Camiel Borgman surgit dans les rues tranquilles d’une banlieue cossue, pour sonner à la porte d’une famille bourgeoise.
Qui est-il ? Un rêve, un démon, une allégorie, ou bien l’incarnation bien réelle de nos peurs ?
compétition officielle – festival de cannes 2013
Avec : Camiel Borgman Jan Bijvoet • Marina Hadewych Minis • Richard Jeroen Perceval• Stine Sara Hjort Ditlevsen • Ilonka Eva van de Wijdeven • Brenda Annet Malherbe • Pascal Tom Dewispelaere • Ludwig Alex van Warmerdam • Isolde Elve Ljibaart
Réalisateur Alex van Warmerdam • Scénario et dialogues Alex van Warmerdam • Image Tom Erisman N.S.C • Montage Job ter Burg • Son Peter Warnier • Décors Geert Paredis • Costumes Stine Gudmundsen-Holmgreen • Casting Annet Malherbe • Maquillage Marike Willard-Hoogveld • Musique Vincent van Warmerdam • Produit par Marc van Warmerdam • Producteur executif Berry van Zwieten
Alex Van Warmerdam
Après
des études en graphisme et en peinture dans l’une des
principales écoles de beaux-arts des Pays-Bas, Alex van Warmerdam
s’oriente rapidement vers le théâtre.
Il est l’un des fondateurs de la troupe de comédiens et de musiciens
Hauser Orkater qui, dans les années 1970, révolutionne le monde du
théâtre en créant des spectacles où musique rock et théâtre – avec un
goût marqué pour l’absurde – ne font qu’un. Alex van Warmerdam apparaît
rapidement comme le génie artistique derrière la compagnie. En 1980, il
crée Le Chien mexicain (De Mexicaanse Hond), compagnie avec laquelle il
met en scène, aujourd’hui encore, plusieurs pièces.
Il se tourne vers le cinéma à la fin des années 70 et tourne ABEL, son
premier long métrage, en 1986. Il se fait internationalement connaître
en 1992 avec le film LES HABITANTS. En 1993, il fonde avec son frère,
Marc van Warmerdam, la société de production Graniet Film qui produit,
désormais, toutes ses réalisations. Le cinéaste travaille également avec
son second frère, Vincent van Warmerdam, qui compose la musique de ses
films et Annet Malherbe, sa femme, qui joue dans la plupart de ses
réalisations dont elle assure, également, la direction de casting.
Peintre, auteur et metteur en scène de théâtre, scénariste, acteur
et réalisateur, Alex van Warmerdam est également écrivain : il a publié
un recueil de poésie et un roman.
Filmographie
2015 LA PEAU DE BAX (Festival de Locarno)
2013 BORGMAN (Festival de Cannes – sélection officielle)
2009 LES DERNIERS JOURS D’EMMA BLANK (Festival de Venise)
2006 WAITER ! (Festival international du film de Toronto)
2003 GRIMM (Festival de San Sebastian)
1998 LE P’TIT TONY (Festival de Cannes – Un certain regard)
1996 LA ROBE… (Festival de Venise)
1992 LES HABITANTS
1986 ABEL (Festival de Venise – Prix de la critique)
Borgman par ALEX VAN WARMERDAM
Dans Borgman, j’ai voulu montrer comment le
mal se glisse dans le quotidien, comment il s’incarne dans des hommes
et des femmes ordinaires, normaux, bien élevés, qui sont heureux et
fiers d’accomplir leurs tâches, en portant une implacable attention aux
détails. Je voulais montrer qu’on ne fait pas le mal seulement par de
froides nuits d’hiver, mais aussi sous la chaleur d’un soleil
bienfaisant, dans l’optimisme de l’été.
Je voulais montrer qu’un homme comme Borgman, perpétuellement
insaisissable, est capable d’inspirer à une femme un désir si obsédant
qu’il va la laisser complètement démunie.
Borgman est plus sombre que mes précédents films car je voulais aller
plus loin. J’ai eu envie de plonger dans une région obscure et inconnue
de mon imagination pour voir ce que j’y trouverais. Je voulais aussi
faire un film très ouvert à l’interprétation, qui pose plus de questions
qu’il n’apporte de réponses.
Je crois que Borgman est un film intense.
Reposez-moi la question dans dix ans et j’aurai oublié comment j’en suis
venu à écrire le scénario, mais l’expérience m’a appris que les choses
pourraient toujours être mieux. Je suis néanmoins très curieux de voir
comment il sera accueilli. Par ailleurs, je travaille déjà sur un
nouveau long-métrage, mon neuvième film.
Borgman une variante de Théorème à l’heure du capitalisme financier
Jacques Mandelbaum
Un inconnu s’immisce dans une riche famille bourgeoise, dont il détruit
l’ordre implicite, fondé sur l’égoïsme et le faux-semblant. De quel
film s’agit-il ? De Théorème de Pier Paolo Pasolini, réalisé en
1968. Si d’aventure la question était posée aujourd’hui, le
présentateur ne pourrait toutefois refuser cet autre titre, Borgman,
signé d’une sorte de revenant, le Hollandais Alex Van Warmerdam.
Découvert en 1986 avec Abel, ses premiers films, successions de tableaux
insolites à l’humour froid et décalé, lui valent une solide réputation
d’ovni, avant qu’on ne le perde progressivement de vue, du moins en
France, au seuil des années 2000.
Son retour à la lumière s’inscrit en plein cœur de la crise actuelle.
Camiel Borgman, vagabond hirsute terré dans une tanière en pleine forêt,
est délogé par quelques notabilités locales, chasseur, prêtre, et
autres bien-pensants résolus à le tirer comme
un lapin. Mais ce pauvre-là a manifestement de la ressource. Un
téléphone portable, un réseau de tunnels pour s’échapper, une petite
bande pour le soutenir. Commencé à la manière d’un “Monsieur Merde”
(créature grotesque et ogresque inventée par Leos Carax), le film se
poursuit à la manière d’un Mission impossible métaphysique.
Une farce noire, filmée au cordeau
Sonnant à la porte d’une luxueuse maison de campagne pour demander à
l’hôte de lui prêter sa baignoire, Camiel se fait salement rosser par le
businessman. Gagnant l’amitié, et plus, de la femme, une créature
plantureuse qui s’adonne à la peinture abstraite en faisant garder ses
trois enfants blonds par une nounou danoise, Camiel ourdit sa vengeance
en se faisant engager, avec ses acolytes, comme jardinier. Elle sera
radicale, impitoyable, définitive. Cette farce noire, filmée au cordeau,
propose une variante de Théorème à l’heure du capitalisme financier et du chômage de masse.
Il ne s’agit donc plus de rédimer la chair bourgeoise par l’esprit de
la révolution, mais d’éradiquer de la surface de la terre une engeance
aussi indéfectiblement nuisible à l’espèce humaine, pour pouvoir y
ensemencer les germes d’un monde nouveau. Derrière la comédie
désaffectée, on entend frémir l’immense colère qui vient. La limite du
film résidant aussi bien dans l’évidence de ce programme.
Le Monde, 13 mai 2013
ALEX VAN WARMERDAM, un metteur en scène au sens noble
L’édition du Monde en date du 12 mai 1981, rééditée en facsimilé à plusieurs reprises depuis, salue évidemment « la très nette victoire de M. Mitterrand » lors de l’élection présidentielle qui vient d’avoir lieu. Mais dans les pages intérieures se trouve une petite surprise : une annonce publicitaire pour le spectacle Regardez les hommes tomber de la compagnie néerlandaise Hauser Orkater au Théâtre de Chaillot. Ce spectacle initié et écrit par Alex van Warmerdam fait alors une triomphe en France : il est même élu meilleur spectacle étranger de l’année par la critique française.
Du théâtre au cinéma : le souci de la mise en scène
Les origines théâtrales du cinéaste sont bien connues. Il continue
d’ailleurs à écrire pour la scène, ce qui explique les références au
théâtre dans son cinéma – l’omniprésence des huis clos, des décors
artificiels et des sketches, voire de véritables petits spectacles
insérés dans la trame du récit. Son dernier film, Borgman, n’échappe pas
à la règle : on y voit une courte représentation théâtrale vers la fin,
qui crée un effet de miroir avec l’intrigue principale. On pourrait
interpréter ses outils comme autant de mises en abyme de son récit,
d’éléments de distanciation en quelque sorte, mais ce sont plutôt des
thèmes qui structurent un univers très singulier.
De l’alimentaire
A l’intérieur de cet univers, l’on est frappé par le rôle central de la
nourriture et des repas, qui offre un registre symbolique récurrent.
Dans ses quatre premiers films, il y a même une parfaite alternance
entre viande et poisson. Dans son premier film Abel, on mange tout le
temps et uniquement du poisson et des fruits de mer ; dans Les
habitants, l’un des personnages centraux étant un boucher, l’on est
sans cesse confronté à de grandes quantités de viande. Dans La robe,
peut-être le film le plus expérimental de Van Warmerdam, on ne mange
quasiment pas mais le motif de la robe maudite est constitué d’une
arrête de poisson. Le p’tit Tony en revanche est de nouveau un «
film-viande » : les personnages se battent littéralement autour du menu
des repas et les différentes sortes de viandes sont même utilisées
comme autant d’injures… Dans les films suivants, le réalisateur a
quelque peu brouillé les cartes mais il ne faut pas oublier que le décor
central de Waiter ! est un restaurant et l’une des scènes d’anthologie
de ce film est une dispute entre le serveur et ses insupportables
clients sur le choix entre poisson et viande, une scène où le serveur
finit noyé dans un… aquarium !
Borgman : une œuvre de maturité
Van Warmerdam a toujours écarté les interprétations de ce genre et l’on comprend un peu pourquoi : dans son écriture il se laisse souvent guider par une libre association de thèmes et d’images. A l’époque de ses premiers succès au théâtre, il conseillait même à son public de ne pas toujours se demander ce que ceci ou cela veut dire car, dit-il sans peur du paradoxe, ça « freine la réflexion ». Pourtant, l’univers cinématographique d’Alex van Warmerdam est tout sauf chaotique, au contraire, dans son absurdité et sa folie, il est très organisé et intense. Dans Borgman, les espaces sont travaillés de façon méticuleuse. La transparence entre intérieur et extérieur de la maison jure avec l’opacité des comportements humains. Ce sont ces qualités qui lui a permis de construire son œuvre, une œuvre dont le dernier opus, Borgman, a été sélectionné à Cannes en compétition officielle cette année. C’était la première fois depuis 1975 (!) qu’un film néerlandais y figurait. Ce n’était que justice pour le plus singulier et le plus remarquable des réalisateurs néerlandais des trente dernières années.
Harry Bos
Programmateur Cinéma, Théâtre et Danse à l’Institut Néerlandais à Paris.