Il y a quarante ans, dans la petite ville de Checkford, Dorothea et Greta ont transformé une usine à pain désaffectée en un espace dédié aux arts : La Bread Factory. Mais un couple célèbre d’artistes-performeurs chinois est arrivé en ville et menace de récupérer les subventions culturelles permettant de faire vivre ce lieu. Non sans humour, les habitants de Checkford tentent de s’adapter aux changements et la Bread Factory de survivre…
Avec : Dorothea Tyne Daly • Greta Elisabeth Henry • Jason James Marsters • Elsa Nana Visitor • Sir Walker Brian Murray • Jean-Marc Philip Kerr • Jan Glynnis O’Connor • Max Zachary Sayle • Jordan Janeane Garofalo • May Janet Hsieh • Ray George Young • Karl Trevor St. John • Grace Amy Carlson • Sandra Martina Arroyo
Réalisateur Patrick Wang • Scénariste Patrick Wang • Photographie Franck Barrera • Montage Elwaldo Baptiste • Musique Aaron Jordan, Melissa Li, Chip Taylor
Patrick Wang
Filmographie
2011 In the Family
2015 Les secrets des autres
2017 A Bread Factory partie 1 – Ce qui nous unit
2017 A Bread Factory partie 2 – Un coin de Paradis

INTERVIEW DE PATRICK WANG
Comment l’idée de ce film a-t-elle pris naissance ?
Au cours d’une tournée avec mon premier film, j’avais été invité à venir parler dans une
salle de Houston, New York. Je n’y étais jamais allé mais à peine étais-je entré que ce
lieu m’a semblé familier. Il ressemblait à toutes les petites salles de théâtre amateur où
j’ai fait mes premières armes dans la mise en scène. En regardant les deux femmes qui
la dirigeaient, je me suis rappelé que ce furent presque toutes des femmes, metteurs
en scène, auteurs, scénographes, qui m’avaient formé dans mes débuts. Ce film a donc
commencé sur des souvenirs très chaleureux. Ils ne sont pas à l’origine des personnages
et de l’intrigue, mais ils constituent l’esprit qui l’anime.
Comment les personnages et l’intrigue se sont-ils donc dégagés ?
Je ne le sais pas de façon certaine. Je pensais à l’art, à la société et la technologie et j’essayais de tirer un sens des transformations auxquelles nous assistons. J’étais sur un bateau, en Méditerranée quand j’ai commencé à écrire ces films. Je passais beaucoup de temps à contempler la mer et à lire Simon Leys, ainsi que des écrivains russes du début du XX° siècle, dans la bibliothèque du bateau. Je dois certains détails de l’histoire à Linda et à Claudia qui dirigent le Time and Space Limited, la salle dans laquelle nous avons tourné. A un moment donné, il avait été question que je réalise une adaptation radiodiffusée d’Hécube, la tragédie d’Euripide. Le projet n’avait pas abouti, mais j’avais cette pièce dans l’esprit. Certains personnages provenaient de courtes pièces que j’avais écrites dans le passé. Ca fusait de tous les côtés si bien que tout en écrivant, j’avais l’impression de régler la circulation ou de faire le ménage dans un entrepôt. Et puis les pièces ont commencé à se mettre en place avec des résonnances qui allaient plus loin que la signification de chacune d’entre elles. L’ensemble a pris vie lorsque les personnages ont commencé à faire des choses qui m’ont d’abord dérouté, avant de prendre un sens magnifique.
Comment votre expérience du théâtre et de la littérature vous a-t-elle aidé à façonner le film ?
Il existe des genres de théâtre très différents et j’ai surtout travaillé sur le théâtre réaliste, absurde, classique et les comédies musicales. Cela m’a donc aidé, pour ce film, d’être à l’aise avec la musique, la danse, la poésie et Beckett. De façon générale, mon expérience du théâtre m’a appris la valeur des outils dramaturgiques et l’importance du jeu des acteurs (qui peut facilement être dévalorisé au cinéma). Ca ne se passe pas toujours comme ça, mais dans mon cas, c’est au théâtre que j’ai appris l’importance du décor. On a plus de temps pour la mise en place que quand on fait un film et je pense que ça m’a beaucoup aidé, moi qui n’avais aucune expérience en la matière. Pour ce qui est de la littérature, je pense que la connaître fait de vous quelqu’un de meilleur. C’est une aide pour le cinéma comme dans la vie.
Vous l’avez déjà dit, vous aimez aussi la littérature russe. Les romans russes et la peinture des sagas familiales ont-elles eu une influence particulière sur ces films ?
Sans aucun doute, les Russes ont influencé la réalisation de ces films et je les en remercie. Bien que j’aime énormément Tolstoï, ce n’est pas vraiment au roman centré sur la famille que j’ai fait des emprunts. J’ai été influencé plus directement par les auteurs de nouvelles : Tefti, Ivan Bounine et Sigmund Krzhizhanovsky. Ces écrivains sont aussi drôles que perspicaces. (Méfiez-vous des russes qui ne sont pas drôles). Ils sont attentifs à la forme en même temps qu’ils la créent. La prose de Tefti et de Krzhizhanovsky prend une précision poétique. Il y a beaucoup de chose à aimer. Le film leur rend hommage à tous. Le nomde Tefti est évoqué, l’histoire de « Tanya » de Sir Walter s’inspire de Les Allées sombres d’Ivan Bounine, et les paroles de l’une des chansons paraphrasent certaines expressions de Krzhizhanovsky. Mais ce ne sont là que des choses de surface : leur influence principale a été de modifier ma manière de voir les êtres et de hausser la barre dans la façon dont je tente de m’exprimer.
Vous avez une façon très personnelle de faire apparaitre la psychologie de chaque personnage. Comment procédez-vous pour atteindre ce résultat ?
Une part du travail vient de moi et l’autre de l’acteur. Et je pense que ce n’est pas en tant que réalisateur mais en tant qu’écrivain que je dresse le portrait psychologique d’un personnage. J’ai écrit autrefois un recueil de 75 courtes pièces, chacune en forme d’un monologue dit par un personnage différent. Cela m’en a beaucoup appris sur la façon dont on entend les différentes voix. J’essaie d’écrire les dialogues en collant à la pensée du personnage, en étant attentif au choix des mots, selon qu’ils sont mesurés ou libres, si l’élocution est hésitante ou assurée. Je tâche aussi de prêter attention à la façon dont ces pensées prennent forme à mesure que la personne parle, par conséquent on n’a pas forcément un discours cohérent quand elle ouvre la bouche. Il me semble que lorsque je fais ça bien et que l’acteur est sensible aux subtils indices psychologiques fournis par le dialogue, il ne reste plus grand chose à faire. Avant tout, je dois prendre garde à ne pas étouffer la variété inhérente à des personnages (ou acteurs) multiples. C’est très facile pour un réalisateur d’aplatir les personnalités individuelles.
Vous avez dit un jour « Même si une situation est difficile
il faut trouver quelque chose d’utile dans cette souffrance. » Dans ces
nouveaux films il y a encore des situations où les gens luttent,
traversent des épreuves, mais en fin de compte, ça a été utile et
porteur d’espoir. Pourriez-vous nous en dire plus sur la façon dont vous
avez exprimé cette idée dans ces films ?
Quand j’ai commencé à écrire ces films, je disais en plaisantant que si
c’étaient des comédies c’était parce que lorsqu’une situation est
désespérée, mieux vaut en rire. Mais à mesure que j’avançais est apparu
une espérance très concrète à laquelle je ne m’attendais pas. Ce que le
fait d’écrire des films m’a appris concernant l’espérance, c’est qu’il
ne faut pas
essayer de la fabriquer ni même de la rechercher. Je recherche plutôt
les aspects cachés des gens, ces côtés qu’on ne voit pas toujours quand
on croit connaître quelqu’un. Ici, je vois des « méchants » qui se
comportent de façon humaine et qui sont parfois sympathiques. Et là, je
rencontre des gens « ordinaires » qui agissent avec discrétion et
générosité et qui sont le ciment de nos familles et de nos sociétés. Ces
actions peuvent avoir lieu en même temps qu’il se passe plein de choses
terribles et douloureuses. Si on trouve la bonne façon de regarder une
situation, ces actions discrètes peuvent emmener une personne sur un
chemin où l’espoir fleurit pour nous tous.
Rire aide aussi. Dans le passé, j’ai utilisé différentes formes
d’expressions dramatiques et aujourd’hui, je trouve excitant de
travailler sur un vaste éventail de styles de comédie : comédie de
comportement, physique, visuelle, de situation, de langage. Les comédies
se limitent souvent à une gamme restreinte d’outils et de conventions, à
l’intérieur d’un seul film. Procéder autrement risque de déboucher
rapidement sur le désordre et la confusion. Toutefois un mélange de
styles bien choisi peut être un moyen idéal de façonner le rythme d’un
film, en y injectant l’aiguillon de l’imprévisible. Je trouve ça nouveau
mais également naturel.
Le premier film traite de la perte en s’appuyant sur une structure
dramatique plus traditionnelle : il y a un combat défini pour protéger
quelque chose. Le second film traite(ra) d’un genre de perte plus
subtil, plus dérangeant : les choses se dérobent parce que nous n’y
prêtons pas attention.
On sait que vous faites des films
indépendants de tout financement organisé. Espérez-vous pouvoir un jour
travailler autrement, avec plus d’argent ?
J’ai aujourd’hui réalisé quatre films. Chaque partie de A Bread Factory
est en soi un film complet et aussi unique que mes autres films. Au
cours des années, j’ai essayé de trouver des associés pour mes
entreprises, mais personne ne s’y est intéressé. Il y a eu une exception
pour A Bread Factory, dans lequel mon ami Paul Greenwood a mis
un peu d’argent. Je lui en serai reconnaissant toute ma vie. Je dois
dire aussi que le crédit d’impôt de l’Etat de New York m’a permis, pour
une large part, de continuer à faire du cinéma. Pour ce qui est de
disposer de plus d’argent, il y a eu des films que j’aurais voulu
réaliser mais qui nécessitaient un budget supérieur à celui de mes films
antérieurs. Ce serait vraiment inespéré si un de ces projets se
réalisait un jour. Mais il arrive quelques fois des choses inespérées.
Pouvez-vous nous dire comment vos films sont distribués dans le monde ?
Ils ne le sont pas. Je me rappelle être tombé sur un ami après la
première de son film. Il s’apprêtait à quitter New York et il m’avait
demandé où j’allais ensuite avec mon film. Je lui ai dit : « Il va
passer en Europe prochainement. » Tout excité, il a fait la liste d’une
douzaine de pays européens où il devait aller présenter son film, en me
disant qu’il espérait pouvoir y voir le mien et qu’on aurait la
possibilité de se rencontrer. J’ai alors rectifié: « Il va passer en
France. »
La France est le seul pays où mes films sont distribués de façon
traditionnelle. Aux USA, j’ai sorti moi-même mon premier film en salle
et en DVD. Quelques festivals de par le monde ont eu la bonté de les
montrer. J’espère que la prochaine fois qu’on me posera cette question,
la réponse sera plus longue. Qui sait ? Il arrive quelquefois des choses
inespérées.
Quand vous êtes-vous rendu compte qu’il fallait faire deux parties ?
Assez vite. Avant même de descendre du bateau, je le savais. Pour
réfléchir à des sujets aussi importants et s’intéresser en profondeur
aux personnages multiples d’une communauté, je savais qu’on déborderait
de la durée habituelle d’un film. J’ai d’abord pensé faire une
minisérie. J’aime beaucoup la façon dont Bergman a utilisé cette forme.
De même que Rivette dans Out 1 et Fassbinder dans Le Monde sur le fil.
J’étais donc plutôt porté à vouloir réaliser une minisérie. Puis le
film s’est tout naturellement scindé en deux parties dans lesquelles la
structure dramatique de chacune d’elles (la première plus classique et
la seconde moins facile à définir) concordait parfaitement avec le
contenu de chaque partie. En réalisant Les Secrets des autres, je
m’étais également rendu compte que lorsqu’on a affaire à une histoire
fracturée, une forme compacte (en réunissant bien les éléments)
contribue à ce que ces éléments entrent en résonance les uns avec les
autres.
Dans ce cas, les parties sont moins nombreuses, mais il ne peut y en
avoir moins de deux et deux films produisent une forme belle et
équilibrée. Leur durée est presque exactement la même. Ils sont continus
au plan de la narration mais finissent par donner des films totalement
distincts. Cela reflète l’énorme différence que je ressens entre le
passé récent et le moment présent.