En 1972, Djibril Diop Mambety tourne Touki Bouki. Mory et Anta s’aiment. Les deux jeunes amants partagent le même rêve, quitter Dakar pour Paris. Au moment fatidique, Anta embarque. Mory, lui, reste seul sur les quais, incapable de s’arracher à sa terre. Quarante ans plus tard, Mille Soleils enquête sur l’héritage personnel et universel que représente Touki Bouki. Que s’est-il passé depuis ? Magaye Niang, le héros du film, n’a jamais quitté Dakar. Et aujourd’hui, le vieux cowboy se demande où est passée Anta, son amour de jeunesse.
Mention spéciale du GNCR – FID Marseille Grand Prix de la Compétition Internationale
Montréal – Festival du Nouveau Cinéma, Loup Argenté
FIF Amiens – Prix du Moyen métrage
Réalisation Mati Diop • Image Hélène Louvart, Mati Diop • Son Alioune Mbow, Bruno Ehlinger • Montage Nicolas Milteau • Production Corinne Castel, Anna Sanders Films • Avec les soutiens du Fonds d’Aide à l’Innovation Audiovisuelle du Centre national du cinéma et de l’image animée, de l’Aide au film court du département de la Seine-Saint-Denis, du Fonds régional d’Aide à la Création Audiovisuelle de la Région Midi-Pyrénées, du Centre national des arts plastiques (Image/mouvement), ministère de la Culture et de la Communication.
Mati Diop
Mati Diop est la fille d’une mère française et du musicien sénégalais Wasis Diop, ainsi que la nièce du cinéaste Djibril Diop Mambety. Elle grandit à Paris et, très influencée par le travail cinématographique de son oncle, décide de s’orienter vers une carrière au cinéma.
Elle intègre le Pavillon, laboratoire de recherche artistique du Palais de Tokyo en 2006, puis le Studio national des arts contemporains du Fresnoy en 2007. Elle s’occupe de conceptions sonores et vidéos pour le théâtre et continue à réaliser des courts métrages revendiquant une inspiration dans son travail de celui d’Apichatpong Weerasethakul ou des cinéastes indépendants américains tel que John Cassavetes.
En 2008, elle joue son premier rôle principal au cinéma dans le film de Claire Denis, 35 rhums. Cette même année, elle présente 1000 soleils au festival de Cannes, un projet de documentaire sur le film Touki Bouki (réalisé par son oncle en 1973 et présenté au Festival de Cannes cette année-là), qui sort en 2013 sous le titre Mille soleils. Ses courts métrages ont été présentés lors de différents festivals internationaux, dont Atlantiques qui obtient le Tigre du meilleur court-métrage en 2010 lors du festival du film de Rotterdam.
Elle réalise en 2018 son premier long-métrage, Atlantique, qui est sélectionné en compétition officielle du festival de Cannes 2019 et qui obtient le Grand Prix.
Filmographie
Atlantique (long métrage) 2019
Liberian Boy (court métrage, réalisé avec Manon Lutanie) 2015
Mille Soleils (Sénégal-France, 45 min) 2013
Snow Canon (France, 35 min) 2012
Big in Vietnam (France, 26 min) 2011
Atlantiques (Sénégal, 16 min) 2009
Last Night (France, 15min) 200
ENTRETIEN AVEC MATI DIOP
Mille Soleils est à la fois un dialogue et un
hommage. Une fable s’invente, si l’on peut dire, dans les plis d’un
autre film. Comment est né le désir de retrouver, quarante ans plus
tard, les acteurs et personnages de Touki Bouki ?
Mon premier désir était de remonter le fil des origines de mon rapport
au cinéma et de la place qu’il occupe dans ma famille. De mon rapport à
l’Afrique aussi. C’était en 2008, une année marquante par mon expérience
et ma rencontre avec Claire Denis dans 35 Rhums mais aussi marquée par
les dix ans de la mort de mon oncle, Djibril Diop Mambety, dont je
mesurais soudain et fortement l’absence. Sous forme d’entretiens fleuves, j’interroge alors mon père sur son frère Djibril et ses films. Il me révèle que Touki Bouki,
c’est toute notre histoire. Cette révélation agit sur moi comme une
formule magique à déchiffrer. Mais le désir d’un film s’est précisément
déclenché quand j’ai découvert l’incroyable destin des acteurs de Touki Bouki
qui avaient poursuivi l’exacte trajectoire de leurs personnages
fictifs. C’est une fiction qui était devenue réalité. J’ai
voulu transformer cette réalité en fable. Une fable du présent sur
l’exil et sur le cinéma. C’est aussi une histoire d’amour.
Comment le tournage s’est-il déroulé ? Est-ce difficile de diriger un acteur qui doit jouer son propre rôle ?
Le tournage a duré une dizaine de jours pour une préparation qui a pris
cinq ans, en parallèle d’autres films que j’ai réalisés. Quelque part,
au moment du tournage, j’avais le sentiment que le film était déjà fait.
Je savais exactement ce que je voulais. J’étais plus que prête. Cela
n’a évidemment pas empêché les mésaventures propres à chaque tournage.
Tourner à Dakar est plutôt épique. Tourner avec Magaye l’est aussi. Au
fond, il n’est pas plus lui-même dans ce rôle qu’il n’est un personnage
dans la vie. Magaye joue tout le temps, c’est un vrai show man. Il sait
exactement ce qu’il fait.
Le portrait de Magaye invoque en pointillés la figure du
cowboy crépusculaire. La reprise du thème de High Noon fait d’ailleurs
signe vers une autre histoire du cinéma, celle du western. Comment
intégrez-vous cette référence américaine dans une histoire africaine
d’amour et d’exil ?
Je m’intéresse à la genèse et à la vie d’un film, à la fabrique de ses personnages. Reprendre le thème de High Noon, c’est remonter aux sources mêmes de Touki Bouki.
Djibril a découvert ce western lorsqu’il était enfant. Le personnage du
shérif Will Kane interprété par Gary Cooper a marqué Djibril au point
de grandement influencer, quelques années plus tard, l’écriture du
personnage de Mory dans Touki Bouki. À travers Mory, Djibril parle de lui-même en convoquant consciemment ou non la figure de Will Kane. Dans Mille Soleils, je filme tous ces hommes à la fois à travers Magaye. Le thème de High Noon représente à mes yeux leur mélodie intérieure et le fil invisible qui les réunit.
L’une
des singularités du film est de ne pas vouloir opérer la distinction
entre documentaire et fiction, le récit se nourrissant précisément de
leur confusion. Est-ce à dire pour vous que les deux démarches, loin de s’exclure, sont au contraire solidaires ?
Dans Mille Soleils, l’entremêlement du réel et de la fiction
est précisément le sujet du film. Quant à la forme, je ne me pose que
des questions de mise en scène. Comment est-ce que je veux raconter
telle histoire ? Qu’est-ce que je veux voir ? Ensuite, la fin justifie
les moyens. Ce n’est plus qu’une question de tactique et d’approche.
Visuellement, Mille Soleils surprend par son
travail sur la couleur et son jeu de ruptures de ton : du rouge sang des
abattoirs au jaune resplendissant de la lumière dakaroise, du bleu
numérique de l’écran de projection aux scansions vert-rose-bleu des
éclairages de la discothèque, et jusqu’ aux horizons neigeux
des paysages de l’Alaska. Quel regard portez-vous sur cette circulation
de la couleur dans votre film ? Quelle importance revêt-elle ?
Cette circulation est particulièrement dynamique dans Mille Soleils
mais je crois y accorder autant d’importance dans mes autres films.
Cela vient sans doute du fait que je suis arrivée au cinéma par les arts
plastiques. Je me suis intéressée à l’image et au son bien avant de
m’intéresser au récit. Le cinéma m’intéresse moins comme art que comme
outil. Un langage qui me permet d’entretenir un lien permanent avec tous
les autres arts, d’en être au carrefour.
D’où vient le titre, Mille Soleils ?
Il vient d’un jingle d’une émission de radio dakaroise des années 70
que j’ai découverte en parcourant des archives sonores. Une voix
accompagnée de tambours qui s’exclamait : L’Afrique, le passé, le
présent, le futur … Mille Soleils ! MILLE SOLEILS sont deux
mots qui associés, s’imposent à vous comme une image, franche et
aveuglante. Ça m’évoquait aussi les images d’un kaléidoscope. Une
réflexion de lumières et une combinaison de couleurs à l’infini sans
début, ni fin. Je décide quasi toujours du titre au début de l’écriture
comme un axe à suivre, comme l’accord juste à trouver autour d’une note.
Derrière le souvenir des échappées libertaires de Touki Bouki,
le film esquisse une autre problématique : dans la scène du taxi, vous
laissez apparaître le visage d’une jeunesse sénégalaise en rupture avec
la génération précédente…
Mille Soleils est un film
du présent. Cette scène du taxi nous ancre dans le Dakar d’aujourd’hui,
au coeur de son actualité politique. J’ai confié le rôle du chauffeur
de taxi à Djily Bagdad, l’un des membres du mouvement Y’en a marre,
composé de rappeurs, d’étudiants et de journalistes. Un mouvement de
contestation qui a atteint l’objectif qu’il s’était fixé : inciter le
peuple sénégalais au réveil citoyen et mettre fin au règne du Président
Wade. Djily n’est donc pas acteur mais il est l’acteur des faits et j’ai
voulu provoquer une rencontre entre Magaye et lui, entre deux
générations. C’est cette dynamique de collision entre passé et présent
qui m’intéresse et qui s’opère tout au long du film. D’un point de vue
politique, cinématographique et intime.