Film soutenu

Aujourd’hui

Alain Gomis

Distribution : Jour2fête

Date de sortie : 09/01/2013

France – 2012 – Couleur – 1h28 – couleur – DCP – 1.85 – Dolby

Dakar, la ville familière, grouillante, colorée…
La famille, les amis, son premier amour, les manifestations, ses aspirations…
Aujourd’hui Satché doit mourir. Il a été choisi. Aujourd’hui Satché vit comme il n’a jamais vécu.

Compétition Officielle – Festival international de Berlin 2012
Prix du Public
– Festival de La Roche sur Yon 2012

Interprétation : Satché Saul Williams • Sélé Djolof Mbengue • Rama Anisia Uzeyman • Nella Aïssa Maïga • L’oncle Thierno Ndiaye Doss

Réalisation Alain Gomis • Scénario Alain Gomis, Djolof Mbengue, en collaboration avec Marc Wels • Image Crystel Fournier • Son Alioune Mbow • Mixage Jean-Pierre Laforce • Montage Son Vincent Guillon • Musique Djolof Mbengue, Niairi Tally • Montage Fabrice Rouaud • Costumes Salimata Ndiaye • Production Granit Films – Maïa Cinéma • Co-production Cinekap – Agora Films • Avec les participations de TV5 MONDE, du CNC • Avec le soutien du Fonds Francophone de Production Audiovisuelle du Sud (Organisation Internationale de la Francophonie) • L’aide à l’écriture de la Région Basse-Normandie • En partenariat avec le CNC, le Fonds de soutien Hubert Bals, le Festival International du Film de Rotterdam, L’Angoa 

Alain Gomis

Alain Gomis est un réalisateur franco – bissau-guinéo – sénégalais. Il est né en 1972 en France, où il a grandi. Ses premiers courts métrages, Tourbillonspuis, Petite lumière sont sélectionnés et primés dans plusieurs festivals internationaux.
En 2001, son premier long métrage, L’Afrance, obtient le Léopard d’Argent au Festival du film de Locarno. Suivront Andalucia en 2007 avec Samir Guesmi puis Aujourd’hui avec Saul Williams, qui est sélectionné en compétition à Berlin et obtient l’Étalon d’or du FESPACO en 2013. Associé au sein de la société Granit Films à NewtonAduaka (réalisateur nigérian de Ezra) et Valérie Osouf (réalisatrice française), Alain Gomis collabore également avec le producteur Oumar Sall (Cinékap) sur un programme de formation de jeunes cinéastes et techniciens au Sénégal (Up Courts-métrages). Félicité est son quatrième long métrage.

LONGS MÉTRAGES
2016 Félicité
2012 Aujourd’hui
2007 Andalucia
2001 L’Afrance 

COURTS-MÉTRAGES
2003 Petite Lumière
1999 Tourbillons
1998 Tout le monde peut se tromper
1996 Caramels et Chocolats

Entretien avec Alain Gomis

Quelle était l’envie de départ pour ce film ?
C’etait plus une obsession, une nécessité. Je ne sais pas comment est née cette idée, mais elle s’est imposée, je devais le faire… Elle correspondait – sans doute à un besoin d’affronter une peur, de trouver une formulation, une façon de vivre. Je ne sais pas où s’arrête le cinéma et où commence la vie, l’un et l’autre s’aident. Mais j’avais aussi envie d’en faire un film joyeux, un film vivant, dans lequel on flotte, on voyage, un film qui fasse du bien. Un film qui se place à un endroit qui nous est commun. Un film au Sénégal, qui nous parle profondément  et nous libère.

Quel est ce « voyage » que fait le personnage ?
Le film est un voyage vers le présent. Satché repasse sur les âges de sa vie, l’enfance, l’adolescence, le premier amour… Son premier voyage est un voyage vers lui-même. C’est le voyage vers la conscience de la mort, de théorique, comme elle l’est pour un enfant, elle devient concrète, angoissante… Puis il y a le second voyage celui de l’abandon; l’acceptation, le temps qui s’ouvre… C’est une allégorie, dans ce monde imaginaire où la mort vient de temps en temps chercher quelqu’un Satché a le statut du « choisi ». Tout cela est ritualisé, bien que personne ne sache pourquoi ni comment cela arrive. Mais le « choisi » a la chance de savoir, d’être débarrassé du futur, et d’accéder après avoir fini de lutter, au présent absolu, celui qui ne promet rien d’autre et s’étend à l’infini. Je crois que tout le monde a pu expérimenter ça dans sa vie, lorsque l’on est vraiment dans le présent, dans l’instant, alors le temps est suspendu, comme aboli, c’est peut-être notre seul accès à l’infini.

Pourquoi avez-vous souhaité doubler le retour au pays de Satché de sa mort imminente?C’est venu naturellement et c’est l’idée que nous sommes de toute façon étranger au monde : étranger à notre propre famille, notre propre langue, à notre propre corps. Ce sont des choses qui deviennent familières avec le temps, mais qui ne le sont pas à priori. Il arrive même qu’en passant devant un miroir on soit surpris de voir sa propre image et que l’on se dise alors : « ah oui tiens, c’est moi ça ! ». Selon moi l’exil est un état d’être au monde. La scène d’ouverture, le réveil quasi sceptique de Satché dans son corps vient sans doute de là.

Satché est un personnage dont on sait peu de choses, il semble comme un « vecteur » pour le spectateur.
Aujourd’hui est conçu comme un voyage dans lequel on peut plonger et vivre une expérience intime. Il ne passe pas par la compréhension. Il implique une autre façon de se placer dans le film, d’« être à l’intérieur » de lui. Pour moi un film ne se regarde pas, il ne s’agît pas de raconter une histoire, il faut pouvoir le vivre. Il demande aussi au spectateur de s’aba donner, et finalement de s’impliquer. Certains spectateurs sont complètement perdus, d’autres m’en veulent terriblement, mais ceux qui voyagent, voyagent en eux… J’ai beaucoup voyagé avec le film, et j’ai vécu de très belles rencontres dans des pays très différents. Je sais tout le travail qu’il me reste à faire, mais pour la première fois, j’aime montrer un film, j’aime ce qu’il se passe dans la salle, c’est doux et très émouvant. Faire du cinéma pour moi c’est être ensemble, à l’endroit même de notre solitude, trouver nos intimités partagées, nos méconnaissances et doutes profonds.

Comment avez-vous abordé la mise en scène de la subjectivité du personnage ?En suivant l’idée que le film ne se réalise pas sur l’écran, mais dans la tête de celui qui le regarde. Je suis le premier spectateur, et je cherche à vivre quelque chose, à sentir quelque chose dont j’ai l’intuition. Je sais que les choses ne se montrent pas, qu’elles existent dans les « trous ». Alors je cherche les points d’accroches, d’ancrages, et puis j’essaye de déterminer la taille des trous. Dire le moins de choses possible, pour que le spectateur puisse s’approprier le film, completer, être.

Toutes les sensations de Satché semblent exacerbées, comment avez-vous fait pour ;donner cette impression ?
Le film est fait de l’amour que l’on a pour les choses lorsque l’on sait  qu’on les quitte. J’aime profondément tous ceux et ce, que nous avons filmé.

Vous dressez aussi un portrait de la ville.
Dakar est la ville au monde que je préfère. J’y aime les gestes, les visages, les mains… Je savais qu’à chacune des étapes de la vie de Satché on irait dans un quartier différent. Une des choses que j’aime à Dakar, c’est qu’en allant de quartier en quartier, on passe d’univers en univers et qu’on traverse donc des états différents. Et puis à Dakar, le trajet est quelque chose en soi. Il est lui-même un endroit.

Pourquoi avoir fait appel à Saul Williams ?
Je crois qu’il m’a toujours été familier. Nous avons le même âge. Je l’ai découvert dans Slam, et je l’ai toujours suivi, de loin, en appréciant son indépendance, son intelligence. J’ai écrit en pensant a lui, avec sa photo pas loin. Il me paraissait avoir ce qu’un acteur ne peut pas inventer : une aura. Il a une présence rare, et quelque chose qui nous ressemble, à tous. Et puis il a un visage sénégalais.
(Saul Williams Né en 1972 à Newburgh aux Etats-Unis. Il est l’une des figures de la génération hip-hop en tant que poète, acteur, rappeur, chanteur et musicien. Connu pour son mélange de slam poésie et de hip-hop et pour son rôle principal dans le film SLAM, Grand Prix du Jury au festival de Sundance, et Caméra d’Or à Cannes en 1998. )

Cela peut apparaître comme un contre-emploi car Saul Williams est un homme de parole et de verbe. Est-ce d’en être privé qui lui donne une telle présence ?Le fait qu’il ne parle ni wolof, ni manjak, et peu le français, le mettait dans une position idéale finalement, parce que lorsque l’on ne co prend pas une langue on écoute autrement, on a une attention aux choses toute différente, quelque chose de profondément familier et d’étranger. Bref il se trouvait naturellement dans la position du personnage. Nous avons travaillé avec Saul pour qu’il soit une sorte de masque qui laisse la place au spectateur de s’engouffrer, entre lui et le personnage. Sa force intérieure mêlée à sa légèreté permettent ça de façon incroyable.

Pouvez-vous nous parler de la scène avec Aissa Maiga, mise en scène de façon très chorégraphique et différente des autres scènes du film ?
Toutes les scènes du film sont différentes les unes des autres, et travaillées de façon chorégraphique. Celle-ci est la scène du premier amour. C’est la première femme qu’il a aimée. Il n’a à priori pas revu cette femme depuis un moment et ils retrouvent la relation telle qu’ils l’ont vécue. Chacun d’entre eux aime chez l’autre, son indépendance, son caractère indomptable. Il y a une attirance immédiate, mais ça ne peut faire que deux fois un. Alors on a travaillé un jeu de chasseur chassé. Elle, c’est une femme cassée, qui l’aime terriblement, mais qui ne supporte pas d’être a nue, pour qui il est plus simple de se donner à la saloperie qu’à l’innocence. Ils disent tout ça en dansant presque, et en parlant d’autre chose. Aïssa pouvait faire ça, elle a tellement de choses dans le corps, de la beauté à la rage, c’est une vraie actrice, qui plonge.

Et l’oncle ?
Le personnage dont il est inspiré existait (Mass), il lavait vraiment les morts et vivait vraiment là où on a tourné. Il fait partie des gens que l’on rencontre et qui vous aident. Il nous dit que ça ne sert à rien de fuir… nous dit qu’on ne peut pas séparer le slogan de l’action, la prière de l’action. Que vivre c’est prier, c’est lutter. Il dit surtout à Satché : « il faut être guerrier ». Ce gars était drôle, et le type le plus cool sur terre. C’est la troisième fois que je travaille avec Thierno Ndiaye Doss, c’était le Laurence Olivier du Sénégal. Il est décédé il y a peu. Lui et son personnage sont très importants pour moi. Cette scène change la nature du film, au tournage ça a été une expérience intense et silencieuse. Nous en sommes sortis différents.

La scène avec sa femme pourrait être un film en soi…
Effectivement cette scène là, c’est le film. C’est là que tout à lieu. Réussir à concilier ses aspirations profondes au cercle de son intimité est une épopée humaine. Si ça n’existe pas là, ça n’existe nulle part. C’est donc là qu’a lieu la guerre, vraiment. Pour moi l’aventure la plus grande est celle d’essayer de vivre à deux.

Elle semble lui en vouloir…Oui, parce qu’on lui prend toute possibilité d’être. Ce qui arrive à son mari est tellement fort qu’elle n’existe plus. Elle n’est plus que la « femme de ». Il était hors de question pour moi que cette femme se mette à pleurnicher, et ne soit que consolante. Il a fait son chemin, il faut qu’elle fasse le sien. Comment réussir à ne pas se faire noyer par l’autre? Il faut qu’ils fassent la guerre, trouvent la juste distance.

Qui sont les autres acteurs ?
Il y a Djolof Mbengue qui joue Sélé, l’ami. Djolof est mon ami, il m’a sans doute permis de faire le film, comme Sélé permet à Satché de tr verser cette journée. C’est quelqu’un dont la présence rassure. A l’image c’est très fort, quand il est là, on est bien. J’ai fait tous mes films avec lui, il a aussi co-écrit celui-là. Il y a Anisia Uzeyman, merveilleuse femme de Satché, belle dans la douleur, elle réussit à être quelqu’un dans cette histoire toute dédiée à Satché. C’est un monde à elle seule, elle rééquilibre le film, le fait devenir universel. Il y avait la troupe de théâtre de Rufisque avec qui on a travaillé les scènes de rues, avec l’aide d’Ibrahima Mbaye Sopé. Et puis un mélange de « natures » d’acteurs, certains viennent du théâtre national Sorano, d’autres du monde des sketches télévisés… Il y a aussi ma famille, mes amis, mon quartier… On a improvisé sur un canevas écrit. Tout avait vraiment lieu. Satché allait mourir, tous avaient quelque chose à lui dire, dans la rue aussi, on vivait vraiment ce qui se passait. L’équipe était jeune et on inventait tout le temps, tout était possible. On vivait tous les jours un « aujourd’hui ».

Et les émeutes ?
Pendant un an j’ai filmé toutes les manifestations. Ça montait, montait. Le mouvement « Y en a marre ! »… des gens exprimaient un raz-le-bol mais qui ne trouvait pas de traduction politique, qui ne réussissait pas à s’incarner en idéologie. C’est commun à une génération dans plein d’endroits du monde. Ce qui se vit là-bas est très représentatif de ce qu’il se passe partout. Et puis ça faisait forcément partie de la trajectoire de Satché. Réussir à faire dialoguer la volonté et l’abandon, c’est aussi la trajectoire d’une vie.

Il y a beaucoup de films qui se font en Afrique aujourd’hui ?
Il y a des films qui se font oui, de plus en plus, en Afrique de l’Est aussi. Il y a de plus en plus de bons, de nouveaux. C’est une très bonne période, difficile parce que les films se font avec peu d’argent mais il y a une énergie incroyable, c’est très motivant. C’est là-bas que ça se passe. Je ne sais pas pourquoi les gens ici méprisent le cinéma africain, ils ont l’impression que c’est une mission d’aller voir un film africain. Mais les gens se rendront compte qu’ils ont à prendre des choses extraordinaires dans ces films, pour eux-mêmes. C’est étrange d’effacer un continent comme ça. D’une manière générale je trouve que la culture « noire » est prise avec des pincettes, avec obligation, et que souvent on ne voit pas les oeuvres à leur juste valeur. Même Basquiat continue d’avoir un statut particulier… Mais ce que j’aime beaucoup avec Aujourd’hui c’est que les gens ne me parlent pas d’Afrique, ils parlent d’eux, d’où qu’ils soient, c’est très touchant. Mais pour être honnête, je sens presque partout où je vais, une curiosité pour l’Afrique, plus grande aujourd’hui que jamais. C’est je crois une très belle période qui s’ouvre.

Vous avez confiance en l’avenir du cinéma ?On peut faire du cinéma autrement et partout avec ces nouveaux outils numériques. Le film est tourné avec un Canon 1D et l’image est incroyable. Les structures de productions et de diffusions restent rigides, mais je sais qu’on va tout casser. Partout il y a un souffle nouveau. Et je suis très étonné de voir que les non-cinéphiles ont eux aussi envie de voir autre chose. Je trouve cette période très encourageante. On crée de nouvelles connexions et ça marche. On rencontre d’autres publics, et je suis très étonné des retours. On fait des ciné concerts, à Dakar on organise une grande soirée avec certains rappeurs du mouvement « y en a marre », et d’autres musiciens. A Brooklyn on fait aussi un bel évènement concert au Brooklyn Art Museum… le film circule différemment, c’est très intéressant. Et surtout c’est un mouvement général. Le cinéma n’est pas mort, nous sommes vivants, plus que jamais.