Retour à Forbah de Régis Sauder
Film recommandé

Retour à Forbach

Régis Sauder

Distribution : Docks 66

Date de sortie : 19/04/2017

France - 2017 - 1h18 min - Couleur -1.85 - 5.1

Régis Sauder revient dans le pavillon de son enfance à Forbach. Il y a 30 ans, il a fui cette ville pour se construire contre la violence et dans la honte de son milieu. Entre démons de l’extrémisme et déterminisme social, comment vivent ceux qui sont restés ? Ensemble, ils tissent mémoires individuelles et collectives pour interroger l’avenir à l’heure où la peur semble plus forte que jamais.

Film soutenu par la Ligue des Droits de l’Homme et par Image de Ville
Cinéma du Réel 2017

Réalisation, Image : Régis Sauder, Thomas Weber • Son : Pierre-Alain Mathieu • Montage : Florent Mangeot • Musique : Deficiency • Production : DOCKS 66, Aleksandra Cheuvreux & Violaine Harchin • Coproduction : avec ANA FILMS, Milana Christitch et VOSGES Télévision.

Régis Sauder

Régis Sauder est un réalisateur français qui a tourné de nombreux documentaires, en collaboration avec les chaînes nationales françaises. Il est notamment l’auteur de Passeurs de vie, un documentaire autour de la question du don d’organes et des problématiques que cela peut supposer, vu à travers le quotidien d’une infirmière, et qui a remporté en 2003 le premier prix du festival du Film d’Angers. Il réalise en 2008 L’année prochaine à Jérusalem, à propos de la création de l’état d’Israël, en revenant sur les traces d’un camp de transit basé à Marseille, et en 2009 Je t’emmène à Alger, sur la ville qu’il avait imaginé enfant à travers les récits de sa grand-mère qui y avait vécu, deux documentaires produits par Les Films du Tambour de Soie. A l’aide de deux institutrices, il décide en 2010 de filmer un atelier de jeunes lycéens marseillais qui s’approprient le roman de La Princesse De Clèves. Avec Nous princesses de Clèves il nous montre dans son nouveau documentaire  comment les thèmes intemporels de ce classique de la littérature va se répercuter dans la vie de ces enfants des cités. Il réalise en 2012, Etre là sur le travail psychiatrique dans l’univers carcéral à la prison des Baumettes, en 2016 il réalise Retour à Forbach.

ENTRETIEN

ENTRETIEN AVEC RÉGIS SAUDER

Pourquoi revenir à Forbach pour y tourner un film ? Quel a été le point de départ de votre projet ?
Il n’y a pas eu un point de départ mais plusieurs. J’ai quitté Forbach après le Bac et j’y suis revenu régulièrement puis de moins en moins avec l’âge et ma vie ailleurs. C’est une succession de visites et de départs. Il y a dix ans dans le cadre de l’atelier documentaire de la Fémis, j’ai écrit un film qui s’appelait Libérez Régis. C’était une réflexion autour de l’héritage, un projet plus narcissique je crois. Je n’ai pas fait ce film, mais je crois que Retour à Forbach est né à ce moment-là. Entre temps, j’ai construit une manière cinématogra- phique d’être au monde. J’ai réalisé Nous, princesses de Clèves et Être là. Mais l’idée de faire un film sur mon héritage ne m’a jamais quitté, et elle est liée au lieu d’où je viens et où tout a commencé. Le cinéma docu- mentaire est une façon de transmettre et de partager une expérience, aussi intime soit elle. C’était important de faire le point sur ce qu’on m’avait donné. Puis, il  y  a eu l’explosion  du  vote  FN partout  en France en 2014 et Forbach s’est retrouvé sous le feu des projecteurs. Philippot s’est présenté aux élections municipales et au premier tour, il est arrivé en tête. J’étais à Marseille à l’époque et cette stigmatisation de la ville m’a interpellé.
A ce moment-là, j’ai écrit une tribune dans Libération où j’expliquais, dans un mouvement de colère, que les habitants de Forbach avaient bien mérité ce qui leur ar- rivait. Je revenais sur les moments difficiles que j’avais passés là-bas. J’expliquais dans cet article pourquoi j’avais le sentiment que Forbach trahissait sa mémoire et comment j’avais, quelque part, trahi la ville, en la laissant derrière moi. Cette tribune était le premier acte de mon retour. Elle a été mal prise à cause de sa vio- lence et de la colère maladroite de celui qui est parti et qui se permet de poser un regard sur ceux qui sont restés.

Avec ce film, vous poursuivez votre exploration des zones de non-droit comme dans Nous, Princesses de Clèves, situé dans les quartiers Nord de Mar- seille. Pourquoi ces territoires vous attirent-ils ?Je ne procède pas par thématiques, mais par proximi- té. C’est-à-dire que dans Nous, Princesses de Clèves, j’ai fait un film dans le lycée où ma femme a ensei- gné pendant 15 ans. Il y avait la proximité de ce lieu. La façon dont ces territoires-là sont représentés me touche beaucoup. C’est vrai pour les quartiers Nord de Marseille, mais aussi pour Forbach dans les médias. Procéder à une autre forme de représentation de ces territoires m’importe. Forbach n’est pas un lieu anodin pour moi. J’y suis né, j’y ai grandi et une partie de ma famille y vit encore. Faire un film dans la ville de mon  enfance, c’est parler d’un territoire qui m’est précieux et qui est traversé par des problématiques bien plus larges, universelles.

Le décor se fait réflexif et expressif à de nombreux moments du film. Les tours bleues de la cité du Wiesberg sont, par exemple, comme des miroirs tendus vers votre propre passé…
Dans les éléments filmés de la ville, il y a effectivement le miroir des histoires passées. C’est vrai pour moi, mais aussi pour les gens que je rencontre. Chacun, à partir du lieu où je le filme, peut évoquer un moment de son histoire. J’ai passé une grande partie de mon enfance dans cette cité car j’avais une grand-mère qui s’occupait  de moi et vivait au 6e  étage d’une de ces grandes tours bleues. A l’époque, elles n’étaient pas décorées de ces nuages. Quand je filme cette cité, c’est une partie de mon passé que je filme en effet. D’ailleurs, très naïvement, la première fois que je suis venu avec une caméra pour tourner au Wiesberg, je croyais que j’allais filmer chez moi, comme si je n’avais jamais quitté cet endroit. Or, évidemment, ce n’est plus chez moi. J’avais les attitudes de quelqu’un qui vient de l’extérieur et je ne suis plus forcément le bienvenu dans cette cité. Débarquant avec une caméra et un preneur de son, je ressemble à ces gens de BFM TV qui ont beaucoup contribué à stigmatiser ce lieu. J’accepte qu’on me renvoie que je ne suis pas le bien- venu pour filmer. Mon travail de documentariste, c’est de passer du temps, d’expliquer que je ne viens pas voler des images et trouver ma place à cet endroit-là. C’est tout l’enjeu du cinéma documentaire : construire un rapport filmé à l’autre dans l’échange.

Pourquoi  avez-vous  eu  le  sentiment  d’avoir  trahi votre milieu d’origine ? Comme le dit  Flavia, la directrice d’école, vous êtes revenu dénoncer la montée du FN ?
Quand on revient poser un regard sur un lieu où l’on ne vit plus, c’est compliqué pour les autres et c’est normal. La notion de trahison, c’est quelque chose qu’on m’a renvoyé. J’avais réussi, fait du cinéma donc je n’appartenais plus à mon milieu d’origine. Mais en revenant faire ce film, je prouve mon attachement aux gens et au lieu. Aujourd’hui, je ne me sens pas dans la trahison. Ce que j’essaie de travailler, c’est ce par- cours qui me met à distance de l’enfant que j’étais, à l’époque où je vivais à Forbach. Il y a un double récit dans le film.
Il y a d’abord l’histoire d’un homme qui revient dans un milieu où les gens ont eu d’autres parcours sociaux. C’est un parcours transclasse que je décris. Le film offre aussi une réflexion politique. La montée du FN traverse le film, elle irrigue les questionnements et les craintes pour l’avenir que partagent les protagonistes du film. Ce sont les deux arcs narratifs du film.

Comment définiriez-vous votre film ? Est-ce un essai politique, un journal intime, un film de résistance ?
J’aurais du mal à le définir mais pour moi, il offre une matière qui peut nourrir des réflexions politiques ou sociologiques. Le film vient s’inscrire dans un mouvement qui défend l’importance des récits de vie. La littérature en est pleine et ils m’ont  aidé. J’ai été très marqué par Retour à Reims de Didier Eribon et par les livres d’Annie Ernaux La Place, La Honte, Une femme… etc. Ces récits, très intimes, sont en même temps universels. C’est ce que je voulais faire, raconter mon histoire et celle des gens que je croise. Je voulais aussi ouvrir un espace où les spectateurs puissent se projeter, réfléchir à leur propre relation à l’enfance, à la transmission, à l’héritage et à la honte d’un milieu. Cette notion de honte sociale est très présente dans le film.

Vous avez tourné et monté votre film sur quelle période ? Les attentats de novembre 2015 et l’état d’urgence viennent l’imprégner d’une tonalité plus inquiète encore.
Le tournage s’est échelonné sur presque deux ans et demi. J’ai commencé à tourner en mai 2014 et j’ai fini cet hiver. Il y a plusieurs lignes narratives dans Retour à Forbach. Il y a le récit du passé, le mien, celui de ceux que je rencontre. Il y a le récit du présent, des gens et de moi qui fait un film. C’est donc aussi le récit de ce tournage. Un tournage qui a été rattrapé par l’actualité c’est vrai. Quand j’étais petit, la frontière avec l’Alle- magne était fermée. On ne la traversait pas car mon grand-père, mon père et sa famille ont été déportés en Haute-Silésie pendant la Seconde Guerre mondiale.On ne la franchissait pas car de l’autre côté, il y avait l’ennemi. Cette frontière était ouverte bien sûr au début du tournage. Mais suite aux attentats, elle  s’est refermée. Etre à la frontière, c’est être aux premières loges de l’angoisse, de la peur et forcément, ça joue dans le climat politique de la ville.
De la même manière, quand j’ai commencé à tourner, la vente de la maison de mon enfance n’était pas pré- vue. Mais la situation familiale a évolué. La maladie de mon père a fait que mes parents ont dû quitter la mai- son. Mon histoire personnelle m’a aussi rattrapé.
Si j’avais conscience que la maison avait de l’importance dans le film, je n’avais pas du tout prévu qu’il se construirait sur sa disparition. C’est aussi ça la puissance du documentaire.
Tout ce qui se joue dans un temps long de tournage offre au film sa dramaturgie et sa profondeur. Quelque part, c’est un peu ce que je dis à la fin du film, j’avais un rendez-vous et je l’ai honoré.

Cette maison familiale qui se vend et qui se vide métaphorise le film. Forbach est aussi une ville qui se vide de sa mémoire…
C’est aussi la perte de la mémoire familiale. Pour moi, il y a évidemment un parallèle entre cette ville qui se vide et cette maison qui disparaît. Le film m’offre la possibi- lité de la garder vivante d’une certaine manière, même si elle n’a pas vraiment disparu. Il m’est encore très difficile de regarder la séquence où la maison se vide. J’ai eu beaucoup de mal à la monter car il y a quelque chose de très violent là-dedans. Dans mon film, coha- bitent le territoire, la maison, l’Histoire et la fragilisa- tion des fondations. C’est ce gruyère souterrain laissé par les mines abandonnées, à l’image de l’histoire qui n’est pas racontée, qui hypothèque l’avenir. En même temps, la ville et la maison se vident mais le film se remplit de paroles fortes et rares.

Pourquoi avoir choisi d’être le narrateur du film ?
Il était évident que ma voix allait se mêler aux autres. Il n’y a pas un narrateur d’un côté et de l’autre, despersonnages qui seraient le faire-valoir de ce récit-là. C’est un récit commun, choral. Ma voix ne surplombe pas la parole de Flavia, Chérif ou Mohamed. Nos récits se répondent et nous sommes tous à la même place. L’écriture s’est faite dans le va-et-vient, entre ce qui est dit par ces amis et mon histoire. La mise en scène de l’interpellation est importante également pour moi :  « Tu sais, Régis… », me disent mes interlocuteurs. C’est un élément essentiel du film qui est aussi un film sur le lien. Cette parole est possible, grâce au lien. Fla- via raconte que son père ne s’est pas rendu compte qu’elle était directrice  d’école.  Cette séquence inter- vient peu de temps après celle avec mon propre père. C’est une façon d’être en écho les uns avec les autres. C’est la première fois que je prends la parole dans un de mes films. Même si mes précédents documentaires re- lèvent eux aussi de la prise de parole. Ce récit s’est écrit par bribes et s’est concrétisé au montage avec Florent Mangeot. Il a travaillé sur tous mes films.
Nous, Princesses de Clèves était déjà un millefeuille narratif. Et là, on était dans le même type d’exercice car il fallait donner à sentir les temporalités, parler du passé et construire le récit du présent. L’histoire de ma maison et de sa disparition est la structure principale dans laquelle viennent s’enchâsser les récits de ceux que je rencontre.

Retour à Forbach a beau être un film rétrospectif, il est raconté au présent et résolument tourné vers l’avenir. A l’image de ce jeune garçon que l’on voit à la fenêtre de ce qui fut votre chambre d’enfant…
Cette image signe vraiment le départ. C’est sa chambre maintenant. Il a onze ans, ce qui correspond à l’âge du récit initiatique que je raconte au début du film, à savoir mon agression dans les vestiaires.  C’était un geste fort de terminer sur cette maison qui se vend et ces gens qui arrivent. La vie continue. C’est en prenant en compte ce changement qu’il peut se passer quelque chose dans la ville de Forbach. Rester arc-bouté, comme certains, sur une idée du passé n’est pas possible. Il y a toujours eu des gens issus de l’immigration.Aujourd’hui, Forbach a un maire PS, aux origines polonaises qui s’appelle Kalinowski. C’est dans ce mouvement-là que peut se construire la possibilité du vivre ensemble.

Votre science des raccords interpelle dans le film. Ils ne procèdent pas seulement d’une logique associative mais aussi émotionnelle. Par exemple, des plans de Forbach la nuit coïncident avec l’évocation de la peur de l’autre…
Quand je fais un film, je travaille une forme. Ici, ces voix partent d’un territoire dont je propose une cartogra- phie tout à fait subjective. Elles s’articulent avec ces lieux-là. Cela me fait penser à une séquence de Nous, Princesses de Clèves. Albert demande à Sarah : « De quoi as-tu peur ? » Et effectivement, la peur est une question essentielle. Je l’évoque à un autre moment du film, quand on voit cet homme qui fouille la benne. Quand on est dans une maison vidée, on n’a plus peur. Il n’y a plus rien à perdre. La propriété, c’est aussi la peur de la perte. Les séquences s’articulent à la fois de manière sensible mais aussi narrative, parce qu’elles sont toujours en lien avec une parole qui a été livrée. Elles se raccordent aussi au lieu et à son histoire.

Votre film met en perspective une mémoire individuelle et collective mais aussi plusieurs générations. Celle qui a tout donné à la mine et l’actuelle qui, selon Hakima, « réfléchit et ne se laissera pas faire ». Croyez-vous en sa capacité de résistance ?
C’est  tout  l’objet  du  film.  La  nouvelle  génération doit se construire sur la nécessité de la mémoire et de l’histoire. Elle doit être consciente des enjeux de domination. Mon grand-père était mineur. La mine a nourri les récits familiaux. Comme le disent plusieurs personnes dans le film  : « On a tout donné à la mine et finalement, qu’est-ce qu’on a reçu ? ». Ce récit polyphonique donne la possibilité de se souvenir de cette histoire-là et d’en faire quelque chose pour que cela ne se reproduise plus. Est-ce que cette génération ne se laissera pas faire, comme le dit Hakima ? J’y crois et j’espère que le film contribue à ce qu’elle puisse prendre conscience de sa place.

La représentation que vous donnez de Forbach fait penser à la citation de Deleuze : « Ce qui est terrible, ce n’est pas de traverser un désert, mais de grandir dans un désert », écrit-il.
J’ai bien conscience de la représentation que je donne de Forbach. Je voulais figurer cette idée de désert et montrer l’abandon des services publics, comme c’est le cas dans la cité du Wiesberg. Je crois que le désert est aussi d’ordre idéologique et politique. A Forbach, existe également un désert sanitaire. C’est de plus en plus compliqué d’avoir accès aux soins. Il n’y a plus de magasins, donc les gens préfèrent la ville frontalière de Sarrebrück ou dans les grands centres commerciaux. Quand j’ai commencé le film, la seule librairie de la ville fermait. Aujourd’hui, il y en a une qui a rouvert, pour combien de temps ? Mais il ne faut pas amplifier le caractère désertique de ces zones. A Forbach, on trouve une scène nationale et des politiques d’accès à ces lieux, il y a des gens qui se battent. Mais on ne peut pas se battre seul contre un système qui organise la désertification des petites villes.

Un sentiment de déréliction domine dans votre film qui prend des accents de tragédie moderne…
L’idée d’un monde qui s’écroule, qui coïncide avec la fin de la mine, traverse effectivement le film. Aujourd’hui, la crise économique marque la ville. On ne peut pas passer à côté et ce n’est pas le montage qui le met en lumière. Il y a quelque chose de l’ordre de la tragédie, en effet. Flavia est une figure tragique qui lutte seule, ou presque, contre cet écroulement. Je pensais souvent au cinéma de Ken Loach et à ses histoires qui racontent un aban- don orchestré des services publics. Quand on a exploité un territoire et qu’il n’y a plus de matière première, on l’abandonne. C’est l’implacable logique du profit.

La patronne du café est comme le chœur grec du film. Elle commente le chaos ambiant. Avait-elle cette fonction-là dans le récit ?
C’est effectivement sa fonction. Cette patronne est un personnage hautement cinématographique qui joue avec la caméra. Sur les trois années de tournage, elle livre quelque chose du temps qui passe. C’est la seule que je filme dans son lieu de travail et qui s’inscrit dans une action. Elle est filmée dans l’exercice de son mé- tier, où la parole et le commentaire sont très impor- tants. Pour moi, le café du marché, qui se trouve sur la place centrale, est l’œil du cyclone. Sa patronne est au cœur du vortex, rien ne lui échappe. C’est d’ailleurs là où Philippot s’est rendu, lors de la campagne municipale.

Vous représentez toutes les institutions dans votre film (l’éducation, la religion, la politique, la santé). Pourquoi avez-vous tenu à leur accorder cette place ?
Parce que c’est l’endroit où tout se construit. A ce titre, le cinéma de Frederick Wiseman me touche beaucoup et je suis très attentif à prendre le pouls des institutions. C’est là qu’on mesure la santé d’un territoire. Sandrine dit qu’elle est surprise par l’absence totale de revenus quand elle remplit les dossiers de bourse. C’est aussi à l’école qu’on mesure la bonne santé d’une ville. L’institution scolaire fait le dernier lien avec la population. Qu’est-ce qui reste quand on est dans cette situation d’abandon ? L’éducation des enfants. Mohammed le dit. Il a un petit garçon et il se demande ce qu’il va lui transmettre.

La musique, que l’on doit au groupe lorrain De- ficiency, est expressive et traduit une rage qui explose dans le récit, notamment sur ces plans nocturnes de mineurs en colère.
Le groupe est de Forbach. Pour moi, c’est une des voix off du film. C’est mon neveu qui m’a assisté sur le tournage qui m’a fait découvrir cette musique. Il était au lycée avec l’un des membres du groupe. On est allé les rencontrer et leur musique s’apparente à une forme de cri. Cette musique métal, empreinte de douleur, exprime des sentiments. Elle ne vient pas illustrer l’image mais prendre, de temps en temps, la place d’une parole. Elle intervient notamment sur ces images d’ou- vriers en colère, extraites d’un spectacle annuel qui retrace l’histoire de la mine. C’est une réminiscence pas une archive.

Diriez-vous que Forbach est le film d’un homme en colère ?
J’ai cru, à un moment donné, que j’allais appeler ce film La Colère. Je suis en colère, mais pas contre Forbach. Le film, et tout ce trajet que j’ai accompli, m’ont aidé à m’apaiser. Il y a ce très beau film de Paul Otcha- kovsky Laurens (Editions POL), Sablé-sur-Sarthe. POL dit qu’il a été malheureux dans cette ville mais qu’aujourd’hui,  si  des  gens y  sont  malheureux, ce n’est pas à cause de la ville mais des gens. Quant à moi, je suis peut-être en colère, mais je crois que je ne l’exprime pas dans le film. Mon film procède plutôt à une réconciliation. Tout le travail autour de Retour à Forbach est un mouvement d’apaisement et un récit de dénonciation des mécanismes de domination qui ont plombé la ville comme beaucoup d’autres ailleurs, et en ça, je n’essentialise pas Forbach.

Ces indices d’apaisement s’expriment d’ailleurs dans les derniers instants du film. C’est le soleil qui pointe, le panneau de signalisation Forbach, ville fleurie…
C’est un mouvement de renaissance, même si rien n’était vraiment mort. Il y a là-bas de belles personnes impliquées. Mon cinéma consiste à aller vers des figures héroïques. Evidemment, c’est le cinéma qui restitue cette dimension-là. Mais pour moi, il est héroïque d’aller enseigner tous les jours, tout comme de rester dans un endroit et de lui résister. Le film porte l’espoir que nous pouvons déjouer le destin funeste qui nous est annoncé.