Un couteau dans le coeur de Yann Gonzalez
Film soutenu

Un couteau dans le cœur

Yann Gonzalez

Distribution : Memento Films Distribution

Date de sortie : 27/06/2018

France / 1h42 / 1.85 / 5.1

Paris, été 1979. Anne est productrice de pornos gays au rabais. Lorsque Loïs, sa monteuse et compagne, la quitte, elle tente de la reconquérir en tournant un film plus ambitieux avec son complice de toujours, le flamboyant Archibald. Mais un de leurs acteurs est retrouvé sauvagement assassiné et Anne est entraînée dans une enquête étrange qui va bouleverser sa vie.

Compétition Officielle – Festival de Cannes 2018

Avec : Anne Vanessa Paradis • Archibald Nicolas Maury  • Loïs Kate Moran  • Guy Jonathan Genet • Nans / Fouad Khaled Alouach • Thierry Félix Maritaud • José  Noé Hernandez •  Misia Thibault Servière • Karl Bastien Waultier • François Bertrand Mandico • Rabah Jules Ritmanic • Bouche d’or Pierre Pirol • Fabio Dourane Fall • Cathy Romane Bohringer • La mère de Guy Elina Löwensohn •  Morcini Yann Colette • Mr. Vannier Jacques Nolot • La taulière Florence Giorgetti

Un film de Yann Gonzalez • Ecrit par Yann Gonzalez et Cristiano Mangione • Musique M83 • Image Simon Beaufils • Décors Sidney Dubois • Montage Raphaël Lefèvre • Casting Constance Demontoy, Marlène Serour • Son Jean-Barthélémy Velay, Damien Boitel, Xavier Thieulin • Costumes Pauline Jacquard • Scripte Caroline Deruas • Assistant réalisateur Renaud Gast • Produit par Charles Gillibert  Coproduit par Julio Chavezmontes, Consuelo Frauenfelder • Producteur associé Jamal Zeinal Zade • Une coproduction CG Cinéma, Piano, Garidi Films, ARTE France Cinéma, RTS Radio Télévision Suisse, Le Fresnoy • Avec la participation de ARTE France, Canal+, Le Centre National du Cinéma et de l’Image Animée • En association avec Cofinova 14, Kinology, Memento Films Distribution  • Avec le soutien de Ciclic – Région Centre-Val de Loire • Ventes internationales Kinology

Yann Gonzalez

Yann Gonzalez est né en 1977 à Nice. Il réalise six courts métrages entre 2006 et 2012, avant de passer au long avec Les Rencontres d’après minuit, présenté à la Semaine de la Critique du Festival de Cannes et sorti en salles en novembre 2013. Son deuxième long métrage, Un Couteau dans le cœur, est selectionné en Compétition Officielle au Festival de Cannes 2018.

Filmographie

Filmographie

2018 UN COUTEAU DANS LE CŒUR (LM)
2017 LES ÎLES (CM)
2013 LES RENCONTRES D’APRÈS MINUIT (LM)
2012 LAND OF MY DREAMS (CM)
2012 NOUS NE SERONS PLUS JAMAIS SEULS (CM)
2009 LES ASTRES NOIRS (CM)
2008 JE VOUS HAIS PETITES FILLES (CM)
2007 ENTRACTE (CM)
2006 BY THE KISS (CM) 

ENTRETIEN AVEC YANN GONZALEZ

D’où est née l’idée première d’Un Couteau dans le cœur ?
D’un personnage, avant tout. Grâce au Dictionnaire de la pornographie concocté par Christophe Bier, j’ai entendu parler d’une productrice française de porno gay dans les années 70, tempétueuse, alcoolique, homosexuelle, amoureuse de sa monteuse… Elle était réputée pour être dure, imprévisible, faisant passer des castings humiliants à ses acteurs, bref une figure haute en couleurs. J’avais envie de sortir de la douceur un peu ouatée de mon premier film, Les Rencontres d’après minuit, et d’aller vers quelque chose de plus urbain, électrique. Il m’a semblé que ce personnage pouvait être le bon vecteur.

T’es-tu documenté sur elle ?
Absolument. Grâce au spécialiste du porno gay français Hervé Joseph Lebrun, j’ai mené une enquête auprès de ceux qui l’avaient côtoyée (elle est décédée il y a longtemps, sa monteuse aussi) : ses anciens concurrents, collaborateurs, etc. J’ai ainsi amassé une matière documentaire conséquente, mais quelque chose d’un peu glauque s’en dégageait, et je n’avais pas du tout envie d’aller dans cette direction, je souhaitais au contraire quelque chose de flamboyant, de romantique. J’ai donc décidé de la réinventer et d’en faire un pur personnage de fiction tout en conservant cette histoire d’amour avec sa monteuse ainsi que la moitié de son prénom, comme un hommage spirite et secret à cette héroïne underground.

Est-ce un travail que tu as accompli seul ?
J’avais du mal à avancer seul, je stagnais. J’ai parlé du sujet à Cristiano Mangione, qui m’avait déjà conseillé sur la plupart de mes films. C’est un auteur et réalisateur ultra doué dont les projets cultivent eux aussi un amour du genre et de la transgression. On a commencé à discuter, juste comme ça, et des choses tellement drôles et délirantes sont sorties de nos échanges qu’on a très vite décidé d’écrire ensemble le scénario. Ça a été une expérience traversée par la joie : on ne s’est fixé aucune limite, on ne s’est rien interdit, on était dans le plaisir absolu. On a suivi le fil de ce personnage à travers un labyrinthe fantasque, et parfois cruel. Mais on souhaitait que cela reste ludique à chaque étape. Et fou aussi.

Une forme très rafraîchissante de folie est en effet au cœur de la facture du film : libre, radicale, excessive.
J’aime décrire Un Couteau dans le cœur comme un portrait de femme amoureuse embarquée au cœur d’un train-fantôme. J’adore cette idée de film forain : on prend place dans un manège sans savoir où il va nous emmener.

Ce côté forain se retrouve aussi dans la famille que tu décris, tous ces personnages qui travaillent ensemble dans le milieu du porno : acteurs, caméramans, productrice, assistants… C’est vraiment une troupe.
Oui, cet aspect troupe est très important pour moi depuis mes premiers films. A la fois dans la fiction, car l’amitié qui lie certains personnages dans le film, en particulier Anne la productrice (Vanessa Paradis) et Archibald son bras droit (Nicolas Maury), est crucial et perdure plus fort que l’amour ; mais aussi dans la réalité. Je travaille avec certains acteurs depuis mes premiers courts métrages. J’aime qu’on traverse ensemble les films et la vie, je pense notamment à Kate Moran qui était déjà dans mon premier court il y a douze ans, et qui est ici Loïs la monteuse, l’amour perdu de l’héroïne. Notre lien avec Kate est précieux, fraternel, et je n’ai jamais été aussi impressionné par elle que lors de ce tournage. J’aime aussi adjoindre à ces fidèles de nouveaux éléments à chaque film, pour créer une énergie et surtout des courts-circuits. La constitution du casting est pour moi l’étape la plus exaltante de la fabrication d’un film, c’est elle qui fait vibrer la fiction.

Cet art du casting conçu comme un cocktail détonant était déjà présent dans Les Rencontres d’après minuit, mais c’est encore plus frappant ici car il y a beaucoup plus de personnages.
Oui, une quarantaine ! J’adore les carambolages que cela occasionne, aussi bien d’un point de vue de cinéphile que de cinéaste. Par exemple Bertrand Mandico, réalisateur des Garçons sauvages, a été une rencontre récente déterminante pour moi, et il joue ici le rôle du chef-opérateur François Tabou (clin d’œil à François About, chef-opérateur de la plupart des pornos gays des années 70). Mais chaque personnage a son histoire : pour Romane Bohringer, c’est lié au culte absolu que, comme tout petit pédé de province, je vouais aux Nuits fauves. J’ai contacté Romane très en amont, au moins deux ans avant le tournage. J’étais hyper fébrile pour ce rendez-vous qui me renvoyait directement à mon adolescence. Ingrid Bourgoin, qui joue la barmaid dans le cabaret lesbien, était l’héroïne d’un de mes films préférés, émanation de la galaxie Vecchiali des années 70, Simone Barbès ou la Vertu, de Marie-Claude Treilhou. Elle y tenait justement le rôle d’une jeune ouvreuse de cinéma porno, lesbienne, qui traversait toute une nuit d’amour désespéré, de mélancolie. C’est un film absolument magnifique. Tout cela vient donc d’endroits très différents de ma vie et participe aussi d’un manifeste pluriel, amoureux de tous les genres de cinéma.

Parfois certains choix de casting sont même provoqués par des contingences absurdes : à un certain stade du financement, une co-production avec le Mexique s’est initiée et j’ai dû engager un acteur mexicain. Noé Hernandez, que j’avais adoré dans Tenemos la carne d’Emiliano Rocha Minter, a donc rejoint la troupe des acteurs pornos de « l’écurie » de Vanessa Paradis. Il ne parlait pas un mot de français, a appris tous ses dialogues en phonétique, et a donné une couleur, une énergie, une jubilation inouïes aux séquences. Ces synergies sont fascinantes, presque magiques car liées à tellement de hasards, de désirs qui entrent en collision – ou non.

Et puis il y a bien sûr Vanessa Paradis, à qui tu offres probablement un de ses plus beaux rôles de cinéma. En maîtresse-femme qui tient d’une main de fer son petit monde d’hommes tandis qu’elle est secrètement dévastée par un chagrin d’amour, elle n’a jamais été si affirmée et vulnérable à la fois.
Anne est une femme puissante, mais aussi imparfaite, injuste, excessive. Le film est une ode au féminin sous toutes ses coutures, même les plus négatives. C’est une sorte de portrait amoureux du personnage, autant que de Vanessa Paradis elle-même d’ailleurs. Le coup de foudre professionnel ressenti dès notre première rencontre a été déterminant pour toute la fabrication de ce film.

Vanessa nous a tous portés. Dès le début. Elle a accepté de faire le film trois jours après avoir reçu le scénario. C’est une amoureuse de l’amour, et cela vaut chez elle aussi pour l’amour du cinéma. Elle a cet élan vital et amoureux permanent, un rapport direct au cinéma. Ses affects sont tout le temps à nu dans la vie, et c’est encore plus saillant dès qu’on dit « Moteur ». C’est quelqu’un qui n’a pas de masque, ce qui est rare aujourd’hui chez les grandes actrices, notamment en France. Elle a cette bonté totale, qui me rappelle les visages des grandes actrices du muet comme Janet Gaynor par exemple, l’actrice fétiche de Frank Borzage. Elle a cette cinégénie-là, et l’innocence bouleversante toujours intacte de quelqu’un qui ferait un film pour la première fois.

A ton avis, quel aspect du projet l’a le plus touchée, pour qu’elle s’y lance à ce point à corps perdu ?
Je crois que ce sont les affects poussés à leur intensité maximale en permanence. C’est un personnage qui passe par tous les états : le désastre, la violence, la passion. Pour une actrice, c’est une sorte de feu d’artifice permanent qui peut être jubilatoire. Mais un peu intimidant aussi, même quand on a sa carrière pléthorique. Après deux ou trois jours de tournage, je lui ai dit : « N’essaie pas de composer un personnage, n’aie pas peur d’être toi. Car c’est aussi toi que je veux filmer à travers ce personnage ». Et je crois que ça nous a débloqués tous les deux. Quand je dis qu’elle nous a tous portés, ce n’est pas une figure de style : c’est parfois dur un tournage, les ambitions se heurtent au réel, au budget, au temps insuffisant, etc. Malgré tout cela, ce tournage a baigné dans l’euphorie, j’étais entouré de gens amoureux du projet. Et c’est Vanessa qui a donné le « La » de tout ça, avec son envie folle de faire ce film, qui s’est propagée à l’ensemble de l’équipe.

Comment as-tu envisagé le travail sur le genre, en particulier autour de l’aspect gore du film ?
J’avais envie de m’amuser, tout en les respectant, avec les codes du fantastique, et même du film d’horreur ou du giallo. Je n’avais surtout pas envie d’être plus malin que le genre, mais au contraire de l’épouser, de l’assumer. Je tenais surtout à ce qu’il y ait une branche émotionnelle reliée au genre, car pour moi les plus beaux thrillers ou films d’horreur sont ceux qui sont liés aux affects : L’Exorciste est aussi un mélo sur une mère en train de perdre sa fille, Le Loup-Garou de Londres de John Landis un grand film sur l’amitié perdue. Ce sont des films terrifiants, mais qui me font pleurer avant tout.

Certaines scènes font réellement très peur, l’angoisse liée aux meurtres est palpable. Comment parvient-on à faire peur par la mise en scène ?
L’idée m’est assez vite venue de demander à Jonathan Genet, qui interprète le tueur, de ne jamais enlever son masque sur le plateau. A part deux ou trois membres de l’équipe mis dans la confidence, personne ne savait donc qui il était. Cela a donné une ambiance très particulière les jours où il était là. Et puis lui-même s’est donné à fond, il est vraiment entré dans les ténèbres de son personnage. Pour moi ce sont les acteurs qui impulsent la couleur du film, et Jonathan lui a donné une couleur violente et inquiète, car c’est un personnage brisé par la tragédie. Je voulais que ce soit un monstre émouvant et effrayant à la fois.

Dans la galaxie des influences fétiches qui te guident et que tu cites souvent (Werner Schroeter, Paul Vecchiali, R.W. Fassbinder…), ce film convoque une figure nouvelle : Brian De Palma.
Mon coscénariste et moi partageons une passion pour De Palma, et c’est un fil rouge qui nous a guidés, incontestablement. En termes de thrillers émotionnels, De Palma est le roi, avec des films comme Carrie, Blow Out, Pulsions.

Ce sont aussi les premiers films que j’ai montrés à mon producteur, Charles Gillibert, pour lui indiquer dans quelle direction je souhaitais emmener Un Couteau…, toutes proportions gardées évidemment. Il y a chez De Palma ce côté ludique décomplexé, un jeu permanent tissé entre la fiction, la réalité, le cinéma, le fantasme, le voyeurisme.

Il y a aussi chez lui un amour absolu du cinéma. Un Couteau dans le cœur commence avec une table de montage 16mm et se termine sur une espèce de « projection » stellaire… L’amour de la matière même du cinéma y est très présent, on inscrit un cri d’amour et de rage gratté au couteau sur la pellicule, visible seulement une fois passé sur la visionneuse… Cette idée que le désespoir amoureux d’une femme se lise à même la pellicule me plaisait beaucoup.

Comment s’est dessiné le traitement des années 70 ? Le film ne tombe jamais dans le « film d’époque », c’est beaucoup plus subtil que cela.
J’avais peur du côté grosse reconstitution académique, et avec mon chef opérateur Simon Beaufils, on a très vite eu l’idée de travailler sur l’époque à travers la lumière. Aujourd’hui, toutes les rues de Paris sont éclairées au sodium, avec cette lumière jaune-orangée horrible. Alors on a bataillé pour retrouver l’atmosphère des néons bleutés–verts des films français de la fin des années 70, début 80. Evidemment il y a aussi un travail important et précis sur les costumes et les décors, mais je ne voulais surtout pas d’un film passéiste, il fallait que cela puisse aussi parler d’aujourd’hui, à travers des corps, des visages actuels. C’est pour cela que j’ai fait appel à des figures emblématiques de la nuit d’aujourd’hui, comme Simon Thiébaut qui joue Dominique, la chef du gang des transgenres ; ou la chorégraphe de la scène de club, Ari de B, qui est venue sur le plateau avec tous ses danseurs. Quelque chose de très contemporain traverse aussi notre Paris 1979 fantasmatique.

Les couleurs sont extrêmement présentes, flashy. Elles existent fortement…
Le film met en scène des personnages chamboulés, exaltés, et j’avais envie de traduire visuellement les marasmes intérieurs dans lesquels ils se débattent. Ne pas avoir peur d’aller au plus profond de leur inconscient et d’en tirer des images. J’adore cette idée d’épouser des pratiques expérimentales et de les amener dans un cinéma un peu plus mainstream, même si je suis bien conscient de ne pas faire le cinéma le plus mainstream du monde (rires) ! Il y a toute une « marge » qui a nourri ma cinéphilie, j’ai envie de la transposer dans mon univers, de la rendre plus visible, je pense par exemple aux films de Paul Sharits qui fonctionnent sur le mode du flicker. Cela donne un scintillement de l’image dont je me suis inspiré pour les « souvenirs » en négatif du tueur.

Comment avez-vous travaillé sur la musique avec ton frère, Anthony Gonzalez ? Quelles envies vous ont guidées pour ce projet particulier ?
On souhaitait retrouver l’ambiance des gialli des années 70, sentir leur couleur lugubre et sentimentale à la fois. Mais il fallait aussi s’en détacher pour créer quelque chose de contemporain, ne pas être dans le pastiche du genre et de la musique de genre. Fidèle et infidèle à la fois… On est tous les deux habités par le lyrisme, et même une certaine forme de sentimentalisme, on avait envie d’y plonger tête baissée, d’autant que la mélancolie et le lyrisme traversent de nombreuses bandes originales de films d’horreur des années 70, des films de Lucio Fulci à ceux de Mario Bava – je pense notamment aux bandes-son déchirantes de La Longue nuit de l’exorcisme ou de La Baie Sanglante.

Et puis là encore, le principe de plaisir est revenu à la charge : j’ai fait écouter à Anthony des vieilles B.O. de pornos hétéros et gays, il a très vite saisi les codes de ces musiques-là, et les plus beaux morceaux du Couteau…, les plus ludiques, sont peut-être finalement ceux qu’il a récréés pour les faux pornos du film.

Pour cette B.O., Anthony a retravaillé avec Nicolas Fromageau, son collaborateur sur les deux premiers albums de M83 qui est aussi son ami d’enfance. Pour nous trois, il y a quelque chose de fortement lié à l’adolescence dans Un Couteau dans le cœur, aux films qui ont nourri notre cinéphilie.

Moi j’avais une cinéphilie un peu « déviante » quand j’étais ado. Mon frère a quatre ans de moins que moi et il m’a avoué des années plus tard qu’il venait en cachette avec Nicolas dans ma chambre à Antibes pour regarder mes VHS de Jodorowsky, Richard Kern ou Jean Rollin… Et cela les a énormément marqués ! La B.O. d’Un Couteau dans le cœur était une façon pour Nicolas, Anthony et moi de revenir à nos premières amours, nos premières images-choc et sensations fortes de cinéma.

Comment as-tu réglé le tournage des scènes porno ? C’est extrêmement suggestif, mais on ne voit rien de frontal.
Je ne voulais pas que la sexualité fasse écran à la tragédie d’Anne, à son aventure, qui est pour moi l’épine dorsale du film. C’est un portrait de femme avant tout, et il se trouve qu’elle est productrice de porno. On a gardé toute l’imagerie, la substance, on s’est beaucoup amusés avec, sans en montrer les images les plus crues, car en plus ce n’est pas ce que je retiens des pornos de ces années-là. J’avais envie de revenir à une forme d’innocence et de naïveté qui émanait des premiers pornos. C’était avant l’arrivée du SIDA et on y ressentait un plaisir évident à jouer, à jouir ensemble, certains films mélangeant même ébats homos et hétéros. Nicolas Maury a merveilleusement pris en charge cet aspect ludique dans sa manière géniale de jouer avec les genres, les identités, avec sa féminité même en incarnant notamment une version transgenre de Vanessa dans quelques séquences.

Il était important de faire de ces scènes des moments de comédie, d’amener une certaine joie dans le sexe. Il s’agissait de donner envie au spectateur d’en être. Je pense qu’un homme hétéro peut tout à fait avoir envie de vivre dans ce film. Pour moi c’est un geste beaucoup plus important, beaucoup plus politique que de montrer des actes sexuels pour choquer le bourgeois… qui n’est d’ailleurs plus choqué par grand-chose depuis bien longtemps !

De toute façon, ton cinéma est davantage parcouru par une dynamique érotique, que véritablement par la pornographie.
Pour moi le cinéma est ontologiquement érotique. On parlait de De Palma un peu plus tôt, on pourrait évoquer aussi Verhoeven, Argento, Fulci et des dizaines de grands et petits maîtres trop méconnus. Cette subversion me manque dans le cinéma d’aujourd’hui. La sexualité traverse les sentiments, elle fait partie du romanesque et de l’aventure d’un personnage. Anne est assaillie par sa sexualité, à travers son boulot mais surtout dans sa manière d’aimer. Le motif du voyeurisme hérité de De Palma ponctue d’ailleurs le récit : Anne espionne sa monteuse par un œilleton, deux garçons sont épiés par leur père en plein ébat… C’est quelque chose qui innerve l’ensemble du film. Il y a un désir érotique très fort qui n’est pas forcément le mien, plutôt celui du film, de sa matière même. On est dans une époque de régression et de puritanisme contre laquelle j’avais envie d’aller en retrouvant la pulsion première du cinéma.