Réalisé entre 1969 et 1970, Moonwalk One capte la première tentative de l’Homme de marcher sur la Lune lors de la mission Apollo 11. Véritable documentaire
de création, le lm permet enn de découvrir à l’occasion du 45e anniversaire de la mission, des images tournées grâce au matériel de la N.A.S.A. et à ce jour jamais montrées. Mêlant séquences d’archives et moments captés dans le vif de l’action, Theo Kamecke donne à voir cet événement tel qu’il a été vécu à l’époque : une aventure humaine incroyable, une épopée scientique hallucinante, un bond dans le futur au sein d’un présent chaotique, mais aussi une avancée vers l’inconnu, avec ce qu’elle ore de possibilités de changement, et de responsabilités.
Réalisation : Theo Kamecke • Production : Peretz W. Johnnes • Production exécutive : Steve Milke
Montage : Theo Kamecke, Pat Pwell, Richard Rice • Narration : Laurence Luckinbill • Musique originale : Charles Morrow • Restauration nancée par The Attic Room.
Theo Kamecke
Né en 1937 à New-York. Réalisateur, Scénariste, Monteur, Chef opérateur Après plusieurs voyages à travers les Etats-Unis, Theo Kamecke revient à New-York, sa ville natale. Sa carrière cinématographique commence avec la rencontre en 1964, de Francis Thompson et Alexander Hammid qui lui propose de participer au montage de leur mini documentaire, To Be Alive ! Fort de cette expérience, Theo Kamecke décide de créer ses propres documentaires. En 1969, Kamecke est de nouveau contacté par Francis Thompson, cette fois pour un projet d’envergure. En effet, Thompson a été choisi par la NASA pour réaliser un documentaire sur la première mission lune Apollo 11, Moonwalk One. Finalement, c’est Theo Kamecke qui écrit, réalise et monte le documentaire spatial. Par la suite, Kamecke a écrit et réalisé de nombreux documentaires et des courts métrages sur des sujets aussi variés que les ordinateurs, les mines de charbon ou les cow-boys. A la fin des années 1970, Kamecke délaisse le cinéma et revient à son premier amour : la sculpture. En 2014, à l’occasion du 45ème anniversaire de la mission Apollo 11, Moonwalk One ressort dans les salles en version restaurée.
La génèse de Moonwalk One
En 1969, un Américain planta un drapeau rouge, blanc et bleu sur la Lune ; un drapeau rigide, bien sûr, car un drapeau souple ne saurait flotter au vent dans l’atmosphère inerte de la Lune. Aussi invraisemblable que paraisse cette virée de trois hommes à 340 000 km de la Terre pendant trois jours – le tout aux frais de la princesse et caméras à l’appui pour prouver au monde entier la véracité de la chose (un Noir Américain de 106 ans invité sur l’un des observatoires du lancement ne put se résoudre à y croire) – les faits sont là : la marche sur la Lune a été immortalisée, il reste une trace, hommage et souvenir d’un événement qui illustre la métaphore de Buckminster Fuller selon laquelle la Terre est un « nid pour l’Homme ».
Cette trace, c’est Moonwalk One, de Theo Kamecke. Un film qui, malgré un sujet unique en son genre, n’a pas échappé à la cohorte habituelle de faux départs, de problèmes de budget et de conception. L’idée germa en 1968 à la veille du lancement d’Apollo 8, quand Francis Thompson Inc. présenta le traitement d’un long documentaire à gros budget à la MGM. Ce projet prévoyait une reconstitution intégrale de la marche sur la Lune en studio, car alors, personne n’espérait pouvoir obtenir des images de bonne qualité depuis la Lune. Le projet définitif fut enterré par la MGM pour diverses raisons, notamment budgétaires. Time-Life Inc. essaya ensuite de vendre l’idée, sans succès. Mais la NASA, qui avait donné sa bénédiction et l’assurance de sa collaboration au film depuis le tout début, vint à la rescousse peu de temps avant le lancement d’Apollo 11. Et si un budget à plusieurs millions fut exclu d’office, l’Agence spatiale américaine, désireuse de voir se faire un bon documentaire, accepta de financer un film d’une heure en revoyant considérablement les dépenses (ce n’est que plus tard qu’une durée de 90 minutes fut autorisée). C’est le réalisateur indépendant Theo Kamecke, convié à ce stade par Francis Thomson Inc., qui a écrit le scénario définitif avec Bill Johnnes (impliqué depuis les origines du projet) et tourné Moonwalk One.
La Vision de Theo Kamecke
Comme pour tout documentaire, l’une des principales difficultés a été d’ordre conceptuel. Kamecke souhaitait laisser l’événement parler de lui-même ; il considérait devoir s’effacer presque totalement, n’être qu’une boîte d’enregistrement, pour la postérité et pour la NASA qui, à ce moment-là, cherchait à éveiller l’intérêt du public pour le programme spatial. Kamecke souhaitait faire un film où « l’aspect technique ne fasse pas d’ombre à la simplicité de l’idée-même », un film qui plaise aux quidams ordinaires comme aux intellectuels. Il souhaitait réaliser un objet simple en lui conférant « une structure de conte… [avec] un début, un milieu et une fin. On sait ce qu’il va arriver, mais on veut que cela arrive dans cet ordre bien établi ». Surtout, Kamecke voulait éviter de faire un « film à la new-yorkaise », enflé du cynisme, de la pédanterie et de l’intellectualisme propres au genre. Mais s’il savait que la NASA n’était pas prête à financer « La Marche sur la Lune selon Kamecke » (si tant est qu’il eût souhaité exprimer sa vision personnelle), il avait conscience qu’il devait introduire une part de lui dans le documentaire, à moins d’en faire un simple reportage ou film technique. Il fallait mettre en perspective, mettre en relation la mission spatiale et l’évolution de l’humanité, montrer qu’Apollo 11 était le prolongement de la curiosité des hommes, de leur soif d’ailleurs, de leurs questionnements sur la nature de l’univers, et de leurs instincts moins avouables.
« Les détails (techniques) étaient fascinants. Mais l’histoire était-elle là ? Est-ce qu’on a besoin de savoir en détail comment Siegfried s’est perdu dans la forêt, ou comment les Argonautes ont colmaté une brèche dans leur navire pendant qu’ils recherchaient la Toison d’or ? C’est bien, que les spectateurs se fassent une idée de la complexité technique de l’événement, mais je ne voulais pas que cela desserve la simplicité biblique de l’histoire. J’ai voulu faire une sorte d’épopée intemporelle qui s’adresse aux tripes, pas à la tête. » THEO KAMECKE
Après avoir rencontré les techniciens [de la NASA], Kamecke a vite renoncé à l’idée de les interviewer : il avait en face de lui des Américains moyens compétents, à l’aise et étonnamment pragmatiques dans leur travail. Même chose pour les astronautes, dont le réalisateur voulait recueillir « leurs impressions sur le vol spatial, sur la sensation d’apesanteur et sur la mission en général ». Or les astronautes se sont avérés très peu diserts, et l’un d’eux, Neil Armstrong, a même estimé plus prudent de réserver l’exclusivité de cette histoire à des fins plus lucratives. Plutôt que des entretiens filmés, le réalisateur a donc utilisé les véritables dialogues entre les astronautes et Houston, créant une immédiateté, une impression « d’y être » qui est l’un des plus grands ravissements du documentaire. Face à l’ambiance aseptisée, stérilisée, de tout ce qui a trait à la mission spatiale proprement dite, la masse humaine venue assister au lancement d’Apollo présente un fort contraste : Cap Canaveral est cerné de bars, de discothèques, de drive-in (où se vendent à la pelle des « astro-burgers ») et de terrains de camping. C’est quasiment une ville de campeurs où s’alignent à l’infini les cordes à linge avec, au loin, la fusée Saturn, immense et fumante. Pour cette partie, Kamecke a lâché le style direct et austère appliqué à l’aspect technique de la mission pour adopter une approche documentaire plus libre, façon « à la volée ».
Les archives de la N.A.S.A
L’une des séquences les plus impressionnantes de Moonwalk One est le décollage de la fusée, démonstration d’un grand savoir-faire en matière de montage. Le plus gros des images de ce passage de 5 minutes (qui dura 9 secondes en réalité) a été filmé par la NASA dans une optique d’ultra-efficacité, non pour édifier les foules mais pour conserver un enregistrement visuel de toute avarie qui aurait pu survenir au cours du lancement. Et les moyens mis en œuvre ont de quoi faire pâlir les plus grosses super-productions hollywoodiennes : 240 caméras disposées sur la tour de lancement et dans la zone située sous la fusée, ainsi que sur les navires et les avions radars postés en cercles concentriques jusqu’à 30 km de distance. Les phases les plus critiques du lancement, le décollage et la mise à feu par étage de la fusée, ont été particulièrement scrutées. Nombre de caméras se trouvant en contact direct avec la chaleur extrême générée par la poussée de la monumentale fusée, il fallait qu’elles soient protégées. Les appareils de prise de vue étaient donc abrités dans des caissons conçus pour l’occasion, avec le même matériau que le bouclier thermique du module de commande, capable de résister à une température pouvant atteindre 13 870 °C. À la base de la fusée, la chaleur était telle que la peinture s’est craquelée sur la structure de lancement, comme l’ont filmé les caméras sans être elles-mêmes, ni la pellicule, endommagées. Outre des caméras scientifiques 16 mm à commande électronique, la NASA disposait d’une batterie de caméras 35 mm et 70 mm, ainsi que d’appareils photos. Dans la mesure où tout s’était déroulé parfaitement, les images de la NASA n’avaient pas été utilisées à des fins « d’analyse a posteriori », mais stockées dans le centre de recherche aéronautique de Huntsville, en Alabama. Aucun tirage n’avait été effectué, personne ne les avait regardées ; il n’y avait que des boîtes de négatifs en vrac. Après un examen rapide, Kamecke a ramené à New York plusieurs heures d’images pour monter la séquence du lancement. Avec ces 240 angles de prise de vue, le résultat est visuellement exceptionnel. Filmée sous toutes ses coutures, la fusée, cylindre colossal à côté duquel Moby Dick passerait pour du menu fretin, se détache lentement de sa plateforme de lancement dans une montagne de fumée. Les liaisons ombilicales retombent mollement contre la tour de lancement, en rebonds vains et silencieux. À la base de la fusée, des flammes dantesques explosent devant les caméras, puis l’engin se hisse comme par magie devant les objectifs installés de bas en haut de la tour de lancement. Et nous passons ainsi d’un angle à l’autre, jusqu’à ce que la fusée, totalement libérée de sa tour, amorce son vol courbe et solitaire loin de la Terre, direction la Lune.
« Toutes les images qu’on voit ici ont été prises par des caméras scientifiques, pour servir aux techniciens si jamais les choses tournaient mal. Au départ, je n’avais pas idée du nombre de caméras dont ils disposaient. On m’a dit que trois ou quatre photos avaient été sélectionnées pour être distribuées à la presse. Quand j’ai demandé ce qu’il en était de ce qu’avaient filmé les 200 et quelque caméras, la NASA n’a pas trop su quoi me dire… Alors j’ai mené ma petite enquête et j’ai appris que les images avaient été envoyées à Huntsville, en Alabama, dans le centre de recherche aéronautique. Après le lancement de la fusée, les films avaient dû être développés et peut-être regardés à la visionneuse par un technicien, avant d’être relégués dans une boîte. Je suis donc allé à Huntsville et là, dans l’entrepôt, j’ai découvert des tonnes d’images sur le lancement. J’ai tout embarqué pour pouvoir visionner les pellicules en détail, et j’ai tout ramené à New York, où j’ai fait gonfler les films en 35 mm dans un laboratoire, car beaucoup de choses avaient été tournées en 16 mm. Il a aussi fallu enlever pas mal d’images [afin d’accélérer le mouvement], car elles avaient été prises à une cadence si élevée qu’on avait l’impression que ça ne bougeait pas du tout” Theo Kamecke
On pourrait croire qu’un film réalisé pour la NASA dispose automatiquement d’un budget plus que confortable et des moyens gigantesques qui permettent d’envoyer un homme sur la Lune et d’y écouter battre son cœur. Pourtant, non. Bien que le documentaire ait eu entre autres buts de célébrer la NASA et de justifier sa raison d’être [en français dans le texte], le budget a été serré pour un projet de telle ampleur : bien inférieur à un demi-million de dollars. Kamecke a donc été obligé de revoir certaines de ses prétentions. Dans un film réalisé pour une grande agence gouvernementale, la question de la censure peut se poser. Kamecke estime cependant être allé « aussi loin que possible sans que la NASA mette son grain de sel ». Il n’a eu à regretter que très peu d’interférences pendant le tournage, ce dont il remercie le directeur des relations publiques de l’Agence spatiale américaine. Dès qu’un responsable de moindre échelon voulait changer quelque chose, il disait : « Non, laissez-les tranquilles. Ils savent ce qu’ils font. » Le seul point sur lequel a insisté la NASA était d’avoir des images du président Nixon sur le porte-avion pendant l’amerrissage. Ce qui n’a pas gêné le réalisateur, car il a pu inclure, dans la même séquence, un plan de Nixon sur un écran de la salle de contrôle de Houston, et a trouvé cette mise en abîme très convaincante. Cependant, entre la conception et l’achèvement du film, soit un an et demi, le très coopératif directeur des relations publiques a quitté la NASA, et la distribution de Moonwalk One en a pâti. Car pour trouver plus facilement un distributeur, la NASA a estimé qu’il fallait couper 10 minutes sur les 100 que durait le documentaire, et elle a décidé seule des endroits à supprimer. « Que des mauvais choix », selon le réalisateur : « Ils ont sacrifié la poésie pour ne laisser que la technique. » En 2007, un groupe de cinéastes mena des recherches sur les images tournées du temps de Moonwalk One, dans le cadre d’un film portant sur le programme Apollo dans son ensemble intitulé Dans l’Ombre de la Lune. L’un des producteurs, Christopher Riley, pris alors contact avec le réalisateur Theo Kamecke et découvrit que celui-ci avait conservé deux grosses caisses métalliques de transport, où reposait la seule copie 35 mm du documentaire d’origine. Les deux années suivantes, un consortium fut mis sur pied pour effectuer une restauration numérique de cette copie et ressortir en DVD la version du réalisateur, juste à temps pour le 40ème anniversaire de la première marche sur la Lune. C’est cette version qui sort aujourd’hui en salles en France. En réalisant Moonwalk One, Kamecke souhaitait « faire comprendre un aspect intrinsèque à la technologie. Car une fois une technique mise au point, l’inévitable advient ». La roue, la poudre à canon, la division de l’atome… C’est une vieille histoire. À cet égard, on peut dresser un parallèle éclairant entre Moonwalk One et 2001 : l’Odyssée de l’espace, deux films réalisés à la même époque. Le film de Kubrick s’ouvre sur un grand singe qui découvre qu’il peut se servir d’une pierre comme d’une arme. 2001… montre comment le développement des technologies, anonyme et impersonnel, aboutit de façon logique à l’anéantissement de l’Homme. Point de personnification, les personnages sont des êtres insignifiants. Seule compte la technologie. Dans Moonwalk One, en revanche, les hommes sont appréhendés dans leur ensemble et ils comptent. L’inconscient collectif est même le thème du film, avec ce qui pousse l’Homme à édifier des lieux comme Stonehenge et à envoyer des fusées sur la Lune. Une fois n’est pas coutume, la réalité porte en elle plus d’espoir que la fiction.
« On portait nos pas vers un lieu innocent, vierge. Vers la Lune, qui n’a pas de passé. Il n’y a rien, sauf le silence. À partir de maintenant, ce qu’il va s’y passer, c’est ce qu’on va y faire. Soit on laisse les choses terribles derrière nous, pour changer, soit on continue gaiement. Je voulais montrer une page blanche, où tout reste à écrire. » TK
« Je ne pense pas qu’il faille en faire un jour de fête nationale, ni que la date précise soit si importante. Mais, oui, c’est un moment historique ; dans cinq siècles, on se souviendra que c’est le moment où on a quitté la Terre pour une autre planète. Et peut-être que dans cinq siècles, on pourra aller dans d’autres galaxies. Qui sait ? Mais je crois qu’on se souviendra de cette première fois où nous, Terriens, avons quitté notre planète. » TK
Texte extrait de l’article de Stephen T. Glantz « The Making of MOONWALK » dans Filmmakers – été 1973 Citations de Theo Kamecke extraites de l’audio-commentaire sur le DVD de Moonwalk One édité en Angleterre en 2007.