Au Portugal, le quotidien d’une famille est bouleversé : le père se retrouve au chômage et la mère doit alors cumuler deux emplois. Mais leur fille est bien décidée à ne pas se laisser abattre et à continuer à vivre sa vie d’adolescente.
Une distance trouble s’installe entre eux : le début d’une lente implosion, chacun cherchant à s’adapter à sa façon à cette situation nouvelle.
Festival de Berlin, Compétition / Festival de La Rochelle / Festival de Cannes, ACID 2018
Avec : Le père João Pedro Vaz • La mère Beatriz Batarda • Marta, la fille Alice Albergaria Borges • Júlia Clara Jost • João Tomás Gomes
Réalisatrice Teresa Villaverde • Scénariste Teresa Villaverde • Chef opérateur Acácio de Almeida • Monteur Rodolphe Molla • Ingénieur du son Vasco Pimentel • Monteur son Marion Papinot • Mixeur Joël Rangon • Chef décoratrice Maria José Branco • Premier assistant Paulo Belém • Producteur exécutif António Gonçalo • Productrices Cécile Vacheret, Teresa Villaverde – SEDNA FILMS / ALCE FILMES
Teresa Villaverde
Teresa Villaverde est née en 1966 au Portugal. Elle est auteure réalisatrice et productrice. Au théâtre, elle a mis en scène l’hommage national à José Saramago, pour le premier anniversaire de sa mort.
Filmographie
CONTRE TON COEUR (Colo), 2017
Festival de Berlin, Compétition / Festival de La Rochelle / Festival de Cannes, ACID 2018
PARIS 15/16, 2016 (court métrage documentaire)
Festival DocLisboa, Portugal
LES PONTES DE SARAJEVO (« Sara et sa mère »), 2014 – Film collectif
Festival de Cannes – Sélection Officielle
VENEZIA 70 – FUTURE RELOADED, 2013 – Projet collectif
Festival de Venise – Sélection Officielle / Partie: « Amapola »
CISNE (Cygne), 2011
Festival de Venise – Orizzonti
TRANSE, 2006
Festival de Cannes – Quinzaine des Réalisateurs
VISIONS OF EUROPE, 2004 – Film collectif
Partie : « Cold Wa(te)r
A FAVOR DA CLARIDADE (A la faveur de la clarté), 2003
Film essai/documentaire sur l’oeuvre de l’artiste plasticien/ sculpteur Pedro Cabrita Reis,
dans le cadre de la présence portugaise à la Biennale d’Art de Venise
ÁGUA E SAL (Eau et Sel), 2001
Festival de Venise – En compétition / Mention d’honneur-Elvira Notari – Venise
OS MUTANTES (Les Mutants), 1998
Festival de Cannes – Sélection Officielle Un certain regard
Prix ONU pour les 50 ans de la Déclaration des Droits de l’Homme –Rome
O AMOR NÃO ME ENGANA (L’Amour ne trompe pas) , 1996
Documentaire pour ARTE/ZDF
TRÊS IRMÃOS (Deux Frères, ma soeur) , 1994
Festival de Venise – En compétition / Meilleure actrice (Maria de Medeiros) – Festival de
Venise / Meilleure femme réalisatrice (Prix Elvira Notari) – Venise
A IDADE MAJOR (ALEX), 1991
Festival de Berlin – Forum / Prix CICAE (Association de Cinémas d’Art et d’Essai), France
NOTE D’INTENTION
REGARDER LE PROBLEME EN FACE, par Teresa Villaverde
Je crois que la période actuelle nous oblige à vivre dans un silence étouffant, rempli d’attentes étouffantes oppressantes – parler de ce film impose d’aborder des sujets politiques. Et si je parle de silence « étouffant », c’est parce que j’imagine le futur comme un espace blanc, flou, sans couleur, un immense brouillard sans vie.
Pourtant, si l’on pense à tout ce qui se passe dans le monde, aujourd’hui, on devrait presque se sentir coupables d’aller aussi mal. C’est un fait délicat à admettre – surtout que, c’est vrai, nous devons tous composer avec nos peines et nos propres problèmes dignes de considération, et ça peut prendre beaucoup de temps avant d’arriver à relativiser ce que nous vivons. Sans compter qu’un tout petit problème peut chez certains avoir des conséquences dramatiques, mortelles. Le taux de suicide ne cesse de croître dans les pays à fort taux de chômage et c’est bien pour ça que j’ai employé le mot « délicat » : l’être humain est une créature riche et complexe.
J’ai commencé par écrire un film sur une petite cellule familiale : un père, une mère, une fille adolescente. N’être que trois dans une famille est souvent compliqué. J’ai plus d’une fois observé ce genre de trio au restaurant, très notable en vacances, surtout : silence total
– à moins, parfois, que les parents ne parlent entre eux tandis que l’adolescent reste sur la touche, mutique. Je les imagine alors dans leur petit appartement : s’ils ne se parlent pas, ils se connaissent à peine, et s’ils se connaissent à peine, la vie dans un petit appartement peut créer des situations ambiguës.
Dans mon pays, les gens parlent peu de ce qu’ils ressentent. Vu de l’extérieur, on pourrait croire que le Portugal est un pays gorgé de soleil et peuplé de gens heureux, mais ce n’est vraiment pas comme ça que je nous vois. On a tendance à cacher ce qui ne va pas tout comme ce qui compte vraiment à nos yeux. On s’exprime très peu.
Le point de départ du film, c’est la perte du travail du père dans ce trio familial. Comme l’égalité des sexes n’existe toujours pas au Portugal, ça m’intéressait de traiter d’une famille dans laquelle c’est le père qui perd son emploi. Quand le film commence, le drame a déjà eu lieu. On prend les personnages en route alors que la situation s’est déjà détériorée, avec beaucoup de non-dits. La mère est fatiguée, l’argent commence à manquer et les dettes s’accumulent. Le chômeur se sent coupable, inutile. Et comme souvent dans ces cas-là, celui qui travaille rejette intérieurement sur l’autre la responsabilité de ce qui leur arrive, mais, dans le même temps, se sent coupable d’être traversé par de telles pensées.
Cette situation dramatique empire de jour en jour, lestée de silences et de culpabilité. L’adolescente observe l’effondrement de sa famille, mais de loin, en observant des faits tangibles. Ce qui l’affecte le plus, en vérité, c’est que personne n’exprime ce qu’il ressent.
C’est le non-dit qui fait le plus mal. Il est possible que la communication entre eux se soit brisée bien avant le contexte particulier dans lequel ils vivent actuellement.
Il fallait que je filme ces personnages de loin, et en silence, sans m’immiscer. Ma caméra ne s’approche pratiquement jamais d’eux. J’attends quand ils attendent, sans savoir ce que j’attends pas plus qu’ils ne savent ce qu’ils attendent, eux.
Après avoir vu le film, une des actrices m’a dit quelque chose de très intéressant : dans Contre ton cœur, « la solution observe le problème ». Je suis d’accord : la solution observe le problème, mais elle est incapable d’exercer un quelconque effet sur lui.
Dans le dernier plan, on essaie de comprendre, on essaie de s’approcher au plus près, on essaie d’expliquer, mais comme on est incapable de le comprendre vraiment, on se retire.
Le film reste sans réponses. Il révèle simplement un désir irréalisable de repartir de zéro.
ENTRETIEN
UN SILENCE CROISSANT
entretien avec Teresa Villaverde, par Filipa Leal
Dans Contre ton cœur, les personnages, et particulièrement les personnages adultes, ont l’air apathiques. Serait-ce la suite logique de l’horreur ? Serions-nous déjà au-delà de la fin du monde ?
Quand on a de l’espoir, on a encore la force de se battre, de protester. Quand l’espoir disparaît, la force de crier s’évanouit en même temps : à quoi ça servirait ? Ça ne changerait rien.
Je ne crois pas que le film traite de la fin du monde. On en est encore très loin. Au regard du contexte international, nous restons de grands privilégiés. Par ailleurs, la plupart des maux qui nous accablent sont de notre fait. On s’est endormis. On a cru que la démocratie,
c’était voter de temps en temps. On pensait que tout nous était acquis, or ce n’était pas le cas. Cela dit, en y réfléchissant bien, on n’avait pas grand-chose, en fait.
Aujourd’hui, ceux qui travaillent sont considérés comme des bienheureux, pourtant combien exercent le métier de leur rêve ? Sans doute très peu.
Juste un exemple : à Lisbonne, où je vis, les loyers sont très élevés pour ceux qui gagnent un salaire moyen portugais, donc la plupart des gens qui travaillent ici vivent en banlieue.
Ils passent ainsi des heures dans les transports, matin et soir. Et puis il faut aller chercher les enfants à l’école, préparer le dîner, etc. Après une journée pareille, les gens sont exténués. Ils ne se regardent plus, ils ne se parlent plus. Ils vivent sous le même toit mais se connaissent à peine. Ils n’ont même pas un mois complet dans l’année pour partir en vacances. De toute façon, même en vacances, ils restent chez eux, ou pas très loin. Et puis trois semaines plus tard, tout recommence. On préfère ne pas y penser, mais en vérité les gens sont à bout de fatigue, et c’est peut-être une des raisons pour lesquelles ils ne protestent plus.
Ces dernières années, des tas de gens ont perdu leur travail. Quand et le mari, et la femme sont au chômage, c’est une catastrophe totale. Ils sont obligés de renoncer à leur statut d’adulte, ils redeviennent des enfants, vivent chez leurs parents – quand c’est possible, ce qui n’est pas toujours le cas.
Si un seul des deux perd son travail, sa culpabilité ajoutée à l’usure de l’autre rend la situation infernale. L’espace partagé est alors emprunt de méfiance et d’angoisse. Ça pourrait bien être le début de la fin de la famille, si ça continuait comme ça –pas encore la fin du monde tel que nous le connaissons.
Les adolescents occupent une place centrale dans tous vos films, Contre ton cœur compris. Qu’est-ce qui vous intéresse, chez eux ? Le fait qu’ils représentent l’avenir ? Vous leur faites confiance ?
Totalement. Je place tous mes espoirs en eux. Ils n’ont aucune garantie, ils n’en ont jamais eues, mais ceux qui ne renonceront pas devront trouver de nouvelles façons de vivre. Ils devront tout repenser. Je crains qu’ils ne se penchent pas beaucoup sur le passé, ce qui pourrait d’ailleurs être dangereux, mais je suis sûre qu’ils trouveront le moyen de nous sortir de ce merdier. Je ne suis évidemment pas naïve au point de croire que tous les adolescents d’aujourd’hui sont comme ça. Mais je pense sincèrement que le changement viendra d’eux.
Je suis très contente que la musique du générique de fin du film ait été composée par un adolescent de 17 ans. Dans le champ artistique, je crois que nous sommes au seuil d’une période très riche, très intelligente et très composite. A partir d’un certain moment, le père semble se recroqueviller sur lui-même. Comme s’il se cachait par peur d’être inutile. Le scénario reflète l’époque contemporaine, où les chômeurs se sentent invisibles, comme s’ils avaient perdu leur raison d’être ?
En temps de récession généralisée, en temps deguerre, tout le monde perd tout. On est tous égaux dans la perte. L’estime de soi peut rester intacte. Quand ça n’arrive qu’à certains, et pas à tout le monde en même temps, quand ça arrive à des personnes qui vivent dans de grands immeubles où les gens se connaissent à peine, leur solitude est immense, impossible à partager. Les chômeurs ont honte de ne pas travailler, ils se sentent humiliés. C’est très difficile de maintenir une unité familiale dans ces conditions, de faire attention aux enfants, au mari, à la femme. C’est extrêmement dur. On se sent très seul et puis, passé un certain stade, on a honte.
Cet homme-là finit par se trouver une « utilité » à ses propres yeux, par se trouver un but. Il s’occupe d’une adolescente, l’amie de sa fille. Mais le doute subsiste : il la sauve ou il profite de sa vulnérabilité ?
Il se sent inadapté socialement. Il veut aider, il veut être utile et faire une bonne action, mais peut-être n’a-t-il plus conscience de ce qu’il fait. Ce qui le pousse à agir est profondément bien intentionné et altruiste. C’est risqué, et on ne sait pas ce qui se passera ensuite. Quand sa belle-mère confond la jeune fille avec sa petite-fille, il ne la détrompe pas. Il a déjà perdu tout contact avec la réalité. Il est perdu. Un fantôme…
Vous avez peur du monde actuel ?
Oui, bien sûr. Je ne pense pas que se laisser envahir par la peur soit bon, parce que la peur paralyse. Il nous faut la combattre. Ça serait bien de tout foutre en l’air, toutes ces règles… et de repartir de zéro. Malheureusement, je crois que c’est impossible. Je crois qu’il faut tout mettre sur la table, toutes nos idées, discuter de tout et tout remettre en question.