Xingxi, une jeune Chinoise, voyage seule au nord de la Malaisie. Elle y vit trois aventures distinctes, et comme parallèles, dont le point de départ est identique : par une journée de grande chaleur, perdue au bord d’un chemin, elle est victime d’une crevaison de vélo…
Avec : Brooke XU FANGYI • Pierre PASCAL GREGGORY • Ailing RIBBON • Fong KAM KIA KEE • Chi Tong ALLAN TOH WEI LUN • Le capitaine LIM YI XIN • Zhen ZHAN ZIZHEN • Oncle Land ANDREW LOK
Un film de YUAN QING• Scénario YUAN QING• Image ZHU JINGJING • Montage YUAN QING • Décors WANG ZHI • Musique HOWIE B, ANDREW LOK • Son WEI JUNHUA, QU WEIJUN • Produit par JI WEI, FANG HANYUAN, BAI HAOTIAN • Coproduit par ZHU JINJING, WANG ZI, XU JIAHAN, CHEN ZIFENG
Yuan Qing
Yuan Qing est réalisatrice et monteuse. Diplômée de la Beijing Film Academy, elle a réalisé son film de fin d’études HUMAN VESSEL (2012) à partir de montages d’images fragmentées pour évoquer les sentiments les plus intimes d’une femme réalisatrice. Grâce à son style très marqué, le court métrage a été sélectionné à l’International Women’s Film Festival de Cologne, l’International Women’s Film Festival de Séoul et dans une dizaine d’autres festivals de Chine et du monde entier. En 2016, elle a monté MR NO PROBLEM de Mei Feng qui a remporté la meilleure contribution artistique au festival du film de Tokyo. 3 AVENTURES DE BROOKE est son premier long métrage.s’est aussi fait connaître pour avoir collaboré avec Patrice Chéreau, André Téchiné, Andrzej Zulawski, Werner Schroeder et Olivier Assayas.
NOTE D’INTENTION DE LA RÉALISATRICE
Chacun d’entre nous constitue sa propre planète solitaire. Ce n’est
que grâce à la chance et au hasard qu’on se retrouve sur la même orbite
et qu’on voyage dans la même direction, quel que soit le temps, plus ou
moins long, qu’on passe ensemble. Quand on finit par se séparer à la fin
du voyage, on dit à l’autre «prends soin de toi» avant que chacun ne
reparte de son côté.
Trois histoires, une seule héroïne, le même décor et la même unité de
temps. Mais en raison de changements infimes dans l’univers, Brooke vit
trois périples différents, mais tous merveilleux. À leur tour, ces
aventures lui permettent de grandir. Tout en tenant à témoigner mon plus
grand respect
pour l’oeuvre d’Eric Rohmer, j’espère que mon film évoquera les aspects
légers, émouvants, intimes et maîtrisés des «incertitudes de la vie» à
travers le regard d’une jeune femme.
ENTRETIEN AVEC YUAN QING
3 AVENTURES DE BROOKE parle d’une jeune femme chinoise dont
le destin est bouleversé lorsqu’elle arrive à Alor Setar. Sur le même
laps de temps, et au même endroit, elle rencontre trois groupes de
personnes qui changent sa vie de trois manières différentes. Quel est le
sens de l’histoire que vous vouliez raconter ?
Le thème central de 3 AVENTURES DE BROOKE est difficile à résumer, mais
si je devais le faire, je dirais que le film montre que le destin d’un
être peut emprunter d’innombrables voies. La vie est pleine d’imprévus
et nous croisons tous la route de gens très différents. Du coup, pour
évoquer les aléas de la vie, je voulais que la protagoniste croise le
chemin de trois individus différents, ce qui aboutit à trois fins
différentes. Le film se déroule dans une dimension parallèle qui, pour
beaucoup de gens, peut sembler complexe, mais le style est naturaliste.
Et même si 3 AVENTURES DE BROOKE développe trois intrigues différentes,
je ne me suis pas attachée en priorité à la structure. Le film raconte
une histoire simple et réaliste et c’est grâce à ces trois intrigues que
la structure d’ensemble est cohérente.
Quelles sont vos sources d’inspiration, notamment cinématographiques ? Dans le film, on retrouve l’influence du cinéma d’Eric Rohmer. Est-ce une source d’inspiration assumée ?
Bien évidemment, ce film s’inspire d’Eric Rohmer. Je ne me lasse jamais de regarder LE RAYON VERT, QUATRE AVENTURES DE REINETTE ET MIRABELLE et les quatre films des «CONTES DES QUATRE SAISONS». Grâce à Rohmer, j’ai compris qu’un film peut être léger, romantique et simple tout en parlant du destin, de religion et de philosophie. Ses films sont chatoyants et se déroulent le plus souvent dans des paysages naturels. Dans le même temps, ses personnages manifestent leurs besoins affectifs et sont imparfaits, comme tous les êtres humains. La vie mêle des moments d’amertume et de bonheur et notre existence semble tour à tour fugace et éternelle. En tant que spectateur, j’ai toujours eu envie de savoir ce qui arrive aux personnages de Rohmer à la fin de ses films. Et ce qui est formidable quand on est soi-même auteur d’un film, c’est qu’on peut inventer le parcours des personnages comme s’ils étaient écrits par Rohmer. Dans 3 AVENTURES DE BROOKE, j’ai emprunté le nom que j’ai donné au personnage de Pascal Greggory – Pierre – à PAULINE À LA PLAGE. C’était un rêve pour moi – un rêve qui ne pouvait s’accomplir qu’à travers des images animées. Cependant,
comment conserver l’esprit de Rohmer dans mon film ? Outre le prénom donné à mon personnage, je voulais, comme le cinéaste français, privilégier la générosité et la tendresse de la nature humaine. C’est la problématique principale des personnages du film. Je reviens souvent au cinéma de Rohmer
où la beauté toute simple des personnages est toujours un émerveillement pour moi. Dans 3 AVENTURES DE BROOKE, j’espère avoir creusé la solitude et la sagesse de Pierre et en même temps que les charmantes personnalités imaginées par Rohmer, qui est pour moi comme un mentor et un ami, se retrouvent chez ce personnage.
L’intrigue de 3 AVENTURES DE BROOKE est étroitement liée à la région d’Alor Setar, avec ses rizières paisibles, ses escargots qui avancent lentement et ses îles magnifiques et mélancoliques à la fois. Pourquoi avez-vous décidé de tourner votre premier long métrage dans cette petite ville de Malaisie ? Quelle a été votre première impression d’Alor Setar et en quoi a-t-elle influé sur le tournage ?
3 AVENTURES DE BROOKE est le fruit d’une collaboration entre la Chine et la Malaisie et les deux pays ont joué un rôle majeur dans la fabrication du film. Au départ, je voulais raconter l’histoire d’une jeune femme qui voyage à l’étranger et, par hasard, j’ai rencontré un investisseur intéressé par mon projet. Il est né à Alor Setar mais il est d’origine chinoise. Après que je lui ai résumé l’histoire, il m’a invitée à Alor Setar dans l’espoir que j’y tourne le film. En toute honnêteté, en découvrant la ville, j’ai été très déçue. C’est une destination que même les Malaisiens visitent très peu. Il se trouve dans l’État musulman le plus conservateur de la Malaisie : le Kedah. Il y a très peu de chance que vous tombiez sur Alor Setar dans des brochures touristiques et encore moins de chance d’y rencontrer une équipe de film. C’est une toute petite ville très tranquille. Tout est à cinq minutes en voiture, plus de la moitié des magasins sont constamment fermés et les mosquées sont le principal centre d’intérêt de la ville. Parfois, on se retrouve même à arpenter une rue qu’on vient de traverser ou à croiser un type dans l’après-midi qu’on a vu le matin dans un café. Pourtant, au bout de quelques jours, j’ai ressenti le charme du lieu. Tout d’abord, les Chinois qui vivent là-bas reçoivent une véritable éducation chinoise depuis qu’ils sont tout petits. Alor Setar est à environ 5000 km du centre de la Chine, mais ils parlent le mandarin et écrivent le chinois. Ce sont tous des gens qui ne ménagent pas leur peine, qui aiment se réunir et débattre dans l’espoir d’améliorer les conditions de vie pour les Chinois habitant sur place. Ce qui m’a le plus frappée, ce sont ces îles tranquilles et paisibles, qui m’ont fait penser à des gens endormis. Les habitants d’Alor Setar sont Malais, Chinois, Indiens et originaires d’autres groupes ethniques. C’est aussi un site géographiquement varié qui réunit des villes, des villages et des îles. Ce contexte m’a donné l’impression qu’Alor Setar était enclavé, intime, solitaire et mélancolique, ce qui correspond parfaitement à l’atmosphère du film. Par le plus grand des hasards, il se trouve que James C. Scott, professeur d’anthropologie à l’université de Yale, a fait quelques recherches à Alor Setar. Son ouvrage «Weapons of the Weak» est l’un de mes livres d’anthropologie préférés. C’est grâce à ce livre que j’ai pu développer le personnage de Brooke.
Plusieurs acteurs du film viennent d’horizons différents. Xu
Fang Yi vient de Pékin, Ai Ling de Malaisie, et Pascal Greggory, qui
campe l’écrivain, est français. Comment s’est passé le casting ? Comment
avez-vous pu réunir des comédiens d’origines diverses ?
Xu Fang Yi, qui incarne l’héroïne, est une très bonne amie à moi depuis
longtemps. Elle ne se prend pas au sérieux, elle a un côté «garçonne»
et elle est très citadine. Elle a tourné beaucoup de séries télé et de
publicités mais je me suis toujours dit qu’elle était plutôt faite pour
le grand écran. Xu
Fang Yi est indépendante, généreuse, courageuse et sincère, et ce sont
des qualités très rares chez les actrices chinoises de la génération
actuelle. Les rapports de Brooke, son personnage, avec Ailing sont
candides, sincères et authentiques, et Pierre et elle ont des liens
d’amitié et respectent
l’intimité de l’autre. Le plus important chez Brooke, c’est son
authenticité. Qu’elle soit en contact avec des jeunes filles, des hommes
de son âge ou un vieil homme élégant, Xu Fang Yi a su exprimer la
dimension courageuse et enfantine de Brooke. L’arrivée de Pascal
Greggory s’est révélée une surprise. Tout d’abord, son âge et son
caractère correspondaient parfaitement au personnage. En outre, il a
déjà tourné sous la direction d’Eric Rohmer. Suite à la lecture du
scénario, il nous a donné une réponse positive et nous a fait savoir
qu’il aimait soutenir les jeunes cinéastes. Il s’est même adapté à nos
contraintes de calendrier et de budget. Au cours du tournage, Pascal a
fait preuve d’un véritable esprit d’équipe. Il nous a dit que
l’atmosphère sur le plateau lui rappelait l’époque où il tournait pour
Rohmer. Il adore tourner pour de jeunes réalisateurs et réalisatrices
passionné(e)s. Pour nous, c’était le plus beau des cadeaux ! On ne peut
qu’avoir du respect pour son élégance et sa modestie, alliées à sa
parfaite maîtrise du texte.
Dans la scène du tarot, la caméra survole chaque carte tandis
que la vieille dame répond aux questions de la jeune femme. Ce sont les
propos de la vieille dame qui donnent le ton du film. À la fin de la
lecture, la jeune femme passe devant tous les visiteurs de son hôtesse.
Cette scène rappelle CLÉO DE 5 À 7 d’Agnès Varda. Pourquoi avez-vous
choisi cette mise en scène ? Et si je peux me permettre cette
digression, croyez-vous aux cartes de tarot comme Brooke ?
La scène de tarot est effectivement un clin d’oeil à CLÉO DE 5 À 7.
Bien sûr que je crois aux cartes de tarot ! (rires) Je suis d’ailleurs
allée me faire tirer les cartes chez une cartomancienne avant d’écrire
et de tourner cette scène. La première fois que je m’y suis rendue, j’ai
été attirée par le style pittoresque de la boutique. Bien entendu, il
s’agissait d’une boutique de cartes, mais il y avait aussi des images de
Bodhisattva [sage bouddhiste, NdT], de dieux hindous, d’animaux du
zodiaque etc. Le côté très patchwork du lieu était singulier et
intéressant. Elle croit que ces figures religieuses et spirituelles sont
toutes bienveillantes sans différence entre elles. Voilà à quoi se
résume Alor Setar en quelques mots. J’ai su à ce momentlà qu’il fallait
que je tourne là-bas. Dans le film, quand Brooke est en proie au doute
et à l’incertitude, elle entre dans la boutique de tarot d’inspiration
malaisienne, chinoise et occidentale dans l’espoir de trouver une
solution à son problème. C’est comme si elle se précipitait chez le
médecin juste après avoir éternué. C’est à la fois attendrissant et
drôle. La cartomancienne qu’on voit dans le film est campée par Tante
Jasmine. Avant de tourner sa scène, elle a revêtu ses magnifiques
vêtements et bijoux personnels et s’est même payé une séance chez le
coiffeur. Quand Pascal l’a découverte, il n’a pu s’empêcher de lui dire
qu’elle était très belle et qu’elle lui faisait penser à une comédienne
de Fellini.
Le tableau au début du film, comme la séquence d’animation qui présente l’histoire d’Alor Setar, enrichissent encore l’ensemble. Ce sont les seules scènes sans acteurs et elles complètent formidablement le film. Elles rendent même l’intrigue plus vivante. Comment en avez-vous eu l’idée ?
Le tableau qu’on voit au début du film est une fresque murale qui se trouve dans un port de la ville et qu’on a photographiée. Cette fresque à la fois magnifique et psychédélique entretient un lien subtil avec le thème de l’aventure développé dans le film. On découvre dans cette peinture des personnages à la proue de bateaux, des îles, des bateaux, des singes. D’un point de vue graphique, le film est une image en mouvement. Du coup, la signification des objets et des personnages représentés dans la fresque dépasse la seule dimension figurative du tableau. En réalité, cette peinture fait écho au thème central du film et les personnages et récits qui y sont représentés s’animent ainsi dans le monde réel. Pour moi, cette métaphore visuelle illustre le lien entre le cinéma et le graphisme. D’après moi, c’est comme le film THE MURAL, adapté des «Contes extraordinaires du Pavillon du Loisir» [classique de la littérature chinoise, NdT], où le personnage entre dans le tableau et le tableau s’anime. Surtout le début du film où il est essentiel de capter l’attention du spectateur. J’ai employé cette méthode pour piquer la curiosité du public.
L’animation qui présente Alor Setar s’inspire d’une chanson qui évoque son histoire et a été réalisée par notre chef-opératrice Zhu Jinjing. À l’époque, on n’avait pas le budget pour réaliser cette très belle animation d’une minute trente. Zhu Jinjing s’est servie de ses propres brosses à encre pour faire ses dessins.
J’ai ensuite utilisé mon téléphone pour passer du noir et blanc du dessin au doré. Il serait sans doute plus exact de dire qu’il s’agit d’une série de diapositives que d’une animation à proprement parler parce qu’il n’y a pas vraiment de mouvement, mais le résultat final était excellent. Grâce à l’animation et à la musique très libre d’Uncle Land, l’introduction à l’histoire d’Alor Setar a semblé alors romantique et ludique.
L’incursion de la peinture et de l’animation paraît fortuite, mais elle cadre parfaitement avec l’esthétique générale du film.Je
crois bien que c’est le destin ! En matière de style et de lumière,
l’objectif consistait à restituer les décors naturels des lieux où nous
tournions. Le film est scrupuleusement fidèle à la physionomie actuelle
d’Alor Setar. Pendant les repérages, le chef-décorateur Wang Zhi, la
directrice de la photo Zhu Jinjing et moi avons envisagé de faire
plusieurs changements importants. D’un point de vue anthropologique,
nous sommes une équipe chinoise qui tourne un film. Nous arrivons donc
dans un pays étranger avec des codes esthétiques chinois. En débarquant
avec notre conception des décors et de la lumière, c’est comme si on
envahissait une ville ancestrale et paisible. Et si on avait choisi de
plaquer nos codes esthétiques sur ce lieu, cela aurait facilement pu
être déroutant.
Par exemple, chaque restaurant a ses propres meubles et couverts. Les
parquets en bois et les carrelages sont naturellement couverts de taches
d’huile et les éclairages, intérieurs et extérieurs, donnent une patine
aux lieux que les habitants du coin ont contribué à mettre en place
après les avoir beaucoup fréquentés. Les magasins de cristal, les
tableaux, les restaurants et les îles ont leur propre style. Du coup, on
a choisi de montrer ces sites tels qu’ils sont, de la manière la plus
simple possible. Les décors ont été conçus par Wang Zhi qui a su
conserver les magnifiques couleurs de la région et les décors naturels
en les mettant en valeur avec retenue et originalité. Avec Wang Zhi, on a
convenu qu’il fallait aller vers la sobriété. Par conséquent, on a
choisi d’adoucir la palette de couleurs parfois très vives et les décors
naturels de la région qui auraient pu susciter un inconfort visuel chez
le spectateur. Par ailleurs, Wang Zhi a injecté du rouge dans plusieurs
scènes – le rouge des chaises rouges, des ramboutans, du sac à dos … –
pour marquer la présence d’une femme chinoise dans un pays étranger.
On n’a pas fait appel à des éclairages artificiels. Tout a été filmé en
décors naturels avec des lumières naturelles. C’est une expérience
audacieuse à laquelle s’est prêtée Zhu Jinjing après avoir étudié les
effets de la lumière naturelle de la région. On n’a jamais souffert d’un
manque de luminosité. D’ailleurs, la lumière naturelle correspondait
aux besoins de chacune des scènes. On a pris cette décision avec Zhu
Jinjing et les résultats sont épatants.