Vasil, artiste peintre septuagénaire vient de perdre son épouse Ivanka.
Persuadé que celle-ci cherche à entrer en contact avec lui depuis l’au-delà, Vasil demande l’aide d’un medium bien connu, faiseur de miracles pour les uns, charlatan sectaire pour d’autres.
Son fils Pavel tente de le ramener à la raison mais Vasil insiste obstinément pour faire les choses à sa manière…
Pavel Ivan Barnev • Vasil Ivan Sanov • Docteur Hristofor Nedkov • Kalina Margita Goshevan
Musique Hristo Namliev • Costumes Ivelina Mineva • Montage Petar Valchanov • Chef décorateur Vanina Geleva • Son Ivan Andreev • Directeur de la photographie Krum Rodriguez •
Producteurs exécutifs Kristina Grozeva, Poli Angelova, Elena Mosholova • Produit par Kristina Grozeva, Petar Valchanov, Konstantina Stavrianou, Irini Vougioukalou • Scénario & réalisation Kristina Grozeva & Petar Valchanov
Kristina Grozeva et Petar Valchanov
Un couple de scénariste-producteur réalisateur basé à Sofia, en Bulgarie. Ils se sont rencontrés pour la première fois à l’Académie nationale des arts du théâtre et du cinéma et travaillent ensemble depuis ce moment-là. En 2009, ils ont lancé leur société de production Abraxas Film. Leur objectif est de produire des courts métrages, des longs métrages et des documentaires avec des personnages mémorables et des histoires captivantes qui sont à la fois amusantes, bouleversantes et touchantes. Leurs films sont inspirés de coupure de journaux illustrant l’absurdité de la vie dans la Bulgarie post-communiste.
Leur premier court métrage, Jump (2012), est devenu le premier film bulgare jamais nominé pour le Prix du cinéma européen.
Leur premier long métrage indépendant à microbudget The Lesson (2014) et le suivant Glory (2016) ont remporté de nombreux prix aux festivals de Saint- Sébastien, Tokyo, Locarno, Göteborg, Varsovie, Édimbourg, Les Arcs…
ENTRETIEN
par Stefan Dobroiu, publié sur Cineuropa.org, complété par Urban Distribution
Cineuropa : Quand nous avons parlé du film pour la première fois sur Cineuropa, alors qu’il était à l’état de projet, vous avez dit que l’histoire était très personnelle. Pouvez-vous nous en dire plus sur ce point ?
Kristina Grozeva : L’incident qui a donné lieu à ce film vient de faits qui sont survenus le jour de l’enterrement de la mère de Petar. Sa voisine s’est mise à recevoir des messages sur son téléphone et quand elle les a vus, elle s’est exclamée, abasourdie, et les a montrés à tous ceux qui étaient à la cérémonie : l’appel venait du numéro de la mère de Petar, ce qui était évidemment impossible. Et pourtant, pendant une seconde ou deux, nous avons tous frémi : nous voulions tous ce que ce soit vrai. Nous avons été fascinés par la facilité avec laquelle une personne tout à fait rationnelle peut se laisser prendre par le surnaturel, si celui-ci offre une sorte d’espoir ou de guérison à sa douleur. C’est ainsi que la graine de l’idée a été semée, mais ce n’est que quatre ans après que nous avons décidé de revisiter ce thème, et envisagé activement d’en faire un film.
Vous avez intitulé votre film The Father (La saveur des coings) alors que toute l’histoire est racontée du point de vue du fils, joué par Ivan Barnev. Pourquoi ?
Petar Valchanov : Comme la plupart des gens, nous vivons tous les deux dans un conflit perpétuel et impossible à résoudre, entre enfants et parents, tous les jours, or nous le connaissons mieux à partir de notre perspective, qui est celle d’une fille et d’un fils. À l’école de cinéma, on vous apprend très vite à raconter des histoires sur ce qu’on connaît, parce que c’est la seule manière d’être complètement honnête. Nous avons juste suivi cette règle de base.
Dans votre scénario, il y a des commentaires sur les «communistes» qui sont toujours au pouvoir et sur le système de santé. Pensez-vous que c’est le devoir du cinéma que de changer la société en explorant ses problèmes ?
K.G. : Ce choix vient plutôt de notre besoin personnel d’évoquer différents sujets et problèmes qui affectent notre société. À travers nos films, nous essayons de fournir un tableau de la vie réelle, de peindre une image de l’individu contemporain qui vit dans ce petit territoire, à l’est de la péninsule des Balkans. Et cet individu, nous le voyons comme très troublé. Notre société est déchirée par des extrêmes, qui vont de la haine profonde à la dévotion douloureuse, et les gens n’ont pas confiance dans les institutions (police, système de santé…). C’est pour ça qu’ils préfèrent souvent se fier au premier magicien ou guérisseur qui passe.
Cinq ans ont passé depuis votre premier long-métrage. Avez-vous vu desaméliorations dans la manière dont l’industrie du film bulgare fonctionne ?
K.G. : Grâce aux efforts d’un groupe de réalisateurs, il y a quelques années, le Centre de la cinématographie de Bulgarie a enfin mis en place un concours pour les productions à petit budget. L’idée est de donner des bourses plus petites à davantage de projets. Comme prévu, ceci a donné beaucoup d’élan aux réalisateurs bulgares, et permis la création de films primés comme 3/4 d’Ilian Metev et Taxi Sofia de Stephan Komandarev. Notre deuxième film, Glory, a également été financé grâce à ce concours. On parle actuellement d’opérer des changements dans la Loi sur l’industrie du film : nous espérons que cela va mener à des améliorations.
Urban distribution : Le coing, ce fruit amer et immangeable qui devient délicieux, subtil et sucré quand on le travaille longuement est-il une parabole du destin des personnages ?
P. V. : Le coing est un fruit très courant en Bulgarie, surtout pendant l’automne, la saison durant laquelle le film a été tourné. C’est une tradition ici de faire de la gelée, de la compote, ou du rakia, un alcool de fruit très populaire dans les Balkans. Mais vous le soulignez, le coing est un fruit immangeable à moins que vous ne le travailliez. Cela est un miroir des relations humaines dans le récit. Le coing devient symbole du pont entre les générations, mais également entre les membres de la famille d’ici et de l’au-delà.
Le personnage du fils veut toujours faire le bien autour de lui, tente de ne pas blesser les gens qu’il aime, mais échoue finalement à cause de ses mensonges. Pouvez-vous en dire plus ?
P. V. : Le film démarre avec un mensonge puis on se rend compte que le mensonge est structurel au personnage du fils. Probablement il a de bonnes raisons de mentir dans cette histoire mais cela lui échappe. Il devient un menteur compulsif probablement à cause de son comportement soumis à autrui. Nous connaissions un gars qui ne savait dire non à personne, et il y a tant de gens comme ça. Pour parvenir à fonctionner ainsi vous devez mentir tout le temps, même si vous oubliez le mensonge originel. Mais nous espérons au long du film que le personnage évolue, même lentement, jusqu’à se libérer lui-même de cette dépendance. Glory et La Saveur des Coings sont sur cet étonnant fil rouge entre la tragédie et le burlesque (avec même des scènes de poursuite qui évoquent celle des grands du burlesque comme Buster Keaton).
Quels cinéastes sur le même fil vous ont inspirés ?
P. V. : On adore le cinéaste soviétique (désormais géorgien) Georgiy Daneliya . Il était le maître pour mélanger les tragédies et les absurdités de la condition humaine dans des films absolument fabuleux et profondément humanistes comme Don’t Grieve, Mimino, et la satire Kin-Dza-Dza. Le problème de la communication moderne est partout dans le film ; le père est obsédé par le dernier appel de sa femme, le fils est toujours en ligne avec sa femme ou avec ses collègues.
Pouvez-vous en dire plus ?
P. V. : Nous trouvons fascinant le fait que plus le monde est interconnecté – nous sommes connectés tout le temps – plus l’incommunicabilité entre les gens grandit à cause des technologies de communication qui aggravent les choses. Cette incommunicabilité est un des thèmes centraux du film. Ce n’est pas limité aux aspects technologiques. Pavel et Vasil ne sont jamais proches. Il est implicite que Pavel était plus proche de sa mère, mais pourtant il n’était pas en contact avec elle depuis un bout de temps. Vasil lui-même n’est pas proche de grand monde, enfermé dans son personnage d’artiste solitaire. Et la racine du problème c’est qu’ils sont déconnectés de leur moi intérieur. Ca arrive à beaucoup de gens et c’est à la fois drôle et triste. La communication est brisée et pour la rétablir, il faut d’abord parvenir à se parler à soi-même.
Est-ce compliqué d’être un couple de cinéma autant en tant que scénaristes, réalisateurs, et producteurs ? Chacun de vous a un rôle spécial ou vous discutez de tout ?
P. V. : Avec nous, cela s’est passé naturellement. Nous avons commencé à écrire ensemble quand nous étions étudiants à l’Académie Nationale de théâtre et arts filmiques (NAFTA), peu de temps après que nous nous soyons rencontrés. Comme cela fonctionnait très vite ensemble, nous avons persévéré. C’est toujours mieux d’avoir plus d’un point de vue pour créer des scénarios et des personnages. Nous avons tendance à ne pas trop préciser à outrance nos histoires. Nous utilisons le scénario comme un pilier solide, mais laissons de l’espace pour développer durant le tournage. Normalement Kristina est plus sur le travail avec les acteurs et Petar sur la mise en scène, bien que ce ne soit pas une séparation stricte des tâches mais plus une tendance. Nous aimons rester ouverts à quelques improvisations suggérées par les acteurs et aux surprises et développements inattendus qui naissent sur le tournage. Nous préférons explorer une idée, même si elle n’est pas dans le script, pour être sûrs que nous n’ayons pas de regret de l’avoir abandonnée. Parfois nous jouons à bon flic/mauvais flic. Occasionnellement nous détournons la responsabilité sur l’autre quand par exemple nous avons une divergence épuisante avec un membre de l’équipe, nous rétorquons « c’est Peter qui l’a dit » ou « c’est Kristina qui l’a dit ». Autrefois nous avions l’habitude de dire « Coupez » ensemble. Maintenant on a pris parfois l’habitude de ne rien dire ce qui est un cauchemar pour les acteurs. Mais c’est bien non de les faire sortir de leur zone de confort.
Pouvons-nous parler des road movies où le destin des personnages bascule au long du voyage ?
P. V. : Il y a plein de films majeurs dans le genre road movie comme le Nebraska d’Alexander Payne , le Paris Texas de Wim Wenders, et même Kin Dza-Dza de Georgiy Daneliya. Dans notre cas, le road movie est une des composantes d’un mélange de genre. Quand nous écrivions le script, nous nous rendions compte que nous tendions vers un road movie tragicomique post communiste. Mais au fur et à mesure que les personnages évoluent on se rend compte que le film transcende un genre.