Depuis sa séparation, Faten vit chez son frère aîné, seule avec son bébé. Elle aime Karim et ils ont pour projet de se marier. En attendant de voir leur union se concrétiser, Karim doit se faire accepter par la famille de sa future femme. Mais il a bien d’autres défis à relever, à commencer par rassembler l’argent pour payer la cérémonie et trouver un vrai travail. Sera-t-il à la hauteur ?
FESTIVAL LA ROCHE-SUR-YON
Avec : Karim Karim El Hayani • Faten Faten Kesraoui • Responsable jeunesse Sylvia Bergé • Le frère de Faten Sofiane KesraouiAvec :
Réalisation Dan Uzan • Scénario Dan Uzan, Orianne Mio Ramseyer, Elsa Boutault-Caradec • Production Dan Uzan, Vladimir Kokh • Produtrice associée Munia Halabi • Chef opérateur Raphaël Rueb • Chef monteur Jean-Christophe Hym • Son Clément Maléo, Samuel Elling • Mixage Marc Doisne
ENTRETIEN
Entretien avec Dan Uzan
Comment est né le projet de Nous nous marierons ?
J’écrivais un scénario qui se passait dans le milieu de la boxe, je
m’étais moimême beaucoup investi dans ce sport au point de faire de la
compétition, c’était aussi un moyen de prouver à ce groupe que je
transpirais autant qu’eux, souffrais autant qu’eux et cela me permettait
de me fabriquer une place légitime à être parmi eux. Très vite, je me
suis dit : il y a là un univers que je n’ai pas eu l’occasion de voir au
cinéma et que je pourrais capter.
Ces boxeurs venaient d’un milieu social et culturel différent du mien
mais en même temps, on partageait une même part de rêve. Eux, c’était
monter sur le ring et espérer un jour avoir une carrière
professionnelle. Et moi, c’était faire un jour un film et aspirer aussi à
une « carrière »
Dès l’instant où j’ai commencé à les filmer, j’ai compris qu’ils
allaient devenir les personnages de mon film. Et Karim a pris la place
du personnage principal du scénario que j’avais fini d’écrire !
Quel était ce scénario de départ ?
Il racontait l’histoire d’un boxeur juif sépharade issu d’un milieu
populaire qui rencontre une jolie jeune femme juive ashkénaze et
bourgeoise dans la ville de Levallois. La ville de Levallois est
intéressante sociologiquement parlant. Elle porte encore les vestiges
d’un passé communiste et a subi sous ces 30 dernières années un
phénomène de gentrification qui a poussé une autre catégorie sociale à
s’installer dans des immeubles flambants neufs. Ainsi sur une densité
très forte les contrastes socio-culturels sont vite repérables. Dans ce
scénario que j’ai finalement abandonné est resté l’idée que Karim et
Faten ne venaient pas tout à fait du même univers social bien que des
ramifications culturelles étaient évidentes. C’est d’ailleurs sur ce
contraste social que le frère émet de sérieux doute quant à l’union de
sa soeur.
Le thème qui m’intéressait était : qu’est-ce qu’on fait des choses qui
nous animent quand elles ne sont pas relayées par le cadre normatif de
la société ? Qu’est-ce qu’on fait des choses qui nous donnent du sens
quand les autres n’y voient pas de sens ? Qu’est-ce qu’on fait de la
part de passion qui nous éveille quand cette flamme est si difficile à
préserver ?
Que reste-t-il de ce scénario dans Nous nous marierons?
Il m’a inspiré, mais de loin en loin car je me suis vite aperçu combien
mes idées scénaristiques de départ souvent n’étaient pas les bonnes et à
quel point le réel insufflait des éléments plus forts. En gros, je
retombais sur mon idée de fiction, de manière plus simple. C’était à
chaque fois une petite claque de m’apercevoir que moins j’en faisais,
mieux c’était pour le film ! Ce film m’a permis d’avoir avoir une
réflexion sur ma propre écriture et aussi sur la production. Nous nous marierons a été un terrain d’apprentissage autant au niveau de l’écriture, que de la réalisation et de la production.
Nous nous marierons puise sa force dans le réel mais vous n’abandonnez pas pour autant votre désir de romanesque.
Ce qui m’intéressait, c’était de me dire : qu’est-ce que le
documentaire a à apporter à la fiction ? Qu’est-ce que la fiction a à
apporter au documentaire ? Dans Nous nous marierons, je suis
beaucoup sur le mode du documentaire mais quand je cadre et rate
l’entrée de Karim et que je lui demande de la refaire, dans quel mode
suis-je ? Et lui, qu’est-ce qu’il est à ce moment là ? Devient-il
comédien ? Sur ce type de film à petit budget il est beaucoup plus
facile de sentir la porosité entre fiction et documentaire. Ca devient
un jeu d’osciller entre ces deux mondes qui finissent par ce confondre
et fabriquent l’ADN du film.
Dans mon film, les pistes sont constamment brouillées et je crois qu’à
un moment, se poser la question du documentaire et de la fiction n’est
plus intéressant. Les deux offrent des outils qu’il est passionnant de
mélanger parce qu’ils peuvent donner une texture différente au film. Je
tiens à garder cette ouverture d’esprit si je fais un second long
métrage.
Encore fallait-il que la greffe prenne entre des scènes prises sur le vif et celles d’un enjeu plus ouvertement romanesque…
Cette question s’est beaucoup posée avec les monteurs successifs,
notamment avec Jean-Christophe Hym qui a monté la version finale. Il y
avait un équilibre à trouver entre les scènes de documentaire et celles
de fiction. Certaines étaient très intéressantes en termes de récit mais
on ne pouvait pas les ramener dans le film car la façon dont elles
étaient tournées ne raccordait pas au reste du film. Mais comme j’ai
tourné sur cinq ans, la fibre du film a émergé progressivement et j’ai
de mieux en mieux pris en compte cette question. Tout ça s’est fait de
manière intuitive, avec la rencontre de mes acteurs non professionnels
et en observant leur problématique personnelle de vie. Ce fut tout
particulièrement le cas dans ma rencontre avec Faten. En quoi ce qui
m’est donné à voir chez Karim et Faten pouvait impacter ma façon de
créer du récit ? Je voulais engager un véritable échange entre eux et
mes thèmes personnels, mener un jeu d’aller et retour.
Et le choix de Faten ?
Je l’ai rencontrée complètement par hasard, en bas de ma maison de
production, à Levallois. Elle était avec son enfant, un bébé de huit
mois à peine, je suis allé lui parler, lui ai expliqué que je faisais un
film. Je crois qu’elle ne m’a pas cru, peutêtre pensait-elle que je la
draguais ! Elle a quand même accepté un rendez-vous à la production. On
lui avait demandé de venir sans son bébé, mais elle n’avait pas réussi à
le faire garder. A un moment, Karim a joué avec lui et j’ai vu comment
cette fille, qui s’est fait rejeter par son mec quand elle était
enceinte regardait Karim… Je me suis raconté qu’elle pensait : « c’est
un homme comme lui qu’il me faut. » Et du coup, on a inclus l’enfant
dans l’histoire et j’ai essayé de retrouver ce regard qu’elle lui avait
porté dans la scène du parc avec le petit. Ca m’intéressait beaucoup de
porter mon regard sur une femme divorcée qui a un enfant à charge et
d’essayer de comprendre sa trajectoire de vie pour l’intriquer dans
celle de la fiction qui progressivement dessinait ses contours.
Quels étaient les enjeux de mise en scène des matchs de boxe ?
Je ne voulais pas mettre la boxe au premier plan mais raconter le
besoin vital qu’avait Karim de boxer sans fournir d’éléments explicatifs
sur les raisons de sa passion. Je trouvais aussi important de ne pas
sublimer la boxe… Mon film, c’est l’anti Rocky, l’anti mythe de
l’ascenseur social véhiculé par les Trente Glorieuses : tu n’es personne
et tu peux devenir une star. Aujourd’hui, ces mythologies sont éculées,
on n’a même plus forcément le souhait d’être une star, on sait que ça
ne fait pas gage d’une vie réussie.
Mais alors, pourquoi des gens s’engagent-ils dans cette voie alors
qu’ils savent que leur vie n’en sera pas améliorée? Parce que ce désir
est très intérieur et leur donne du sens. La scène avec le banquier est
emblématique : faire un combat par mois suffit à Karim car l’important
pour lui est d’être relié à son projet intime.
Raison pour laquelle le romanesque irrigue le film : le quotidien de Karim est sous-tendu par sa foi en ses rêves…
Oui, et là pour le coup, on est absolument dans la fiction car dans le
cas du vrai Karim, il avait décidé d’arrêter la boxe dès son opération
chirurgicale, alors que sa blessure, contrairement à ce que je raconte
dans le film, était bénigne. Il n’empêche, il n’envisageait pas de
remonter sur un ring. Je comprends son choix mais à ce moment-là, le
documentaire ne m’intéresse plus. Pour moi, l’intérêt est la lutte qu’on
engage entre son monde intérieur et le monde extérieur, le dilemme que
ça représente.
Pourquoi avoir choisi de suivre Karim en particulier ?
Karim émergeait du groupe et quand je regardais mes rushs, il
s’imposait à l’image. On partageait une même intuition, une même envie.
On avait boxé quelques années ensemble, il y avait une complicité. Quand
j’ai commencé à tourner, je faisais très peu confiance à la capacité de
jeu de mes « acteurs », tous non professionnels. Sans doute pétri par
mes propres idées reçues sur ce qu’est un comédien, je me disais qu’ils
ne pouvaient pas tout jouer. Progressivement, je me suis aperçu qu’ils
en avaient sous le coude bien plus que ce que j’imaginais et qu’ils
étaient totalement capables de prendre à bras le corps un récit.
Quand ils entrent en conflit, on les comprend tous les deux…
Se marier est un objectif commun mais ils y sont poussés par des
raisons totalement différentes qui finissent par les opposer. Au départ,
Karim ne veut rien sacrifier et c’est légitime. Faten, elle est plus
terrienne que Karim et ça aussi, on le comprend. Les difficultés
financières dans des milieux précaires renvoient à la survivance. Une
difficulté de financement est amplifiée dramatiquement dès lors qu’elle
est vécue par une femme comme elle, qui a son enfant à charge. Ce qui
anime Karim et Faten est finalement assez différent. Ou plutôt l’endroit
d’où ils viennent, et leurs trajectoires. Au départ, on suit
essentiellement celle de Karim mais au fur et à mesure du film, celle de
Faten émerge. Initialement, le film s’appelait Karim mais ce titre qui mettait trop à distance Faten me dérangeait et Nous nous marierons s’est imposé.
Vous filmez beaucoup en gros plans sur les visages, notamment lors de la séquence finale.
Dans le premier plan du film, Karim vibrionne, il ne tient pas dans le
cadre. A la fin du film, il est un autre homme, posé, enfermé dans cette
fête rituelle qui n’est pas le mariage à proprement parlé. Il
n’empêche, la tâche de henné dans la main exprime que quelque chose est
acté, Karim est marqué. Même si, à l’intérieur de lui, il éprouve un
autre sentiment. Faten voit ce déchirement, et ce n’est pas ce qu’elle
souhaitait. A un moment, elle a tapé du poing sur la table mais pas dans
le but de rendre Karim malheureux et la réaction de celui-ci la renvoie
à ses propres inquiétudes.
Cette fin de film est assez abrupte…
Quoi qu’il arrive, ils y laisseront quelque chose. Peut-être Karim
annulera-t-il le mariage et perdra une femme qu’il aime et qui l’aime.
Ou alors il entrera dans le costume, mais à quel prix ? Et forcément que
Faten aussi en payera les conséquences. Dans nos vies, on compose
beaucoup plus avec du trouble qu’on ne trouve des réponses. Je voulais
conclure sur ce trouble, ouvrir sur une question ouverte, pas réglée.
Quel regard portez-vous sur cette expérience de premier long métrage ?
Quand on a goûté à sortir de son cercle, forcément il en reste quelque
chose. Aujourd’hui, j’ai repris mes études d’anthropologie à Nanterre
pour poursuivre cette quête d’altérité.
Propos recueillis par Claire Vassé