Au milieu de l’été, Sasha, 30 ans, décède soudainement. Alors qu’ils se connaissent peu, son compagnon Lawrence et sa soeur Zoé se rapprochent. Ils partagent comme ils peuvent la peine et le poids de l’absence, entre Berlin, Paris et New York.
Trois étés, trois villes, le temps de leur retour à la lumière, portés par le souvenir de celle qu’ils ont aimée.
Festival international du film indépendant de Bordeaux 2015, Grand Prix du Jury
Réalisation : Mikhaël HERS • Production : Pierre GUYARD • Scénario : Mikhaël HERS, Mariette DÉSERT • Image : Sébastien BUCHMANN • Son : Dimitri HAULET, Julien GIGLIOTTI, Nicolas MOREAU, Vincent VATOUX, Daniel SOBRINO • Montage : Marion MONNIER
Mikhaël Hers
Mikhaël
Hers est né le 6 février 1975 à Paris. Il étudie en
département production à La fémis, dont il sort diplômé en 2004. Il
réalise ensuite trois courts métrages remarqués : Charell (présenté à la Semaine de la Critique, festival de Cannes 2006), Primrose Hill (également présenté à la Semaine de la critique, festival de Cannes 2007, et primé à Clermont Ferrand) et Montparnasse (présenté à la Quinzaine des réalisateurs, festival de Cannes 2009, et lauréat du Prix Jean Vigo).
Après Memory Lane (présenté au festival de Locarno 2010), Ce Sentiment de l’Eté est son deuxième long métrage.
ENTRETIEN AVEC LE RÉALISATEUR
Trois villes différentes lors de trois étés successifs… Comment est venu le désir de structure de Ce sentiment de l’été ?
Comme dans mes films précédents, je suis parti des lieux pour écrire.
Berlin, Paris et New-York sont trois villes qui me sont chères, avec
lesquelles j’entretiens un rapport affectif très fort.
J’avais envie de les filmer. Repasser par un endroit, y repenser,
suscite souvent l’impulsion première… Et filmer est toujours l’occasion
de réinvestir un lieu que j’ai aimé, comme pour y prolonger une époque
et ne pas la quitter définitivement. Je pense que l’on peut aussi faire
du cinéma ou écrire pour lutter contre le passage du temps, créer un
semblant d’éternité, avec tout ce que cela peut avoir d’illusoire. C’est
en partie également grâce au tournage, où l’on filme des gens qui sont
là, bien vivants, où l’on rattrape quelque chose de la fugacité des
choses et des sentiments qui se sont évaporés.
Cette quête de ce qui a disparu était déjà très présente dans Memory Lane, votre premier long métrage, mais là, vous l’affirmez davantage en faisant du deuil le « sujet » du film…
J’ai beaucoup de mal avec l’idée qu’un film puisse se résumer à un
sujet. J’avais envie que le sujet du film soit la vie, dans tout ce
qu’elle embrasse. Chercher à dessiner ce réel mouvant et énigmatique qui
échappe sans cesse, où l’incongru, le drolatique ou bien le pire
peuvent surgir à tout instant. Ces fragments de réalité, ces bribes de
vies qui nous parviennent sans que l’on puisse en saisir le sens et dont
il ne restera que quelques souvenirs, quelques traces. Pas le deuil
donc, mais la vie, tout le temps faite de choses ambivalentes et
complexes et lumineuses aussi, même parfois dans les instants les plus
sombres.
D’où le choix de la saison estivale ?
Paradoxalement, je pense que l’été est la saison où l’on ressent
l’absence de manière plus prégnante : un bleu profond et une lumière
éclatante font transparaître davantage le vide.
Et le choix d’étaler le film sur trois années ?
Ces grandes ellipses étaient constitutives du projet, je ne me voyais
pas aborder cette histoire du deuil autrement que sur une très longue
période. Je voulais filmer le travail du temps à l’œuvre : voir comment
il agit sur les personnages, parfois par strates successives presque
imperceptibles, avec des moments de reculs, d’hésitations… d’autres
fois par à coups, par basculements…
C’est probablement une question de sensibilité, mais j’ai l’intuition
que l’on ne peut accéder à une forme de vérité de l’absence qu’avec le
recul du temps, que l’on approche le cœur des choses ou l’essence d’un
sentiment en passant par sa périphérie. Et puis j’aime qu’il y ait des
interstices, des intervalles dans lesquels le spectateur puisse se
projeter, se nourrir, repenser à quelque chose qui vient de se passer.
Ou plus simplement se laisser bercer.
La dramaturgie n’est pas tant contenue dans l’action que
dans la singularité avec laquelle vous tissez des rimes d’une ville à
l’autre, d’une année sur l’autre, d’une fête à l’autre…
C’est un film de sensations. Il y a certes des moments plus saillants
que d’autres mais j’ai l’impression que pour qu’ils aient un poids de
réel, ils doivent obligatoirement s’articuler avec ces moments plus en
creux. Je dois ça au vraisemblable du film, du moins tel que je le
conçois. Et tout ça forme une mélodie qui se déploie un peu
mystérieusement, notamment au montage, où il s’agit de trouver la juste
tonalité de cet assemblage.
Et puis plus simplement, je pense que l’on est profondément habités par
des images, des matrices que l’on répète à l’infini. J’aime cette idée
de creuser un sillon, d’instaurer des rimes. Il n’y a rien qui me touche
plus qu’un musicien fidèle à sa ligne mélodique ou à son
instrumentation, dont je reçois au fil des années chaque nouvel album
comme l’on recevrait une carte postale. Ou bien un romancier qui
poursuivrait de récit en récit le même livre, sans jamais totalement
l’épuiser.
Vous abordez des événements douloureux avec délicatesse mais sans pour autant les édulcorer…
C’est le climat et la tonalité que je recherche. J’aime l’idée
d’aborder des choses sombres ou mélancoliques, en douceur, avec une
forme de bienveillance. Ce qui n’enlève rien à la dimension violente et à
l’ambivalence de certains sentiments qui les animent. Tout cela peut se
passer de manière plus souterraine. C’est important pour moi que les
spectateurs se sentent bien dans mes films, qu’ils puissent s’y lover,
comme dans la mélodie d’une chanson qu’ils affectionnent.
Pas besoin de violenter le spectateur pour lui transmettre
l’incongruité et la violence de l’existence ! Le film parle de notre
drame humain à tous. Que ce soit à travers un deuil, une séparation, un
questionnement existentiel, le délitement d’un âge, d’une époque, on a
tous à se coltiner l’absence ou la disparition. Et l’on s’en accommode
tous plus ou moins, avec une façon de réagir qu’on se fabrique très tôt,
dès l’enfance. C’est en cela que le film touche peut-être à quelque
chose d’universel. J’ai d’ailleurs pu voir des gens très différents être
touchés lors des premières projections publiques.
Pour revenir aux lieux, on a la sensation que les villes et
les appartements se ressemblent, font partie d’une même famille, avec la
lumière qui y fraye son chemin…
Pour les appartements, c’est sans doute à cause de la lumière estivale,
qui les noie un peu. Concernant les extérieurs, cela doit venir du fait
que je filme des aspects semblables quelle que soit la ville. Je pense
que je suis en quête du même paysage, perpétuellement. Probablement le
paysage de mon enfance, qui mêle des environnements un peu boisés avec
des choses plus urbaines, que je traque un peu partout. Je filme souvent
ces lieux de haut, j’aime les perspectives, les échappées, la
possibilité d’être à un endroit tout en ayant un point de vue sur un
ailleurs.
On retrouve des acteurs de vos précédents films, mêlés à des « nouveaux venus »… Comment s’est constitué ce casting ?
J’adore l’idée de retrouver des gens avec lesquels j’ai déjà travaillé
et les voir évoluer, vieillir à l’écran. Ca fait dix ans que je fais des
films et que j’ai commencé à filmer Stéphanie Déhel, Thibault Vinçon
par exemple… Dix ans, ce n’est pas grand chose, ils sont toujours aussi
beaux mais déjà ils changent et je trouve émouvant que le cinéma puisse
montrer ça. Et j’espère que j’aurai la chance de le montrer longtemps.
L’idée de famille est évidemment aussi très importante, avec une
confiance qui s’installe, de la complicité. En même temps, je ne conçois
pas de faire un film uniquement avec des gens que je connais. C’est
aussi une naissance, un recommencement, une nécessité de se mettre en
danger, des possibilités de rencontres avec de nouveaux acteurs d’autant
plus nécessaires ici que j’avais besoin de comédiens étrangers.
Comment avez-vous choisi Anders Danielsen Lie ?
Je l’avais repéré dans les deux films de Joachim Trier, Nouvelle donne et Oslo, 31 août.
Anders peut paraître un peu sombre, avec ce visage anguleux,
mystérieux, mais l’esquisse d’un sourire suffit à l’éclairer. On aime le
regarder penser, ce qui était une qualité importante pour ce rôle
relativement silencieux. Anders avait quelques bases de français qu’il
avait étudié à l’école mais il a dû l’apprendre davantage et s’est
immergé totalement dans son personnage. Je pense que ce rôle était une
expérience assez intense et éprouvante pour lui. Il s’y est complètement
investi.
Et Judith Chemla ?
Je trouvais que le registre naturel, peut-être plus explosif et
extraverti de Judith Chemla répondait assez bien au caractère plus
opaque d’Anders. Quand je l’ai rencontrée en casting, il y a eu une
forme d’évidence. Là encore, il s’agit de musique : faire jouer une
petite scène très quotidienne et voir comment l’acteur s’empare des
mots, si une musicalité familière se met en place. Et c’était le cas
avec elle. C’était très étrange, il a suffi d’un échange très simple de
dialogues pour voir que ça sonnait juste.
Et les autres acteurs ?Marie Rivière, je l’avais vue dans les films de Rohmer, évidemment et puis elle jouait déjà dans mon premier long métrage, Memory Lane.
Marie est tellement surprenante et singulière… Elle ne propose jamais
la même chose d’une prise sur l’autre, on ne sait jamais par où ça
passe. Elle est toujours sur la brèche. C’est sidérant, parfois un peu
déstabilisant, mais au final, il reste toujours au milieu de ses prises
quelque chose de bouleversant qui lui est très particulier. Je
connaissais également Feodor Atkine des films de Rohmer. Il est dans une
tonalité très différente de celle de Marie, tout aussi instinctif, mais
beaucoup plus structuré et près du texte. Je trouvais qu’ils formaient
un beau couple, étonnant et assez inattendu.
Pour le rôle de Thomas, l’ami d’enfance à New York, il me fallait
quelqu’un de très prolixe, un tempérament un peu explosif mais dont on
sente qu’il renferme aussi une faille, quelqu’un de touchant et fragile
derrière ce premier abord foutraque. J’avais repéré le réalisateur Josh
Safdie qui jouait un rôle dans son premier film. J’avais l’intuition
qu’il saurait donner toute l’énergie déroutante dont avait besoin le
personnage de Thomas.
Comment s’est passé le travail avec Sébastien Buchmann, votre chef opérateur ?
Il a fait la lumière de tous mes films et je pense que l’on a acquis
une complicité indicible. Quand il pose la caméra, la distance et la
hauteur me semblent les bonnes, le choix de la focale aussi, comme une
évidence. On choisit ensemble, évidemment, mais sans trop de mots. Et
donc on économise un temps dingue. On aime éclairer peu, travailler le
plus possible en lumière naturelle. Et aussi en super 16, ce qui est
devenu, par la force des choses, de plus en plus rare et qui donne un
grain particulier, sur lequel les gens ont parfois du mal à mettre des
mots. Mais ils sentent bien que l’image n’est pas tout à fait la même
que celle qu’ils ont l’habitude de voir, qu’elle est moins définie,
moins lisse, moins parfaite, comme si l’on pouvait avoir prise sur elle
d’une certaine manière.
Et puis tourner en pellicule limite le nombre de prises. Ce qui rejoint
l’importance que vous donnez à la captation du moment présent…
Complètement. Quand on tourne en pellicule, quelque chose de sacré
s’imprime au moment de la prise, on est dans la matière. Une matière qui
n’est par essence pas inépuisable. Le numérique est tellement plus
évanescent. On le ressent aussi sur le plateau et au sein de l’équipe.
Les images de la fin du film sont emblématiques de la manière
que vous avez d’inscrire le moment perdu dans le présent. On se dit que
ce sont des souvenirs, filmés en super 8 et soudain, on comprend que
ce sont des images actuelles…
Ces images ont été tournées avec une petite caméra Bolex par Sébastien
et moi, entre les plans « officiels », dès que la lumière nous
interpellait. J’avais l’intuition qu’elles auraient une place dans le
film, même si je ne savais pas encore précisément laquelle. Et
effectivement, on les retrouve à la fin, pouvant laisser imaginer que ce
sont des images du passé mais non, les personnages continuent de les
traverser, le temps continue d’y circuler.
Dans la dernière partie du film, les corps reprennent le
dessus et se libèrent : Lawrence court dans la rue, joue au handball
avec Zoé, fait l’amour avec Ida…
Quand Zoé et Lawrence jouent ensemble, on est entre le jeu et la danse,
la vie ressurgit. Cette scène n’était pas prévue. Un jour, on est
passés devant ce terrain avec des jeunes qui jouaient à ce sport
étrange, il faisait beau, on avait dix minutes devant nous… J’ai pensé à
la libération des corps qui opère dans ce moment du film et je me suis
dit que ce genre de scène pourrait peut-être servir au montage…
Et la chanson qu’on entend alors ?C’est Stephanie
City de Nick Garrie, un musicien anglais qui a sorti un seul album dans
les années 60-70, devenu un peu culte et mystérieux. J’ai reçu un mail
de lui quand il a su que j’utilisais sa chanson, où il me racontait
qu’il avait écrit sa chanson à Boulogne-Billancourt, l’endroit où j’ai
passé mon enfance… J’adore ce genre de hasards qui nourrissent
étrangement les projets.
Un peu comme pour Mac DeMarco qui joue dans la séquence du concert.
Lors de nos repérages à New-York, nous étions guidés par une jeune femme
qui faisait tourner son album en boucle dans la voiture. C’était un ami
à elle. Sa musique nous est devenue précieuse et obsessionnelle au fil
des trajets et nous avons décidé de lui demander de jouer le personnage
en question. Tout à coup la vie du film et du récit rencontre celle de
la réalité de la préparation du tournage…
La musique impulse un rythme au film sans jamais écraser les scènes…
C’est une grosse partie du travail au montage : trouver les thèmes qui
n’aplatissent pas les images, qui se mêlent à elles mystérieusement,
sans les investir d’un sentiment ou d’une émotion qui ne serait pas à
leur mesure… Je suis habité constamment par des musiques mais très
souvent, on se rend compte au montage que la chanson envisagée ne
fonctionne pas. Je me contente donc au préalable d’avoir juste des idées
de plages musicales mais pas de la musique en elle-même. Les musiques
préexistantes sont essentiellement de la pop anglaise choisie à
l’instinct (que ce soit Felt, Ben Watt ou les groupes du label de
Bristol Sarah Records). Quant aux plages instrumentales, elles ont été
composées par David Sztanke, leader du groupe Tahiti Boy and the
Palmtree Family, qui avait déjà écrit la musique de Memory Lane.
Avec ce deuxième long métrage, avez-vous l’impression d’avoir abordé la mise en scène différemment ?Une
fois qu’un scénario est couché sur le papier, il est déjà, d’une
certaine manière, un petit peu mort. Et puis le temps que le film se
finance… Parfois, on se demande comment on va soutenir ce désir initial
du film, cette intuition première, cette impulsion. D’où la nécessité de
réinjecter sans cesse de la vie dans le scénario au moment du tournage.
Et c’est peut-être ce que j’arrive à faire un petit mieux de film en
film : intégrer ce qui peut se passer sur le moment, moins m’angoisser
devant les éventuels changements de programme, faire une force de ce qui
arrive au présent, modifier aussi un peu le scénario chaque jour, du
moins les dialogues. Ce qui donne, je pense, ce côté plus urgent, cette
couleur particulière.
Et le titre du film ?
Il est inspiré d’une chanson de Jonathan Richman, That summer feeling,
un titre très anglais, qui ne trouve pas réellement d’équivalent en
français mais dont un ami écrivain en avait trouvé une formulation
heureuse pour intituler un temps l’un de ses romans : Ce sentiment de
l’été. Ce « l’ » était pour moi d’une beauté incroyable, avec une forme
de maladresse qui fait toute la différence. Ce roman a changé de titre,
mais je le lui ai emprunté, et le trouve d’autant plus merveilleux
qu’il ne vient pas de moi !
C’est la première fois que vous travaillez avec le producteur Pierre Guyard ?
C’est le deuxième long métrage que Pierre Guyard produit après Les combattants de Thomas Cailley. Il m’avait contacté au moment de Montparnasse,
mon troisième moyen métrage. Je l’ai rappelé quand ma productrice a
décidé de changer de métier. Le contact est passé immédiatement et il a
été un allié fantastique. Ce film sans sujet de société, sans concept ni
casting, en plus tourné sur trois pays, était très compliqué à monter
mais Pierre a débordé de ressources et d’ingéniosité. Il a un tel
enthousiasme, une force de conviction, une sincérité. Il est différent
des autres producteurs que j’ai pu rencontrer. Il est présent à toutes
les étapes, sans être intrusif, dans un respect total de ce dont a
besoin le film. Etre ainsi à la juste place n’est pas donné à tout le
monde ! En plus, c’est quelqu’un de ma génération. Cette rencontre était
assez inespérée, je crois que le film lui doit beaucoup.
Propos recueillis par Claire Vassé