Film soutenu

Tramontane

Vatche Boulghourjian

Distribution : Ad Vitam

Date de sortie : 01/03/2017

Liban, France, Qatar, UAE / 2016 / 1h45

Rabih, un jeune chanteur aveugle, est invité avec sa chorale à se produire en Europe. Lors des formalités pour obtenir son passeport, il découvre qu’il n’est pas le fils biologique de ses parents.
Un mensonge qui l’entraîne dans une quête à travers le Liban, à la recherche de son identité.
Son périple dresse aussi le portrait d’un pays meurtri par les conflits, incapable de relater sa propre histoire.

SEMAINE DE LA CRITIQUE, FESTIVAL DE CANNES 2016

Avec : Rabih BARAKAT JABBOUR • Samar JULIA KASSAR • Wissam MICHEL ADABASHI • Hisham TOUFIC BARAKAT

Réalisateur VATCHE BOULGHOURJIAN • Scénario, adaptation, dialogues VATCHE BOULGHOURJIAN • Image JAMES LEE PHELAN • Montage NADIA BEN RACHID • Son RANA EID, JULIEN PEREZ • Musique originale et supervision musicale CYNTHIA ZAVEN
Directrice artistique NADINE GHANEM • Production CAROLINE OLIVEIRA (Rebus Film production), GEORGES SCHOUCAIR (Abbout Productions) • Coproduction GABRIELLE DUMON (Le Bureau) • Directeur de production ABLA KHOURY, LARA KARAM CHEKERDJIAN

Vatche Boulghourjian

Vatche Boulghourjian est un auteur et réalisateur libanais diplômé d’un Master (MFA) de cinéma à l’Université de New York (NYU) dont il est également membre honorifique. Il a auparavant travaillé plusieurs années dans divers pays du Moyen Orient, réalisant des documentaires TV en parallèle de ses propres courts-métrages de fiction, expérimentaux et documentaires. Son film de fin d’étude à NYU, La Cinquième Colonne, a été récompensé d’une bourse de la Hollywood Foreign Press Association avant de remporter le 3ème Prix à Cannes en 2010, dans le cadre de la Cinéfondation. Ses films ont été montrés et maintes fois récompensés dans de nombreux festivals internationaux. Tramontane, son premier long-métrage, a fait sa première mondiale en compétition à la 55ème édition de la Semaine de la Critique à Cannes.

ENTRETIEN AVEC VATCHE BOULGHOURJIAN

Qu’est-ce qui vous a poussé à faire ce film ?
Ce film est le fruit de ma vie au Liban, de ma sensibilité à ses réalités quotidiennes, ainsi que de mon intérêt et de mon amour profonds pour son peuple et sa culture. La quête de vérité de Rabih sur ses origines l’oblige à s’enquérir d’événements spécifiques de la Guerre Civile Libanaise (1975- 1990). Au lieu de faits tangibles dont il a besoin pour résoudre son énigme, Rabih fait face à des mythes, des fantasmes et des mensonges – personne ne lui livre la vérité qu’il attend. C’est un phénomène commun au Liban depuis la fin de la guerre : afin de s’en protéger ou de s’en exonérer, on fabrique le passé de toutes pièces, en le manipulant voire en le dissimulant purement et simplement.

Aucun compte-rendu officiel de la guerre n’existe à ce jour au Liban. Chaque communauté, livrée à elle-même, raconte et enseigne sa propre version de la guerre, perpétuant ainsi les vieilles rancoeurs au sein des nouvelles générations.

De toute évidence, la guerre n’est pas finie, elle a juste pris une autre forme. L’accumulation de récits différents pour expliquer un même événement a créé une véritable crise de la mémoire collective au Liban. Cette crise a fragmenté le pays et exacerbé une situation déjà très instable, où même les faits les plus élémentaires sont sujets à conflits. En accompagnant les tourments de Rabih, Tramontane devient par extension l’introspection de tout un pays, incapable de faire face à sa propre histoire.
Mon but était de réaliser un film qui encourage un échange critique et qui puisse approfondir notre compréhension mutuelle… au moment où des forces circonstancielles façonnent les frontières et nos vies. J’ai eu la chance de bénéficier d’une équipe de production qui partageait ma passion et mon désir de raconter cette histoire, Georges Schoucair de Abbout Production pour ne pas le nommer. Mais le sujet a également trouvé un écho chez mes producteurs étrangers – Caroline Oliveira et Gabrielle Dumon de Le Bureau – qui étaient convaincus de l’universalité du propos.

Nous voulions voir exister ce film parce que nous ressentions tous son caractère d’urgence et d’humanité. Quelles étaient les conditions du tournage ? La production a-t-elle été compliquée ?
Peu importe le sujet ou le lieu du tournage, une production n’est jamais facile. La création d’un film vient avec son lot d’embûches et nous devons l’accepter et tâcher d’y remédier. Sachant cela, la seule façon de faire face aux problèmes de production était de se préparer à tous les imprévus possibles. La plupart des lieux où nous avons tourné étaient des villages isolés. L’instabilité du pays a soulevé quelques problèmes de production. Mais tous les membres de l’équipe, sans exception, sont restés de bonne humeur, même dans les moments les plus difficiles du tournage. C’était un travail d’équipe très gratifiant car nous faisions réellement face aux problèmes tous ensemble, sans jamais perdre de vue l’essentiel. Notre préparation assidue et notre foi collective en ce projet n’ont cessé de nous unir et de nous procurer l’énergie nécessaire à l’aboutissement de Tramontane..

Dites-m’en plus à propos du personnage de Rabih, ce musicien aveugle à l’identité floue, métaphore de la fragmentation de toute une nation.
L’information que Rabih semble obtenir à la fin du film, celle qui expliquerait ses origines, se confond avec les raisons de sa cécité. Autrement dit, le traumatisme à l’origine de sa crise d’identité était aussi celui qui l’a rendu aveugle. Sans aucun souvenir de cet épisode, ni personne pour l’aider à élucider le passé, Rabih en est réduit à faire sa propre interprétation des circonstances qui l’ont rendu aveugle. Mais une chose est désormais claire pour lui : le mystère de son existence comme de sa cécité sont le résultat de la guerre.

Le fait que Rabih soit aveugle dans Tramontane me permet de souligner « l’envers du miroir », et la cécité dont souffrent les gens qu’il rencontre. Alors que Rabih souffre d’un réel handicap physique depuis la guerre, ceux qu’il croise souffrent d’un handicap spirituel et psychologique qu’ils n’arrivent pas à surmonter – et qui les empêche de revenir avec lucidité et précision sur leur passé. Rabih « ne peut pas » voir, et ceux qui l’entourent sont « incapables » de l’introspection nécessaire pour analyser leurs traumatismes. Cette guerre a ainsi ravagé tous ceux qui l’ont vécue, pas seulement Rabih.

Ce sont ces souffrances omniprésentes, à la fois visibles et invisibles, que Rabih finira par admettre et qui le conduiront à une compréhension plus juste et à une acceptation de son existence. Rabih se mettra à « voir » en comprenant que les autres s’at – tardent dans les ténèbres de leur handicap. Un handicap bien plus avilissant que le sien, car il comprend que tant que la mémoire collective n’existera pas, et que le passé sera renié et non résolu, le présent demeurera instable. Ces thèmes développés dans
Tramontane visent à refléter la réalité qu’ont vécu et que continuent de vivre toutes les générations d’après-guerre. La dissonance créée par les références physiques et métaphysiques à la cécité, face à la capacité de voir, forment le noyau allégorique de Tramontane.

Mais alors que le Liban continue de souffrir de cette crise identitaire et de ce manque d’unité depuis l’après-guerre, il existe des liens culturels forts qui unissent les différentes communautés du pays entre elles. L’un de ces liens est la musique traditionnelle, qui se trouve être la forme d’expression de prédilection de Rabih. Cynthia Zaven, qui a supervisé et composé la musique du film, a travaillé sans relâche à la recherche de sonorités traditionnelles et de leurs arrangements, afin que la musique devienne une part intégrante du personnage et de son arc émotionnel. Les compositions de Cynthia ont été conçues dans le but de communiquer les émotions intérieures de Rabih, de traduire sa volonté fiévreuse de comprendre, et de faire entendre les chuchotements de son âme perdue.

La musique permet à Rabih d’exprimer sa propre histoire qui, peu à peu, prend un nouveau sens au fur et à mesure qu’il sera témoin des réalités du pays. Sa musique finira en véritable lamentation dénonçant cette fragmentation du pays et cette amnésie volontaire, qui l’affectent tant. Pour autant, c’est cette même musique qui prouve que ce lien culturel existe et qu’il y a lieu d’espérer une acceptation, un apaisement, une guérison du pays.


BARAKAT JABBOUR

Barakat Jabbour est né aveugle en 1991 dans le nord du Liban. Il se révèle musicien prodige dès son plus jeune âge et entame des études de musique à l’École Libanaise des Sourds et
Aveugles dont il rejoint la chorale. Il poursuit ensuite ses études de musique orientale à l’Université Antonine au Liban. Il enseigne désormais la musique orientale et se produit régulièrement au Liban et au Moyen Orient accompagné de diverses formations musicales. Tramontane est sa première expérience de cinéma.


CYNTHIA ZAVEN
SON TRAVAIL SUR LA MUSIQUE ORIGINALE DU FILM

L’acteur principal de Tramontane est joué par un vrai musicien aveugle, Barakat Jabbour, qui est le plus talentueux des musiciens que j’ai pu rencontrer. Au-delà de la cécité, le film parle du rapport à l’identité, aux racines, à la trahison – des thèmes majeurs à travers lesquels Rabih, le personnage principal, navigue grâce aux sons. Nous voulions éviter les clichés souvent faits lorsque l’univers auditif est abordé comme une expérience vécu par les aveugles, et avons choisi, à l’inverse, de mettre en lumière l’extraordinaire talent de musicien que le personnage de Barakat détient.
Il y a deux sortes de musique dans le film : la musique originale et la musique live, qui toutes les deux incluent des chansons traditionnelles arabes que j’ai arrangées. Ces musiques sont très ancrées dans la culture du pays et le film est lui-même ancré dans ce territoire, c’était donc évident de les utiliser. La musique a été la plus grande forme d’expression dans le monde Arabe durant plusieurs siècles et occupe toujours une place centrale dans cette culture. Elle est aussi l’un des rares vecteurs qui peut recréer des liens dans des régions déchirées.
Le Liban a été totalement fracturé par les conflits et, ce qui peut encore nous rassembler, est le partage de cet héritage commun.
Cette musique est comprise de tous – chacun peut se retrouver dans ces chansons. Pour Rabih, chanter est aussi une forme de catharsis : le film débute et se termine avec une même chanson mais le trajet physique et psychologique que le personnage principal a vécu entre les deux interprétations lui donne un sens complètement différent. Cette chanson fait partie de « Qudud Halabiyya », une forme de musique classique arabe originaire d’Andalousie et qui s’est développée dans le Proche Orient, plus principalement dans la ville d’Alep. Elle est basée sur une ancienne musique folklorique et religieuse.
La musique originale a donc servi à mettre en évidence le côté spirituel du personnage, ce qu’on n’entend pas, ce qui ne s’exprime pas, le souffle qui l’anime. Nous avons dû trouver l’équilibre entre la musique diégétique, qui doit raconter les choses, et la musique originale qui souligne l’aspect universel de l’histoire. Plutôt que de servir un but illustratif, j’ai travaillé pour ajouter du sens et tenter de magnifier les propos du film