Dans le Los Angeles des années 90, Stevie, 13 ans, a du mal a trouver sa place entre sa mère souvent absente et un grand frère caractériel. Quand une bande de skateurs le prend sous son aile, il se prépare à passer l’été de sa vie…
Avec : Stevie Sunny Suljic • Dabney Katherine Waterson • Ian Lucas Hedges • Ray Na-kel Smith • Fuckshit Olan Prenatt • Ruben Gio Galicia • Fourth Grade Ryder McLaughlin • Estee Alexa Demie • Angela Fig Camila Abner
Scénariste et Réalisteur Jonah Hill • Producteurs Scott Rudin, Eli Bush, Ken Kao, Jonah Hill, Lila Yacoub • Producteurs exécutifs Scott Robertson , Jennifer Semler, Alex G. Scott • Coproducteurs Mikey Alfred, Amanda Adelson, Josh Rosenbaum • Directeur de la photo Christopher Blauvelt • Monteur Nick Houy • Musique originale Trent Reznor & Atticus Ross • Décorateur Jahmin Assa • Costumes Heidi Bivens • Casting Allison Jones
Jonah Hill
Mid90s,
qu’il a également écrit, est son premier film en tant que réalisateur.
Jonah a été nommé deux fois aux Oscars : en 2012, pour son rôle dans Le
Stratège (de Bennett Miller), film qui lui a valu d’autres nominations
aux BAFTA, SAG et aux Golden Globes. Et en 2014, pour sa performance
dans Le Loup de Wall Street (de Martin Scorsese). Il a tourné récemment dans Don’t Worry He Won’t Get Far On Foot (de Gus Van Sant) face à
Joaquin Phoenix, dans The Beach Bum (de Harmony Korine) et dans la série Maniac (de Cary Joji Fukunaga). Il a également tourné dans Ave, Cesar ! (de Ethan et Joel Coen), 21 Jump Street et 22 Jump Street (de Christopher Miller), qu’il a également produits, Django Unchained (de Quentin Tarantino), Cyrus (de Mark Duplass), SuperGrave (de Greg Mottola), Funny People et 40 ans, toujours puceau (de Judd Apatow).
INVITATION DU PROGRAMMATEUR
Habitué des films à gros budgets et gros
effets en tant qu’acteur, pour sa première réalisation on peut dire que
Jonah Hill surprend !
Avec 90’s,
pas besoin d’effets de dingo pour nous présenter Stevie un pré-ados de
13 ans qui veut trouver sa place dans la vie. La première scène du film,
des plus cash, nous permet d’entrer immédiatement dans le vif du sujet.
L’univers du skate et son effet défouloir et identitaire sont
parfaitement retranscrits et permettent au metteur en scène d’explorer
l’univers adolescent avec une très belle justesse. Ajoutons à cela une
bande-originale qui déchire ! Cela donne un film incarné et très
attachant pour une première réalisation : bonne surprise !
Antoine TILLARD, Cinéma LE MÉLIÈS à Villeneuve d’Ascq
Conversation entre JONAH HILL et REMBERT BROWNE
Une conversation entre Jonah Hill et Rembert Browne (écrivain
qui publie dans le New-York Magazine et Grantland (site web consacré au
sport et à la culture populaire).
Il a interviewé des personnalités de tous horizons, de Barack Obama à
Lin-Manuel Miranda, sans oublier Issa Rae et Donald Glover. Il collabore
également au site web The Ringer et a écrit l’article du Time Magazine
sur Spike Lee qui y figurait en couverture.)
Rembert : Attendez, je mets mon téléphone sur mode avion, pour que ma mère ne m’appelle pas.
Jonah : Pas bête.
Rembert : Dès
les dix premières minutes du film, je me suis demandé s’il était
autobiographique. Est-ce qu’il y a un peu de vous dans chaque personnage
? Est-ce que vous êtes un des personnages ou aucun ? Dans quelle mesure
les personnages, le cadre, l’environnement, l’histoire sont inspirés de
votre propre expérience ?
Jonah : C’est
une excellente question. Tout d’abord, je suis scénariste et je raconte
une histoire. Donc ce n’est pas autobiographique. Les sentiments que
ressentent les ados en grandissant sont personnels. Peut-être que parmi
mes amis, certains ont vécu certaines choses que je raconte. Mais je
voulais créer des personnages complexes dans une histoire que je tenais
absolument à raconter.
Rembert : Je
comprends. Au moment de l’écriture, avez-vous d’abord pensé à l’endroit
où vous situeriez l’histoire, vouliez-vous mettre en avant la culture
du skate ?
Jonah : J’ai
grandi à Los Angeles, je faisais du skate tout le temps. Et je passais
ma vie au tribunal, que l’on a recréé à l’identique dans le film, avec
les graffitis et tout ce qui s’y trouvait à l’époque. Je n’étais pas
très bon skateur, mais je cherchais avant tout à trouver une tribu, un
groupe d’amis. Quand on est encore un jeune garçon, on fait tout ce
qu’on peut pour appartenir au règne animal. Et quand on est ado, on
regarde les petits chercher à s’intégrer dans ce monde. C’est
essentiellement un film sur le règne animal : un petit se pointe et
apprend à survivre et à se construire au milieu de la meute. J’ai
toujours apprécié le côté anti éthique du skate. J’aurais tout donné
pour réussir à faire les figures que les autres faisaient, mais surtout,
cela m’a donné un point de vue, un goût et une perspective. Et surtout,
une famille en dehors de chez moi. Alors même si le film ne raconte pas
mon histoire, la toile de fond du tribunal et de LA est la même que
celle dans laquelle j’ai grandi.
Rembert : Moi,
j’étais non seulement le plus jeune, mais également le plus petit
physiquement. J’étais entouré de géants qui avaient l’air d’avoir 20 ans
de plus que moi alors qu’ils n’avaient que 3 ans de plus. J’étais le
petit merdeux du groupe et aussi le gamin cool qui pensait : « c’est pas
cool d’être un gamin médiocre.» En voyant votre film, je me suis
retrouvé dans tous les personnages, ce qui est extraordinaire. Pour moi
et pour beaucoup de gens, on s’identifie à chacun d’eux.
Jonah : C’est
le meilleur compliment qu’on puisse me faire. Les films que j’aime
montrent toujours des personnages complexes, mais dans lesquels on peut
se retrouver. w l’époque, surtout dans la culture du skate ou du
hip-hop, ou dans tout ce que faisaient les ados, c’était pas cool du
tout d’être motivé. Etre motivé, il n’y avait pas plus nul. Essayer,
bosser dur, c’était franchement ringard. D’ailleurs, on en parle dans le
film. Ceux qui avaient une motivation profonde m’impressionnaient. Je
voulais qu’un des personnages reflète
cette attitude. Quand j’ai rencontré Na-Kel Smith, j’ai tout de suite
vu ça en lui. Il est hyper cool, hyper bon acteur et jamais ringard.
Rembert : C’est un acteur incroyable.
Jonah : Il
peut jouer quelqu’un de motivé, mais pas ringard. Pour moi, le film
repose là-dessus. Trouver ces jeunes, faire le film avec eux et les
regarder évoluer de skateurs à acteurs a certainement été l’expérience
la plus émouvante de ma vie.
Rembert : J’allais
vous demander comment vous les aviez trouvés et comment vous aviez fait
pour qu’ils soient un groupe aussi bien assorti et crédible.
Jonah : Quand
on écrit un scénario, on crée des personnages et on a hâte de les voir
prendre vie. Je connaissais des tas de gens dans le milieu du skate,
ceux que j’avais côtoyés dans mon enfance et certains rencontrés plus
récemment. J’ai donc commencé par chercher et j’ai rencontré pas mal de
personnes. Mon ami et coproducteur Mikey Alfred m’a énormément aidé. Et
puis, j’ai rencontré Sunny dans un skatepark. On n’avait pas encore
commencé le casting. On a commencé à discuter et voilà. J’avais trouvé
Stevie. Je cherchais un gamin qui mesurait 90 centimètres, mais 3 mètres
dans son esprit et son coeur. Je pense sincèrement que Sunny a beaucoup
mieux compris son personnage à la fin du film, parce qu’il a acquis
bravade et confiance. C’est pour ça qu’il est si crédible. En tant
qu’acteur, je n’ai jamais eu de rôle où je devais me mouiller comme
Sunny le fait. Il n’avait que 11 ans au moment du tournage, c’est l’âge
le plus difficile et le plus tourmenté.
Rembert : Lorsqu’il se met à crier contre sa mère, son attitude à la fin du film, ça m’a bluffé.
Jonah : Il
n’est pas du tout comme ça en vrai, mais il est confiant, et comme il
fait du skate, il est entouré de personnes plus âgées que lui. Il a
l’habitude d’être filmé, parce que les skateurs se filment constamment.
On sait tous ce que c’est que d’avoir été timide dans une situation, ou
d’avoir ressenti un sentiment de malaise, voire de culpabilité. C’était
plus facile de faire des répétitions en situation plutôt que de choisir
quelqu’un de nature timide et nerveuse.
Rembert : C’est le premier film que vous écrivez seul. Comment avez-vous procédé ? Comment vous êtes-vous préparé ? Vous êtes allé à LA ?
Jonah : Je
me sentais prêt grâce aux différentes expériences que j’ai vécues.
Depuis 15 ans, en tant qu’acteur, je fréquente une école de cinéma
extraordinaire. J’ai toujours voulu écrire et réaliser un
film. J’ai une carrière tellement remplie et enrichissante, c’est une
vraie chance et un réel bonheur. J’ai tellement appris des personnages
que j’ai interprétés. Souvent, j’ai remarqué que certains acteurs
pouvaient être d’excellents scénaristes, mais n’étaient pas prêts à être
réalisateurs. Je savais qu’un jour, je réaliserais un film et que ça me
prendrait plusieurs années. Il y a très longtemps, j’ai écrit une pièce
avec Spike Jonze. On travaillait de façon très intéressante, on
discutait de ce qu’on avait écrit chacun de notre côté. Chacun racontait
une histoire du début à la fin, ce qui est un excellent travail
d’écriture. Quand j’écrivais Mid90s, je lui ai raconté l’histoire, qui
était totalement différente de ce qu’elle est au final. Il y avait
beaucoup de flashbacks sur l’époque où j’avais 12 ans et où je faisais
du skate. Spike m’a dit : «Tu as franchement l’air de t’ennuyer quand tu
me racontes l’histoire du film, mais tu t’illumines quand tu parles des
flashbacks. Il faudrait que tu écrives CETTE histoire.»
Rembert : c’était quand ?
Jonah : Il
y a 4 ans. Et c’est à ce moment-là que j’ai décidé d’écrire Mid90s.
J’ai passé 4 ans de ma vie à travailler sur le film. Dès que j’étais
seul ou que j’avais un surplus d’énergie, négative ou positive, je me
plongeais dedans. C’était comme mon meilleur ami. Pendant ces 4 ans,
j’allais au tribunal la nuit pour écrire. Je m’asseyais sur les marches
sur lesquelles les jeunes s’assoient dans mon film, là où ils regardent
les pros et leur parlent. Ensuite, je suis rapidement parti à New York
où j’ai continué à travailler. J’adore écrire et j’adore travailler au
montage.
Rembert : Le montage ? Je ne m’attendais pas du tout à ce que vous disiez ça. Racontez-moi.
Jonah : J’aime
beaucoup tourner, mais le montage, c’est vraiment génial. Quand on
tourne, il y a beaucoup d’argent en jeu et de pression. C’est de la
créativité à haut risque. Ecrire et monter, c’est ce que j’appelle de la
créativité à moindre risque. Une créativité tranquille, on est seul ou
avec son monteur. Et quand on invente des choses un peu audacieuses,
mais qu’on se trompe, personne ne le sait, à part soi-même et le
monteur. Monter un film, c’est comme écrire avec des images. C’est la
plus belle expérience que j’aie vécue dans ma vie. Je suis triste que ça
soit fini.
Rembert : C’est comme une façon différente et intime de raconter une histoire ?
Jonah : Au
moment du montage, il n’y a que moi, les gamins et Nick Houy, mon
monteur. Il est extraordinaire, je l’adore. J’aurais pu continuer
pendant encore 10 ans. Honnêtement, j’ai envie d’écrire et de réaliser
un autre film rien que pour le plaisir de le monter. Quelqu’un m’a dit
un jour : «Le tournage, c’est la récompense reçue pour avoir écrit le
scénario. Le montage, c’est la récompense reçue pour avoir tourné.» Mais
je ne suis pas d’accord, parce que j’adore écrire. Pour moi, le film en
est le résultat. Pour que les acteurs comprennent ce qu’ils faisaient,
il fallait qu’ils comprennent qui étaient leurs personnages. Ma
récompense, c’est de leur avoir offert ces personnages auxquels ils ont
pu s’identifier à 100 %.
Rembert : Les voir devenir les personnages a dû être émouvant et exaltant.
Jonah : Parmi
toute la bande, il n’y a que Sunny qui avait déjà tourné. Les autres
étaient super angoissés à l’idée de jouer. Et parce qu’ils étaient
extrêmement motivés, ils ont incarné leurs personnages à merveille.
Rembert : Racontez-nous les souvenirs que vous gardez du tournage.
Jonah : Je
vais commencer par vous raconter une histoire. Olan, qui interprète
Fuckshit, est un garçon terriblement charismatique. Quand il est entré
dans la pièce, j’ai oublié de lui faire passer le casting. Scott Rudin
m’a dit : «On ne l’a pas auditionné.» Et je lui ai répondu : « Ah oui,
pardon. Il est incroyable. Bien entendu; il a le rôle. C’est une star.»
Et effectivement, il explose à l’écran.
Rembert : Il est simplement skateur, c’est ça ?
Jonah : Oui.
Olan est un garçon incroyablement drôle, il est explosif et déborde
d’énergie. Un jour, il était assis dans un coin, hyper calme et je me
suis inquiété. Mais en l’observant de plus près, j’ai vu qu’il avait
caché son scénario sous la table et qu’il était en train de répéter. Au
début, j’avais du mal à le faire arriver à l’heure, mais vers la fin du
tournage, il était là quand il fallait, comme un vrai pro. Tous avaient
envie d’apprendre, c’était génial et émouvant. Ça a été le plus bel été
de ma vie. Quand je regarde les photos, j’y repense avec nostalgie et ça
me manque.
Rembert : Un été difficile, mais drôle.
Jonah : Oui,
c’est ça. C’est pas évident de travailler avec des ados. Il faut leur
expliquer les choses plusieurs fois. C’est là qu’intervient mon
expérience d’acteur. Parce que je comprends pourquoi ils font certains
choix de jeu. Ou alors j’essaie de les détendre, je les encourage à
rester eux-mêmes, je les félicite.
Rembert : C’est plus une question de confiance que des leçons de jeu ?
Jonah :
Je dois les amener à croire en eux. Certains m’ont dit quelque chose de
très émouvant : même s’ils sont devenus très forts en skate, ils sont
trop souvent considérés comme des marginaux, des losers. Et ils n’ont
jamais été poussés dans le domaine artistique, aucun adulte ne leur a
jamais donné cette chance. Ils ont adoré être choisis, reconnus. Ça les a
véritablement boostés.
Rembert : Vous avez dit tout à l’heure que quand vous étiez un jeune acteur, vous aviez appris de vos héros. Qui vous a marqué ?
Jonah : Tous ceux avec qui j’ai travaillé. Si on veut être réalisateur et qu’on est acteur, on est au
premier rang. J’ai joué dans une soixantaine de films. Je suis plus vieux que ce que vous pensez.
Rembert : On a le même âge, et tout d’un coup, je me sens plus vieux, mais bon, continuez…
Jonah : (il
rit) J’ai 34 ans et j’ai joué dans 60 films. J’ai donc ma place au
premier rang, qu’elle soit bonne ou mauvaise. Pour moi, tout a commencé
avec SuperGrave. J’ai observé Seth Rogen et Evan Goldberg (les
scénaristes), deux personnes que j’admire et adore, faire un film qui
résonnait en eux. J’étais très jeune et ça a planté la graine en moi,
j’ai vu que c’était possible. Comme j’ai joué dans leur film, les gens
ont cru que j’allais faire une version ressemblante, mais ces types sont
des génies, c’était leur voix à eux, ils m’ont énormément inspiré.
Ensuite, j’ai travaillé avec Bennett Miller. Et avec lui, j’étais aux
premières loges, j’ai vu son immense talent de réalisateur dramatique.
Je l’appelle régulièrement, souvent pour l’embêter. Ensuite, bien sûr,
il y a Tarantino, Scorsese, les frères Coen, Gus Van Sant et Harmony
Korine…
Rembert : Vous êtes comme un homme de 80 ans qui serait encore élève dans une école de cinéma.
Jonah : Je veux pas que ça s’arrête.
Rembert : Dans ce cas, ne passez jamais votre diplôme.
Jonah :
Pour moi, la récompense, c’est le savoir. Quand je me suis lancé dans
mon premier film en tant que réalisateur, je me sentais prêt, angoissé,
excité, mais je pense que j’avais fait mes devoirs avant, j’avais passé 3
ans à écrire le film. Très souvent, je remarque que quand le scénario
est écrit à la va-vite, le film est fait à la va-vite. Je ne sais pas du
tout ce que le public pensera de mon film, mais je sais au moins que
j’ai bien planché dessus.
Rembert : Vous ne vous direz pas : «Oh, merde, j’avais pas pensé à ça» ?
Jonah : Non.
Je comprends que quand dans les films que j’aime ou ceux dans lesquels
j’ai joués et qui sont bons, il y a toujours eu du temps, des efforts,
une obsession et du coeur. Beaucoup de films n’ont pas ces composantes.
Bien entendu, on ne sait jamais comment un film sera reçu par les
spectateurs, mais quand on a fait son film avec son coeur et qu’on a
beaucoup travaillé, on peut être fier du résultat et on peut le
défendre.
Rembert : C’est marrant, mais avant même d’avoir vu le film, je savais que la musique serait géniale.
Jonah : (il rit) Parce qu’elle est composée par Trent et Atticus ?
Rembert : Non, parce que je sais à quel point la musique compte pour vous.
Jonah : On a écrit certaines scènes pour coller avec la musique.
Rembert : Ça ne m’étonne pas. Je savais que la musique aurait un véritable sens.
Jonah : Joli compliment. Merci.
Rembert : Il y a même un moment, vers la fin du film, où la musique sert de narratrice. Vous voyez ?
Jonah : Oui. Les paroles sont : « C’est la nuit où tout a changé. »
Rembert : Et les choses ont littéralement changé.
Jonah : C’est
le premier titre de l’album « Liquid Swords » du groupe GZA. C’est pour
ça qu’à la fin du deuxième acte, pour passer au troisième acte, j’ai
utilisé le titre qui a le plus marqué mon enfance. On l’a entendu des
millions de fois, mais on n’était pas sûrs de l’intégrer dans le film.
Est-ce que les producteurs comprendraient ? Mon agent ne comprenait pas
ce que ça voulait dire, certains n’aimaient pas GZA. J’aurais pu ne pas
le mettre, mais ça faisait tellement partie de mon ADN que je devais
l’intégrer. J’ai eu la chance de travailler avec des producteurs
formidables : Scott Rudin, Ken Kao, et Eli Bush, qui a mon âge. On est
amis, il comprenait mon sentiment et il se battait avec moi. Si on avait
travaillé pour les studios Universal, ils nous auraient dit : «Enlevez
ce narrateur bizarre à la Kung Fu qui dit que c’est la nuit où tout a
changé.»
On a montré le film à Raekwon (rappeur, membre du groupe Wu-Tang Clan,
qui parle sur la chanson de GZA), et il a pleuré à la fin.
Le film rend les gens très sensibles, ça réveille leurs émotions. Et
montrer ses émotions, c’est tellement contraire à l’éthique dans le
hip-hop, en particulier dans les années 90. Donc Raekwon a vu le film et
il a pleuré. Je pense qu’il ne s’attendait pas à être aussi touché.
Rembert : Est-ce qu’il y a des choses que vous avez cherché à éviter en faisant le film ?
Jonah : Nos
deux règles étaient : pas d’excès de nostalgie et pas d’excès de skate.
Oui, bien sûr, les ados portent des tee-shirts avec l’inscription «
Street Fighter », mais on n’en fait pas des caisses, c’est juste une
façon de s’habiller. Ce n’est pas un film totalement années 90. Ni un
film totalement skate. Le skate est présent dans le film, oui, bien sûr,
comme un fil conducteur.
Rembert : Ce sont principalement les personnages qui sont mis en avant.
Jonah :
Je suis tellement heureux quand après avoir vu le film, les gens
viennent me raconter leur histoire. Na-kel est la star que j’ai toujours
rêvé d’avoir. La scène entre lui et Sunny est une des premières scènes
que j’ai écrite et elle est restée telle que je l’avais écrite. Lorsque
Na-kel dit à Sunny : « Tu n’échangerais pas ta vie contre la leur. »
C’est la scène préférée de tant de gens, ça les touche, mais il ne
fallait pas qu’elle paraisse bidon ni ringarde. Il fallait que je trouve
l’acteur qui serait capable de dire ce genre de phrase sans avoir l’air
ridicule. En plus, Na-kel est un skateur pro extrêmement doué. Il est
considéré comme le maître dans ce milieu. Donc forcément Sunny était
plus impressionné et attiré par lui que par moi.
Rembert : J’ai une autre question concernant la musique.
Jonah :
J’ai deviné. C’est le titre de Morrissey. C’est le premier titre qu’on a
eu. J’ai écrit des lettres à tout le monde (on n’avait pas un budget
musique énorme). Morrissey m’a répondu et nous a donné cette chanson.
Rembert : Avez-vous montré aux jeunes certaines pièces de la culture pop de cette époque ?
Jonah : On ne leur a donné ni gadgets ni jeux vidéo, on ne leur a pas montré des épisodes de Beavis and Butthead.
Pour moi, l’époque n’a pas d’importance. Cette histoire est
intemporelle. C’est vrai que les deux frères jouent ensemble à «Twisted
métal». C’est un jeu auquel je jouais avec mes copains, mais cette scène
est avant tout une scène entre deux frères. Je leur ai quand même donné
des iPods avec une playlist des années 90. C’est Scorsese qui m’a donné
cette idée. Quand j’ai joué dans Le Loup de Wall Street, il m’avait
fait une playlist de la musique de l’époque, c’était super intéressant
et ça m’a beaucoup aidé. On leur a également montré pas mal de vidéos de
skate de l’époque, ainsi que le film This Is England. Mid90s
n’a rien à voir avec ce film, mais je voulais leur montrer que les
personnages sont hyper jeunes, mais ne se sentent pas si jeunes, pour
qu’ils comprennent mon intention.
Rembert : j’adore l’effet « Fisheye ».
Jonah : Alors
ça, ça a été super compliqué, parce que ces caméras se cassent très
facilement. On peut en commander, mais elles datent de 1995. On a tourné
avec les caméras de l’époque. On n’a pas utilisé de filtre. On a fait
ça dans les règles et c’était génial. C’est Fourth Grade qui a filmé. On
a tourné en Super 16 et en format 4:3. Mon directeur de la photo, Chris
Blauvelt, avait l’habitude de cette technique. J’aimerais ajouter une
anecdote. J’ai vu Whiplash, avec Bennett Miller. En sortant, on a parlé
de Damien Chazelle et Bennett m’a dit : « Ce mec est plus jeune que toi.
Tu ferais bien de te mettre au boulot. Donc, je suis rentré chez moi et
je me suis mis à écrire. J’ai accéléré la cadence. Oh, et j’aimerais
ajouter quelque chose qui vous plaira. J’ai cherché à montrer que le
hip-hop a été une forme d’art très importante pendant notre enfance. Ce
que les Beatles étaient pour mes parents, pour moi c’étaient Tribe et
Mobb Deep. C’est avec eux que j’ai grandi. Je trouve que très souvent le
hip-hop est mal utilisé dans les films et je voulais montrer
l’importance capitale de ce mouvement qui nous a accompagnés dans notre
adolescence. Cette expérience m’a tellement apporté. J’y ai consacré
quatre ans de ma vie, mais ça en valait la peine. Mon rêve s’est
réalisé, j’ai accompli quelque chose. J’y ai vraiment cru quand j’ai vu
l’affiche, la bande-annonce et puis le film a été sélectionné au
festival de Toronto, il est sorti, des gens l’ont vu. C’est formidable.
Je n’ai jamais été aussi fier.