Film soutenu

L’Ile

Damien Manivel

Distribution : Météore Films

Date de sortie : 17/04/2024

France - 2023 - 1h13 - 1.85 - Format son : 5.1

Rosa et sa bande ont décidé de passer la nuit sur « l’île », un bout de plage devenu leur royaume. C’est la dernière soirée de l’été, celui de nos dix-huit ans, le temps de tout vivre, le temps des adieux.

FidMarseille 2023 : Prix de la Compétition Ciné / GNCR – Mention spéciale du jury de la Compétition française
Mention spéciale du jury du Prix européen des lycéens

AVEC : Rosa Berder, Damoh Ikheteah, Olga Milshtein, Ninon Botz, Youn Berder, Jules Danger, Celeste Duménil

Scénario : Damien Manivel et Julien Dieudonné • Assistants mise en scène : Romain Pérignon et Atsushi Hirai • Image : Mathieu Gaudet • Son : Jérôme Petit • Mixage : Simon Apostolou • Production : MLD FILMS – Martin Bertier et Damien Manivel

Damien Manivel

Né à Brest, en 1981. Après une première expérience professionnelle de danseur, Damien Manivel entre au Fresnoy, studio national des arts contemporains, pour étudier le cinéma. Il signe plusieurs courts métrages dont Viril (2007), Soit sage ô ma douleur (2008), La Dame au chien (2010) récompensé du Prix Jean Vigo 2011 et Un dimanche matin qui remporte le Prix de la Semaine de la Critique de Cannes en 2012. Un jeune poète, son premier long-métrage, obtient la Mention Spéciale du Jury au Festival de Locarno en 2014. Le Parc, son second long-métrage a fait sa première au Festival de Cannes en 2016 et remporte le Grand Prix aux Entrevues Belfort. Enfin, son troisième long-métrage tourné au Japon, Takara, fait sa première en compétition Orizzonti à la Mostra de Venise 2017. Il remporte le Léopard pour la meilleure réalisation au Festival international du film de Locarno 2019 pour Les Enfants d’Isadora

Filmographie

Le dessin, long-métrage 80 min, 2017
Le Parc, long-métrage 71 min, 2016
Un jeune poète, long-métrage 71 min, 2014
Un Dimanche matin, court-métrage, 18 min, 2012
La Dame au chien, court-métrage, 16 min
Sois sage ô ma douleur, court-métrage, 10 min, 2010
Viril, court-métrage, 10 min, 2007


Invitation

Première scène, bord de mer, entre chien et loup, de jeunes gens se retrouvent dans les rires, les chants et les cris, se photographient, trinquent, fument… Et la jolie voix de Rosa déclame quelques phrases qui vont nous accompagner tout du long, comme une ritournelle : « C’était la dernière soirée de l’été, la veille de mon départ à Montréal. Avec mes amis, Olga, Damoh, Ninon, Celeste , Jules et mon frère Youn, on avait décidé de continuer la soirée sur l’île. On avait l’habitude de se retrouver au pied du grand rocher. C’était cet endroit qu’on appelait l’île… ».
Et voici une nuit qui s’étire, se répète, ne veut jamais se terminer.Nous sommes au mitan de deux saisons, au mitan de deux périodes clés de la vie, celle de l’adolescence et celle de l’âge des possibles, celle de l’insouciance et celle des premiers renoncements. Avec délicatesse, Damien Manivel nous offre le portrait d’une jeunesse éclatante de naturel, de vie et de beauté. A l’aide d’un montage subtil de rushes de travail alliant scènes de répétitions en studio et en décor réel, le réalisateur nous embarque au plus près des corps, des émotions, des sentiments. Un audacieux mélange des genres qui saisit, sous nos yeux, l’éternité d’un moment.

Lucie Taurines, Directrice déléguée chez Les Ecrans du Sud


Note

Fin de l’été, quelque part en Bretagne. Rosa, la vingtaine, passe une dernière soirée sur la plage avec ses amis. Le lendemain, elle part à Montréal commencer une nouvelle vie. Sur cette trame minimale, Damien Manivel tisse une matière cinématographique inédite, qui emporte L’Île loin des attentes du genre coming of age. Après Les Enfants d’Isadora (2019) et Magdala (2022), c’est sa recherche d’accords singuliers entre cinéma et danse qu’il transporte ici en terre inconnue. Au lieu de réaliser le scénario en une fiction close et linéaire, le cinéaste a monté les rushes du travail de répétition avec ses jeunes comédien.ne.s. Deux lieux et deux moments du travail alternent : le studio de répétition, espace nu et abstrait où la troupe formée pour l’occasion cherche mouvements et rythmes, comme pour une pièce chorégraphique ; la plage, où le travail se précise, les scènes se dessinent dans le décor de la fiction. Ici et là, les gestes et les mots du cinéaste, présence discrète souvent hors-champ, parfois dedans, modèlent la matière en mouvement. Gestes, mots et scènes se répètent, le temps s’enroule sur lui-même tout en déroulant le fil du récit. Cette temporalité spiralée produit la sensation grisante d’osciller en permanence entre le dedans et le dehors, entre émotion et distanciation, entre la pure présence des comédiens au travail et l’épanouissement progressif des personnages qu’ils incarnent. C’est à la fois la fin (du jour, de l’été, d’un moment de leur vie) et le commencement (d’une œuvre collective, d’une forme, de la fiction). Si l’art du cinéma est celui des fins et des commencements, L’Île lui fait doublement honneur.

Cyril Neyrat


Entretien avec Damien Manivel

Le dispositif se dévoile au spectateur

Entretien réalisé par Olivier Pierre
pour le FidMarseille

Olivier Pierre — Vous tentez des expériences nouvelles pour chacun de vos films. Quel était le projet de L’Île ?

Damien Manivel — Après Magdala, qui était un film sur la solitude et la mort, j’avais envie de retrouver une forme de légèreté et de changer mon processus de création. Au début de l’été 2022, j’ai réuni un groupe d’adolescents en Bretagne, ainsi que notre équipe de tournage pour travailler pendant deux semaines à l’élaboration d’une fiction dont la forme serait un unique plan séquence. Je réfléchissais déjà à L’Île depuis un an, j’avais un premier texte à ma disposition (co-écrit avec Julien Dieudonné, avec lequel nous avions fait Les Enfants d’Isadora et Magdala), j’avais des intuitions formelles et musicales, mais aussi l’envie de rebattre les cartes avec les comédiens. C’est-à-dire construire ensemble les personnages, leurs relations, définir leur groupe, et bien sûr les actions et scènes qu’ils auraient à jouer. Ça a donc réellement commencé le jour de leur arrivée à tous à Menez Ham, dans le Finistère.

O.P. — L’Île est à la fois une fiction autour d’une bande d’adolescents et un documentaire sur le processus de fabrication de ce film. Comment avez-vous con çu l’enchevêtrement des deux ?

D.M. — L’idée de départ était de construire et répéter le plan séquence début juillet avec les comédiens, ensuite prendre mon été pour préciser l’écriture, la chorégraphie et préparer le tournage qui devait avoir lieu à la fin août. Sauf que, comme rien ne se passe jamais comme prévu, le manque d’argent nous a malheureusement contraints à annuler le tournage. Je passe sur la période désagréable qui a suivi. Quelques mois plus tard, à la mi octobre, mon producteur Martin Bertier m’a convaincu de jeter un oeil sur les rushes des répétitions. J’ai donc ouvert le disque dur pour la première fois et j’ai été touché par tout ce que j’y ai découvert. Je me suis alors dit qu’il fallait raconter cette histoire coûte-que coûte, avec toutes les traces de notre travail à ma disposition, les rushes des répétitions, les enregistrements sonores de nos discussions de travail, des plans tournés avec leurs téléphones par les comédiens eux-mêmes, nos vidéos de repérages, etc. Donc, L’Île, tel qu’il est devenu, est très loin de mon projet initial car le film est maintenant très découpé, avec un jeu permanent sur le montage. Et même si les matériaux utilisés ont une valeur documentaire, L’Île a un côté fictionnel totalement assumé. Nous suivons le fil d’un récit, les comédiens sont toujours dans leurs personnages, en recherche de la parole juste, à l’écoute des idées que je leur propose, et rien n’existe en dehors du film que nous sommes en train de construire. La seule différence avec une fiction classique, c’est qu’ici le dispositif se dévoile au spectateur, on voit la fragilité et la beauté d’une telle entreprise. Et alors que cela aurait pu créer une distance, j’ai pensé qu’au contraire cela renforçait le plaisir de se projeter avec eux dans cette histoire, d’y croire, de se souvenir, et d’être ému.

O.P. — C’est également un essai qui capte la présence, la grâce de ces acteurs au travail . Est-ce la raison pour laquelle vous avez gardé leurs vrais prénoms ?

D.M. — Les prénoms, c’est un choix qu’on a fait ensemble, je crois le premier ou deuxième jour de travail. Donc, cette question s’est posée très vite et je me souviens de Damoh disant « mais ils sont beaux nos prénoms, pourquoi ne pas les garder ? ». De la même façon, la plupart des textes ont été proposés par les comédiens eux-mêmes.

C’était très touchant de découvrir ce qu’ils avaient écrits, de les accompagner là-dedans. Le matin, on se retrouvait tous dans une salle de répétition et on rêvait ensemble du film à venir, on échangeait collectivement au sujet du récit, comment le nourrir, quelles scènes et actions inventer. L’après-midi, on écrivait et répétait les scènes qui jalonnaient le plan-séquence et la nuit on se rendait sur la plage pour tourner 1 H 30 en continu, en incluant les nouveautés du jour. C’était donc extrêmement intense pour les comédiens, d’autant plus que pour la plupart, c’était la première fois qu’ils jouaient devant une caméra.

O.P. — Pourquoi souhaitiez-vous que le film soit pris en charge par la voix off de Rosa qui commente aussi l’action ?

D.M. — La voix off de Rosa, qui nous entraîne dans son souvenir, était une idée que j’avais depuis le début du projet. Elle nous raconte tout ce qu’elle a gardé de ce départ, les paroles échangées, les gestes et visages, tout se charge d’une présence nouvelle et forte. Sa voix se pose sur la musique, un peu comme un chant, avec la candeur que cela suppose. Ce qui est anachronique et poignant, c’est qu’elle s’adresse à nous depuis un temps à venir, elle est maintenant devenue adulte mais elle nous raconte tout cela avec sa voix d’adolescente. L’autre fonction de la voix off est d’unifier ces matières si différentes les unes des autres, d’abolir la frontière entre documentaire et fiction, instants de jeu et de non-jeu.

O.P. — Au niveau du son, on entend également les acteurs jouant et les directions que vous leur donnez. Le mixage a-t-il été complexe ?

D.M. — Davantage le montage son je dirais. Il y avait beaucoup de paroles et de bruits, comme on peut s’en rendre compte, c’est très spontané. Nous avons décidé au montage avec Jérôme Petit et Simon Apostolou au mixage, de préserver ce côté brut et vivant, rend d’autant plus fortes les envolées lyriques dans lesquelles le film nous entraîne.

O.P. — Comment avez-vous envisagé la musique que vous avez également composée ?

D.M. — J’avais une idée assez claire de ce que je souhaitais et j’avais envie, mais comme c’était la première fois que je composais la musique d’un de mes films, j’ai longtemps hésité. Ce qui m’a permis de m’autoriser, ce sont tous ces obstacles qui ont jalonné le processus de création, qui est devenu pour moi un objet à défendre contre vents et marée, et aussi une forme de manifeste. C’était évidemment risqué pour moi de montrer des plans imparfaits, encore en travail, des scories alors que dans mes films précédents j’ai toujours été à la recherche d’une certaine maîtrise formelle. Ce côté artisanal et intime m’a encouragé à franchir le pas.
En termes de composition, c’est assez simple : une mélodie est enregistrée sur des bandes magnétiques que j’ai préalablement coupées et reliées entre elles pour en faire des boucles. Ensuite je passe ces boucles dans diverses pédales d’effets. À chaque répétition de la boucle, comme un ressac, on plonge dans le souvenir, l’ivresse, la mélancolie.

O.P. — Vous avez aussi inséré des dessins, des photos qui évoquent une œuvre collective avec une part d’improvisation. Comment avez-vous procédé ?

D.M. — Ce sont les dessins que je fais toujours sur mes tournages, c’est une forme de story-board brouillon qui m’est toujours très utile pour comprendre ce que je vais filmer et surtout pour le partager avec l’équipe. D’habitude, on colle tout ça sur le mur du salon, là c’était sur la table de la cuisine. On a pris des photos des dessins pour archiver le travail, mais en aucun cas je pensais que cela ferait partie d’une œuvre un jour. Même chose concernant l’équipe de tournage dont le film enregistre la présence discrète et généreuse. J’avais envie de montrer notre présence au travail, là aussi pour garder une trace.

O.P. — Les répétitions en studio deviennent des véritables chorégraphies. Vous avez‑vous même une formation de danseur. Comment la danse a-t-elle servi le travail des acteurs ?

D.M. — L’idée était de faire appel à des adolescents qui s’intéressent à la danse, au mouvement. Pas des professionnels, mais des jeunes ouverts à l’improvisation, à l’expérimentation, n’ayant pas peur de se lancer, d’essayer des choses physiques. Et surtout, qu’ils soient capables et aient le goût de la performance, parce qu’il s’agissait de tenir pendant plus d’une heure sans coupure. La raison pour laquelle il y a une telle intensité dans leur jeu, c’est que les scènes tournées à l’aube ont été tournées en un seul plan, qu’ils traversaient comme une véritable performance.

O.P. — Comment avez-vous réalisé le montage, le passage subtil entre le studio et la plage dans une même scène avec des temps différents ?

D.M. —Le montage a duré trois mois, j’ai travaillé d’une façon intuitive, avec pour seule boussole l’émotion que me procuraient toutes ces images que je découvrais. La structure s’est imposée très tôt dans le processus, avec ces va-et-vient entre les différents espaces et les temporalités, cette idée de circularité dans le fait de répéter plusieurs fois les mêmes scènes avec des variations formelles, rappelant les boucles musicales. Il y a un lien profond entre cette structure et ce que raconte le film, la volonté de Rosa de retenir le temps. Cela met d’emblée son souvenir en relation avec le caractère précieux et éphémère d’un tournage.

O.P. — Le choix d’une caméra portée, légère, mobile, était-il déterminant pour ce film ?

D.M. — Quand j’étais adolescent, je filmais nos soirées avec un caméscope DV. Je ne sais pas pourquoi, mais j’avais besoin d’enregistrer ces moments-là. C’était maladroit, mais il y a quelque chose qui me touche là-dedans. Pour L’Île, j’ai demandé au chef-opérateur Mathieu Gaudet d’essayer de retrouver cette sensation de la première fois où il a eu une caméra en main, de ne pas chercher une forme de perfection et de ne jamais avoir d’avance sur les personnages.

O.P. — L’Île apparaît comme un havre imaginaire, un refuge pour ces jeunes avant le passage à l’âge adulte, une utopie de l’adolescence. Qu’en pensez-vous ?

D.M. — Ils veulent tous préserver une intensité, ne jamais redescendre, tout en ayant conscience que l’heure de la séparation est proche. C’est un moment de tragique ordinaire, tel qu’on en a tous vécu dans nos vies. Cette conscience de la fin les plonge dans un état d’excitation et de grande fébrilité. Pour chacun d’entre eux, cette nuit-là, il y a une urgence à s’enivrer, à entrer en contact avec l’autre, à s’embrasser de toutes leurs forces, à se dire les choses qu’ils n’ont jamais eu le courage de se dire, à faire des promesses d’avenir, à se déchirer et enfin à se blottir les uns contre les autres pour faire bande alors que le jour se lève. Ce qui m’intéresse là-dedans, ce n’est pas de représenter la jeunesse ou l’adolescence en tant que telle, mais cette question qui traverse tous mes films et m’obsède : que faire du chagrin et comment le transformer.