Alors qu’il avait totalement disparu, Phillip revient à la maison au bout d’une semaine, blessé au pied, sans aucune explication ni un mot pour sa mère, Astrid. Profondément affectée et avec l’aide d’un professeur de Philip, elle cherche à répondre à des questions a priori insolubles : où était-il passé ? À quoi a-t-il bien pu vouloir se confronter ?
Festival de Berlin – Ours d’argent de la meilleure réalisation
Festival de San Sebastian – Meilleur film
Festival international de Mar del Plata – Meilleure réalisation
Toronto International Film Festival – Sélection officielle
Avec : Maren Eggert, Jakob Lassalle, Franz Rogowski, Lilith Stangenberg, Alan Williams, Jirka Zett, Dane Komljen
Réalisation et Scénario Angela Schanelec • Image Ivan Markovic • Costumes Birgitt Kilian, Monika Münnich • Casting Ulrike Müller • Décoration Reinhild Blaschke • Montage Angela Schanelec • Son Andreas Mücke-Niesytka, Rainer Gerlach • Producteur exécutif Jana Cisar • Productrice Angela Schanelec • Coproduction Nachmittag Film, Dart Film & video doo • Production déléguée ZDF / 3sat
Angela Schanelec
Née en 1962 dans le Sud de l’Allemagne, elle suit des études de théâtre à Francfort-sur-le-Main puis se produit au Théâtre Thalia de Hambourg et à la Schaubühne de Berlin. Elle étudie ensuite la réalisation de 1990 à 1995 à l’Académie allemande du film et de la télévision de Berlin. Elle enseigne le cinéma narratif à l’Université des Beaux-Arts de Hambourg. Ses films ont été projetés à la Berlinale, au festival de Cannes et au festival de Locarno.
Filmographie
Longs métrages
2019 J’étais à la maison, mais… Ich war zu Hause, aber…
2016 Le chemin rêvé Der traumhafte Weg
2010 Orly
2007 Après-midi Nachmittag
2004 Marseille
2001 Ma vie lente Mein langsames Leben
1998 Des places dans des villes Plätze in städten
1995 Le Bonheur de ma soeur Das Glück meiner Schwester
Courts et moyens métrages
2014 Les Ponts de Sarajevo / Princip Text
2009 Deutschland 09 / Erster tag
1993 Tout un été à Berlin Ich bin der sommer über Berlin
1992 Prague, mars 92 Prag, März 92
1991 Loin Weit entfernt
1991 Une belle couleur jaune Schöne gelbe Farbe
ENTRETIEN AVEC ANGELA SCHANELEC
J’ai vu votre dernier film, J’étais à la maison, mais…, et il y a plein de choses à en retenir. Il s’ouvre sur une scène pastorale, avec des animaux de la ferme, un âne, notamment. Je sais que vous aimez beaucoup Robert Bresson. Est-ce que vous avez pensé à Au hasard Balthazar en faisant ce film ?
Vous savez, Au hasard Balthazar est un des plus beaux films jamais réalisés. Le premier film de Bresson que j’ai vu était L’Argent. Il m’a profondément impressionnée. Il a soulevé beaucoup, beaucoup de questions en moi, non seulement sur la réalisation de films, mais sur la vie. Puis j’ai vu d’autres de ses films. La dernière scène dans Au hasard Balthazar,où cet âne va mourir… je veux dire, il n’y a rien de plus à dire. Mais cela fait longtemps que j’ai vu ce film… En même temps, un âne, c’est un âne, vous voyez ? Rien de plus. Peut-être que je voulais m’en libérer (de Bresson), en le montrant. L’idée originale n’était pas Balthazar. Mais j’avais cet âne Bressonien en tête depuis longtemps. Et puis il y a ce conte allemand, ces animaux de basse-cour qui vivent tous dans une maison, il y a un âne, un chien, etc.
Vous voulez dire Les Musiciens de Brême ?
Oui. C’était ça, l’idée, pour moi. Les humains n’en veulent plus parce qu’ils sont vieux. Alors ils se trouvent, mutuellement, et ils vivent ensemble dans une maison. Il y a plusieurs influences dans cette scène.
Je l’ai trouvé très intéressante. Par rapport à Balthazar, je l’ai interprété comme si l’âne protégeait le chien, dont la nature est de mettre les plus petits animaux en pièce. Comme si l’âne était là pour tout pardonner.
Oui.
Comme s’il était un protecteur. C’est ce que j’ai ressenti en voyant cette scène. J’ai trouvé ça très beau. On dirait que le chagrin et la mort sous-tendent tout le film. Est-ce que c’était votre point de départ pour ce film, quand vous avez commencé à l’écrire ?
Le point de départ était l’image de ce garçon, de 13 ans environ, qui revient. Je l’ai vu tout sale à un carrefour, qu’on ne voit pas dans le film aujourd’hui. Bon, et qu’est-ce que ça veut dire ? Et oui, j’ai un fils, mais il n’a jamais disparu. Peut-être que cette image m’est venu en négatif du fait qu’il n’a jamais disparu, ou par peur qu’il aurait pu disparaître. Et puis j’ai écrit scène par scène, et c’est comme ça que le film est arrivé. Je n’ai jamais eu l’intention d’écrire sur le chagrin.
Ah non ?
Non, vraiment. C’est arrivé au cours de l’écriture. Donc il revient à la maison, et qui y a-t-il d’autre ? Une mère et une petite sœur. Qui d’autre ? Personne. Un chien, mais pas de père.
Je trouve également les choix de couleurs dans le film très frappants. La veste du garçon est jaune, celle de la fille est rouge vif. Toutes les images que vous construisez dans vos films me fascinent vraiment. Dans la mesure où vos films ne sont pas vraiment axés sur la narration, plutôt fragmentés, cela fait longtemps que je voudrais savoir à quoi ressemble votre procédé de rédaction. Comment approchez-vous votre sujet ? Comme vous dites, vous le construisez à partir d’une image spécifique dans votre esprit ?
Oui. Au départ il y a une image, puis cette image génère la suivante. Mais je dirais que les images ne sont pas si importantes. Mon approche ne met pas l’accent sur ces images. Une veste jaune, c’est juste une veste jaune. Il n’y a rien derrière, j’ai envie de dire. Vous voyez ce que je veux dire ? Le jaune est ressenti en jaune parce qu’il est jaune, il n’a pas besoin de…
Il n’a pas besoin de symboliser quoi que ce soit…
Oui, et je crois que c’est très important de le réaliser.
La fameuse école de Berlin, à laquelle vous et un certain nombre d’autres réalisateurs et réalisatrices allemands, telle que je la vois, telle que je l’ai toujours perçue, est une école de la vie éphémère, de la perte d’identité et de la recherche d’identité. Dans vos films, je retrouve aussi beaucoup cette thématique. Avez-vous une affinité particulière avec cette école ? Ou est-ce que ce sont juste les critiques et les spécialistes qui vous classent ensemble ?
Au début, quand cette étiquette est apparue, il n’y avait que Christian [Petzold], Thomas [Arslan] et moi, et on se connaît parce qu’on a commencé à peu près en même temps. Christian et moi n’avons jamais été très proches mais je suis toujours amie avec Thomas. Mais nous ne parlons pas beaucoup de notre travail. Enfin, quand on a commencé à se fréquenter on parlait de films et de nos intérêts communs dans le cinéma, à Thomas et moi. On ne s’impliquait pas vraiment dans les films l’un de l’autre – je parle d’écrire un script ensemble, ce genre de choses. On voyait les films l’un de l’autre une fois qu’ils étaient faits. Mais après, tout ce qui était tourné en Allemagne qui n’était pas de la comédie a été considéré comme l’école de Berlin [rires], et ils ont aussi trouvé des moments drôles dans mes films, donc… [rires] Vous voyez, c’est devenu tellement générique que ça ne veut plus dire grand-chose.
Si ce ne sont pas les thématiques que l’on retrouve, j’ai l’impression que c’est un truc générationnel – vous avez tous grandi avec le Mur de Berlin, vous avez vécu sa chute en 89, et il y a cette sorte de séparation… Quand je regarde vos films, ceux de Arslan ou de Petzold, j’ai toujours eu le sentiment que cela jouait beaucoup. Mais dans J’étais à la maison, mais… Je ne l’ai pas ressenti. Je peux dire qu’il y avait un contexte historique à la séparation dans votre dernier film, Le Chemin rêvé. Mais je ne retrouve pas vraiment ce contexte historique dans ce nouveau film. Est-ce que je me trompe ?
Je pense que c’est vrai. Je veux dire, vous avez raison de souligner que Christian, Thomas, et moi appartenons à la même génération, qui a commencé à faire des films dans les années 90. À la différence de Christoph Hochhäusler ou Ulrich Köhler, parce qu’ils font partie de la génération de réalisateurs suivante. Nous n’avons que dix ou quinze ans d’écart, mais ça joue beaucoup. Vous avez raison aussi sur le fait que nous avons commencé dans les années 90, alors que l’Allemagne était saturée de comédies, ce qui joue aussi. Mais le temps a coulé depuis. Aujourd’hui il n’y a plus de connexion entre les films de Thomas, ceux de Christian et les miens. C’est pour ça.
Maren Eggert, cette actrice qui a joué dans beaucoup de vos premiers films, incarne le personnage principal, Astrid. Je suis curieux de connaître votre routine de travail avec elle. Est-ce qu’elle sait ce que vous essayez de faire de chacun de vos films à l’avance ? [Elle secoue la tête.] Non ?
Mais elle ne peut pas, parce que moi-même je ne le sais pas.
Ce n’est pas écrit dans le script comme… ?
Non, le script est écrit précisément, les dialogues sont rédigés comme vous les entendez. Rien n’est improvisé. La longue scène avec elle et sa fille, par exemple. Je veux dire, elle l’a apprise, elle a appris le texte, mais elle ne peut pas savoir car moi-même je ne sais pas.
Intéressant.
Et la différence entre elle et les autres acteurs, c’est qu’elle me fait sentir qu’elle me fait confiance. Elle ne pose pas de questions. Elle prend la scène qu’on lui donne et elle s’y laisse aller. Elle n’a pas peur, probablement parce que nous nous connaissons depuis longtemps maintenant. Elle sait qu’elle n’a rien à prouver avec moi. C’est toujours le cas quand vous travaillez avec un acteur ou une actrice pour la première fois, il ou elle veut vous prouver quelque chose. Et ça n’a pas de sens. On parle de situations, de phrases, de choses pratiques qui doivent arriver devant une caméra. Il ne s’agit jamais d’interprétation, jamais de sens, jamais de la direction que l’on prend. Maren ne pose pas ces questions parce que les films ne sont pas soumis à la direction que l’on choisit de prendre. [rires] C’est une scène. Puis une autre scène.
Et c’est pareil quand vous dirigez des enfants ?
Oui. Dans J’étais à la maison, mais… comme dans Le Chemin rêvé, j’ai travaillé avec de très jeunes acteurs. À Maren je donne le script, parce que je la connais et que nous avons une relation de confiance. Mais je ne donne pas le script complet aux autres acteurs. Parce que ça n’a pas de sens. Ça n’apporte rien. Au contraire, s’ils avaient le script, il y aurait davantage de questions contradictoires qui serait contre-productives pour le projet. Alors, pour les enfants, pas de script. Ils n’en ont pas besoin.
C’est fascinant de vous entendre dire ça, parce que quand j’ai vu vos films, j’ai émis toutes sortes de théories sur la manière dont vous gérez vos films. C’est très utile. Il y a beaucoup d’images qui me frappent dans ce film, celle, récurrente, de la couronne, notamment. Je ne veux pas vous demander ce que cela veut dire, mais en quoi est-elle connectée au film ?
La couronne…
Je pensais également à Balthazar à nouveau, à la couronne de fleurs que la jeune fille pose sur l’âne.
Présenter une couronne à quelqu’un est un très beau geste. Parce que vous le rendez très indépendant et fort, en un sens. Parce qu’un roi n’a pas besoin qu’on lui dise ce qu’il doit faire, ou quoi que ce soit. Enfin, vous pouvez le lire de cette manière, mais c’est plus complexe que cela, vous savez. La couronne veut dire « J’existe, et je n’ai pas besoin que tu… ».
Non, c’est vrai. C’est pour cela que cette scène est belle, et un vrai crève-coeur aussi, parce qu’il lui dit : « Donc tu m’aimes, et je comprends que tu ne veuilles pas d’enfants, mais du coup, que restera-t-il une fois que nous ne serons plus là ? », ça m’a vraiment marqué.
Oui. Mais il n’y a rien de plus à dire de cette scène. Cette jeune femme qui décide de ne pas avoir d’enfant, c’est l’anti-reflet d’Astrid.
Une autre scène que j’ai beaucoup aimée est celle d’Astrid dans la cuisine, avec les enfants qui mettent le bazar, et juste, elle craque. Les enfants essaient de la consoler mais elle les repousse. C’est dur pour des enfants.
Il y a une chose que je ressens très fortement, c’est que les enfants ne jugent pas. Ils n’en sont pas capables, parce qu’ils ont besoin de la mère. À un moment de leur vie, ils se mettent à juger, mais je pense que cela se produit à un moment existentiel pour eux. Dans ce film, ils ne jugent pas. Et le fait qu’ils soient deux compte aussi beaucoup. Ils sont, l’un l’autre. Ça les rend plus forts, mais aussi plus généreux. Je ne voulais pas non plus que cette scène de la cuisine soit un tournant du film. On la retrouve le lendemain matin et c’est toujours la même personne. Cette scène n’est pas une sorte de béquille, comme si elle allait tout résoudre à partir de là. Non, rien ne peut se résoudre. Et la vie continue. En dramaturgie cinématographique, ce serait un retournement de situation, un plot point. Mais ce n’en est pas un. Ce n’est pas assez essentiel pour être un retournement de situation. C’est une scène avec des êtres humains. Ils auront peut-être plus tard une épiphanie, mais là, ils ne peuvent pas le savoir. Et moi non plus.
« M’approuves ? »
Oui. Alors, donner une couronne à des enfants, c’est encore plus beau. Mais on ne peut pas le faire comme ça dans la vraie vie. Shakespeare m’a donné une chance de le faire. Et pour aller un peu plus loin, il y avait un garçon au supermarché, et je n’ai pas eu besoin de Shakespeare puisqu’il y avait déjà une couronne dans le film.
J’ai trouvé cela très beau. C’est une image saisissante. Cette couronne dans la boue, et ce gardien qui la ramasse. J’ai adoré cette scène. J’ai adoré la scène sur le parking avec les profs, dont je devine que l’un est en train de déclarer son amour à l’autre, et ça m’a brisé le cœur. Comment en êtes-vous venue à cette scène, et comment la reliez-vous au reste du film ?
C’est la question de la maternité qui les lie. Elle est présente très tôt dans le film. Je veux dire… C’est plus complexe que cela. Lorsque la mère ne veut pas avoir un enfant, ça s’arrête là, tout de suite. Chaque homme, chaque garçon a une mère. Il y a tellement d’aspects à cela. Le fait que, dans notre société aujourd’hui, on a arrêté d’accepter ce que la nature veut bien nous donner. L’idée que « j’ai le droit d’avoir un enfant » et « si la nature ne me le donne pas, pour je ne sais quelle complication physique, la médecine moderne va me le donner. » Cette idée m’est très étrange. Le fait que nous n’acceptions plus ce qui nous est donné. Et d’un autre côté, dans cette scène, elle se comporte à l’inverse. Physiquement, elle peut devenir enceinte et elle peut donner naissance mais elle ne veut pas d’enfants. Voilà comment cette scène est arrivée. Je m’intéressais à cette femme qui dit « non ». Il est impossible à cet homme de le comprendre, mais ça ne détruit pas son amour pour elle.
Intéressant. Il s’est passé six ans entre Orly et Le Chemin rêvé, et trois entre Le Chemin rêvé et J’étais à la maison, mais… . Pourquoi ? Et quel est votre prochain projet ?
Oui, je travaille sur un nouveau scénario. Mais la longue période entre Orly et Le Chemin rêvé a été douloureuse. C’est une longue histoire. Il n’y avait pas de financement, et j’avais trois producteurs. J’avais déjà écrit J’étais à la maison… avant de tourner Le Chemin rêvé. Et quand j’ai tourné Le Chemin rêvé, il y avait ces scènes d’été au début et à la fin du film. Mais la plupart des scènes ont été tournées en octobre et novembre, donc il a fallu attendre six mois de plus pour tourner les scènes d’été en Croatie et dans une autre partie de l’Allemagne pour finir le film. J’ai eu aussi des périodes libres où j’ai pu réfléchir à un nouveau film. Il est basé sur le mythe d’Œdipe. Aujourd’hui, on associe Œdipe à Freud, mais ce n’est pas le cas dans mon histoire. La première partie de l’histoire parle d’un enfant perdu qui grandit sans connaître ses vrais parents, qui tue accidentellement son père, rencontre par hasard sa mère et tombe amoureux d’elle, sans savoir qui elle est. C’est la première moitié du film. Ensuite ils ont un enfant et comprennent qui ils sont l’un pour l’autre.
par Dustin Chang – Screenanarchy