Film recommandé

Le Capitaine Volkonogov s’est échappé

Natalia Merkoulova et Alexeï Tchoupov

Distribution : Kinovista

Date de sortie : 29/03/2023

RUSSIE / FRANCE / ESTONIE - 2022 - 2h05

URSS, 1938. Au pic de la Grand Terreur, Staline purge ses propres rangs.
Se sachant à son tour condamné, le Capitaine Volkonogov s’échappe.
Dans sa fuite, il est frappé d’une vision : pour sauver son âme, il devra se confronter aux familles de ses victimes et obtenir leur pardon.

Major Golovnya Timofey Tribuntsev • Veretennikov Nikita Koukouchkine • Major Gvozdev Aleksandr Yatsenko • Colonel Jikharev Vladimir Epifantsev • Elizarova Natalya Kudryashova • Lependin Yuryi Stoyanov

Réalisateurs Natalia Merkoulova, Alexeï Tchoupov • Scénaristes Natalia Merkoulova, Alexeï Tchoupov • Co-scénariste Mart Taniel

 • Producteurs Valeriy Fedorovich, Evgeniy Nikishov, Aleksandr Plotnikov • Coproducteurs Katrin Kissa, Charles-Evrard Tchekhoff, Nadia Zaionchkovska • Directeur de la photographie Mart Taniel • Décors Sergey Fevralev • Costumes Nadejda Vasilyeva • Montage François Gédigier

Natalia Merkoulova et Alexeï Tchoupov

ALEXEÏ TCHOUPOV
Né en 1973 à Moscou, Russie.
Après des cours d’histoire du cinéma mondial à l’université américaine de Wake Forest en Caroline du Nord, Alexeï Tchoupov est diplômé de la faculté de journalisme de l’Université d’État de Moscou. Avant de débuter ses activités au cinéma il est l’auteur d’une série de documentaires historiques pour la chaîne Rossiya 1.

NATALIA MERKOULOVA
Née en 1979 dans la région d’Orenbourg, Russie. Natalia Merkoulova commence son travail au cinéma avec la création de films documentaires d’investigation, marqués par plusieurs récompenses. En 2009, elle fait ses débuts en tant que réalisatrice de fiction avec le court métrage Daughter.

NATALIA MERKOULOVA ET ALEXEÏ TCHOUPOV
Ce tandem de scénariste-réalisateur a signé son premier film en 2013 : Intimate Parts. Le film a reçu plus de 30 nominations et distinctions, notamment à Karlovy Vary. En 2018, le duo signe son deuxième film, L’homme qui a surpris tout le monde, pour lequel l’actrice Natalya Kudryashova a remporté le prix de la meilleure actrice dans la section Orizzonti de Venise. En 2019, ils écrivent et réalisent la série Call-Center qui remporte un grand succès d’audience. Après le Capitaine Volkonogov, ils démarrent la réalisation d’Anna K, adaptation contemporaine d’Anna Karenine pour Netflix.

FILMOGRAPHIE

CO-RÉALISATEURS – LONG-MÉTRAGES
Le Capitaine Volkonogov s’est échappé, 2021
Venise – Compétition
L’étrange Festival – Prix du Public
Festival du film Européen des Arcs – Grand prix du jury

L’Homme qui a surpris tout le monde, 2018
Venise Orizzonti (Prix de la meilleure actrice)
Intimate Parts, 2013
Talinn Black Nights (Prix du jury)

CO-RÉALISATEURS – SÉRIES
Call-Center, 2019 – Série ; 8 x 52’
Anna K, 2021 – Série 8 x 52’

CO-SCÉNARISTES
Gogol (Trilogie – 2017/18, real. Egor Baranov)
Salyut 7 (2017, réal. Klim Shipenko)

CONTEXTE

Le Capitaine Volkonogov s’est échappé est une parabole postmoderne aux accents de thriller métaphysique. Son héros est un bourreau qui découvre soudainement qu’il a une âme, et qu’il peut la sauver.
Par l’interprétation actualisée qu’il fait de l’un des chapitres les plus sombres de l’histoire russe, le film s’érige comme une fable contemporaine, positionnée à rebours des directives officielles du pouvoir d’aujourd’hui.
Depuis la guerre, Le Capitaine Volkonogov s’est échappé n’a pas pu sortir en Russie et ses réalisateurs vivent en exil.


ENTRETIEN AVEC LES RÉALISATEURS

(Propos recueillis en septembre 2021 lors de la première du film à la Mostra de Venise)

Vous avez co-écrit le scénario du Capitaine Volkonogov s’est échappé. Quelle a été l’inspiration pour votre histoire, et sur quel mode fonctionne votre collaboration ?

Natalia Merkoulova : L’inspiration de nos films découle principalement de nos craintes et de nos appréhensions. Pour ce dernier, la source a été notre peur de la violence et de l’agressivité – qui sont hélas des aspects fondamentaux de notre monde, au passé comme au présent.

Alexeï Tchoupov : Quand on travaille ensemble, les rôles sont répartis comme suit : c’est Natalia la réalisatrice principale et Alexeï le scénariste principal ! L’entrecroisement de nos visions est ce qui fait marcher notre tandem.

Votre film peut être vu comme une réflexion sur la responsabilité morale de l’individu au sein d’un système à la puissance écrasante et inhumaine. Mais pour aborder ce thème, vous utilisez aussi des éléments de genre : des courses poursuites empruntées au thriller, les miliciens obstinés des films policiers, et même certains codes du cinéma fantastique ou d’horreur. Qu’est-ce qui vous a poussé à faire ces choix formels ?

Natalia Merkoulova : Nous voulions que le film ait l’énergie d’une flèche en plein vol, et que toute l’action soit contenue dans un laps de temps très court. Pour l’unité temporelle – le cadre dramatique, nous aimions l’idée que notre héros ne dispose que de 24 heures pour solutionner son problème. Pas plus. 24 heures, est-ce beaucoup ou peu ? Volkonogov parvient à vivre l’équivalent d’une vie entière dans cette durée ! Quant à ces emprunts aux genres (du thriller, du policier ou du fantastique), ils nous sont apparus nécessaires pour raconter l’histoire de ce personnage qui vit une profonde métamorphose. Ils nous permettent de garder notre flèche en l’air pendant tout le film !

Le titre que vous avez choisi évoque le thème central du film : le Capitaine Volkonogov se sait coupable de nombreux crimes mais cherche à se repentir à travers le pardon. Pour cela, il doit échapper à sa place au sein du système. Mais peut il également échapper à sa responsabilité ? Selon vous, quelle issue cherche-t-il vraiment, et qu’entend-il par rédemption ?

Natalia Merkoulova : Volkonogov traverse différentes étapes dans sa perception de la rédemption. D’abord, il craint juste d’aller en enfer à sa mort, et d’y être lentement éviscéré. À ce stade, il ne cherche pas vraiment à expier ses fautes – il est poussé par un instinct de survie ; il veut échapper à la souffrance éternelle. Mais quand il se met à communiquer avec les familles dont il cherche à obtenir le pardon, notre héros réalise que la vie ne peut pas être réduite à l’opposition entre absence et présence de douleur. Dans ce sens, d’un être motivé par l’envie de sauver sa peau, Volkonogov évolue vers une personne capable de ressentir la douleur d’autrui, et de se repentir sincèrement.

Avec le Capitaine Volkonogov, vous avez créé un personnage aux contradictions profondes. Plus qu’un rouage, il est l’acteur d’un système totalement inhumain. Cependant, il est capable de se prêter à un examen personnel et n’est pas dépourvu d’humanité. Quand il cherche à expier ses atrocités, il parait sincère. Il est à la fois capable de cruauté et d’actes de bonté, voire de désespoir. Comment êtes-vous parvenus à établir un équilibre entre son côté haïssable et un personnage humain auquel on peut s’identifier ?

Alexeï Tchoupov : Ça n’a pas été une tâche aisée. Nous avons pris du temps pour faire coexister ces paradoxes, et lui construire cette personnalité complexe propre. C’était un travail méticuleux, mené pas à pas – nous sommes passés par 27 versions du scenario ! C’est très difficile quand votre personnage principal est un anti-héros ; mais en même temps c’est une opportunité formidable pour décrire un conflit intérieur. Nous avons beaucoup aimé l’idée qu’en cet homme, deux puissantes forces se livraient bataille : son instinct de survie et l’élévation de son âme.

Natalia Merkoulova : Sans l’ombre d’un doute, le choix de l’acteur pour le rôle principal fut extrêmement important ; nous avions besoin d’une personne à l’apparence simple, élémentaire, et de prime abord peu disposée à l’introspection. L’un des exceptionnels talents d’acteur de Yuriy Borisov réside dans son regard, qui change à mesure que son personnage avance dans l’histoire. Il sait faire passer celui-ci de la simplicité à la complexité en fouillant dans le passé inventé de son personnage, aussi facilement que s’il changeait de lunettes.

Vous analysez en détail la façon dont nos actions d’hier influent sur nos choix d’aujourd’hui. Comment avez-vous justement créé le rythme entre le passé et le présent, qui semblent se refermer comme un étau sur le Capitaine Volkonogov ?

Alexeï Tchoupov : Nous ne souhaitions pas que les flashbacks du film s’inscrivent comme les souvenirs du personnage. Notre tâche a été d’intégrer son passé dans la continuité de l’histoire. Nous ne voulions surtout pas souligner les transitions, ni avertir d’un changement d’époque.

Natalia Merkoulova : Quand nous vivons notre vie, là, maintenant, notre tête est pleine de faisceaux d’évènements, de pensées, de peurs et de souvenirs. Ils existent tous simultanément en nous, ici et maintenant. C’est exactement cet effet que nous voulions refléter dans le film.

De nombreuses scènes de votre film sont suspendues entre différentes tonalités. On trouve des éclairs de comédie burlesque jusqu’au cœur des moments les plus poignants, et un humour absolument noir. Pourquoi avez-vous fait le choix d’assembler des éléments si radicalement opposés ? Diriez-vous que vous avez été influencés par les auteurs comme Gogol ou Kharms ?

Natalia Merkoulova : Nous adorons ce genre – le mélange du tragique et du comique – et notre premier film, Intimate Parts, en était un parfait exemple. Car c’est comme ça dans la vie, très souvent on pleure et on rit en même temps.

Alexeï Tchoupov: L’humour peut être un instrument redoutable dans la tragédie. Imaginez que quelqu’un vous fasse mal, et qu’en même temps il vous injecte des anti-douleurs. Vous ressentez le choc, mais pas la douleur. Vous n’êtes pas distrait par la douleur, vous avez donc la possibilité d’examiner ce qui vous arrive, comme si vous étiez un observateur extérieur. On pourrait appeler « choc-analyse » la juxtaposition simultanée de ces deux phénomènes.

Bien que l’action du film se situe en 1938, de nombreux détails semblent détachés de cette époque précise. Notamment les costumes, dont les uniformes du NKVD qui rappellent ceux des bandes organisées des années 80. Nous sommes clairement à Leningrad, mais il s’agit manifestement d’une version imaginaire de la ville, presque expressionniste. Quelle était votre intention derrière ce choix osé ?

Alexeï Tchoupov : Notre film n’est pas un drame historique, il s’agit plus d’une parabole fantasmagorique située dans un contexte particulier de l’histoire, dans les années 30. Nous qualifions cette approche de « rétro-utopie ». Les dystopies tendent à prendre place dans le futur, mais notre histoire se déroule dans le passé. Nous sommes très heureux que nos producteurs nous aient suivi dans cette expérimentation avec l’histoire.


Natalia Merkoulova : Nous ne voulions pas nous fixer sur ce qu’était la vie à cette époque, et n’avons pas non plus cherché à être parfaitement exacts historiquement dans les détails et les vêtements. Cela nous aurait entravé, et contraint à rester dans le film d’époque. Nous pensons que la version libre de la réalité que nous avons créée permet au spectateur d’aujourd’hui de développer une connexion bien plus forte avec les personnages, sans être distrait par la recherche des détails et erreurs historiques. Notre priorité était de raconter l’histoire d’une personne.

Vous avez fait ce film ensemble pendant l’épidémie de COVID-19. Pouvez-vous nous parler de votre expérience de co-réalisation ? Comment avez-vous travaillé malgré les restrictions ? Celles-ci ont-elles eu une influence sur le film que vous avez fait ?

Alexeï Tchoupov : Le COVID-19 ne nous a pas empêché de travailler ensemble du tout, parce que nous sommes mariés – en fait ça a été exactement le contraire : le confinement nous a permis de rester ensemble chez nous et de finir le scénario. Mais toute la production du film a été une expérience unique. Notre directeur de la photo et co-scénariste, Mart Taniel, vit à Tallinn en Estonie, et nous à Moscou. Nous avons donc passé toute la préparation avec lui par Zoom. Nous avons aussi dû échanger avec notre chef décorateur Sergey Fevralev et notre costumière Nadejda Vasilyeva en ligne. De nombreux lieux de tournage ont été confirmés à distance, et certaines auditions d’acteurs ont dû se faire par vidéo.

Natalia Merkoulova : Nous avons commencé à travailler en présence physique du reste de l’équipe au début du tournage, et dès que celui-ci s’est achevé, nous avons poursuivi à distance. Notre monteur, François Gédigier était à Paris. Nous avons appris énormément de ce travail à distance. Surtout la patience !

Votre protagoniste Yuriy Borisov a récemment présenté deux films en compétition à Cannes (Compartiment N°6, La fièvre de Petrov). Il a aussi présenté deux autres films à Venise la même année. Sa présence à l’écran est hypnotisante. Avez-vous écrit le rôle pour lui ? A-t-il apporté quelque chose au personnage que vous n’aviez pas imaginé ?

Alexeï Tchoupov : En réalité, Yuriy a eu 5 films dans les plus grands festivals cette année-là. En plus de Cannes et Venise, il avait aussi Gerda à Locarno ! Je me demande si aucun autre acteur n’a jamais  eu une telle présence en une seule année.

Natalia Merkoulova : L’idée avait déjà germé dans nos têtes avant que Yuriy ne fasse irruption dans nos vies. Lorsque nous l’avons rencontré, nous avions déjà une première version du scenario – nous nous sommes réunis dans notre cuisine et l’avons lu ensemble. Il est immédiatement apparu trop étroit pour Yuriy, nous avons donc repris la matière avec un objectif plus défini. Nous avions déjà saisi la nature de Yuriy, et avions compris comment la faire ressortir. Nous avons fait une lecture de chaque version avec lui avant de reprendre le scénario, et c’est seulement à la 27è version que nous avons réalisé qu’il était probablement temps d’arrêter d’écrire et de commencer à tourner.