Noor veut être un homme.
Il ne fait plus partie des Khusras, la communauté des transgenres du Pakistan. Et il a définitivement tourné la page de l’histoire d’amour qu’il a eue avec l’un d’entre eux.
Désormais, il a un travail d’homme dans un centre de décoration de camions, et il sait ce qu’il veut : trouver
une femme qui l’acceptera tel qu’il est…
ACID Cannes 2012
Festival Chéries/Chéris 2013 – Grand Prix
Festival de Dieppe 2012 – Grand Prix
Festival des images aux mots 2014 de Toulouse – Prix du public
Festival du film Plan Séquence 2012 d’Arras
Festival Désir Désir de Tours 2014
Festival du film d’Alès 2014
Festival Méditerranéen de Rome, Italie 2012 – Prix Spécial du Jury
Asian American International Film Festival 2013, New York – prix de la meilleure fiction
Festival MIX Milano di cinema gaylesbico e queer culture 2013, Italie – mention spéciale
Avec : Noor Noor • Uzma Uzma Ali • Baba Baba Muhammad • Gunga Gunga Sain
Réalisation Çağla Zencirci, Guillaume Giovanetti • Scénario Çağla Zencirci, Guillaume Giovanetti • Production Cristine Asperti, Svetlana Novak • Image Jacques Ballard • Montage Tristan Meunier, Michko Netchak • Son Alexandre Andrillon • Musique Abaji
Çağla Zencirci et Guillaume Giovanetti
Çağla Zencirci et Guillaume Giovanetti ont réalisé ensemble sept courts métrages et documentaires (tournés dans des pays aussi différents que la Turquie, l’Allemagne, l’Iran ou le Japon) qui ont reçu plus d’une centaine de récompenses dans des festivals internationaux aussi prestigieux que Berlin, Locarno ou Rotterdam. Révélé par l’ACID lors du Festival International du Film de Cannes 2012, Noor, leur premier long métrage, a ensuite été sélectionné dans de nombreux festivals dont celui de Karlovy Vary et d’Arras. Ils viennent de terminer la post-production de Ningen, leur seconde fiction, écrit en résidence à la prestigieuse Villa Kujoyama de Kyoto.
Entretien avec Çagla Zencirci et Guillaume Giovanetti
Pourquoi avoir choisi le Pakistan pour y tourner votre premier long métrage ?
Nous nous sommes rendus au Pakistan pour la première fois en 2002.
Guillaume ayant vécu en Turquie et moi étant turque, nous nous
attendions à trouver des similitudes entre les deux cultures, mais nous
avons néanmoins été surpris par un certain nombre d’autres aspects de ce
pays. En particulier sa cinégénie et les histoires que nous racontait
la population locale. A tel point que nous y avons tourné notre premier
court métrage documentaire ! Après cette première expérience, nous
sommes retournés au Pakistan quasiment chaque année, et nous y avons
passé de longs mois à étudier cette culture. Au début, nous prenions
juste du plaisir à être avec nos amis, mais progressivement, ce
pays étant une telle source d’inspiration, nous avons décidé
d’y développer Noor.
Comment vous est venue l’idée du film ?
Lors d’un festival religieux qui rassemble des millions de
Pakistanais et d’Indiens, Guillaume, qui est pratiquement imberbe, a été
abordé dans une rue étroite et bondée par un jeune garçon peu éduqué et
lui-même imberbe. Cet homme a été sincèrement surpris que Guillaume
puisse, dans son pays, avoir une compagne du fait de son « handicap ».
Puis il a disparu et nous avons complètement oublié cette anecdote.
Quelques mois plus tard, cet épisode a ressurgi dans nos esprits et nous
avons eu envie de poser la question de la masculinité dans cette
région, autrement dit : au-delà de l’apparence physique et des codes
sociaux, être un homme, cela signifie quoi ?
Comment s’est fait le casting du film ?
Etant donné qu’en parallèle de l’élaboration du film, nous
réalisions des courts métrages, nous avons développé un principe
de réalisation qui nous a conduits à travailler avec des acteurs
nonprofessionnels jouant dans des histoires que nous écrivions pour eux
et fondées sur leur propre vie. Pour Noor, cela nous a pris plusieurs
mois. Après avoir traversé plusieurs régions et rencontré plusieurs
prétendants possibles pour le rôle principal, nous sommes tombés sur
Noor lui-même dans un bazar de Lahore, au Pendjab. Même si c’était la
première fois de sa vie qu’il rencontrait des personnes venant d’un
autre pays, il s’est ouvert à nous et nous a raconté le jour même son
histoire, celle d’un Khusra qui voulait redevenir un homme. Sa manière
de raconter son histoire et son comportement étaient aussi la preuve
d’une personnalité très intelligente capable de porter un long métrage sur ses épaules. Après l’avoir écouté chez lui pendant plus de cinq heures, nous savions que nous avions notre personnage principal. Il ne nous restait plus qu’à construire notre film autour de sa situation de l’époque.
Connaissiez-vous les Khusras avant de faire un film basé sur
l’histoire de l’un d’entre eux ? Avez-vous fait des recherches les
concernant ?
Au cours des années que nous avons passées au Pakistan, nous avons
souvent rencontré des Khusras, car ils font partie de la société civile,
en particulier au Pendjab et à Karachi. On les voit dans la rue, aux
mariages et lors des célébrations pour les nouveau-nés. Les Khusras sont
composés de transsexuels, de transgenres ainsi que d’hommes qui se
travestissent en femme pour gagner leur vie. La population pense par
ailleurs qu’ils ont des pouvoirs spirituels liés à l’extrême dénuement
dans lequel ils vivent. Sachant que leur communauté, comme les Hijras en
Inde, a été souvent dépeinte dans les films locaux, nous ne
cherchions pas spécifiquement à faire un film sur eux. Lorsque nous
avons rencontré Noor, nous avons passé beaucoup de temps avec lui, comme
à notre habitude, pour comprendre qui il était intimement. C’était une
étape indispensable pour arriver à le diriger le mieux possible. Nous
avons aussi passé beaucoup de temps au contact de Khusras que Noor nous a
présentés. Nous sommes restés chez eux, nous les avons accompagnés lors
d’événements spéciaux et avons participé à leurs réunions privées. En
se rapprochant ainsi d’eux, certains ont accepté de jouer dans
notre film. Ça a été une expérience incroyable.
Est-il facile de vouloir sortir de la « caste » dont on fait partie au Pakistan ?
Même si le Pakistan est un pays musulman, il a conservé un
système similaire à celui des castes en Inde. Il est donc
extrêmement difficile de sortir de n’importe quel groupe social. Et
en particulier de celui des Khusras qui est une communauté très soudée,
avec des règles très précises et qui fonctionne sur un système
d’entraide. Lorsqu’on en sort, on redevient seul. Il y a aussi un
rapport maître/élève chez les Khusras qui fait que les maîtres
s’occupent des élèves jusqu’à ce que ceux-ci deviennent des maîtres et
s’occupent d’eux et de leurs propres élèves. Noor a rencontré les
Khusras à l’âge de huit ans, s’est progressivement intégré à cette
communauté et a toujours été pris en charge par ce groupe. Il est
beaucoup plus difficile pour lui de faire face seul à une société très
masculine, qui, de surcroît, a des règles très strictes concernant la
masculinité.
Comment avez-vous trouvé les financements pour un tel film ?
Sachant que nous n’étions pas pakistanais, il a été
particulièrement compliqué de trouver des financements
internationaux pour faire le film car personne ne pensait que nous
pouvions faire un film réussi sur le Pakistan. Peu importait le temps
que nous avions passé sur place et notre connaissance de la
culture traditionnelle locale. La situation au Pakistan était pire
encore, car le cinéma indépendant y était en déshérence totale, la
plupart des réalisateurs pakistanais ne pouvant compter que sur
euxmêmes pour continuer à faire du cinéma. Il nous a fallu un
certain nombre d’années pour trouver d’abord en France, puis
au Pakistan, des producteurs suffisamment aventureux pour nous suivre et
nous aider sur le budget et la logistique. Nous avons été également
amenés à utiliser notre propre structure de production en Turquie.
Quels types de problèmes avez-vous rencontrés lors du tournage ?
Au fil des années, nous avons constitué notre « golden team », une
équipe légère de douze personnes faite de techniciens pakistanais et
français qui se sont donnés entièrement dans le film, et ceci malgré le
budget réduit et le nombre important de lieux de tournage. Nous avons
aussi bénéficié, dans toutes les régions du Pakistan où nous avons
filmé, de l’aide d’amis de longue date, qui, pour nous rendre service,
ont joué dans le film, et ont fait participer leur famille et leurs
amis. Nous n’avons connu aucun problème avec les autorités locales, qui
nous ont beaucoup soutenus. Simplement, dans certaines parties du
Pakistan, comme par exemple dans une zone de la Karakoram Highway, nous
nous sommes contentés de filmer des décors en équipe réduite,
par décence vis-à-vis de la population locale, que la présence
d’une équipe de tournage composée d’étrangers et d’un ancien
Khusra aurait pu gêner. En fait, nous avons eu surtout des soucis sur
le plan technique. La chaleur extrême qui régnait à certains endroits a
très souvent endommagé notre équipement. Mais le moment le plus
dantesque du tournage, nous l’avons vécu dans la vallée de Hunza début
juin. Dix jours avant notre arrivée, il y a eu un important glissement
de terrain qui a créé une digue naturelle et modifié le climat local.
Alors que nous venions du Pendjab où il faisait 40 degrés, nous avons dû
apprendre à dormir la nuit
sous des tentes par moins dix degrés. Au-delà de la pluie et de
la neige, inhabituelles en cette saison, le problème a surtout été
de n’avoir pas pu accéder à certains lieux qu’on avait repérés et
aux personnes qu’on avait castées. On a par conséquent dû
changer plusieurs séquences à la dernière minute et trouver des
solutions en un rien de temps. Mais nous avons pu nous appuyer sur
notre expérience passée du travail avec les non-professionnels,
qui suppose une grande flexibilité de réécriture sur le tournage.
Noor, qui veut dire « lumière » en arabe, trouve t-il finalement ce qu’il est parti chercher ?
Il cherche en effet l’amour. Mais il s’agit avant tout pour Noor d’une
quête vers l’autre qui se couple avec une recherche sur soi-même. Il
veut s’assumer en tant qu’homme, alors que son apparence et certains de
ses automatismes sont encore très féminins. C’est en définissant ce
qu’il pense de lui-même qu’il pourra trouver sa lumière.