Palomo / Dove José Pablo Segreda Johanning • Diana Mayté Ortega Floris • Sandra Jeniffer Fernández • Kwessi Bagheera 

Écrit et réalisé par Valentina Maurel • ProducteursGrégoire Debailly, Benoit Roland • Producteurs associésValentina Maurel, Felipe Cordero • Directeur de la photographieNicolás Wong, CCR • 1ère assistant réalisateur Felipe Zúñiga • 2ème assistante réalisatrice Kim Picado • Directeurs de castingKim Picado, François Guignard, Jill Gage • Directeur de productionFelipe Cordero • Son Erick Vargas, Corinne Dubien, David Vranken, Benoit Biral • Montage Bertrand Conard • Distribution internationale Heretic 

Valentina Maurel

Valentina Maurel est une réalisatrice franco-costaricienne.
Diplômée d’un master en réalisation en Belgique, son film de fin d’études PAUL EST LÀ a obtenu le premier prix de la Cinéfondation lors du Festival de Cannes 2017.
Son second court-métrage LUCIA EN EL LIMBO, tourné au Costa Rica, a été sélectionné à la Semaine de la Critique à Cannes en 2019, au TIFF et a reçu le premier prix au Guanajuato International Film Festival de Mexico.

FILMOGRAPHIE
2022 Tengo Sueños électricos

2019 Lucia en el limbo [cm]

2016 Paul est là [cm]

ENTRETIEN AVEC LA RÉALISATRICE

La puissance de la direction d’acteur saute aux yeux pour un premier film. Pouvez-vous nous raconter comment vous avez choisi vos acteurs, quelle était leur expérience ? 

J’ai organisé un casting au Costa Rica ouvert à tout le monde, et c’est par ce biais que j’ai eu la chance de rencontrer Daniela Marín Navarro (Eva), une adolescente qui s’ennuyait chez elle à cause de la pandémie. Par hasard, elle a répondu à l’annonce alors qu’elle n’avait encore aucune expérience de jeu. Pour Reinaldo Amien (Martin), j’avais déjà travaillé avec lui auparavant, lors de mon dernier court métrage Lucia en el limbo. Même si je n’ai pas tout de suite pensé à lui pour le rôle, au fur et à mesure de l’avancée du casting, c’est devenu une évidence pour moi que le personnage, c’était lui. 

Concrètement, comment avez-vous travaillé avec vos acteurs et notamment la violence physique ? 

Pour les préparer au jeu, nous avons passé beaucoup de temps ensemble avant le tournage. Pas nécessairement en répétant les scènes, mais en essayant de comprendre la manière dont la relation entre ces deux personnages est faite de complicité dans la violence. Il y a une sorte de reconnaissance et de familiarité dans cette rage qui les anime et qui est à la fois mêlée à de l’affection et de la tendresse. 

C’est toute la difficulté de séparer les choses et qui rend leur relation complexe. 

A partir de là, nous avons travaillé non pas en s’attardant sur la psychologie des personnages ou sur la mémoire émotionnelle des acteurs, mais plutôt à travers un travail très physique, car j’aime penser les personnages à travers ce qu’ils sont dans leur corps. Nous avons travaillé le rythme des corps, la gestuelle, la façon dont ils se touchent et ses conséquences. Un geste peut par exemple passer de la tendresse à la rage subitement et sans préavis, nous cherchions donc la façon dont on réagit lorsque l’on est en état de choc face à la violence. Comment elle se répète, se reproduit, et génère paradoxalement une adrénaline qui paraitre presque agréable. Tout  cela en essayant de ne pas être dans un rapport de jugement moral des personnages. 

La poésie a une image un peu désuète en Europe. Pourtant vous n’avez pas peur d’en user frontalement et vous montrez des gens qui en écrivent… 

Il est vrai que j’ai été assez surprise, lorsque je suis arrivée en Europe, d’observer que la poésie y est considérée comme un art presque mort. D’ailleurs, aux Etats-Unis aussi : il y a quelques jours, le New York Times a annoncé que la poésie était morte il y a 100 ans avec le décès de T.S. Eliot. Pourtant, j’ai grandi au Costa Rica dans un cercle qui pensait le contraire. 

Durant les années 90, les gens avaient envie d’écrire de la poésie, car ils pensaient cela possible et n’avaient pas ce rapport sacralisé, ce respect funèbre que, j’ai l’impression, les européens ont envers la poésie. C’était peut-être naïf de leur part, mais c’est très caractéristique de l’identité costaricienne. C’est un pays qui est encore en train de s’écrire et de se raconter, il n’y a pas le poids historique et culturel qu’ont les pays en Europe, et c’est très rafraichissant. J’ai tout de même un avis critique sur cette génération de la classe moyenne, dans laquelle j’ai grandi, mais j’avais effectivement envie de raconter cette dimension-là. 

Et quel est votre propre rapport à la poésie ? 

J’ai grandi avec des parents qui en écrivaient, surtout ma mère, mais mon père aussi. Tous deux étaient comme tout le monde : des personnes qui vivent leur vie dans la confusion du moment présent, ne sachant pas bien où la vie les mène, qui commettent des erreurs. Et pourtant, il leur arrivait d’écrire et de faire preuve d’une lucidité terrifiante, d’un recul presque cruel sur la vie. Cette capacité-là m’était très mystérieuse, je m’en sentais parfois presque exclue. 

Votre film se déroule entièrement à San José et il est donc très urbain, à l’opposé de l’image de paradis tropical qu’évoque spontanément le Costa Rica. Pourquoi ce choix ? 

Je souhaitais filmer San José car c’est la ville dans laquelle j’ai grandi, et surtout car elle est considérée comme laide dans un pays généralement associé à des paysages paradisiaques. Mon expérience du Costa Rica a été de grandir entourée de béton ensoleillé, dans une ville densément peuplée et assez chaotique. Je voulais m’autoriser à raconter cela, et ne pas montrer que la dimension touristique de ce pays. 

C’est également un film très intimiste. Or les films latinos qui trouvent leur chemin dans les festivals européens évoquent souvent la violence politique ou celle des gangs. Souhaitez-vous aller à rebours d’un cinéma exotique ? 

Je souhaite d’abord raconter des choses que je connais, qui me sont proches. Or cela n’est pas évident quand on est un cinéaste latino-américain, car on est tenté de jouer la carte de l’altérité exotique pour attirer un public étranger, et on a l’impression de raconter une histoire banale si l’on fait l’inverse. Je voulais résister à cette tentation-là pour trouver un équilibre qui est assez délicat, d’un côté ne pas céder à l’exotisation ou la sociologisation du cinéma latino-américain, et de l’autre ne pas tomber dans l’universalisation totale en copiant des schémas de cinéma européen. J’ai cherché à trouver la spécificité de ce que l’on est, c’est pour cela que j’ai souhaité faire le film de cette manière. 

Je crois aussi que le problème est que le public européen attend du film latino-américain qu’il soit un objet culturel, alors qu’il faudrait qu’il soit simplement un objet de cinéma. Et il est d’autant plus étonnant que ce public peut être très à l’aise avec un film qui va montrer beaucoup de violence, par exemple celle des gangs, la violence urbaine, tout en étant confortable car c’est un objet sociologique, un film didactique. Alors que s’il on déplace un peu les choses et que l’on montre la violence sans tomber nécessairement dans ce rapport didactique, c’est à mon sens justement là qu’on tisse des liens. Je parle de choses qui nous concernent tous, la violence n’est pas que latino-américaine, elle est universelle. C’est peut-être ce qui plait dans le film autant que ce qui gêne. 

Vous traitez les personnages et les situations avec une distance qui met parfois mal à l’aise. Comme si vous refusiez de les juger ou que vous laissiez le spectateur se débrouiller. Est-ce que vous recherchez ce malaise ? 

Ce qui m’intéresse, c’est d’être fidèle à la confusion dans laquelle on vit les choses dans le moment présent. Je ne cherche pas nécessairement à créer un malaise, mais j’essaie de faire en sorte que le spectateur ne sache pas forcément où se positionne le film moralement, car je ne veux pas être un intermédiaire entre lui et sa propre position morale. Ce n’est pas mon rôle de juger les personnages, c’est au spectateur de le faire. Ce qui m’intéresse en tant que réalisatrice, c’est d’essayer de comprendre et de mettre en scène la difficulté de faire la différence entre le bien et le mal, entre une situation de consentement ou d’abus. D’autant que le désir est quelque chose de mystérieux et d’instable, il peut nous échapper. Je souhaite explorer toutes ces choses-là, avec lesquelles nous sommes censés devoir composer : être justes, découvrir l’amour, la vie d’adulte, son propre désir. 

Aujourd’hui, il y a cette tendance à vouloir raconter des personnages féminins héroïques, qui ont tous les outils pour être des femmes exemplaires, des féministes qui défendent leurs droits. Pourtant, on ne nait pas avec les mots-clés qui nous permettent d’analyser le réel de cette façon-là, et je pense que l’apprentissage de la vie est extrêmement compliqué. Je voulais ainsi raconter la découverte du sexe dans ce prisme-là. De la même manière, je ne voulais pas enfermer mon personnage féminin dans la passivité du rôle de victime, qui est trop simple, surtout quand s’agit d’une jeune fille qui désire aussi et qui veut découvrir le sexe. 

Le sexe est montré crument. La scène de défloration d’Eva est ainsi très éclairée. Vous montrez la peau luisante de vos acteurs, leur maladresse, les moments de rires et de gêne. A quoi correspond ce parti pris ? Est-ce une position morale ? 

Je crois que j’ai envie de montrer la vie dans ce qu’elle a de cruel aussi, et je pense que la découverte du sexe est quelque chose qui est à la fois merveilleux, terrible, drôle, gênant, tout cela en même temps. J’ai voulu filmer cette scène en permettant que toutes ces émotions la traversent. Ce n’est justement pas une position morale mais plutôt un constat de ce que je connais de la vie. Je ne voulais ni édulcorer les choses, ni les noircir, car j’ai l’impression que dans l’acte sexuel il y a un millier de choses qui se passent en même temps. Et qu’on a tendance à les simplifier, les codifier, les faire balancer dans un sens ou dans l’autre, en effaçant toutes les nuances. Pour moi, une scène de sexe est un film en soi : il y a un suspens et une forme de découverte de soi comme de l’autre, qui est abyssale et vertigineuse. 

Le film évoque la violence d’un père, ses débordements et ses défaillances. Pourtant le film semble plein d’amour. Comment comprenez-vous cette contradiction ? 

Avec les acteurs, nous avons essayé de comprendre comment la rage est contagieuse, comment la violence circule entre les corps. On associe la violence au masculin mais une femme peut aussi devenir violente si c’est ce à quoi elle a l’habitude, et si c’est ce qui se confond au sein d’une relation avec de l’amour. Surtout, c’est un état limite : quand on le connaît, on a tendance à y retourner, car, paradoxalement, cela nous fait sentir plus vivant, on se reconnaît dans cet état. Et cela, je crois que c’est une chose que l’on ne dit pas tellement, et qui rend la violence si complexe. On a tendance à parler de violence de manière très réductrice, alors qu’on en fait l’expérience de manière plus ambiguë, sans outils pour la comprendre. Je voulais être fidèle à cette confusion-là. Je me suis ainsi gardée d’entrer dans des considérations morales pour comprendre cette confusion. C’est généralement quelque chose que l’on comprend après coup et non pas au moment où on la vit. Moment où elle s’apparente plutôt à une montée d’adrénaline terrible, qui nous donne l’impression d’être surpuissant et que, hélas, on peut confondre avec de la vitalité. 

A un moment où les femmes dénoncent les violences sexuelles et sexistes, votre film dessine une ambiguïté sur la question du consentement. Comment voyez-vous votre rôle là-dedans ? 

Je pense que parfois, pour pouvoir parler de violence sexuelle, il faut pouvoir parler de sexe plus frontalement. Ma priorité a été de rester dans le point de vue d’une jeune fille qui le découvre : il y a dans le désir des parts d’ombre qui nous dépassent, et il y a dans le consentement quelque chose d’instable, c’est ce qui rend la notion complexe. C’est à dire que je voulais raconter comment une jeune femme oscille entre désirer et ne pas désirer sans pouvoir se le formuler à elle-même, ou alors comment elle désire des choses qui ne lui font pas du bien, ou encore que dans son désir s’en cache un autre. Je ne souhaite pas apporter de réponse définitive à ces questions, car je crois que le cinéma est davantage un espace de questionnement. Mais j’ai voulu échapper à l’exemplarité d’un personnage féminin qui subit tout, ou qui trouve les réponses à ces questions le temps du film. Parfois, ces réponses prennent le temps de toute une vie à surgir. Ce qui est intéressant est de devoir se poser la question sans cesse pour pouvoir avancer. 

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