1835. Un policier et son fils parcourent la campagne roumaine à la recherche d’un esclave gitan accusé d’avoir séduit la femme du seigneur local.
Tel un shérif d’opérette chevauchant dans les Balkans sauvages, le fonctionnaire zélé ne perd pas une occasion d’apprendre à son rejeton le sens de la vie. A grands coups d’insultes grivoises, proverbes ridicules, morale bigote, humiliations gratuites, menaces et autres noms d’oiseaux, Costandin affiche son mépris des femmes, enfants, vieillards, paysans, juifs, turcs, russes et surtout, surtout, des gitans.
Se jouant des clichés du western d’antan, AFERIM ! se moque avec cynisme et mordant de l’intolérance des hommes, d’hier comme d’aujourd’hui !
Aferim ! : mot ottoman qui signifie à la fois « salut » et « bravo »
OURS D’ARGENT – MEILLEUR REALISATEUR – BERLIN 2015
Avec : TEODOR CORBAN Costandin • MIHAI COMĂNOIU Ioniță • CUZIN TOMA Carfin • ALEXANDRU DABIJA Boyard Iordache Cindescu • ALEXANDRU BINDEA Le Prêtre • LUMINIȚA GHEORGHIU La femme de l’artisan • VICTOR REBENGIUC L’artisan • ALBERTO DINACHE Tintiric • MIHAELA SÎRBU Sultana • ADINA CRISTESCU Zambila • ȘERBAN PAVLU Le voyageur à l’auberge • GABRIEL SPAHIU Vasile • DAN NICOLAESCU Le commerçant • LIVIU ORNEA L’abbé
Un film réalisé par RADU JUDE • Scénario RADU JUDE, FLORIN LĂZĂRESCU • Image MARIUS PANDURU RSC • Montage CĂTĂLIN CRISTUȚIU • Son MOMCHIL BOZHKOV • Montage Son DANA BUNESCU • Mixage CRISTINEL ȘIRLI • Musique TREI PARALE • Décors AUGUSTINA STANCIU • Costume DANA PĂPĂRUZ • Maquillage PETYA SIMEONOVA, BIANCA BOEROIU • Coiffure DOMNICA BODOGAN • Producteur ADA SOLOMON • Co-producteurs ROSSITSA VALKANOVA, JIŘÍ KONEČNY, OVIDIU ȘANDOR • Une production HI FILM • En coproduction avec KLAS FILM, ENDORFILM, MULBERRY DEVELOPMENT• Avec le soutien de LE CENTRE DE CINEMATOGRAPHIE DE ROUMANIE, BULGARIAN NATIONAL FILM CENTER, STATE CINEMATOGRAPHY FUND CZECH REPUBLIC, LE PROGRAMME MEDIA DE L’UNION EUROPÉENNE ET EURIMAGES • Avec la participation du CINEMA CITY, TOCMAI.RO, TIMIȘOREANA, MEDA, DR. OETKER, AQUA CARPATICA, LIBRA INTERNET BANK, FUNDAȚIA PENTRU O SOCIETATE DESCHISĂ et HBO ROUMANIE
Radu Jude
Né
en Roumanie en 1977, Radu Jude est diplômé en réalisation de
l’Université des Médias à Bucarest et signe plusieurs courts métrages
parmi lesquels Lampa cu căciulă (The Tube with a Hat, 2006) et Alexandra (2006). Son premier long métrage, La Fille la plus heureuse du
monde (Cea mai fericită fată din lume), remporte le prix CICAE à Berlin en 2009.
Il réalise ensuite Papa vient dimanche (Toată lumea din familia noastră) – Prix du public et Prix d’interprétation pour Mihaela Sirbu à Entrevues en 2012, ainsi que deux courts métrages, O umbră de nor (Shadow of a Cloud, 2013) et
Trece și prin perete (It Can Pass through the Wall, 2014), tous deux sélectionnés à la Quinzaine des Réalisateurs à Cannes.
Son film suivant, Aferim! (2015) remporte l’Ours d’argent de la meilleure mise en scène à Berlin.
En 2016, Radu Jude a aussi mis en scène Les Scènes de la vie conjugale d’Ingmar Bergman au Théâtre National à Timișoara.
Filmographie
2006 Lampa cu caciula (cm)
2007 Dimineata (cm)
2007 Alexandra (cm)
2009 La Fille la plus heureuse du monde (mm)
2011 Film pentru prieteni
2012 Papa vient dimanche
2013 Shadow of a Cloud [cm]
2014 It can pass through The Wall [cm]
2015 Aferim !
2016 Coeurs cicatrisés
2018 Peu m’importe si l’histoire nous considère comme des barbares
ENTRETIEN AVEC RADU JUDE
« Je voulais faire un film qui explore
la relation entre le passé et le présent …
ou comment les problèmes du passé
conditionnent les mentalités actuelles » RADU JUDE
Aujourd’hui, les réalisateurs préfèrent tourner leurs films en
numérique. Qu’est-ce qui vous a donné envie de revenir à la pellicule et
au noir et blanc?
Avec le directeur de photographie Marius Panduru, nous avons décidé que
le film devrait être tourné en noir et blanc pour mettre en valeur
l’artifice de la reconstitution historique : nous voulions que le public
comprenne dès le départ que ce qu’il regarde est une reconstitution
subjective, qui est soigneusement mise en scène mais qui n’en demeure
pas moins une fiction. Nous avons donc testé différentes approches : une
caméra numérique, une pellicule couleur et deux sortes de pellicules en
noir et blanc. Au moment de les comparer, nous en avons conclu que la
pellicule en noir et blanc était la plus expressive et donc la plus
appropriée pour notre projet.
Les informations sur l’esclavage des Roms ont été occultées
par les récits historiques publiés sous le régime communiste roumain.
Quelles difficultés avez-vous rencontrées pour vous documenter sur
l’année 1835 et sur ce sujet spécifique ?
Ce n’est pas vraiment un sujet ignoré. Il y a plusieurs récits roms,
des études et des archives qui racontent cet esclavage. Et notre
principal consultant historique, Constanţa Vintila-Ghitulescu, nous a
énormément aidé en suggérant plusieurs titres intéressants. Je ne peux
pas dire que nous avons rencontré de grandes difficultés, mais le passé
étant naturellement de l’histoire ancienne, nous ne pouvons accéder qu’à
des informations limitées. A partir de là, il faut essayer de créer une
représentation du passé suffisamment précise.
Evidemment, le risque majeur, et nous avons prévenu les spectateurs de
ce risque à travers la manière dont le film est réalisé, est d’oublier
que nous sommes constamment impliqué dans un processus d’interprétation.
Nous interprétons chaque chose, à commencer par la réalité qui nous
entoure à laquelle nous avons accès à travers nos sens et notre cerveau,
et nous filtrons aussi notre réalité historique de la même manière.
Lorsque nous parlons du passé, nous évoquons en réalité notre vision du
passé. J’espère que ce point de vue est évident dans mon film et que
tout cinéphile vigilant en prendra bonne note.
Les évènements du film se sont déroulés il y a 180 ans, mais
de nombreuses répliques des personnages sont encore pertinentes
aujourd’hui. Votre film serait-il une satire du présent?
Je crois totalement à ce que Johan Huizinga disait: “Nous analysons chaque période par souci des promesses qu’elle renferme pour la période suivante.”
Mon film traite de la relation entre le passé et le présent, ou bien,
pour le dire encore mieux, de la relation du présent avec le passé.
Les conversations du film sont chargées de proverbes et
d’aphorismes tirées de travaux d’un certain nombre d’auteurs roumains et
étrangers de l’époque, dont les noms apparaissent dans le générique de
fin. Pourquoi avoir porté tant d’attention à la culture folklorique de
ce temps ?
J’ai commencé par lire des œuvres du 19ème siècle dans le but de me
familiariser avec la langue et les mentalités de l’époque (qui sont,
selon moi, le vrai sujet du film). À un moment, j’ai trouvé dans les
œuvres de Iordache Golescu quelques proverbes magnifiques tout à fait
appropriées pour l’une des séquences de Aferim!. Je les ai
incorporés au scénario que j’ai écrit avec Florin Lazarescu, puis nous
avons trouvé d’autres que nous avons utilisés également, « truffant »
ainsi progressivement l’histoire de proverbes issus de la littérature de
l’époque. C’était également une déclaration d’amour à la langue
roumaine et une façon de souligner la « construction artificielle » qui
caractérise le film.
Source : Cineuropa
LA ROUMANIE D’HIER
« Tout se termine et rien n’a encore réellement commencé » disait le révolutionnaire roumain Constantin A. Rosetti.
Au début du XIXème siècle, la Valachie connaît de grands
bouleversements dus à la guerre russo-turque qui a eu lieu de 1806 à
1812.
Pendant les six années d’occupation russe, l’Etat major parlant
français contribue à une mode française, tant du point de vue
vestimentaire, des vêtements, des arts, de la littérature et même de la
langue. Le centre de gravitation politique de la Roumanie se déplace de
l’influence turque à celle de Paris.
Cette Roumanie européenne des villes contraste avec le monde de la campagne toujours régie par les traditions de l’Eglise.
Derrière cette façade réformatrice, l’Eglise garde une place centrale,
régulant la vie de tous les jours et contribuant à la persistance des
préjugés contre les juifs ou les tziganes. Le mythe du Juif errant
devient une réalité économique. Arrivant de toute part, les juifs
s’installent dans les quartiers centraux de Valachie et font prospérer
les commerces, autrefois sous le contrôle de l’Eglise. Cette dernière
tente alors d’évincer la concurrence en répandant toute sorte de
préjugés.
Les femmes sont au cœur du changement en Roumanie.
Elle adoptent et s’adaptent à la mode française, en apprenant le
français, valsant au rythme de la musique de Frantz Litz, mais la
société n’est pas encore prête à leur donner la place qu’elle désire.
On considère la femme comme responsable de l’adultère bien que le code
pénal publié en 1783 prévoie les mêmes peines pour les hommes que pour
les femmes : ils sont condamnés à avoir le nez coupé et à être envoyés
au monastère pour une durée de 2 ans.
Mais dans les faits, seules les femmes adultères sont punies afin de
«les ramener à la raison» tandis que l’adultère des hommes est
simplement considéré comme une banale relation hors mariage. La société
roumaine est si concernée par la réputation et l’honneur des femmes
qu’elle permet aux maris trompés de punir le pauvre amant pris sur le
vif avec leur femme. La vengeance pouvait prendre maintes formes
d’humiliations publiques et de punitions corporelles : fouet ou même
castration si le coupable est de classe sociale inférieure comme c’est
le cas pour les gitans.
A l’époque, gitan est synonyme d’esclavage et le mot « rom » n’existe
pas. Il ne sera introduit qu’au XXème siècle. L’abolition de
l’esclavage est une idée nouvelle qui n’est encore que timidement
défendue, la plupart des esclavagistes exerçant d’importantes fonctions
politiques.
Seuls quelques ecclésiastiques éclairés défendent l’idée de liberté
mais le temps de l’abolition est encore loin. Il faudra attendre que de
jeunes intellectuels s’impliquent activement pour la cause des esclaves
gitans vers 1848 pour que l’opinion publique bascule sur le sujet. Ce
n’est qu’en 1856 qu’une loi est votée, « La Loi pour l’Emancipation de
tous les Gitans en Valachie ».
Constanța Vintilă-Ghițulescu
Docteur en histoire et civilisation à l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales, Paris
Chercheuse à l’Institut d’Histoire Nicolas Iorga
Professeur agrégé en sociologie de l’Université de Bucarest
Consultante historique du film