Film soutenu

Anhell69

Theo Montoya

Distribution : Dublin Films

Date de sortie : 29/05/2024

Roumanie, France, Allemagne - 2022 - 1h15 - documentaire

Un corbillard sillonne les rues de Medellin, tandis qu’un jeune réalisateur raconte son histoire dans cette ville marquée par les conflits, la violence et les paradoxes. Il se souvient de son enfance, de sa rencontre avec le cinéma d’auteur de son pays et de la découverte de sa sexualité. Il tente ensuite de réaliser son premier film, une fiction sur une secte de fantômes. Le casting se fait au sein de la jeunesse queer de Medellin, mais l’acteur principal meurt d’une overdose, à l’âge de 21 ans. Alors que le réalisateur voit disparaître d’autres amis, ANHELL69 explore les craintes, les doutes et les rêves d’une génération anéantie, et la lutte pour continuer à faire du cinéma.

Settimana Internazionale Della Critica, Compétition Officielle, Mostra de Venise 2022 Mention spéciale du jury & Prix de l’innovation et Prix de la contribution technique

AVEC : Alejandro Hincapié, Camilo Machado, Alejandro Mendigaña, Julián David Moncada, Camilo Najar, Juan Esteban Pérez, Sharllot Zodoma, Víctor Gaviria et Theo Montoya

Réalisateur : Theo Montoya • Production déléguée : Desvio Visual (Colombie) • Coproduction : Monogram Film (Roumanie), Dublin Films (France), Amerikafilm (Allemagne) Scénario : Theo Montoya • Image : Theo Montoya • Montage : Matthieu Taponier, Delia Oniga et Theo Montoya • Musique originale : Vlad Feneșan et Marius Leftărache • Son : Eloisa Arcila Fernandez, Estephany Cano, Marius Leftărache, Victor Miu, Marian Bălan et Dragoș Știrbu

Theo Montoya

Theo Montoya, originaire de Medellín, en Colombie, est réalisateur, directeur de la photographie et producteur. Il est le fondateur et directeur de la société de production DESVIO VISUAL, dédiée à la création de films d’auteur et de films expérimentaux.
Son premier court-métrage, SON OF SODOM, a fait partie de la sélection officielle des courts-métrages au Festival de Cannes 2020 et de nombreux autres festivals à travers le monde. Il a remporté le prix du meilleur court-métrage documentaire d’Interfilm et a obtenu une mention spéciale du Jury Labo à Clermont Ferrand.
ANHELL69 est son premier long-métrage, une coproduction colombienne, roumaine, française et allemande, présentée en première mondiale à la 37e Semaine internationale de la Critique de Venise (79e Festival international du film de Venise).


Invitation du programmateur

Naissance d’un cinéaste, c’est comme cela que je peux résumer mon sentiment lorsque j’ai découvert le premier long-métrage de Theo Montoya. Anhell69 est un film qui donne une visibilité et la parole à ceux que la société colombienne ne veut pas voir ou entendre, une génération qui ne sait plus comment exprimer son mal-être tout en ayant un féroce appétit de vie. Le cinéaste colombien nous propose une œuvre magistrale, inclassable, qui joue allégrement avec les genres cinématographiques et oscille en permanence entre le documentaire et la fiction. Le travail sur le cadre, la lumière et le son est splendide, et je ne vous parle pas de la scène d’ouverture du film, à tomber ! Pour un premier film, c’est du très grand art. Incontournable !

ANTOINE TILLARD – Cinéma Le Méliès à Villeneuve-d’Ascq


Note d’intention du réalisateur

Parcourir ma vie, c’est parler de la guerre, de la religion, de cinéma, et de ma rencontre avec Camilo Najar, Sharlott, MH, Alejandro Paz, Julian David, Mendigana et Juan Perez. Parler d’eux, c’est évoquer le film que l’on n’a jamais pu faire ensemble : Anhell69. C’est aussi raconter l’annihilation et le no futur de ma génération, causés par le suicide et les drogues ainsi que par l’oppression d’une société conservatrice et violente qui tente d’exterminer tout ce qui pourrait remettre en cause le status quo. Nous réalisons quand-même Anhell69. Pas comme nous l’avions imaginé mais comme la vie nous autorise à le faire, moi et mes amis encore présents, les protagonistes du film. Anhell69 est l’immortalisation de nos souvenirs, de notre mémoire, de notre vie avant la mort, et est peut-être un avertissement pour les générations et gouvernements à venir.



Entretien avec Theo Montoya

Vous avez déclaré qu’Anhell69 « s’est efforcé d’être un film sans étiquettes ». Il est difficile de résumer cela en quelques mots. Comment le qualifieriez vous ?
Comme un film sans frontières, un film-monstre qui englobe de multiples genres et formats. S’il montre comment mes amis se questionnaient sexuellement, je trouvais également intéressant que le film questionne leur propre corps, ce qu’ils sont dans l’univers cinématographique. Pour se faire, l’œuvre est construite à partir d’archives et de mises en scène, elle joue avec différents genres et se situe un peu entre la fiction et le documentaire.

Le film devait être un film d’horreur pour lequel vous réalisiez le casting, mais le film s’est transformé en un témoignage sur une génération qui disparaît prématurément. Comment cela s’est-il passé ?
C’est ce que je tente d’expliquer dans le film. Lorsque Camilo [le protagoniste principal du film] est décédé, j’ai commencé à me demander ce que je souhaitais réellement faire. Parfois, lorsque l’on créé, on tombe amoureux d’idées que l’on a eu et on ne comprend pas ce qu’il se passe autour de nous. J’ai clairement compris que ce que nous vivions était bien plus puissant que l’histoire d’horreur que je voulais raconter.

Plusieurs acteurs qui devaient être dans votre film manifestent un désir de dévorer la vie, comme s’ils pressentaient une fin prématurée, ou qu’ils couraient vers celle-ci. Cela peut être interprété comme un hédonisme teinté de fatalité.  Vivre en Colombie génère-t-il un rapport plus étroit avec la mortalité ?
Tous n’ont pas le même discours. Dans le film, un ami parle beaucoup du futur et meurt lui-aussi. Malgré tout, il y a un certain contexte politique et social qui connecte toutes leurs réponses : lorsque vous savez où vous vivez, vous êtes conscient que vous n’avez pas de temps à perdre.

Dans le film, plusieurs monstres tangibles sont pointés du doigt dans une Medellín qui semble pourtant plus ouverte concernant la communauté LGBTI : l’homophobie des forces de sécurité officielles, les milices parallèles, une religiosité qui exclue et condamne…
Oui, totalement. La fiction que je souhaitais réaliser initialement permettait d’aborder notre réalité mais d’une manière différente, avec d’autres codes. Ce qui est intéressant, c’est la manière dont la fiction peut s’entrechoquer avec la réalité quotidienne dans les rues de la ville.

Vous utilisez les codes de l’horreur comme dialecte pour aborder des problématiques actuelles et en cela, le film résonne avec d’autres auteurs comme Joaquín del Paso avec El hoyo en la cerca (2021). La réalité est-elle terrifiante ?
Je pense que cela est lié au fait que de nombreux réalisateurs ont grandi avec une certaine filmographie. On commence à construire ses propres récits avec le cinéma qui nous est familier, personne ne commence en regardant Apichatpong Weerasethakul à l’âge de cinq ou six ans. Avec le temps, on commence à déconstruire un grand nombre de ces codes et idées que ces films véhiculent. Dans mon film, par exemple, la mort n’est pas seulement quelque chose de pervers, je tente aussi de lui donner un sens. Au-delà du fait qu’il s’agisse d’un film d’horreur, c’est un film fantastique qui parle de fantômes : le film est sérieux, mais pas si sérieux que ça.

Les fantômes sont présents sous deux aspects. Les images de ceux qui devaient être les acteurs de votre film sont, d’une certaine manière, des images fantômes de ces personnes mortes trop jeunes. D’une certaine manière, ils ont été acteurs d’un film, même s’il est différent de celui pour lequel ils avaient auditionné. Je ne peux imaginer à quel point ce processus a pu être chargé en émotions pour vous.
Oui, cela a été un processus émotionnellement intense. Au bout du compte, lorsque le film est terminé, on le voit d’un œil différent.

Vous avez attribué un rôle dans votre film au cinéaste Víctor Gaviria. Qu’est-ce qui vous inspire chez lui ?
Le film peut être considéré comme un hommage cinématographique au cinéma colombien, et à de nombreux réalisateurs aujourd’hui décédés. Il m’a semblé que c’était une occasion unique pour moi que Gaviria puisse participer, étant vivant et actif.

Pourquoi lui avoir attribué le rôle du chauffeur du corbillard ?
C’est un clin d’œil. Je me trouve moi-même à l’intérieur du cercueil mais n’importe lequel des acteurs du film décédé aujourd’hui, aurait pu s’y trouver. Gaviria est lié à de nombreuses morts, il porte en lui la mémoire des personnages qu’il a mis en scène. Dans les années 1990, il a réalisé une œuvre très forte, Rodrigo D. No futuro (1990), qui rendait hommage au néoréalisme italien d’Umberto D. (Vittorio De Sica, 1952) et faisait référence aux slogans punk. Cette idée de no future est toujours d’actualité trente ans plus tard dans la Medellín qui se veut cosmopolite. Elle s’est propagée des quartiers périphériques au centre-ville et à d’autres jeunes aux préoccupations bien différentes. Je voulais expliciter ce lien, et aussi montrer que mon film existait grâce au cinéma de Gaviria. Si ma nation n’a pas de père, elle doit au moins avoir un père cinématographique.

Pensez-vous que votre autodidaxie et votre intérêt pour d’autres activités créatives vous ont aidé à atteindre cette liberté que votre film transmet ?
Tout à fait. Je souhaitais faire un poème visuel qui n’ait pas grand-chose à voir avec les conceptions cinématographiques. J’ai imaginé faire un hommage au cinéma mais sous le prisme de la musique électronique, comme à un DJ set.

Dans quel sens ?
Lorsque l’on fait un DJ set, on mélange des chansons qui ne sont pas les nôtres afin de leur donner une unité et un sens. J’ai filmé des images sans but spécifique puis j’ai commencé à les assembler, les miennes avec celles des autres. Le film est construit à partir de tous ces matériaux, toutes ces histoires et tous ces regards possibles et ce, en s’inspirant de la musique électronique et de certains programmes informatiques. J’ai grandi en montant avec Premiere Pro, ce qui facilite beaucoup l’expérimentation et le jeu.

Votre film est aussi très sonore
Oui, bien que je n’utilise pas la musique pour manipuler mais pour narrer les transitions. J’en ai besoin pour construire ce labyrinthe d’images, mais ce n’est jamais dans les moments qui sont dramatiquement très puissants. Lors des castings, il n’y a jamais de musique.

Les images sont majoritairement sombres dans le film. Est-ce une décision esthétique ou est-ce lié au fait que vous abordez principalement la vie nocturne ?
J’avais imaginé Anhell69 comme l’inversion du mythe du vampire : le trajet du corbillard se serait déroulé la nuit et à la fin, j’aurais ouvert les yeux à l’aube. De plus, il est vrai que nous vivions la nuit. Je voulais aussi explorer les possibilités qu’offrait une caméra Sony avec une gamme dynamique très large; permettant de restituer la nuit d’une manière particulière que je trouve très plastique. Prioriser les images de nuit était donc un mélange de caprice personnel, de concept et de quelque chose de nécessaire, parce que la nuit est l’univers que nous connaissions et que nous habitions.

Entretien réalisé par Ignasi Franch

Texte original traduit de l’espagnol