Le matin de son anniversaire, Schneider, tueur à gages et père de famille dévoué, est missionné pour abattre Ramon Bax.
Écrivain solitaire vivant au milieu des marécages, c’est une cible facile. Schneider accepte, il sera rentré pour dîner. Mais la tâche se révèle plus compliquée que prévue.
Festival de Locarno 2015
Festival de Toronto 2015
Avec : Schneider Tom Dewispelaere • Bax Alex van Warmerdam • Francisca Maria Kraakman • Gina Annet Malherbe • Mertens Gene Bervoets • Nadine Eva Van de Wijdeven • Gerard Henri Garcin • Lucy Loes Haverkort
Réalisation et scénario Alex Van Warmerdam • Image Tom Erisman • Montage Job ter Burg • Musique Alex van Warmerdam • Décors Geert Paredis • Costumes Stine Gudmundsen-Holmgreen • Produit par Marc van Warmerdam (Graniet Film)
Alex Van Warmerdam
Après des études en graphisme et en peinture dans l’une des principales écoles de beaux-arts des Pays-Bas, Alex van Warmerdam s’oriente rapidement vers le théâtre.
Il est l’un des fondateurs de la troupe de comédiens et de musiciens Hauser Orkater qui, dans les années 1970, révolutionne le monde du théâtre en créant des spectacles où musique rock et théâtre – avec un goût marqué pour l’absurde – ne font qu’un. Alex van Warmerdam apparaît rapidement comme le génie artistique derrière la compagnie. En 1980, il crée Le Chien mexicain (De Mexicaanse Hond), compagnie avec laquelle il met en scène, aujourd’hui encore, plusieurs pièces.
Il se tourne vers le cinéma à la fin des années 70 et tourne ABEL, son premier long métrage, en 1986. Il se fait internationalement connaître en 1992 avec le film LES HABITANTS. En 1993, il fonde avec son frère, Marc van Warmerdam, la société de production Graniet Film qui produit, désormais, toutes ses réalisations. Le cinéaste travaille également avec son second frère, Vincent van Warmerdam, qui compose la musique de ses films et Annet Malherbe, sa femme, qui joue dans la plupart de ses réalisations dont elle assure, également, la direction de casting.
Peintre, auteur et metteur en scène de théâtre, scénariste, acteur et réalisateur, Alex van Warmerdam est également écrivain : il a publié un recueil de poésie et un roman.
Filmographie
2015 LA PEAU DE BAX (Festival de Locarno)
2013 BORGMAN (Festival de Cannes – sélection officielle)
2009 LES DERNIERS JOURS D’EMMA BLANK (Festival de Venise)
2006 WAITER ! (Festival international du film de Toronto)
2003 GRIMM (Festival de San Sebastian)
1998 LE P’TIT TONY (Festival de Cannes – Un certain regard)
1996 LA ROBE… (Festival de Venise)
1992 LES HABITANTS
1986 ABEL (Festival de Venise – Prix de la critique)
ENTRETIEN AVEC ALEX VAN WARMERDAM
BORGMAN (2013) – votre précédent film – sortait à peine en
salles que vous écriviez, déjà, le scénario de LA PEAU DE BAX.
Pourquoi tant d’empressement ?
J’écris et je mets en scène des pièces de théâtre aussi. Pour des
raisons logistiques, il y a toujours une pièce de théâtre entre deux
films. Mais là, j’ai voulu casser ce rythme. Je voulais directement
faire un autre film juste après BORGMAN, pour profiter de la continuité.
Vous n’avez jamais tourné un film à partir d’un scénario de quelqu’un d’autre. Vous n’y pensez simplement pas ou s’agit-il d’une volonté de tout contrôler ?
Faire un film commence pour moi par le début. Ce début n’est rien
d’autre que la décision de faire un film, pour le reste il n’y a que le
grand vide, un vide blanc et pur. Puis les premiers personnages et des
situations surgissent. Pendant longtemps, je réfléchis, je gribouille,
je note. Puis je commence à écrire. Je me mets à la place des
personnages, je les mets en difficulté, en imaginant des obstacles. En
même temps, les espaces dans lesquels se situent les personnages se
dessinent et ainsi de suite. En tournant le scénario de quelqu’un
d’autre je devrais sauter toutes ces étapes. Quel serait alors le sens
de mon travail ?
Vous avez dit que WAITER (2006) était un
film en réaction à vos précédentes réalisations et vous avez eu des
propos identiques après BORGMAN. LA PEAU DE BAX est-il un film
anti-Borgman ?
« Anti » n’est pas l’expression adéquate. Quand je commence à
travailler sur un nouveau film, ma première réflexion est toujours : «
là, je vais faire quelque chose de différent ». BORGMAN était
mystérieux, ambigu, métaphysique. Il n’était pas question de refaire la
même chose. J’avais, depuis longtemps, envie de faire un film léger
comme le vent et ce désir s’est à nouveau manifesté ici. Un exercice de
style, une étude de la lumière, de l’espace, de l’eau et du roseau. Deux
hommes avec desfusils, quelques femmes bien sûr et peu de dialogues.
Justement, LA PEAU DE BAX contient nombre d’éléments d’un western. Est-ce que vous aviez l’intention de faire un film de genre ?
Je n’avais pas un film de genre en tête, car il faut alors respecter
les lois du genre et ça ne m’intéresse pas. Mais le principe d’un
western – un homme seul dans un paysage avec un fusil, puis un autre
homme, également armé – m’a toujours fasciné. Parce que c’est du cinéma
pur, sans aucune parole. Je voulais faire quelque chose avec un tueur à
gages, un lac, beaucoup de roseaux. Dans cette idée, on aperçoit déjà
l’univers du western. On peut interpréter le roseau et l’eau comme des
substitutions de la prairie. Et un tueur à gages est en fait un chasseur
de primes. Mais LA PEAU DE BAX est également un jeu d’erreurs, de
malchance et de hasard.
Est-ce que vous voyez beaucoup de films d’autres réalisateurs ?
Ces derniers temps, je vais à nouveau souvent au cinéma. UNDER
THE SKIN, LEVIATHAN, ce sont des films extrêmement forts et
impitoyables, le genre de cinéma pour lequel j’ai un profond respect. Et
puis il y a mes traditionnels cinéastes préférés : Hitchcock, Buñuel,
Melville, Laurel & Hardy, mais aussi de nombreux films dont j’ignore
le nom du réalisateur. De tous ces cinéastes, connus ou inconnus, j’ai
appris quelque chose, de façon consciente ou non.
Dans
vos films précédents vous avez fait construire des maisons entières,
parce que le volume des pièces et des couloirs détermine la psychologie
de l’espace. Vous avez même fait ériger une forêt dans le studio, pour
que tout soit conforme à l’idée que vous aviez en tête. Pour LA PEAU DE
BAX, l’intérieur du bureau de Mertens a effectivement été construit dans
un studio, mais la majeure partie du tournage a eu lieu dans une
réserve naturelle dans le nord des Pays-Bas…
J’ai vu à peu près tous les champs de roseaux des Pays-Bas, mais ce qui
était effectivement fatigant, c’est qu’on obtenait chaque fois presque
l’autorisation de tourner, et au dernier moment cette autorisation nous
était refusée, toujours pour la même raison : nous étions en pleine
période de reproduction du rossignol des rivières, un oiseau menacé.
Chaque fois qu’on nous autorisait à tourner, ce rossignol apparaissait
et, du coup, nous n’avions plus le droit de tourner. Cette bête est
devenue mon ennemi. Je voyais devant moi un énorme oiseau avec un air
méchant : en fait il s’agissait d’un petit oiseau insignifiant.
Pourquoi tourner au milieu des roseaux ?
Je suis presque né au milieu des roseaux, je connais donc bien
cet environnement. Quand on les traverse, ça fait du bruit. On y est
invisible mais pas tout à fait. Quand on se trouve au milieu des
roseaux, c’est le chaos, surtout au soleil, qui crée des milliers de
petites ombres. On s’y perd vite, on manque d’orientation. Le roseau est
un obstacle visuellement intéressant.
La direction artistique est encore plus frappante que dans
vos films précédents : presque tout le monde porte des vêtements
dans des couleurs claires, les intérieurs et les extérieurs
contiennent beaucoup de blanc et de couleur sable. D’où vient cette idée
?
Depuis LES DERNIERS JOURS D’EMMA BLANK (2009) déjà je suis fasciné par
le soleil et l’été. Dans BORGMAN aussi je ne voulais avoir que du
soleil. Je trouve que la violence et les affaires obscures sont
plus intéressantes au soleil que dans l’obscurité.
Mais un été chaud et ensoleillé ne va pas de soi aux Pays-Bas et je
n’ai donc que très partiellement réussi à réaliser cette idée dans les
deux films. Dans LA PEAU DE BAX je voulais à nouveau élaborer ce
concept. Et pas seulement à travers le soleil, mais par une clarté
dominante de l’image. Donc, pour commencer, pas de scènes nocturnes. Le
film se déroule lors d’une seule journée ensoleillée. Et côté lumière,
il ne fallait pas de différence entre les scènes d’intérieur et
d’extérieur.
Dans le vieil Hollywood, avant de travailler en studios, on
construisait les pièces à l’extérieur, sans plafond, et plus tard sur un
plateau afin que le décor puisse tourner avec le soleil. J’aime
beaucoup cette lumière qui vient d’en haut. La maison de Schneider
possède encore un toit classique, la lumière entre normalement, par
les fenêtres. Mais dès qu’on la quitte, tout change. Dans l’entrepôt de
Schneider la lumière vient principalement d’en haut, tout comme dans le
bureau de Mertens. La maison de Bax possède un toit en verre, même
la lumière dans les toilettes vient d’en haut. Quant à la maison dans la
forêt : elle n’a plus de toit du tout.
Vos films sont
une sorte d’entreprise familiale. Votre frère Marc les produit. À partir
de votre troisième film, votre femme – Annet Malherbe 1, qui jouait
déjà le rôle principal dans ABEL, y apparaît régulièrement et elle est
aujourd’hui aussi responsable du casting. Vos enfants et votre autre
frère y ont également participé. Pourquoi cela ?
C’est un processus qui s’est développé au cours des années. Marc et moi
travaillions déjà ensemble au théâtre, depuis notre enfance. Annet est
une très bonne comédienne et elle s’est révélée comme directrice du
casting. Elle m’assiste également pour le maquillage et les
costumes. Vincent a composé la musique de la plupart de mes films, c’est
logique car il le faisait déjà pour mes spectacles. Et mes fils, tous
les deux musiciens, ont composé des sonneries, avec leur groupe Zoutmus,
ainsi que plusieurs chansons qu’on entend dans le film à la radio.
Vous
travaillez depuis longtemps avec le chef opérateur Tom Erisman. Quel
est son apport spécifique ? Est-ce qu’il intervient dans la direction
d’acteurs ? Lorsque vous jouez vous-même, par exemple ?
Pas vraiment, aussi parce qu’Annet [Malherbe] se trouve toujours sur le
plateau pour me (co-) diriger quand je dois jouer. Mais il
apporte certainement des choses particulières. Pour commencer, je
dessine tout le story-board avec Tom. Il pose des questions
élémentaires, ce qui fait que tout le scénario est remis en question,
tout ce qui est superflu saute. Et pendant la réalisation de ce film, on
a beaucoup parlé de la lumière. Un jour, j’ai trouvé une photo dans un
magazine, une polaroid d’un père et son fils faite dans les dunes,
extraite d’un album de famille. Cette lumière d’été très forte donnait
un scintillement à la photo que j’aimais bien. Je l’ai montrée à Tom. Je
lui ai dit : « Voilà ce que je veux, mais sans cet air de nostalgie ».
Tom m’a répondu : « Tu aimes cette photo car elle est floue. » Il était
en plein dans le mille.
L’image du cinéma numérique est d’une netteté glaciale, à mon
grand mécontentement. Cette netteté, on l’a atténuée lors de
l’étalonnage. Et puis les ciels ne devaient pas être bleus, car ça
aurait donné ce sentiment de nostalgie, genre carte postale.
Selon
la doctrine hollywoodienne, il faut d’abord écrire toute la biographie
de chaque personnage… Que savez-vous de vos personnages ? Qu’en
dîtes-vous à vos comédiens ?
Ces biographies, ce n’est pas pour moi, mais je connais les
personnages bien mieux que l’on ne pense. La question est évidemment :
l’acteur doit-il également avoir toute cette connaissance ? Je ne le
pense pas. L’acteur EST déjà le personnage car on l’a choisi pour le
rôle. Kirk Douglas est Spartacus, mais on peut dire aussi que
Spartacus est Kirk Douglas. Je donne de la prise aux acteurs car
ensemble, on construit une mise en espace de la scène, on détermine le
tempo et on supprime quelques phrases.
Vous avez une
façon bien à vous de diriger les acteurs. Pendant le tournage vous
auriez dit à Maria Kraakman, comédienne de théâtre réputée et qui joue
votre fille dans LA PEAU DE BAX, qu’elle ressemblait « à un rectangle »…
J’avais oublié cela. Je l’ai lu dans un entretien qu’elle a donné.
C’était quand elle devait entrer dans la maison, je crois. Elle avait
l’air raide en gardant ses mains droites contre son corps et j’ai donc
vu un rectangle. J’ai dit : « Voilà un rectangle qui entre. » Elle n’a
pas compris. Je lui ai donc montré sur l’écran de contrôle. Là, elle a
tout de suite saisi, et le rectangle a disparu
Pendant sa « mission », le tueur à gages Schneider
s’entretient au téléphone avec son épouse, qui est en train de cuisiner à
la maison. Savez-vous si elle sait quoi que ce soit des activités de
son mari ? Et la comédienne Loes Haverkort est-elle au courant ?
Connaissez vous vous-même la raison de l’assassinat commandité ?
Disons que j’ai interdit à Loes d’exprimer quoi que ce soit
pouvant laisser supposer qu’elle est au courant de ce que fait son mari,
mais au spectateur je n’interdis rien du tout. La raison de
l’assassinat commandité m’est inconnue.
Il n’y a donc aucune signification profonde, il n’y a rien à
expliquer ou à identifier pour le spectateur ? LA PEAU DE BAX parle
quand même du bien et du mal, non ?
Il est évident que LA PEAU DE BAX parle du bien et du mal, mais
d’une façon qui fonctionne presque comme une négation. J’ai voulu
montrer les événements nus, sans dramatisation, sans sentiments, sans
jugement de valeur. C’est justement cette démarche-là qui suscite des
interrogations. Le seul personnage doté d’un peu de conscience morale
est Gina, probablement une prostituée. Une pute qui est honorable, quel
énorme cliché ! Je ne pouvais éviter ça, mais heureusement, ça n’est pas
trop lourd. Le spectateur doit-il interpréter quelque chose ?
Impossible d’y répondre : je ne suis pas le spectateur, je suis le
réalisateur.
Le montage de LA PEAU DE BAX a été effectué par Job ter Burg.
Vous vous trouviez toujours à côté de lui ou est-ce que vous visionniez
des versions déjà montées ?
En principe je suis toujours là pendant le montage. C’est le troisième
film qu’on fait ensemble et on a développé une sorte de système : on
choisit d’abord les meilleures prises, on discute sur la façon dont il
faut procéder. Puis je vais dans mon atelier qui se trouve dans le
bâtiment d’à côté. Il m’appelle quand il veut me montrer une première
version. Je fais mes commentaires et on continue à travailler ensemble.
Il ne s’agit ici que du montage d’une seule scène. Le vrai travail
viendra après : construire un film à partir de toutes ces scènes. Car si
on mettait toutes ces scènes ensemble en suivant littéralement le
scénario, on n’obtiendrait pas un film cohérent. On déplace des scènes,
on en jette beaucoup. Le contenu en tant que tel reste intact, mais la
structure de l’ensemble change radicalement.
Quand on a l’impression qu’une certaine cohérence commence à se
dessiner, on montre le film à trois personnes, pas plus : mon frère
Marc, également producteur de mes films, et deux amis. J’ai
beaucoup d’estime pour leurs opinions. Ils peuvent tout dire, d’ailleurs
c’est ce qu’ils font. Nourris par leurs remarques, on retourne à la
table de montage. Après, on prend encore à peu près trois ou quatre
semaines avant de franchir un grand pas en organisant une
deuxième projection réunissant, au maximum, trois ou quatre personnes.
Les deux amis de la première projection ne sont plus invités. Leur
opinion est « infectée » parce qu’ils ont déjà vu la première mouture.
Cette procédure, on la répète environ huit fois pendant une période
d’un peu plus de quatre mois.
Quel était le plus grand défi de LA PEAU DE BAX ?
L’absence de nuit. Le film commence dans la lumière de l’aube et se
termine dans celle de l’après-midi. C’est une énorme
contrainte, notamment pour l’équipe de tournage. En fait, il est
impossible d’obtenir la continuité d’une seule journée ensoleillée lors
d’un tournage qui dure 45 jours, avec des jours de soleil et sans
soleil, avec des jours de pluie. Ça a provoqué également des problèmes
lors du montage. Dans un film « normal », avec des scènes de nuit, on
peut jouer plus facilement sur la structure et la continuité. Après une
scène de nuit, on peut recommencer de nouveau, pour ainsi dire. C’était
beaucoup plus difficile dans ce film.
Vous êtes déjà en train de travailler sur votre prochain film ?
En ce moment, je suis en train d’écrire un spectacle de théâtre, une collaboration entre ma compagnie Le Chien mexicain et la compagnie d’Anvers, l’Olympique Dramatique, dont les répétitions commencent en janvier 2016. De temps en temps, je prends des notes pour mon nouveau film.
Une dernière question : votre personnage dit à sa fille « Le
muesli me déprime, le muesli c’est pour les chèvres ». C’est une
phrase autobiographique ?
Ça pourrait bien être autobiographique.
Entretien réalisé par Jan Pieter Ekker, juillet 2015