A Ciel Ouvert de Mariana Otero
Film recommandé

A ciel ouvert

Mariana Otero

Distribution : Happiness Distribution

Date de sortie : 08/01/2014

France - couleur - Format 1:85 - 1h50

Alysson observe son corps avec méfiance.
Evanne s’étourdit jusqu’à la chute.
Amina ne parvient pas à faire sortir les mots de sa bouche.
À la frontière franco-belge, existe un lieu hors du commun qui prend en charge ces enfants psychiquement et socialement en difficulté. Jour après jour, les adultes essaient de comprendre l’énigme que représente chacun d’eux et inventent, au cas par cas, sans jamais rien leur imposer, des solutions qui les aideront à vivre apaisés. Au fil de leurs histoires, « A ciel ouvert » nous ouvre à leur vision singulière du monde.

Site Internet : www.acielouvert-lefilm.com 

Réalisation et image Mariana Otero • montage Nelly Quettier • préparation lumière Hélène Louvart • son Olivier Hespel, Félix Blume • montageson Cécile Ranc • mixage Nathalie Vidal • un projet écrit par Mariana Otero et Anne Paschetta • musique Fredéric Fresson avec la complicité de Mathias Lévy et Antonin Fresson • produit par Denis Freyd • coproducteurs Jean-Pierre et Luc Dardenne • une production Archipel 33 • encoproduction avec ARTE France Cinéma, Les Films du Fleuve, R.T.B.F. (télévision belge) – Secteur documentaires • avec la participation de ARTE France – Unité Société et Culture, du Centre national du cinéma et de l’image animée • avec le soutien de la Région Île-de-France • développé avec le soutien de Pictanovo avec le soutien du Conseil Régional Nord-Pas de Calais • ventes internationales Doc & Film International

Mariana Otero

Née en 1963, Mariana Otero, après des études de cinéma à l’IDHEC, se passionne pour le documentaire. Elle réalise plusieurs films pour Arte dont La loi du collège qui  deviendra le premier feuilleton documentaire de la chaîne.

Entre 1995 et 2000, Mariana Otero vit au Portugal où elle réalise Cette télévision est la vôtre. En dévoilant le fonctionnement de la plus grande télévision commerciale du pays, la SIC, ce film créera une énorme polémique. Puis Mariana Otero revient en France et se tourne vers le cinéma avec notamment Histoire d’un secret. Ce film, au terme d’une enquête sur un secret de famille, révèle un tabou politique et social. Il sera primé dans de nombreux festivals internationaux.

En 2010, Mariana Otero réalise Entre nos mains, qui raconte comment des salariées découvrent une nouvelle liberté en essayant de transformer leur entreprise en coopérative. Ce film sera nommé aux César du Meilleur Documentaire en 2011.

1994 : La Loi du collège- 1997 : Cette télévision est la vôtre – 2001 : Nous voulons un autre monde – 2003 : Histoire d’un secret – 2006 : Qui de nous deux – 2010 : Entre nos mains – 2014 : A ciel ouvert

PROPOS DE LA RÉALISATRICE

L’ORIGINE
Le territoire de ce que l’on nomme « la folie » m’a toujours intriguée, fascinée, voire effrayée, et en même temps j’ai toujours pensé confusément que l’on pouvait y comprendre quelque chose et, même plus, que la folie avait quelque chose à nous apprendre. Après Entre nos mains j’ai voulu me confronter à cette altérité contre laquelle la pensée rationnelle semble devoir buter.
Je me suis alors rendue dans de nombreux foyers et institutions pour « handicapés mentaux ». Au cours de ces longs repérages, j’ai découvert à la frontière franco-belge, un Institut Médico-Pédagogique pour enfants quasi unique en son genre en Europe, le Courtil.
L’idée inaugurale de cette institution est que les enfants en souffrance psychique ne sont pas des handicapés à qui il manquerait quelque chose pour être comme les autres. Au contraire, au Courtil, chaque enfant est avant tout considéré par les intervenants comme une énigme, un sujet qui possède une structure mentale singulière, c’est-à-dire une manière originale de se percevoir, de penser le monde et le rapport à l’autre. Les intervenants, en abandonnant tout a priori et tout savoir préétabli, essaient de comprendre la singularité de chaque enfant afin de l’aider à inventer sa propre solution, celle qui pourra lui permettre de trouver sa place dans le monde et d’y vivre apaisé.
J’ai donc rencontré là une manière extraordinaire de penser et de vivre avec la folie, et une institution qui met au cœur de son travail le sujet et sa singularité
Plus généralement, j’y ai trouvé une manière d’approcher l’autre qui m’a intimement touchée et qui, je l’espère, traverse le film de bout en bout : quel qu’il soit, l’autre doit avant tout être regardé comme un mystère à nul autre pareil.

LE TOURNAGE
Malgré les repérages qui ont duré près d’un an, ce que j’y avais vu, les histoires sur les enfants que l’on m’avait racontées, au moment où j’ai commencé le tournage, je n’étais pas beaucoup plus avancée sur « les scénarios » possibles. Tout allait être forcément différent. Dans un lieu comme le Courtil, où c’est le sujet et ses inventions qui sont au centre, les histoires de chaque enfant sont imprévisibles. De plus, l’importance des événements se saisit, s’évalue bien après qu’ils aient eu lieu, au regard de l’évolution de l’enfant c’est-à-dire dans « l’après coup ».
Au Courtil, on peut dire que les histoires s’écrivent à rebours. Ce qui est tout à fait déroutant… vertigineux même. Certes j’avais aiguisé mon regard durant mes repérages, je voyais mieux que quand j’étais arrivée au Courtil. Mais ma capacité de prévision s’arrêtait là. J’avais une petite longueur d’avance sur les événements qui allait me permettre de les filmer à peu près justement, mais je n’avais pas de « visibilité » au-delà.
J’ai tourné pendant trois mois dans une concentration absolue, la caméra accrochée à moi huit heures par jour, avec la sensation que chaque instant pouvait être précieux.
Pour arriver à filmer les scènes, il fallait que j’oublie mes repères habituels qui me permettent de jauger l’importance d’un événement et ce qui s’y joue. Au Courtil, ces repères n’étaient pas forcément justes et auraient pu me faire passer à côté de l’essentiel. Pour conserver cette acuité du regard, pour être juste dans le tournage de chaque scène, il fallait que je sois présente quotidiennement auprès des enfants et des intervenants. Je ne tournais pas tout mais je restais toujours avec eux, sur le qui-vive.
Au fur et à mesure du tournage, je percevais l’importance de certaines scènes que je complétais alors avec d’autres scènes, qui elles-mêmes prenaient une autre valeur la semaine suivante. En fait, ce fut un tournage complétement atypique passionnant et très différent de tout ce que j’avais pu vivre jusque-là.

LES ENFANTS ET LA CAMERA
Pour les enfants, je savais avant de commencer le tournage que la relation à la caméra allait être très singulière, directement liée à leur manière de vivre leur relation à l’autre, au corps et au monde.
Parce que je savais que la relation à la caméra, c’est-à-dire au regard, pouvait être centrale, j’ai choisi, dans les scènes avec les enfants, de travailler seule, sans mon ingénieur du son. J’ai décidé de porter la caméra attachée au corps grâce à un système de harnachement léger et souple, j’étais devenue un corps-caméra. Et même quand je ne filmais pas, je portais tout cet attirail.
Dès le début du tournage, pour les enfants, soit ni moi ni la caméra n’existions, soit les enfants s’adressaient à moi comme si je n’avais pas de caméra, soit ils ne s’intéressaient qu’à la caméra. D’une certaine manière, pour eux, il n’y avait pas de hors-champ. C’est pourquoi, à l’occasion, les interactions des enfants avec moi et avec la caméra ont pu être commentées dans les réunions et les supervisions au même titre que tout autre élément d’un atelier.
Dans tous les cas, il n’y avait chez ces enfants ni narcissisme, ni gêne, ni honte, ni timidité : leur image, le rendu de leur image leur importait peu. C’est leur rapport à l’autre ou au regard qui était directement en jeu, qui pouvait les agresser ou, au contraire, les apaiser.
Prenons l’exemple d’Evanne. Pour lui, au début du tournage, la caméra n’existait pas, et c’était comme si j’étais transparente. Puis, peu à peu, en même temps qu’il changeait, que « l’autre » commençait à prendre consistance pour lui, j’ai vu qu’il commençait à me voir, à voir la caméra. Aussi, la première fois qu’il a eu « un regard caméra » j’ai été très émue : il racontait un changement chez Evanne, il avait une valeur, bien différente de tous les autres regards caméra que j’avais pu filmer jusque là.
Pour Alysson, qui pendant les repérages n’avait quasiment pas fait attention à moi, ma présence silencieuse de camérawoman est devenue très importante. Les intervenants et moi avons eu l’impression que la caméra rassemblait le corps d’Alysson et lui permettait de le mettre en mouvement. Il s’est passé quelque chose de très fort qui m’a fait penser au rapport que les acteurs peuvent entretenir avec la caméra : non pas dans le désir d’être vus, qui n’est sûrement pas fondamental, mais relativement à une fonction qui est plus essentielle : elle les rassemble.
La relation à la caméra était ici très forte, très « signifiante », c’est pourquoi tout à fait logiquement elle a pris une place dans le montage final du film.

LE MONTAGE
Au final, j’ai filmé 180 heures. Avec la monteuse Nelly Quettier, nous avons monté les séquences, personnage par personnage, en essayant de mettre en évidence la singularité de chaque enfant et son cheminement. Au bout de quatre mois de montage, nous avions quatre heures qui rassemblaient des scènes construites à partir des quatre personnages principaux : Jean-Hugues, Alysson, Evanne et puis Amina. Ensuite, il a fallu organiser le film en croisant ces « histoires » tout en faisant exister l’espace et le temps, même si la construction du film n’était pas uniquement  chronologique.
Il fallait, avec le montage, faire comprendre la folie de manière à la fois sensitive, émotive et intellectuelle, en construisant une forme de dramaturgie avec les enfants qui devait intégrer un aller-retour constant entre le quotidien et les réunions. Il fallait éviter le systématisme et garder toujours l’émotion liée aux personnages. L’écueil aurait été de devenir didactique : le film devait rester une expérience et non pas une leçon. Plus que de donner des explications, l’essentiel pour moi était de faire vivre au spectateur l’expérience de la compréhension, c’est-à-dire aussi l’émergence d’un regard. Le film ne pouvait faire l’économie du temps : le temps de l’interrogation d’abord, puis celui de la découverte et enfin celui de la compréhension.