Film recommandé

Irradiés

Rity Panh

Distribution : Les Acacias

Date de sortie : 26/01/2022

France - Cambodge / 2020 / 1h28 / Scope / 5.1 - Film interdit aux moins de 12 ans avec avertissement

La vie d’un survivant est quelque chose d’indicible. Mais il faut vivre et aborder cette irradiation dont on ne trouvera peut-être jamais la cause ni les propriétés, et dont on ne pourra peut-être pas se protéger. Mais pour le bien de l’humanité, il est nécessaire de faire l’expérience de toutes les formes de mal et de les comprendre – des tranchées aux atolls, des camps au silence. Le mal irradie. Il blesse – jusqu’aux générations suivantes. Mais au-delà, il y a l’innocence.

Prix du meilleur documentaire – Berlinale 2020

Danseur de butō Bion
Voix : André Wilms, Rebecca Marder de la Comédie-Française

Réalisation Rithy Panh • Scénario Rithy Panh, Agnès Sénémaud, Christophe Bataille • Image Mesa Prum, Rithy Panh • Montage Rithy Panh, Socheat Cheng • Musique Marc Marder • Son Eric Tisserand • Assistant réalisateur Socheat Cheng • Productrice Catherine Dussart • Société de production CDP • Coproducteurs Rithy Panh, Emmanuel Migeot, Clémence Coppey • Sociétés de coproduction Anupheap Production (Phnom Penh), France 3 (Paris)

Rithy Panh

Né en 1964 à Phnom Penh au Cambodge, Rithy Panh est interné à l’âge de 11 ans, comme tous les Cambodgiens, dans les camps khmers de réhabilitation par le travail. Quatre ans plus tard, en 1979, il parvient à s’échapper et arrive au camp de réfugiés de Mairut, en Thaïlande. Un an plus tard, il s’installe en France et en 1985, il entre à l’IDHEC. Devenu réalisateur, il possède aujourd’hui la double nationalité. Il a dédié la plupart de ses films à son pays d’origine, traumatisé par un génocide d’une violence extrême – 2 millions de Cambodgiens, soit un sur quatre, exterminés en quatre ans. « Sans cette guerre, je ne serais jamais devenu cinéaste. Je témoigne pour rendre aux morts ce que les Khmers rouges leur ont volé. Je suis un passeur de mémoire en dette vis-à-vis de ceux qui ont disparu. »

Filmographie


1989 SITE 2
1990 SOULEYMANE CISSÉ
1991 CAMBODGE, ENTRE GUERRE ET PAIX
1994 LES GENS DE LA RIZIÈRE
1995 LA FAMILLE TAN
1996 BOPHANA, UNE TRAGÉDIE CAMBODGIENNE
1997 UN SOIR APRÈS LA GUERRE
1997 LUMIÈRES SUR UN MASSACRE – 10 FILMS CONTRE 100 MILLIONS DE MINES
1998 VAN CHAN, UNE DANSEUSE CAMBODGIENNE
1999 LA TERRE DES ÂMES ERRANTES
2000 QUE LA BARQUE SE BRISE, QUE LA JONQUE S’ENTROUVRE
2002 S21, LA MACHINE DE MORT KHMÈRE ROUGE
2003 LES GENS D’ANGKOR
2005 LES ARTISTES DU THÉÂTRE BRÛLÉ
2006 LE PAPIER NE PEUT PAS ENVELOPPER LA BRAISE
2008 UN BARRAGE CONTRE LE PACIFIQUE
2010 DUCH, LE MAÎTRE DES FORGES DE L’ENFER
2011 GIBIER D’ÉLEVAGE
2013 L’IMAGE MANQUANTE
Festival de Cannes 2013 – Prix Un Certain Regard
Oscars 2014 – nommé pour le Meilleur film en langue étrangère
2015 LA FRANCE EST NOTRE PATRIE
2016 EXIL
Festival de Cannes 2016 – Sélection officielle – séance spéciale
2018 LES TOMBEAUX SANS NOMS
Festival de Venise 2018 – Giornate degli Autori
Festival de Namur 2018 – Prix spécial du jury et Bayard de la meilleure photographie
2020 IRRADIÉS
Prix du meilleur documentaire – Berlinale 2020

NOTE D’INTENTION

Parfois, la nuit, dans le silence et l’immensité de la pénombre, je ressens une vague d’angoisse monter en moi, qui s’enroule autour de moi et me submerge.
Je lutte, en tentant de reprendre ma respiration et de remonter à la surface, mais si j’ai échappé à la noyade, la pierre noire de la mélancolie se cristallise au plus profond de moi, aussi lourde que le chagrin.
Affronter l’innommable est comme un cri. Mais tout n’est pas compréhensible. J’ai mal à la tête.

Quand on est rescapé d’un génocide, on a le sentiment de se confondre avec les restes du festin macabre des tueurs – d’être un rebut. D’échapper à la vigilance des tueurs. Comme dans cette mauvaise blague : « Ils auraient dû finir le boulot ! » La pourriture issue du massacre. Une anomalie dans le système. Comme ces bœufs marqués pour l’abattage, qui parfois réussissent à échapper à l’abattoir de La Villette et s’enfuient, apeurés, dans les rues de Paris…
La peur obsédante d’être aspiré dans le néant. La peur de mots qui s’étouffent dans votre gorge.
Pour que la vie ne soit plus qu’un vestige.
Je porte cette douleur. Elle est lourde, mais elle est logique. Elle fait partie de moi et elle donne de la force à ma vision du monde. Elle s’exprime à chaque instant de ma vie, à chacune de mes créations, avec la hantise de l’oubli et l’angoisse de la trahison.
J’ai connu la tentation du silence et du repli sur moi-même. L’acceptation du désespoir et de la mélancolie.
Une plongée vertigineuse dans la solitude.
Où l’être humain ne peut être que maléfique.
Le silence ne m’a pas permis de retrouver mes morts, ou de vivre.
La violence extrême et totale affecte les individus au plus profond de leur être, de leur âme. Et ce poison se transmet de génération en génération.J’ai le sentiment d’être irradié.
Nous devons apprendre, raconter et aimer, encore et encore…
Il faut cesser d’être un objet. Cesser d’être un rebut, un vestige.
Il faut pouvoir s’affirmer.
Malgré la présence étrange de la mort dans son cœur.
Peut-on entendre cette histoire ? Rien n’est moins sûr.

J’ai eu l’idée d’un film sur la bombe (atomique) et l’anéantissement.
Avons-nous pris la mesure de la folie destructrice du XXème siècle ? Pas vraiment.
Qu’avons-nous retenu de notre capacité à nous autodétruire ? Presque rien.
Je voulais parler des bombes comme d’un pouvoir humain de destruction massive. La violence implacable des bombardements pendant la guerre du Vietnam, la catastrophe nucléaire d’Hiroshima, la génocide cambodgien, comparable à une bombe qui fragmente l’âme.

Nota Bene : Certains rescapés qui ont écrit sur Hiroshima ont fini par se suicider, ainsi que d’au-
tres témoins qui ont écrit sur d’autres catastrophes (Haraguchi Kikuya, Hara Tamiki… Primo Levi,
Jean Améry, etc.)

Sur une stèle du Mémorial d’Hiroshima, on peut lire ce poème de Tôge Sankichi :
Un témoignage vivant, et puis…
Je dirais qu’ils ont choisi de mourir dignement, sans trahir les morts. De mourir dignement et de ne pas s’abandonner à la souffrance et à la tragédie de l’histoire.

Rendez le père
rendez la mère
rendez les vieux
rendez les enfants
rendez moi-même
et ceux qui me sont liés
les humains rendez-les
tant qu’il existe des humains
un monde des humains
la paix qui ne puisse se détruire
rendez-là

Poèmes de la bombe atomique (Éditions Laurence Teper, 2008)
Traduit du japonais par Ono Masatsugu et Claude Mouchard