Atlantique de Mati Diop
Film soutenu

Atlantique

Mati Diop

Distribution : Ad Vitam

Date de sortie : 02/10/2019

France, Sénégal, Belgique - 2019 - 1h44 - 1.66 Son : 5.1 - Wolof

Dans une banlieue populaire de Dakar, les ouvriers d’un chantier, sans salaire depuis des mois, décident de quitter le pays par l’océan pour un avenir meilleur.
Parmi eux se trouve Souleiman, qui laisse derrière lui celle qu’il aime, Ada, promise à un autre homme.
Quelques jours après le départ en mer des garçons, un incendie dévaste la fête de mariage d’Ada et de mystérieuses fièvres s’emparent des filles du quartier.
Issa, jeune policier, débute une enquête, loin de se douter que les esprits des noyés sont revenus. Si certains viennent réclamer vengeance, Souleiman, lui, est revenu faire ses adieux à Ada.

Festival de Cannes 2019 – Grand Prix

Avec : Ada Mama SANE • Issa Amadou MBOW • Souleiman Ibrahima TRAORE • Dior Nicole SOUGOU  • Fanta : Aminata KANE • Mariama Mariama GASSAMA • Thérèse Coumba DIENG  • Moustapha Ibrahima MBAYE  • Mr Ndiaye Diankou SEMBENE • Omar Babacar SYLLA • Cheikh Abdou BALDE

Réalisation Mati DIOP  • Scénario Mati DIOP et Olivier DEMANGEL • Image Claire MATHON • Scripte Christelle MEAUX • Montage Ael DALLIER VEGA  • Compositrice Fatima AL QADIRI • Son Benoît DE CLERCK • Décors Toma BAQUENI et Oumar SALL • Costumes Rachèle RAOULT et Salimata NDIAYE • Directeurs de production Pascal METGE et Oumar SALL • Assistants réalisateurs Vincent PRADES et Fatou TOURE • Conseiller artistique Fabacary ASSYMBLY COLY• Directrice de casting Bahijja EL AMRANI • Production déléguée LES FILMS DU BAL – Judith Lou Lévy et Eve Robin • Co-production sénégalaise CINEKAP • Production exécutive CINEKAP – Oumar SALL • Co-production belge FRAKAS PRODUCTIONS – Jen-Yves Roubin et Cassandre Warnauts • Ventes internationales MK2 FILMS

Mati Diop

Mati Diop est la fille d’une mère française et du musicien sénégalais Wasis Diop, ainsi que la nièce du cinéaste Djibril Diop Mambety. Elle grandit à Paris et, très influencée par le travail cinématographique de son oncle, décide de s’orienter vers une carrière au cinéma.

Elle intègre le Pavillon, laboratoire de recherche artistique du Palais de Tokyo en 2006, puis le Studio national des arts contemporains du Fresnoy en 2007. Elle s’occupe de conceptions sonores et vidéos pour le théâtre et continue à réaliser des courts métrages revendiquant une inspiration dans son travail de celui d’Apichatpong Weerasethakul ou des cinéastes indépendants américains tel que John Cassavetes.

En 2008, elle joue son premier rôle principal au cinéma dans le film de Claire Denis, 35 rhums. Cette même année, elle présente 1000 soleils au festival de Cannes, un projet de documentaire sur le film Touki Bouki (réalisé par son oncle en 1973 et présenté au Festival de Cannes cette année-là), qui sort en 2013 sous le titre Mille soleils. Ses courts métrages ont été présentés lors de différents festivals internationaux, dont Atlantiques qui obtient le Tigre du meilleur court-métrage en 2010 lors du festival du film de Rotterdam.

Elle réalise en 2018 son premier long-métrage, Atlantique, qui est sélectionné en compétition officielle du festival de Cannes 2019 et qui obtient le Grand Prix.

Filmographie

Atlantique (long métrage) 2019
Liberian Boy (court métrage, réalisé avec Manon Lutanie) 2015
Mille Soleils
(Sénégal-France, 45 min) 2013
Snow Canon (France, 35 min) 2012
Big in Vietnam (France, 26 min) 2011
Atlantiques (Sénégal, 16 min) 2009
Last Night (France, 15min) 200

L’histoire d’Atlantique commence avec le départde Souleiman, jeune dakarois contraint de quitter son pays par l’océan dans l’espoir de jours meilleurs. En partant de cette réalité tristement banale, marquée par les drames collectifs de l’immigration clandestine, Mati Diop rend hommage à une jeunesse sénégalaise blessée mais touchée par la grâce, capable, aussi, d’un sursaut citoyen comme le mouvement « Y’en a marre », conduit en 2012 contre le Président Wade.

Au-delà de l’actualité politico-sociale, celle que l’on considère comme la relève du cinéma sénégalais choisit, en contant ce drame tourné en wolof, de s’insurger contre la réalité, tout en signant un film profondément féminin. Avec le personnage d’Ada, victime d’un mariage arrangé suite au départ en mer de son bien-aimé Souleiman, elle trouve une façon de vivre l’expérience de l’« adolescence africaine qu’elle n’a pas vécue ».

Le parcours de Mati Diop, fille du célèbre musicien Wasis Diop, c’est aussi une affaire familiale, une volonté de mêler passé et avenir. En 2013, elle réalisait Mille Soleils, un documentaire sur Touki Bouki, le long métrage réalisé en 1973 par son oncle, le cinéaste sénégalais Djibril Diop Mambety et qui abordait déjà à l’époque cette thématique désespérément actuelle. Rédigé par Charlotte Pavard


ENTRETIEN AVEC MATI DIOP

D’où vient le désir du projet Atlantique ?
Atlantique (2019) est un prolongement de mon premier court métrage tourné à Dakar, Atlantiques (2009). Dans ce court métrage, je filme Serigne, un jeune homme qui raconte à ses amis sa traversée en mer. C’est l’époque « Barcelone ou la Mort » où des milliers de jeunes quittent les côtes sénégalaises pour un avenir meilleur en tentant de rejoindre l’Espagne. Beaucoup ont péri en mer. En 2012, quelques mois après le printemps arabe, des émeutes secouent Dakar, un soulèvement citoyen advient au Sénégal, propulsé par le mouvement « Y’en a marre ». La plupart des jeunes sénégalais veulent en finir avec Abdoulaye Wade et imposent sa démission. Ce réveil citoyen m’a marquée car symboliquement il nous rappelait que la jeunesse sénégalaise n’avait pas entièrement disparue. « Y’en a marre » tournait la page sombre de « Barcelone ou la Mort ». Pour moi, quelque part, il n’y avait pas les morts en mer d’un côté et les jeunes en marche de l’autre. Les vivants portaient en eux les disparus, qui en partant avaient emporté quelque chose de nous avec eux. Il s’agissait d’une seule et même histoire collective. C’est ce que j’ai voulu exprimer dans Atlantique.

Atlantique n’est pas un film-dossier sur l’actu politico-sociale car vous y ajoutez toute une dimension fantastique, poétique et cinématographique.
La nuit où j’ai filmé Serigne dans Atlantiques (2009), il m’a dit « quand on décide de partir, c’est qu’on est déjà mort ». C’est vrai qu’à cette époque, les garçons dont je recueillais la parole ne semblaient plus vraiment là. Leurs esprits, leurs rêves étaient ailleurs. Je trouvais qu’il régnait une atmosphère très fantomatique à Dakar et il me devenait impossible de contempler l’océan sans penser à tous ces jeunes qui y avaient disparu. Pour moi, faire un film n’est pas simplement raconter une histoire. C’est avant tout trouver une forme à une histoire. Cette forme nait d’une vision, d’une intuition. J’ai voulu écrire un film de fantômes et le choix du genre cinématographique provient précisément de la dimension fantastique inhérente à la réalité que j’ai observée, ou peut-être simplement fantasmée. Je n’ai cessé, tout au long de l’écriture, de chercher à retranscrire l’atmosphère si particulière ressentie au cours de cette sombre période.

Atlantique revêt en effet une dimension très féminine. Diriez-vous qu’il est également féministe ?
Le personnage d’Ada passe d’une phase de sa vie à une autre. D’adolescente à femme. Que veux dire « devenir une femme » ? Les réponses varient selon les cultures et les modes. Pour moi c’est avant tout devenir soi même, choisir sa vie. Un premier film est souvent autobiographique, même indirectement. Inventer le personnage d’Ada était aussi une façon de faire l’expérience, à travers la fiction, de l’adolescence africaine que je n’ai pas vécue. Par ailleurs, même si je n’ai pas directement perdu de proches en mer, j’ai été marquée par le drame collectif de l’immigration clandestine. Je peux m’identifier aux femmes qui l’ont subi. Atlantique raconte l’histoire d’une jeune fille qui, suite au départ en mer de celui qu’elle aime, se retrouve face à un mariage arrangé avec un homme immigré qu’elle ne désire pas mais qu’elle doit accepter pour satisfaire sa famille. C’est le retour de Souleiman et son saccage du mariage qui donne une vraie deuxième chance à Ada. Comme un réveil, un deuxième souffle. C’est aussi lorsqu’elle comprend que Souleiman est mort qu’elle s’éveille à une nouvelle dimension d’elle-même et qu’elle accorde de la valeur à sa propre vie. L’amitié entre femmes occupe une place très importante dans le film. Ada est aussi bousculée par Dior qui devient pour elle un modèle de femme libre qui l’inspire et lui fait regarder les choses autrement.
Bref, on ne s’émancipe pas en claquant des doigts ou du jour au lendemain et on ne le fait pas seul. Je pense qu’il faut des allié(es) pour ça. Au cours de l’écriture du scénario, j’ai rencontré des filles à Dakar que j’ai interrogées sur leur rapport aux hommes, au sexe, au mariage et à la religion. Aucune ne correspondait à un stéréotype en particulier, il y avait évidemment une variation de points de vue et de sensibilités diverses (qu’on retrouve dans les différents personnages féminins du film). J’ai adoré le franc parlé de certaines qui n’ont pas peur de dire qu’elles utilisent désormais les hommes à leur avantage et sans scrupule. Je vois ce phénomène comme une sorte de néo féminisme afro capitaliste.

Atlantique est aussi et surtout, une histoire d’amour.
Quand j’ai commencé à écrire, j’ai réalisé qu’en dehors de Touki Bouki, je n’avais grandi avec aucune figure de couple de noirs digne de Roméo et Juliette. À travers Ada et Souleiman j’ai voulu raconter un amour impossible, à l’ère du capitalisme sauvage. Un amour fauché par l’injustice, volé par l’océan.

Le mélange entre social et fantastique est incarné par les femmes qui sont habitées par les esprits de leurs amoureux, maris ou frères disparus en mer.
C’est un film sur la hantise, l’envoûtement et sur l’idée que les fantômes prennent naissance en nous. Dans le film, les esprits des garçons morts en mer reviennent en prenant possession des femmes car ils n’ont pas de sépulture mais surtout parce qu’ils ne seront pas en paix tant que l’argent qu’on leur doit ne sera pas rendu. Je trouvais ça beau que leur lutte s’exerce à travers le corps de celles qui les ont aimés mais surtout à travers le corps de femmes qui ont elles-mêmes des combats à mener. C’est une fusion des corps et des luttes.

Pouvez-vous parler de la tour qui se dresse telle un superbe et inquiétant totem maléfique et qui porte un certain nombre de métaphores ?
La tour (en 3D) du film s’inspire d’un vrai projet architectural que Wade (ancien président du Sénégal) et Kadhafi voulaient bâtir ensemble. La première tour solaire et la plus haute d’Afrique. Quand je suis tombée sur l’image du projet architectural, j’ai ressenti un mélange d’indignation et de fascination. Comment pouvait-on dépenser des millions dans une tour de luxe dans une situation sociale et économique aussi désastreuse ? Ce qui m’a dans le même temps fascinée est que cette tour, en forme de pyramide noire, avait pour moi l’allure d’un monument aux morts. Finalement ce projet n’a jamais vu le jour mais je m’en suis inspirée dans Atlantique. Aujourd’hui, une nouvelle ville nommée « Diamniadio » est en train d’être construite aux environs de Dakar. J’y ai tourné, c’est là que s’ouvre le film. Une ville dédiée au mode de vie haut de gamme, construite par des hommes qui n’y auront pas leur place…

Les acteurs principaux du film sont superbes. Comment les avez-vous trouvés ?
Trouver les acteurs représentait pour moi l’un des plus gros défis du film. Surtout pour les personnages d’Ada et d’Issa. Je savais d’avance que nous ferions un casting sauvage, que je ne trouverais pas mes acteurs parmi les comédiens professionnels qu’on peut voir dans les séries sénégalaises ou au théâtre. Ce n’était pas une démarche nouvelle pour moi puisque je n’ai travaillé qu’avec des acteurs non professionnels jusqu’à présent. Nous avons donc lancé un gros casting sauvage sur Dakar basé sur une stratégie assez précise. Il s’agissait de trouver les acteurs dans l’environnement social des personnages du film. Par exemple, c’est sur un chantier que je suis allée chercher Souleiman. Et c’est derrière le bar d’une boîte de nuit de Saly que j’ai trouvé Dior. Je choisis des personnes qui, sans le savoir, sont déjà les personnages et surtout qui connaissent ces personnages mieux que moi. J’ai trouvé Ada à Thiaroye, en dernier, après 7 mois de recherches. Une fois toutes les personnes trouvées, il y avait un énorme travail à faire. Il fallait les entraîner, les initier, leur donner des outils d’expression. J’ai mis en place des ateliers de jeu avec Ibrahima M’Baye, l’un des rares acteurs chevronnés du film.

Comment s’est passé le travail avec Claire Mathon, la chef op’ ?
J’ai choisi Claire Mathon car j’ai su qu’elle saurait s’inscrire dans une démarche documentaire (tourner vite, attraper des choses au vol, inventer des choses sur le moment) sans pour autant perdre en ambition esthétique. Je voulais faire un film plastique mais qui reste très incarné. Je pense que Claire était la bonne personne pour comprendre cet équilibre. Nous avons appris à nous connaître en amont de la fabrication. J’aime beaucoup sa façon d’interroger d’abord le fond des choses avant de penser à notre image. Qui on regarde ? Qu’est-ce qu’on raconte ? De faire attention de ne jamais être au-dessus du sujet.

La musique est magnifique, et résonne comme une dimension essentielle de votre projet esthétique.
Ce sont avant tout les sonorités et les mélodies de la musique de Fatima Al Qadiri qui m’ont séduite, comme un envoûtement. Sa musique est sombre, sensuelle, hantée tout en étant ancrée dans une réalité géopolitique très précise. Je me suis retrouvée dans son brassage culturel, dans son « paysage impossible » où cohabitent des éléments qui n’ont à priori rien à voir : nappes électroniques, chants sacrés, beats hip hop, musique Spa. Quand j’ai découvert Fatima Al Qadiri en 2011, j’ai eu le sentiment que la musique de mon temps, celle de mon présent, était arrivée. C’est surtout sa dimension visionnaire qui m’a frappée. Fatima a su entrevoir et saisir ce qui venait. Pour moi la musique du film allait devoir prendre en charge toute la dimension invisible du film. Tout ce qui est là mais qu’on ne voit pas, qu’on ne peut pas filmer. Le monde des esprits. Le film s’inscrit dans un fantastique très incarné qui prend naissance à l’intérieur même des personnages et dans le réel. Je comptais donc beaucoup sur la musique pour l’asseoir et l’inscrire dans le genre. Aussi, pour moi c’était crucial que la personne qui compose la musique ne soit pas étrangère aux enjeux culturels et politiques du film. Faire la bande son d’un film fantastique qui se déroule dans un pays musulman, il n’y a que Fatima Al Qadiri qui pouvait le faire. Il se trouve aussi que Fatima est née à Dakar. Elle n’y a vécu que quelques mois mais j’aime à penser qu’elle a vécu ses premières expérience sensorielles là-bas. Il y avait une collaboration évidente entre elle et moi autour de ce projet. Même si nos démarches formelles sont très différentes, je pense que nous accordons une attention particulière aux récits oubliés, aux histoires perdues, auxquels nous redonnons une place centrale et privilégiée dans nos travaux. J’étais heureuse de confier la bande son à une femme. Il n’y a que des hommes dans les duos réalisateurs / musiciens qui m’ont marquée, comme De Palma / Moroder, Carpenter et lui même ou encore mon oncle et mon père, Djbril Diop Mambety et Wasis Diop.

Entretien réalisé par Serge Kaganski


Mati Diop, le pari Dakar

Par Clémentine Mercier Photo Cyril Zannettacci. VU —  

15 mai 2019- LIBÉRATION

Marquée par les films de son oncle Djibril Diop Mambéty, qu’elle admirait, la jeune cinéaste franco-sénégalaise se dit fière mais étonnée d’être en compétition avec «Atlantique», son premier long métrage, sur le Sénégal, ceux qui restent et ceux qui partent.

Certains regards vous marquent à tout jamais et, comme des miroirs, finissent par vous hanter. Il suffit d’écouter Mati Diop raconter comment elle a osé sortir sa petite caméra aux funérailles du jeune Serigne, au Sénégal, pour en avoir la gorge nouée. Filmer, ne pas filmer ce moment de recueillement ? Le personnage central de son premier court métrage, Atlantiques, venait de mourir d’un problème de santé. Un choc. Le jeune garçon lui avait auparavant relaté son histoire tragique de naufragé, alors qu’il cherchait à fuir son pays pour un avenir meilleur. Il avait par miracle survécu à la catastrophe pour décéder peu après. Lors de l’enterrement, le regard de sa sœur, Astou, vient se ficher dans celui de Mati Diop – et dans sa caméra – pour la charger d’une mission : relater l’histoire des femmes qui restent au pays, alors que les hommes s’embarquent sur l’océan, au péril de leur vie. Cet échange de regards qui flanque des frissons est à l’origine d’Atlantique (au singulier), le long métrage qui catapulte la cinéaste de 36 ans en compétition du Festival de Cannes, son premier. «J’ai appris à faire des films toute seule, en faisant face à des questions morales auxquelles je devais répondre sur le moment, par ma manière de cadrer, de regarder.» Atlantiques, matrice d’Atlantique donc, est ce court film où la réalisatrice place au centre la parole des hommes alors que l’émigration clandestine du Sénégal, en 2009, est quasi virale et son traitement médiatique en Europe, statistique. «Leur réalité était trahie. J’éprouvais comme le besoin d’une réparation, d’une restitution.»

Si la jeune femme, élevée à Paris, n’appartient pas à cette jeunesse sénégalaise-là, elle s’en sent proche, les garçons d’Atlantiques sont «comme ses frères» et c’est avec son cousin qu’elle a arpenté les rues de Dakar. Mati Diop a vécu le tournage de son premier long métrage dans le quartier Thiaroye comme «une grosse claque dans la gueule». «L’expérience la plus belle et la plus douloureuse» de sa vie.

Distinction. Retour en 2008, où la cinéaste éprouve un «besoin d’explorer le territoire de [s]es origines africaines». Pointilleuse, elle se reprend sur le mot «reconnecter» qui ressemble à une retraite de yoga plus qu’à une exploration de ses racines. Les mots ont un sens pour cette superbe fille élégante et décontractée, aux créoles dorées cachées dans des boucles châtain. Réfléchie et ultraperfectionniste, elle ne dit rien à la légère. Son histoire – «une démarche personnelle qui rencontre un projet de cinéma» – est plus complexe et ambitieuse. Fille du musicien sénégalais Wasis Diop et nièce du grand cinéaste Djibril Diop Mambéty, Mati Diop est métisse. Son grand-père était imam au Sénégal et son père a dû quitter le pays pour exercer son art : il n’appartenait pas à la caste des griots. Les films de son oncle, qui meurt alors qu’elle a 16 ans, ont été un puissant moteur : «Je montrais ses films à mes amis pour montrer l’Afrique, la vraie, celle filmée par un Africain.» Touki Bouki, un classique, a été projeté à Cannes en 1973 et parlait déjà à l’époque du rêve d’Europe. Paradoxalement, c’est sa mère française – alors que ses parents sont séparés – qui l’emmène en Afrique. C’est elle aussi, acheteuse d’art dans une agence de pub, qui forme le regard de sa fille. Mati Diop a grandi au milieu des livres de photographie. Lucide sur la richesse culturelle de son milieu d’origine, à l’aise avec l’image, la musique, les costumes, actrice occasionnelle (notamment chez Claire Denis), Mati Diop veut s’inscrire dans un prolongement. Passée par l’école du Fresnoy, par une résidence au Palais de Tokyo, la cinéaste, aussi actrice à ses heures, prend conscience, il y a dix ans, qu’elle évolue dans un milieu très blanc. «J’ai ressenti un déséquilibre.» D’où le projet de renouer avec le pays de son père, qui aboutit aujourd’hui en course pour la palme cannoise. Si Mati Diop se réjouit de se trouver aux côtés de Ladj Ly (lire page 6), Céline Sciamma et Justine Triet – une génération qui, pour elle, marque un nouveau départ -, elle est aussi désarçonnée par cette distinction. «Ma toute première réaction ? Honnêtement, j’étais sceptique. Je redoutais que mon film soit sélectionné moins pour ce qu’il était que pour ce que je représentais moi, en tant que jeune femme d’origine africaine.»

«Repères». A travers elle, c’est le Sénégal et l’Afrique qui sont représentés. Elle est, de fait, la première femme métisse de l’histoire de la compétition. «C’est triste que cela ne soit jamais arrivé avant, j’ai été émue comme quelque chose qui vous arrive et qui ne vous appartient pas, qui est plus grand que vous. Je connais l’importance des repères. Si je peux en devenir un pour celles ou ceux qui seront touchés par mon film, alors ça me comble de joie. C’est comme devenir une grande sœur.» Si elle retient une histoire dans Atlantique, c’est l’amour impossible entre Soleiman et Ada, un Roméo et Juliette noir, plongé dans un contexte économique destructeur. «Je n’ai pas grandi avec des femmes cinéastes qui avaient ma couleur de peau. Et les personnages noirs étaient quasi absents des films que je voyais.» Ecrire et faire le cinéma qui lui a manqué est devenu un moteur. Ce besoin de voir d’un nouveau regard, une nécessité.Clémentine Mercier Photo Cyril Zannettacci. VU