Dans un village du nord du Portugal, un rite de passage hérité d’une tradition païenne laisse des séquelles irréversibles au jeune Laureano, battu par trois autres adolescents. 25 ans plus tard, Laureano vit toujours aux abords du village, en marge de la communauté et entouré de chiens errants. Les agresseurs, devenus maintenant des hommes, se retrouvent un soir pour célébrer la fête du village. À la nuit tombée, un évènement fait remonter le passé à la surface et la tragédie s’installe.
Festival de Cannes 2022 – Sélection officielle – Séances spéciales
Festival international du film de Kerala 2022 – Sélection officielle – World Cinema
Festival international du film d’Ourense 2022 – Prix du Meilleur Film
Festival du film de Lucca 2022 – Prix du Meilleur Film – Jury de la Presse
Festival international du film de São Paulo 2022 – Sélection officielle
Albano Jerónimo Laureano • Nuno Lopes Samuel • Isabel Abreu Judite • João Pedro Vaz Paulo • Gonçalo Waddington Vítor • Leonor Vasconcelos Salomé
Réalisation et scénario Tiago Guedes • Photo Mark Bliss • Costumes Isabel Carmona, Arranca Corações • Son Pierre Tucat • Montage Marcos Castiel • Directrice artistique Isabel Branco • Montage et mixage son Pedro Góis • Produit par Paulo Branco • Productrice déléguée Marianna Marta Branco • Productrice exécutive Ana Pinhão Moura • Une production Leopardo Filmes et Alfama Films Production
Tiago Guedes
Tiago Guedes est un réalisateur portugais, né à Porto en 1971. Il est diplômé en réalisation à la New York Film Academy, Il a développé plusieurs projets pour la télévision, le théâtre et le cinéma. Le théâtre est une autre discipline qui marque sa carrière professionnelle. Tiago Guedes a, entre autres, mis en scène des pièces de Peter Handke, Dennis Kelly, David Harrower et Martin McDonagh.
FILMOGRAPHIE
2006 Coisa Ruim (co-réalisé avec Frederico Serra)
2008 Entre os Dedos (co-réalisé avec Frederico Serra)
2019 Tristeza e Alegria na Vida das Girafas
2019 Le Domaine – A Herdade
2022 Traces
NOTE D’INTENTION DU RÉALISATEUR
Je me suis toujours interrogé sur les raisons de la violence entre les gens. Aujourd’hui plus que jamais, cette question reste sans réponse possible ou tangible. Nous vivons dans une société qui avance dans le temps, mais n’évolue pas, se dévorant elle-même, toujours plus éloignée de la nature, dans une course à l’excès en vue du seul profit. Une société qui oublie ceux qui, pour une raison ou une autre, restent en chemin, ceux qui ne peuvent pas suivre ou choisissent de ne pas le faire.
Ce film est né de l’envie de réfléchir sur la violence exercée par les plus forts sur les plus faibles, sur l’illusion du pouvoir qui envahit tous les aspects de la société. Réfléchir à la perte de l’innocence, où elle se produit et pourquoi.
Mais l’envie la plus prégnante a été de réfléchir à la peur et à la façon dont elle nous conditionne. Comment elle nous transforme et déforme la réalité.
La trame de fond de ce film est la confrontation entre la noblesse fondamentale de l’être humain face à ce que nous appelons la méchanceté humaine, souvent née de la peur, de ce qui nous semble étrange, étranger, ou que l’on ignore. Une confrontation ancestrale que la société camoufle, cache, sans avoir l’idée, le savoir ou la culture pour l’éradiquer.
De là naît la nécessité de réfléchir aux rites de passage (représentés ici à travers une tradition ancestrale semi-païenne), presque toujours liés à des manifestations violentes et misogynes, qui tentent de symboliser cette « séparation » extrême où l’on abandonne un statut social au profit d’un autre.
Le besoin d’appartenir à un groupe, la volonté d’être accepté par ceux que nous considérons les plus forts, tout comme la volonté et le besoin d’humilier les plus faibles, ont malheureusement encore cours. Certaines traditions, pas seulement d’anciens rituels, semblent vouloir légitimer la façon dont les groupes exercent leur pouvoir et leur violence sur les autres. Pour exemple, toutes les brimades existantes aujourd’hui encore, sous les formes les plus variées.
Une communauté qui occulte les crimes de son passé, qui ne les examine pas et ne se dépeint pas elle-même, est impuissante à empêcher de futures violences. Elle vivra hantée pour toujours. Hantée par l’ombre qui précède le corps, par l’anticipation de ce qui peut arriver. Il y a des coupables, des victimes et des bourreaux, mais il n’y a pas de justice. Il y a la peur. Une peur qui change les perceptions et montre le monde à travers sa lentille déformée. Une peur de ce qui nous paraît étrange et étranger, favorisant l’injustice et la violence qui caractérisent notre monde. Faute de place, il n’y a pas de morale. Ne reste que de la tragédie. Et la peur.
ENTRETIEN AVEC LE RÉALISATEUR
Traces se déroule dans un lieu délimité. Est-ce un microcosme pour montrer le monde, du particulier au général ?
C’est le côté particulier qui m’intéresse. Je pense qu’il est utile de réfléchir à cette partie là. On évalue les personnages et, à partir de là, on dérive vers le général. C’était intuitif et non intentionnel : j’aime les petits espaces, les familles, les éléments de l’intime, qui nous permettent de voir les gens de l’intérieur.
L’idée est-elle de faire un portrait social ?
Dans ce cas ce n’est pas l’objectif. On en arrive là, car lorsqu’on parle du passé, des traditions, on parle d’une forme de culture et d’une façon de voir le monde qui a peut-être empoisonné l’évolution des gens et qui doit être repensée. Il y a une critique implicite, mais elle ne concerne pas particulièrement ce village. Le fait est que, dans ces petites communautés, nous pouvons mieux comprendre ces questions. Dans Traces, je voulais essentiellement parler de la manière dont la société n’accepte pas la différence. Le point de départ du film est une histoire vraie, que j’ai ensuite développée avec Tiago Rodrigues.
Vous êtes donc partis du cas d’un jeune homme qui a été battu et est resté marqué à vie. Était-ce déjà dans le cadre d’une réelle tradition villageoise où l’on porte des masques ?
Non, nous avons voulu inventer une tradition parce que nous pensions que la plupart sont fondées sur des valeurs discutables. Ces rituels de bizutage et d’initiation, souvent poussés à l’extrême, sont dangereux. L’agression de ce jeune homme, qui l’a stigmatisé pour le reste de sa vie m’a fait réfléchir sur la violence. Cela m’a toujours fasciné, mais pour des raisons paradoxales, parce que je ne la comprends pas. Avec les films, j’essaie de la comprendre.
Pensez-vous qu’il s’agit d’un film sur un certain Portugal primitif ?
Oui, dans un certain sens. Il s’agit de la manière dont, en tant qu’être humain, nous n’évoluons pas dans notre réflexion, perpétuant certaines formes de violence et de maltraitance des forts à l’encontre des faibles. Ce qui est certain, c’est que toutes les traditions de ce genre ont en commun une forme de pouvoir sur d’autres êtres humains, à savoir ici sur les femmes. C’est de là que vient la masculinité toxique dont traite le film.
Le casting de Traces comprend Albano Jerónimo, Nuno Lopes, Isabel Abreu, João Pedro Vaz, Gonçalo Waddington, Leonor Vasconcelos. C’est un groupe d’acteurs talentueux. Comment s’est déroulée votre collaboration avec ces comédiens ?
Albano Jeronimo tenait le rôle principal du Domaine et je l’ai choisi à nouveau pour le rôle de Laureano. La plupart des acteurs se connaissaient sur d’autres projets, à l’exception de Leonor, que j’ai trouvé lors d’un casting. Ce sont des gens que j’aime beaucoup. Nous voulions faire un film où nous pourrions être ensemble pendant un certain temps – c’était une condition préalable lorsque nous avons écrit le scénario avec Tiago Rodrigues. Le travail a été très simple, comme nous le faisons habituellement, à une différence près : cette fois, nous avons bénéficié d’une période de résidence de dix jours sur le lieu de l’action avant le tournage. C’était bien de voir les lieux, d’analyser le texte. C’était presque comme du théâtre, dans la phase de discussion dramaturgique, mais nous n’avons pas vraiment fait de répétitions – je les connaissais suffisamment pour comprendre comment ils fonctionnent. Au début, c’était plutôt une question de répétitions, mais l’expérience que j’ai acquise au théâtre m’a fait comprendre qu’il y a différentes façons d’obtenir certains résultats.
Quelles sont alors ces différences ?
Il y en a beaucoup, bien sûr. Être sur scène ou filmer avec une caméra sont des approches très différentes, mais il se trouve que ces acteurs les connaissent très bien. Elles découlent d’éléments classiques : proximité, distance… Le théâtre est un plan-séquence géant, dans lequel les acteurs sont toujours à la même échelle, ce qui n’est évidemment pas le cas au cinéma. Mais, curieusement, j’ai eu envie d’amener le temps du théâtre au cinéma.
Comment qualifiez-vous ce temps ?
J’aime de plus en plus le temps que
vous pouvez enregistrer sans trop faire intervenir le montage. Malgré le fait que j’utilise et que j’ai besoin du montage, je m’intéresse de plus en plus au temps que l’on peut obtenir dans le même cadre et dans la même prise de vue – et cela vient du théâtre.
Vous vous intéressez donc de plus en plus aux plans séquences ?
Il n’est pas obligatoire d’avoir un long plan dans un sens presque démonstratif, mais je m’intéresse à ce temps que les longs plans peuvent apporter et à la manière dont ils obligent l’acteur. L’acteur doit toujours être présent – il peut écouter, il peut faire… rien, mais il doit être là. J’aime cette écoute qui est obtenue quand on laisse la caméra tourner plus longtemps, au lieu de se contenter d’enregistrer le temps des répliques. Et cela se poursuit au montage : j’ai tendance à laisser les plans durer un peu plus longtemps.
Il existe un vieux cliché, évidemment empreint de préjugés, qui dit que le cinéma portugais est “lent”…
Le cinéma portugais est si diversifié qu’il est difficile de le cataloguer ainsi, mais il est vrai que ce préjugé existe. Je l’ai eu moi-même lorsque j’étais encore un jeune étudiant, aspirant à faire quelque chose dans le cinéma. Maintenant, je suis fatigué de l’excès de rapidité dans les prises de vue. À notre époque, nous sommes envahis d’images dans lesquelles la pensée disparaît, surpollués par le côté visuel du cinéma. J’apprécie également ça, mais j’ai besoin de ce temps… J’en ai besoin, non : j’aime ça.
Que pensez-vous de cette phrase de Jean Renoir lorsqu’il évoquait le fait que personne n’a une raison absolue, mais que chacun a “ses raisons” ?
Peut-être… Je suis d’accord avec ça ! Aussi parce que la question du bien et du mal est l’une des conceptions les plus ambiguës que l’on nous donne à voir – elle dépendra toujours de l’endroit où l’on regarde, de la position dans laquelle on se trouve.
Extraits d’une interview de João Lopes pour Diário de Notícias (Septembre 2022) et d’une interview de Rita Bertrand pour Sábado (Septembre 2022).