En l’absence de sa sœur Rim, que faisait Yasmina dans un parking avec Salim et Majid, leurs petits copains ?
Si Rim ne sait rien, c’est parce que Yasmina fait tout pour qu’elle ne l’apprenne pas.
Quoi donc ? L’inavouable… le pire… la honte XXL, le tout immortalisé par Salim dans une vidéo potentiellement très volatile.
UN CERTAIN REGARD – FESTIVAL DE CANNES 2018
Avec : Yasmina Souad Arsane • Rim Inas Chanti Sidi • Salim Mejai • Maji Mehdi Dahmane • L’homme de l’hotel LA Elis Gardiole • Mère LE Loubna Abidar • Tante LE Baya Kasmi• Père LE Farid Khadri • Frère Younes Mokhtari
Réalisation Antoine Desrosières • Scénario Antoine Desrosières et Anne-Sophie Nanki, d’après un témoignage Souad Arsane, Inas Chanti • Dialogues Anne-Sophie Nanki, Antoine Desrosières, Sidi Mejai et Mehdi Dahmane • Avec la collaboration de pour ceux de leurs personnages Annabelle Bouzom • Productrice Les films de l’autre cougar • Production Digital District – Eye Lite • Coproduction Lemon Studio – Flach Film, Rezo Productions, Johanna Lecomte, Anne-Sophie Nanki • Directrice de casting Pauline Seigland • Assistante à la mise en scène Pauline Seigland George Lechaptois • Direction de production Jérôme Ayasse • Direction photo George Lechaptois • Ingénieur du son Jérôme Ayasse • Montage Nicolas Le Du • Montage son et mixage Frédéric Bielle • Décors Laurent Le Corre
Antoine Desrosières
Filmographie
1987 Made In Belgique [cm]
(perspective du cinéma Français Cannes 1987)
1989 L’hydrolution, 9mn,
1994 A la belle étoile (Panorama du Cinéma Berlin 1994, Acid Cannes 1994…)
2000 Banqueroute (compétition officielle Rotterdam 2000, ACID Cannes 2000)
2006 scénario de René Bousquet ou le grand arrangement co écrit avec Pierre Beuchot, avec Daniel Prévost.
Diffusion : France 2/Arte/TV5/Public Sénat
2012 Un Bon Bain Chaud
2014 Vanda Spengler(documentaire de 52mn)
2015 Haramiste, 40mn – Prix du Public à Côté court Pantin.
2018 À genoux les gars (Un certain Regard Festival de Cannes 2018)
ENTRETIEN AVEC ANTOINE DESROSIÈRES
Mis à part son contexte contemporain, le sujet de votre film
résonne avec ces chansons yéyé interprétées par des filles qui le
jalonnent d’un bout à l’autre.
Comme pour les acteurs/scénaristes, je me suis livré à un casting de
centaines de chansons pour en choisir sept qui m’ont parues
intemporelles du point de vue de certains thèmes : les abus des garçons,
et les filles qui se défendent en affirmant leurs désirs. Deux chansons
insistent fortement là-dessus : « Les garçons sont des brigands »,
chantée par Anne- Marie Vincent, une jeune fille de 17 ans, écrite par
cette même jeune fille à l’époque, et « À genoux les gars ». Elles font
parfaitement écho au film, qui, comme elles, est lui aussi le fruit d’un
travail d’écriture de jeunes femmes de leurs temps.
La présence de ces chansons doit-elle nous laisser entendre
que rien n’a changé depuis la révolution sexuelle de la fin des années
1960 ?
Bien sûr. En allant chercher des chansons Yé-yé d’avant la révolution
sexuelle de mai 68, je voulais faire un parallèle entre les interdits et
désirs des jeunes femmes de cette époque et ceux des jeunes femmes dont
nous parlons dans le film.
Quel lien faites-vous entre votre précédent film Haramiste
(comédie de 40 minutes avec Inas Chanti et Souad Arsane, sortie en
2015, sur deux jeunes filles voilées prises entre l’étau des interdits
et de leurs désirs naissants) et À genoux les gars.
Haramiste montrait comment l’interdit provoque de la frustration, et À genoux les gars
travaille sur la suite, ou comment la frustration conduit à la
violence. La vie et la société forgent des (mauvaises) consciences avec
ces étapes, nous, nous racontons comment des jeunes femmes apprennent à y
résister, en cela c’est une comédie d’apprentissage à la résistance
contre la culture dominante patriarcale. Les deux films ont en commun de
finir en remettant en question le saint graal des interdits sexuels
culturels ou religieux. Bref utiliser les codes d’un imbroglio
sentimentalo sexuel d’une bande de potes pour l’emmener ailleurs que
d’habitude.
Ce genre d’histoire peut avoir lieu n’importe où.
Oui bien sûr, ce genre d’histoire a aussi lieu dans d’autres milieux
sociaux, dans le monde du travail, dans les familles, partout… Personne
n’a le monopole de l’interdit, de la frustration et de la violence. La
révolution est à faire partout.
La comédie peut-elle éduquer sur des questions de société ? Pourquoi avoir choisi la comédie plutôt qu’un drame ?
J’ai le sentiment que par la comédie, un public pouvant se reconnaître
dans le reflet négatif montré par le film peut rire de lui-même. Sans
relativiser la dureté des faits, le rire ouvre une brèche dans le
cerveau, cela le rend plus perméable à ce qu’on veut raconter.
C’est aussi une comédie sur le langage, une parole vive, imagée, provocatrice.
J’aime faire entendre une langue de tous les jours peu montrée au
cinéma. En la resserrant comme on l’a fait autour des trouvailles
verbales, on en entend mieux la beauté, la poésie, la drôlerie. C’est
aussi ma manière d’écouter et d’aimer les acteurs coscénaristes avec
lesquels je travaille que de leur demander de n’en faire ni plus ni
moins qu’au naturel dans le niveau de crudité. Bref si ça provoque,
c’est que cette langue n’a pas assez été mise en valeur dans le
patrimoine jusqu’à présent. Mais au fond ce n’est pas provocateur, ou
alors c’est à considérer tout ceux qui la parlent comme des
provocateurs.
Vous n’hésitez pas à mettre les pieds dans le plat en
poussant certaines scènes beaucoup plus loin que ce qu’on a l’habitude
de voir. Faut-il en passer par là pour renverser certaines perceptions ?
J’aime partir du cliché, qui est notre dénominateur commun, pour en
sortir le plus vite possible – le but étant de montrer que derrière se
cache une autre manière de voir la réalité qu’on croit connaître. Ca
nous sort brutalement d’une histoire déjà vue de premier amour. C’est
par ce genre de coups d’accélération et de surprises que le film met les
pieds dans le plat.
Quelle est votre méthode pour que les acteurs deviennent coauteurs, et pour leur donner la parole ?
Avant le tournage, je fais quatre mois de répétitions pendant
lesquelles je développe le scénario avec eux. Deux mois durant
lesquelles on passe en revue toutes les situations du film en demandant
aux acteurs de les développer en improvisations filmées, puis deux mois
durant lesquelles les acteurs répètent sur les scènes qui ont été
réécrites par Anne-Sophie Nanki et moi à partir de ces improvisations.
C’est un travail nécessaire au dépassement du cliché. Car le but de
ces quatre mois d’exercice est de faire exploser le stéréotype en
permanence. Cela demande de faire cinq à six fois plus de temps de
répétitions que de temps de tournage. C’est le genre de choix qui me
fait parfois passer pour un extraterrestre !
Au moment d’Haramiste, vous aviez auditionné des
centaines d’actrices avant de choisir Inas Chanti et Souad Arsane. Cette
fois-ci, rebelote pour les trois comédiens masculins, qui ont été
dénichés parmi quelques mille cinq cent prétendants. Quels sont vos
critères ?
Je ne faisais pas seulement un casting d’acteurs, mais aussi de
coscénaristes. J’avais besoin qu’ils soient capables de m’offrir du
matériel comique. Sur tous les candidats que nous avons vus, seuls
m’intéressaient ceux ayant de l’imagination, capables de continuer
l’improvisation plus d’une demi-heure. Ce n’est pas parce que c’est long
que c’est bon, mais s’ils étaient capables de m’épater par leur
impudeur, leur audace et leur drôlerie, je savais que ces gens ne
pouvaient pas être bêtes. Je devais nécessairement travailler avec des
gens aptes à prendre du recul par rapport à ce qu’il y avait à raconter.
J’ai donc choisi des acteurs qui savaient se servir des mots pour
parler de la violence des personnages.
Quelles sont les vertus de votre méthode ?
Le dispositif que je propose permet à tous les gens avec qui j’ai
envie de travailler de donner le maximum en changeant l’économie
générale de la fabrication d’un film. Les répétitions laborieuses – mais
fécondes ! – me permettent de réduirele temps de tournage. J’ai tourné
en trois semaines de six jours un scénario de quatre cent dix pages.
Nous tournons quasiment en continu, sans improvisation et sans
multiplier les prises. Au montage par contre, on prend tout notre temps :
sept mois et demi pour l’image. C’était prévu, cette méthode
l’imposait. Cela produit une économie générale cohérente avec l’esprit
du film.
Économe, le film l’est aussi au point de vue formel.
Oui, la mise en scène et la forme du film font partie du dispositif. Je
fais le pari que l’épure met en valeur le propos. La frontalité est un
parti pris. Je me suis résolu à cela avec Haramiste, qui fait à peu près
quatre plans, et qui n’a pas été vu comme un film expérimental aux
partis pris extrêmes. La simplicité permet aux acteurs de jouer quarante
minutes, ce qui restitue l’illusion de la vie au delà du scénario
écrit. Il y a sans doute quelques leçons à tirer du succès que tirent
les You Tubeurs avec leur économie formelle.
Est-ce difficile dans le système de production actuel du cinéma de défendre cette liberté de ton ?
Ça ne l’a pas été pour ce film. Ça l’a été pour tout ceux que j’ai
développé et pas (encore) tournés. Avant toute chose, il faut préciser
que À genoux les gars a été produit sans aucun financement
provenant de la télévision. J’avais une absolue liberté, aussi bien du
point de vue formel que dans le contenu. J’ai ainsi pu traiter de
manière, disons « obscènement comique » des situations très délicates
que le film dénonce du même coup. Je n’ai jamais eu besoin de demander
aux acteurs de se modérer dans ce qu’ils font, disent ou montrent. Cela a
un prix, le film est frappé d’une interdiction aux moins de 16 ans, ce
que je regrette car il a pour vocation, notamment, de sensibiliser les
jeunes aux questions du consentement.
Parallèlement à la sortie au cinéma, vous allez montrer sur
YouTube une web série de 30 épisodes de 10mn diffusés entre juin et
décembre.
C’est, je le crois, plein d’intérêt : tout à fait inédit comme
expérience, c’est aussi une réponse amusante à l’interdiction aux moins
de 16 ans (même si on avait l’intention de le faire avant que tombe
cette interdiction), la série faisant connaître cet univers et ces
personnages aux jeunes, public cible de YouTube prioritaire pour notre
propos. On compte bien que cette mise en lumière attire une partie
(celle de plus de 16 ans) en salle pour voir toute l’histoire d’un coup
sans attendre décembre… Nous souhaitons ainsi que le film et la série
créent une synergie positive qui profite aux deux.
Dans vos rêves les plus fous, quel serait l’impact d’un film comme À genoux les gars au moment de sa sortie en salle ?
D’un point de vue cinéphile, j’espère avoir fait un film suffisamment
différent et jouissif pour qu’il reste un témoignage marquant
d’aujourd’hui. Et d’un point de vue citoyen j’aimerais qu’il serve de
support pour créer des débats.
ENTRETIEN AVEC SOUAD ARSANE ET INAS CHANTI
Le film met en valeur la performance exceptionnelle des
comédiens, notamment verbale. Quelle est la clef d’une telle
complémentarité ?
I. C : Souad, moi et les garçons, étions libres de suggérer des ajouts
jusqu’au dernier moment. En répétition, Antoine nous a souvent demandé
d’intervertir les rôles, pour les façonner à plusieurs.
S. A : On a toutes les deux fait tous les personnages : la mère, le père, les garçons, les filles…
L’histoire ne fait aucun détour et ose beaucoup. Comment
avez-vous réagi devant la frontalité des situations, à la lecture de la
version initiale proposée ?
S. A : Je ne lis jamais les scénarios. C’est Antoine qui m’en a parlé
de vive voix. Je l’ai découvert en détail au fil de notre travail
d’improvisation en répétitions.
I. C : Moi, j’ai lu l’histoire. Je me souviens m’être trouvée assez mal, d’autant qu’à ce stade, l’histoire n’avait pas encore de fin. C’est nous qui l’avons proposée par la suite avec Souad. Quand je pitchais le film à des amis, au moment des répétitions, la plupart ne trouvait pas l’histoire crédible. Ils ne croyaient pas en la possibilité qu’une fille se fasse manipuler comme ça, au point de s’exécuter. Or cette histoire est issue d’un des nombreux témoignages trouvés sur ce sujet ! Il fallait que cela se sente.
D’ailleurs vous êtes créditées comme co-auteures du scénario.
IC : La version définitive du scénario est en grande partie le fruit
de nos improvisations, c’est ce qu’Antoine a cherché à mettre en place.
Il n’est pas arrivé avec une histoire gravée dans le marbre, il est venu
nous rechercher après Haramiste parce qu’il savait que nous
étions capables de donner de l’épaisseur à son anecdote de départ. Il a
toujours insisté sur le fait que nous étions co-auteures du scénario.
Au moment des répétitions et du tournage, aviez-vous
conscience de la portée que pourrait avoir le film sur le sujet du
harcèlement ?
I. C : Bien sûr. Je l’ai compris dès les improvisations en casting
avec différents candidats pour jouer nos petits copains dans le film. Je
ressentais à chaque scène les émotions au plus profond, et le sort des
deux sœurs me peinait toujours un peu. Beaucoup n’avaient pas la même
perception de l’histoire, notamment sur la question du viol. Car c’est
un viol ! La plupart ne voyaient pas forcément les choses sous cet
angle, ils avaient tendance à minimiser la situation…
S. A : Ils n’en saisissaient pas la gravité. Le fait de retourner le cerveau d’une fille pour obtenir gain de cause, ce n’est pas du consentement, c’est de la manipulation.
Avez-vous fait le film en souhaitant qu’il éveille quelques consciences ?
S. A : Complètement. C’est pour ça qu’on a accepté de le faire, c’était le but.
I. C : Si l’on s’est tant battues pour le film, c’est parce qu’on désire profondément qu’il bouleverse quelques certitudes. C’est utopique, mais j’aimerais bien !
Le film est une comédie. Comment parvient-on à faire rire de tout cela ?
I. C : Ce n’est pas forcément évident. Lors du tournage de la scène où
Yasmina révèle l’histoire qui découle du parking à sa sœur, je
n’arrivais pas à m’arrêter de pleurer (rires) ! J’en rigole aujourd’hui.
Mais dès le lendemain, il fallait vite passer à autre chose, et
reprendre sur le ton de la comédie.
S. A : On a su faire la part des choses grâce aux répétitions. On savait ce qu’on attendait de nous pendant le tournage. Ce travail a notamment porté sur le ton. On a appris à faire coexister le drame avec une forme de légèreté permanente.
I. C : Et en même temps les personnages sont drôles en eux-mêmes. Rim est un peu fofolle, et lorsque je me glissais dans le personnage, je n’essayais pas particulièrement d’être drôle, j’essayais juste d’être Rim.
La gêne extrême côtoie parfois l’euphorie. Comment joue-t-on cela ?
S. A : J’étais intégralement investie dans mon personnage, totalement
déconnectée de la réalité. Si j’ai fait quelque chose de drôle, c’est à
mon personnage qu’on le doit, et à la tournure rocambolesque des
événements. Et puis, les autres ont été géniaux !
Avez-vous eu à fournir des efforts importants pour incarner vos personnages ?
S. A : Absolument pas. D’autant qu’Antoine s’adapte à nous. Il n’était
pas directif ou autoritaire, il contournait les difficultés facilement,
sans nous imposer quoi que ce soit.
I. C : Comme le scénario s’est fait avec nous, il n’y a eu aucune surprise ou difficulté insurmontable. Les caractères de nos personnages n’étaient pas définis, on les a forgés nous-mêmes, en gardant à l’esprit qu’il fallait les rendre un peu drôles. On faisait trois prises. La première, dite la « roulante », ressemblait à un tour de chauffe, avec possibilité pour nous d’improviser en cas de trou. La deuxième, dite la « soufflante » était plus rigoureuse, Antoine nous ayant alerté sur les oublis importants au terme de la précédente prise, et sa coscénariste et assistante Anne-Sophie Nanki faisant la souffleuse, comme au théâtre. Et la troisième, dite la « punchline », très courte, consistait à retourner quelques phrases clefs, oubliées ou savonnées.
Combien de temps durait une prise ?
S. A : Quarante minutes, minimum !
Donc deux fois quarante minutes, minimum ?
S. A : Comme on avait le droit de sortir des rails du scénario, la
première prise durait parfois plus d’une heure ! La deuxième était
généralement plus courte, parce qu’il fallait coller au texte, mais ça
ne durait jamais moins de quarante minutes.
A genoux les gars C’est aussi l’histoire d’une fille qui reprend la main sur son propre désir ?
I. C : C’est l’histoire d’une fille, Yasmina, qui essaye de se sortir seule du pétrin.
S. A : Et puis surtout, le film montre que les hommes eh bah… c’est une catastrophe ! Une ca-ta-strophe ! En règle générale, les hommes ont un ego surdimensionné. Piquez-les un chouia et ils redeviennent des petits garçons. Refusez- leur quelque chose en tant que femme, que ce soit sexuel ou non, et ils le prennent automatiquement personnellement. Le film montre bien aux garçons que nous ne sommes pas des objets, et aux filles qu’il ne faut pas céder contre sa volonté propre. Non, c’est non. En exprimant cela, le film est féministe.
Sans trop en dire, le sens du film s’éclaire grâce à son dénouement.
S. A : Cette fin est géniale…
I. C : Elle prend le dessus.
S. A : Oui c’est ça. J’allais dire « elle passe à autre chose », mais non, elle prend le dessus. Elle prend elle-même conscience de ne pas être qu’un objet à usage sexuel, elle reconquiert sa sexualité.
Le film n’hésite pas à mettre les pieds dans le plat.
Faut-il en passer par là pour donner à un film la chance de faire bouger
les choses ?
S. A : Mais bien sûr que oui ! Lors de castings, j’ai remarqué qu’on
nous demandait de parler comme des darons… Mais les jeunes ne parlent
pas comme ça ! Entre amis on parle encore pire que dans le film ! Mais
le cinéma ne se met pas à la page, on dirait qu’ils sont choqués par la
langue des jeunes d’aujourd’hui. On se retrouve face à des vieux, qui
prennent les jeunes pour des idiots, du genre : « Non mais attends, ton
langage c’est n’importe quoi ». Alors que non, c’est l’époque qui veut
ça.
I. C : Et puis, notre façon de parler entre amis n’exclut pas de savoir s’exprimer plus correctement quand la situation l’impose.
S. A : Et ça vaut pour tout, pas que le langage !
I. C (elle poursuit) :.. Et puis même si Yasmina et Rim sont sœurs, elles n’abordent rien de la même manière. Elles incarnent donc deux manières d’être d’aujourd’hui ! Si elles ne reflètent pas toutes les filles de France, en définitive leur histoire peut parler à n’importe qui. Peu importe le contexte ou comment elles parlent, mais au moins c’est crédible.
Par rapport à ce souci de crédibilité verbale, quelle a été votre marge de manœuvre ?
I. C : Carte blanche. Antoine ne nous imposait rien en répétitions.
S. A : Il a une confiance en nous qui est incroyable. Il nous dit pour les improvisations prospectives : « Bon les filles, voici le sujet, faites ce que vous voulez ».
Il pose un cadre et vous êtes libre de faire ce que vous voulez dedans ?
I. C : C’est ça. Mais entre la phase d’improvisation et celle des
répétitions, ce sont Anne-Sophie et lui qui rédigent les dialogues à
partir de nos propositions pour mettre en valeur ce qui marche le mieux.
Toute l’histoire filmée part moins d’une interprétation de l’idée
d’Antoine que de notre appropriation. C’est un va-et-vient mutuel. Le
scénario final interprète ce que nous avons inventé.
Ce n’est pas que de l’animation de colo, alors ?
I. C : Non, mais le plaisir vient aussi du côté colo des débuts qu’on ne perd jamais tout à fait.
Dans le cadre d’un sujet aussi délicat, est-ce que cela
change quelque chose de travailler en tant qu’actrice pour un
réalisateur plutôt que pour une réalisatrice ?
I. C : La question nous avait déjà été posée à la sortie de Haramiste,
car le film mettait en scène deux filles voilées. Or Antoine n’est pas
musulman, et encore moins une femme voilée ! Moi, ça ne me pose aucun
problème a priori.
S. A : Ça aurait peut-être changé quelque-chose s’il nous avait imposé ses idées à lui sans nous laisser y prendre part. Mais Antoine s’assurait toujours que nous soyons tous d’accord sur la tournure que devait prendre chaque scène. Il a des idées mais sait admettre quand il a tort. Il voulait notre avis en tant qu’actrices, en tant que scénaristes, et en tant que femmes. C’est pourquoi j’ai pu travailler avec lui sur ce projet.
I. C : S’il ne nous avait pas laissé la parole, j’aurais craqué. Je n’aurais pas supporté qu’un réalisateur me dise : « non, ça ne se passerait pas comme ça ». Là, j’aurais été tenté de l’interroger sur sa légitimité à parler d’un tel sujet en tant qu’homme.
S. A : Comme Antoine ne se fait pas d’idées préconçues, il ne nous en impose pas.