Lenny est une adolescente sauvage et solitaire d’une cité des quartiers nord de Marseille.
C’est par le rap qu’elle exprime les difficultés de son quotidien.
C’est aussi par lui qu’elle réussit à s’en évader.
Un soir, alors qu’elle répète en cachette dans un chantier à l’abandon, Lenny rencontre Max, une jeune Congolaise sans-papiers, qui est aussitôt charmée par sa voix et la puissance de ses mots.
Festival international du 1er film d’Annonay FIFE Ile-de-France
Avec : Camélia Pand’Or, Jisca Kalvanda, Adam Hegazy, Mathieu Demy
Scénario Fred Nicolas, François Bégaudeau • Chef opérateur Sébastien Buchmann • Ingénieur du son Jean-Michel Tresallet • Chef décorateur Mourad Saïdi Chef • Costumière Janina Ryba • Montage image Mike Fromentin et Gilda Fine • Montage son Pierre Bariaud • Mixage Samuel Aïchoun Compositeur • Musique originale Simon Neel et Camélia Pand’Or • Productrice déléguée Elisabeth Perez Production CHAZ Productions • Avec la participation du Centre National du Cinéma et de l’Image Animée • Avec le soutien de la Région Provence Alpes Côte d’Azur, de la Fondation Gan pour le Cinéma et du Fonds Images de la diversité • En coproduction avec Film Factory Sedna Films et Solaire • Production en association avec Indéfilms 2 Ventes internationales Alpha Violet
Fred Nicolas
Fred
Nicolas a été l’assistant de nombreux cinéastes dont Robert Guédiguian,
Erick Zonca, Arnaud Despleschin, Pierre Salvadori, Manuel Pradal,
Brigitte Roüan, Agnès Merlet, ou Marina De Van.
Il a réalisé un court métrage, Vivre (30’ – 2000), sélectionné entre autres au Festival Tous courts d’Aix-en-Provence et deux documentaires dont Rouge Bandit (56’ – 2009), consacré à Charlie Bauer. Max & Lenny est
son premier long métrage. Le scénario a obtenu l’avance sur recettes du
CNC et le prix de la Fondation Gan pour le Cinéma en 2012.
« Ma gueule, ma condition sociale, mon passé troublant étiquetés. Quand un beau jour s’pointe, j’lui demande assez souvent mais qui t’es ? J’veux pas d’ta pitié de toute façon j’ai du mal à m’y fier. » Peace & love, Camélia Pand’or
ENTRETIEN AVEC FRED NICOLAS
A l’origine du film, il y a votre intérêt pour une rappeuse marseillaise, Keny Arkana…
C’est vrai. Alors que je voulais travailler sur des grands thèmes que sont l’amitié, l’adolescence, la musique, mes filles m’ont fait découvrir cette jeune rappeuse, Keny Arkana, une adolescente rebelle qui s’est réfugiée dans la musique et a écrit ses premières chansons à 16 ans. J’ai eu un coup de coeur pour ses textes acérés et pour ses mélodies puissantes, son énergie, son engagement. Le fait que ce soit une fille qui fait entendre une voix différente, là où elles n’ont pas souvent droit au chapitre, m’a donné l’envie de raconter une histoire de filles. Et sa personnalité à l’énergie impressionnante m’a inspiré le personnage de Lenny, une adolescente mal dans sa peau, qui exprime ses émotions par des textes qu’elle rappe ensuite sur des instrumentaux. Dans un premier temps, j’ai imaginé que Keny Arkana jouerait le personnage principal. Mais elle ne se sentait pas actrice. De toute façon, comme elle était plus âgée, on aurait perdu ce côté adolescent du personnage. J’ai écrit le scénario porté par ses chansons et j’ai puisé dans les souvenirs de mon adolescence pour restituer l’âpreté des quartiers nord de Marseille, mais aussi sa vitalité et son humanité. Bien sûr le scénario n’est ni un biopic de Keny Arkana, ni un documentaire sur les cités, Lenny est un personnage de pure fiction et son parcours, un parcours inventé.
Pourquoi avoir fait appel à François Bégaudeau pour la co-écriture du scénario ?
Entre les murs –
aussi bien le livre que le film, ont compté pour moi. Peut-être parce
que je suis fils d’institutrice, la énergie à tenter de transmettre sa
passion pour le français m’a particulièrement touché. Assez
spontanément, j’ai donc contacté François, pour son expérience de la
jeunesse au plus près de la réalité adolescente, et son regard critique
sur la société. J’y voyais une sorte de continuité. à ce moment
là, j’avais déjà écrit une première version du scénario, le film avait
alors une dimension de conte, c’était une femme qui racontait à une
petite fille son histoire d’amitié qui lui avait sauvé la vie. Avec
François, encouragés par Elisabeth Perez ma productrice, on a décidé
d’écrire un film davantage ancré dans le réel. On a finalement trouvé le
film, sur le chemin du réalisme social en avançant par couches
successives, comme dans une partie de ping-pong.
Vous avez été assistant sur des films comme Bye bye de Karim Dridi ou Le Petit voleur
d’Erick Zonca, qui montraient un Marseille très masculin. Alors qu’au
centre de votre film, il y a deux filles… même si le titre peut
laisser penser le contraire !
Je voulais donner la parole aux filles. Dans ces cités, des gamines ont
peu de chances de devenir des contemplatives : elles doivent agir pour
s’en sortir, c’est plus dur pour elles d’exister, de faire entendre leur
voix. Et dans ce contexte, l’adolescence, l’âge des possibles, est
aussi celui où l’on prend conscience des impasses. Où l’on ressent plus
cruellement les injustices, où l’esprit d’aventure se heurte en
permanence aux murs du quotidien et aux épreuves de la réalité. Avec
leur 18 ans, Lenny et Maxine doivent davantage se bagarrer que des
garçons. Comme si elles partaient dans la vie avec un handicap, ou
qu’elles avaient toutes les deux des chaussures de plomb. Elles
traversent des épreuves bien trop lourdes pour leurs épaules et n’ont
même pas idée de ce que pourrait être une vie facile. Elles se sentent à
l’étroit dans ce paysage urbain désolé et nourissent des rêves d’envol.
Bien sûr je trouvais ces éléments intéressants et originaux pour être
traités dans un film. En plus, même si Le Petit voleur fait
partie des films auxquels je suis fier d’avoir collaboré, je n’avais pas
envie de refaire quelque chose qui avait déjà été fait.
Le film repose sur la dynamique entre deux héroïnes très complémentaires.
L’amitié commence par une rencontre. Je voulais filmer un tandem de
battantes. Je voulais créer un binôme, avec deux filles qui seraient
presque le négatif l’une de l’autre. Lenny, une fille blanche de peau
mais noire et torturée intérieurement, et Max, une petite black solaire
et inventive. Comme à l’adolescence tout est extrême, même l’amitié,
celle que se découvre Max et Lenny est fusionnelle, exclusive. Lenny
offre à Maxine des moments forts et enivrants, une vraie vie
d’adolescente, libre et sauvage, elle ne sait pas y résister. Elle lui
permet de se sortir de son quotidien difficile, qu’elle subit encore
plus depuis la maladie de sa grand-mère. De son côté, à travers Maxine,
Lenny réapprend à nouer des liens avec les gens, la vie, la société.
Également sur le plan musical, Max agit comme un révélateur pour Lenny.
Elle a bien compris qu’il y avait quelque chose de vital pour Lenny dans
le rap, que c’était son unique manière de s’exprimer, d’exorciser son
passé douloureux et son avenir incertain. Max lui permet d’accoucher de
ça, de parler d’elle-même pour la première fois. C’est d’ailleurs pour
cette raison que Max apparaît en premier dans le titre : c’est grâce à
elle que le miracle se produit.
Dans quelle mesure les deux actrices se sont-elles appropriées leur personnage ?
Je voulais des filles qui aient en elles quelque chose des personnages.
Pour qu’elles puisent dans leurs vécus des sensations, et que ça les
aide à restituer les émotions du texte. Pour Lenny il fallait donc
quelqu’un de tourmenté et sombre. Et pour Maxine, il fallait une fille
plutôt joyeuse et optimiste. Camelia et Jisca ont beaucoup apporté à
leurs personnages. Il y avait le scénario bien sûr, mais je les laissais
assez libres. Je leur demandais souvent : « Que ferais- tu dans cette
situation ? Que dirais-tu ? » et j’ai gardé beaucoup de leurs
propositions. Sur le côté blessé, torturé, Camelia est sans doute allée
plus loin que ce que j’avais écrit. Et puis peut-être que Lenny est
devenue un peu moins bavarde que dans le scénario. On a opté pour une
certaine économie de mots, en jouant sur les silences, les
regards. C’était très touchant de la voir s’épanouir au fur et à
mesure du tournage. Le personnage de Max exigeait de la pudeur dans
l’interprétation. Jisca est une actrice impressionnante. À la fois
lumineuse et d’une intensité rare. Une fois canalisée, son énergie
apporte beaucoup de souffle au personnage. Notre collaboration fut
évidente et passionnante.
Camélia a aussi contribué à la partie musicale du film…
Je sentais qu’elle avait quelque chose à dire musicalement. Pendant la
préparation, j’ai découvert tout ce qu’elle avait pu écrire et chanter.
J’ai alors vu qu’elle avait un univers particulier, une formidable
capacité à transformer ce qu’elle ressent en mots et une façon
singulière de rapper. J’ai décidé de lui faire confiance, de lui confier
les moments où Lenny rappe. Pour moi, il y avait une logique là-dedans.
Et plus Pand’Or donnait à son personnage, plus Lenny apparaissait. Les
deux ont fini par se confondre. Camélia m’a proposé des instrumentaux
avec son musicien Simon Neel, puis des textes. Il y avait des
contraintes liées au film, les morceaux devaient parler de Lenny, de
Marseille. Dans le concert de fin, elle parle des sans-papiers expulsés,
de la Françafrique, et ça fait évidemment écho au film. J’ai eu
également envie de faire une tentative en travaillant sur le Concerto n°23
de Mozart. On en a samplé un extrait comme base de hip-hop et l’air est
devenu un des fils conducteurs du film. Jusqu’au générique de fin, où
on entend le morceau finalisé, comme un accomplissement de Lenny
rappeuse. On voit là un des pouvoirs de la musique, qui traverse les
âges et peut prendre plusieurs formes : un classique de Mozart devient
la base d’un rap qui sert de vecteur pour Lenny, pour exprimer ses
émotions.
Si les parents sont absents, il est vrai que
Max comme Lenny ont des attaches familiales fortes. Max s’occupe de sa
grand-mère, de ses petits frères et de sa soeur,
tandis que Lenny est la mère d’une petite fille…
C’est vrai que comme le personnage de Lenny est sombre et solitaire au
début, j’imagine que le spectateur est surpris de découvrir qu’elle a
une fille. Même si Lenny a eu sa fille par accident, elle se découvre
une fibre maternelle qui la maintient presque en vie. Sur le tournage,
la petite qu’on a trouvée en casting était formidable, très épanouie. Et
Camélia a été généreuse avec elle. Elle-même a une petite soeur dont
elle s’occupe beaucoup, ça a été une chance. Le personnage de Max, elle,
a une conscience familiale très forte, un truc inné qui fait qu’elle
prend la place d’une mère absente et qu’elle s’occupe de tout chez elle.
Comme chez Pialat ou Cassavetes, j’avais envie de scènes familiales
où ça bouge, ça vit, avec des gamins qui courent en criant, en rigolant…
Et Jisca a parfaitement su embarquer avec elle les deux petits frères
et la petite soeur du film. C’est vrai que toutes les deux dans le film
n’ont pas de parents, pas d’ascendants Je voulais qu’elle soient
elles-mêmes ouvrières de leurs vies. Mais pour autant je ne traite pas
cette absence comme un traumatisme de la vie, elles le dépassent.
Contrairement
aux clichés, les rapports entre les adolescentes et les adultes
(professeurs, éducateurs…) ne sont pas systématiquement conflictuels…
Absolument. Je ne voulais pas faire une représentation caricaturale des
relations entre les adolescents et les adultes. Effectivement il y a de
la violence, mais les rapports entre les jeunes et les éducateurs par
exemple sont plus nuancés et complexes que ça. Également, je n’avais pas
envie d’en rajouter dans la noirceur. Pour moi, les éducateurs,
les enseignants, même les policiers quelque part, essaient de faire en
sorte que ça se passe bien. Ils sont au service des autres, ils ont des
convictions, des difficultés aussi. J’ai essayé d’éviter le face à face
schématique, avec les bons d’un côté et les méchants de l’autre.
Le Marseille que vous montrez est très hétérogène, à la fois urbain et bucolique, il y a à la fois les cités et les calanques…
Marseille, c’est ma ville intime. C’est un cliché de le dire ,mais
c’est vrai : c’est une ville avec des contrastes très forts. Avec aussi
bien des quartiers pauvres que des quartiers bourgeois et protégés.
C’est sans doute l’unique ville au monde dont les canons, ceux du fort
Saint-Jean qui borde le Vieux Port, sont braqués non pas vers le large,
mais vers la ville et ses habitants ! Je voulais qu’il y ait dans le
film une dimension d’aventure, que les filles fassent un voyage dans
l’inconnu pour se sortir de leur zone. Marseille permet cela. J’ai voulu
transcender le réalisme social pour faire un film plus poétique et
optimiste, montrer le monde violent de la banlieue mais aussi celui des
criques ensoleillées et des quartiers résidentiels.
Au-delà
de vos propres souvenirs d’adolescent à Marseille, avez-vous fait un
travail d’enquête sur le terrain pour la préparation du film ?
Bien sûr. On a tourné dans la cité Consolat, la première des quartiers
nord. Après, il y a les cités plus dures, la Castellane, la Bricarde et
d’autres. Je l’ai choisie pour son côté cinématographique, avec ses
colonnes de béton, cette autoroute qui passe juste en bas, et cette vue
somptueuse sur la mer et l’horizon. Et en plus d’être une cité un peu
préservée, un de mes copains d’adolescence y habite encore. J’y suis
allé régulièrement pendant l’écriture, une fois tous les deux mois
environ. Et dès que le film a été lancé, j’y suis allé quasiment tous
les jours, pour aller à la rencontre des gens. Je ne voulais pas arriver
en force avec les camions, essayer de saisir des choses à la volée… ça
aurait été la catastrophe.
La question de la drogue dans les cités n’est pas évacuée…
C’est une réalité terrible. Quand j’y habitais gamin, ça n’avait pas
atteint le degré actuel. Aujourd’hui La Bricarde est le supermarché de
la drogue. Paradoxalement, l’endroit est aussi un des plus sûrs de la
ville. Le trafic fait vivre bon nombre de gens, surtout des jeunes qui,
au lieu de chercher un boulot, font les guetteurs pour gagner 50 euros
par jour. J’avais envie d’en parler comme d’un fait de société, d’une
réalité de ces quartiers. Je pensais qu’il fallait aborder cette
question de façon simple, parler de ces gens qui ont conscience que
c’est mal, mais qui en même temps n’ont que ça pour ramener un peu
d’argent à la maison.
La musique est bien sûr très présente dans le film, et pas uniquement du rap…
Pour moi dans le rap, il y a une majorité de choses sans intérêt que je
ne veux même pas qualifier de musique. Le rap est souvent synonyme de
machisme, de sexisme, de violence gratuite, et musicalement sans
recherche. Mais pour moi les valeurs du hip-hop ont une certaine
noblesse, et quand c’est bien, c’est très bien. Le rap peut parfois
être entraînant, engagé, poétique. La musique était un des éléments
essentiel du récit. Je voulais que mon héroïne ait un lien particulier
avec la musique, un lien sacré. Car le véritable plaisir de Lenny, son
refuge, c’est la musique. Elle a d’ailleurs des goûts éclectiques,
elle écoute du classique, du jazz, de la pop, de la soul. C’est là sans
doute que la personnalité de Lenny rejoint la mienne : au-delà même du
fait que c’est un moyen de s’exprimer, c’est une façon de se faire du
bien. Comme dit Lenny, un peu naïvement, : « La musique, c’est la vie ». Au Festival de St-Jean-de-Luz, Xavier Beauvois m’a dit : « Tu m’as fait comprendre le rap ! » ça m’a touché.