Lilia, une spécialiste en reconnaissance aérienne, retourne auprès de sa famille en Ukraine après plusieurs mois passés en prison dans le Donbass. Le traumatisme de la captivité la tourmente et refait surface sous forme de visions. Quelque chose de profondément ancré en elle l’empêche d’oublier, mais elle refuse de se voir comme une victime et se bat pour se libérer.
Un Certain Regard – Festival de Cannes 2022
SOUTIEN COMMUN AVEC L’AFCAE
Avec : Rita BURKOVSKA Lilia • Liubomyr VALIVOTS Tokha • Myroslava Vytrykhovska-Makar •
Natalka Vorozhbyt
Réalisation Maksym Nakonechnyi • Scénario Maksym Nakonechnyi et Iryna Tsilyk • Images Khrystyna Lyzohub • Design sonore Vasyl Yavtushenko • Montage Ivor Ivezic et Alina Gorlova • Musique Džian Baban • Décors Maria Khomyakova • Costumes Sofia Doroshenko • Produit par Tabor • En co-production avec Masterfilm, 4Film et Sisyfos Film Production • Producteurs Yelizaveta Smith, Darya Bassel • Co-produit par Dagmar Sedlácková, Anita Juka, Mario Adamson, Sergio C. Ayala • Avec le soutien de L’Agence d’état ukrainienne pour le cinéma, Le Ministère de la culture et de l’information d’Ukraine, Eurimages, le Fonds tchèque pour le cinéma, Le Centre croate de l’audiovisuel, L’Institut suédois du film, La Fondation culturelle d’Ukraine et l’Institut ukrainien
Maksim Nakonechnyi
Réalisateur et producteur ukrainien. En 2012, il obtient son diplôme de réalisation de L’Université nationale de théâtre, de cinéma et de télévision Karpenko- Kary de Kiev. Il travaille sur différents projets pour la télévision et a co-fondé la société de production indépendante Tabor qui produit des documentaires, des films de fiction, des productions théâtrales et des publicités. Maksym Nakonechnyi a réalisé les courts-métrages de fiction Invisible et La Nouvelle année en famille. Son premier long-métrage de fiction, Butterfly Vision a été est présenté en 2022 à Cannes dans la section Un certain regard.
NOTE D’INTENTION
L’idée de ce film est née en 2018 alors que je montais un documentaire sur les femmes ukrainiennes engagées dans la guerre. L’une d’entre elles racontait qu’elle avait passé un marché avec ses camarades combattants : ils devaient la tuer plutôt que de la laisser être faite prisonnière par l’ennemi.
Cela m’a fait réfléchir à ce qui attend une femme soldat lorsqu’elle est capturée par l’ennemi, et en quoi cela pouvait être pire que la mort. En construisant l’intrigue, j’ai compris que je voulais raconter une histoire sur l’espoir et l’humanité en dépit de circonstances totalement désespérées.
Depuis 2014, des milliers de soldats sont rentrés de la guerre, et ils ne reçoivent pas toujours un accueil chaleureux comme on pourrait s’y attendre.
Certains finissent par se sentir humiliés ou deviennent agressifs, envers eux-mêmes ou les autres, ou ils ne trouvent tout simplement pas leur place.
Pour tenter d’explorer cette situation d’un point de vue éthique, j’ai tenté de filmer de la manière la plus neutre possible, sans essayer de cataloguer ou de pointer quoi que ce soit comme étant bien ou mal. Face aux traumatismes, tout le monde est égal.
Dans le montage, l’utilisation des jump cuts et les défauts d’images témoignent des liens profonds entre le présent et le passé de Lilia. Nous voyons ces ruptures dans les images de reconnaissance aérienne, dans les images médiatiques et celles des échographies. Cela traduit la façon dont le passé traumatique interfère dans la vie de Lilia.
La représentation réaliste de la vie des personnages vient se heurter aux scènes de rêves surréalistes, intercalés tout au long du film. Les rêves de Lilia révèlent son traumatisme profondément enfoui mais aussi sa force. Ressentir profondément son expérience, ses décisions et ses émotions lui donne une vision plus claire d’elle-même et de la réalité, et lui permet de comprendre qu’une guerre à plus grande échelle est inévitable.
Maksym Nakonechnyi, 2022
ENTRETIEN AVEC LE RÉALISATEUR
Pourquoi avez-vous choisi de montrer le point de vue d’une femme soldat ?
C’est le résultat des innombrables histoires, confessions et interviews que j’ai pu entendre, et la façon dont tout cela m’a affecté. En y réfléchissant maintenant, je comprends que ce film est pour moi une sorte de recherche de repères dans une société traumatisée par la guerre, où la haine est cultivée par tous les médias. Une femme soldat ayant traversé les mêmes épreuves que Lilia peut être stigmatisée ou perçue comme une héroïne. Si elle continue à prendre ses propres décisions, même si elles ne font pas l’unanimité ou ne sont pas forcément comprises, elle donne un bel exemple (moral et humain) d’une personne qui a su rester debout, bien ancrée au sol, et qui regarde la réalité en face dans toute sa dureté. Une fois que j’ai eu l’idée de l’histoire, il était impératif de convaincre Iryna Tsilyk de me rejoindre en tant que co-auteur. Elle était la réalisatrice du documentaire qui a inspiré cette histoire, et elle avait également recueilli de nombreuses expériences pertinentes. Iryna est membre de la famille d’un ancien combattant. Bien que j’aie esquissé l’intrigue moi-même, Iryna a apporté beaucoup de détails vivants et précis au scénario. En outre, son travail sur les dialogues a été inestimable.
Vous avez choisi de contrebalancer la dureté de l’histoire avec des éléments surréalistes. Pouvez-vous expliquer vos choix esthétiques ?
L’un de mes objectifs était de transmettre de façon discrète le sentiment que la guerre continue à suivre une personne même en temps de paix. Pour parvenir à cela, j’ai décidé de faire le film dans un style hyperréaliste. Les scènes de rêves surréalistes montrent que le traumatisme réside dans l’inconscient, qui contrôle de façon invisible la vie et les actions. Je pense que le principal conflit se trouve entre la vie extérieure de Lilia, qui comprend le point de vue et les attentes des autres, et son monde intérieur où elle voit son vrai moi, ressent ses besoins et ses désirs. Les rêves expriment ce procédé intériorisé et incarnent la transformation qu’elle traverse, sans l’expliquer au spectateur mais en donnant le ton juste. Les couleurs du film sont celles des uniformes de camouflage militaire fondues dans l’espace de la vie civile. Le gris sale, le bleu pâle et le bleu de l’uniforme d’hiver ; le vert olive, le kaki et vert foncé des uniformes classiques de l’armée ; les couleurs ocre, terre cuite et sable de l’automne sont toutes visibles dans les lieux, paysages et costumes créant une présence imperceptible qui accompagne constamment les personnages. Je voulais également attirer l’attention sur le rôle d’internet, des médias et des réseaux sociaux dans nos vies et montrer comment ils facilitent l’escalade de la violence dans un conflit en laissant s’exprimer la haine et le chaos qui ont des conséquences désastreuses. Les éléments visuels de ces médias sont incorporés à la texture du film pour que nous puissions les envisager de l’intérieur et réaliser comment ils influencent la réalité dont ils parlent.
Et pour la partie onirique ?
Les cratères dans le sol formés par les explosions et les lignes de tranchée sont des endroits terribles mais ils semblent familiers à Lilia. Ces paysages constituent la majorité des images qu’elle voyait à travers son écran pendant les vols de reconnaissance des drones. Ils forment la trace laissée par la guerre, les blessures qui déforment le corps terrestre. Cela dresse un parallèle avec le corps de Lilia également déformé par la guerre (cicatrices dues à la torture, vergetures sur son abdomen, cicatrices de la césarienne). Pendant la guerre, le drone de Lilia a survolé les blessures de la terre, et dans un rêve, un papillon fait de même. En plus d’être le symbole de la Psyché, c’est aussi le nom de code de Lilia, qui avec son travail de reconnaissance, a pu voler. Bien que cela se déroule dans un rêve, cela manifeste le « super-pouvoir » acquis par Lilia en maintenant sa dignité et sa personnalité dans la vraie vie. Ce vol n’est pas du tout fluide : il est soit saccadé, comme celui d’un papillon, ou mécaniquement vif, comme celui d’un drone de reconnaissance. Le vol contribue aussi au paysage sonore du film. Le bourdonnement caractéristique du drone incarne la frontière entre rêve et réalité.
Quelle est la signification du titre ?
Butterfly est le nom de code de Lilia. Le titre reflète le grand degré de conscience du personnage vis-à-vis de sa situation, sa responsabilité envers ses actes et sa propre existence. Il exprime sa capacité à comprendre sa véritable nature et la réalité qui l’entoure. Ayant observé la guerre principalement du ciel, Lilia parvient à voir le rôle qu’elle y a joué avec une certaine distance.
L’actrice principale Rita Burkovska réalise une performance exceptionnelle en incarnant le personnage complexe de Lilia. Pouvez-vous nousparler du travail avec elle sur le personnage ?
Jusqu’au dernier moment, je ne savais pas qui choisir pour ce rôle. J’ai choisi Rita pour sa personnalité unique, son jeu à la fois non-conventionnel et tout en retenu ; ainsi que ses prises de position morales et civiques fortes. Tout cela m’a convaincu que Rita pouvait créer sa propre Lilia, différente de ma propre vision. Pendant la pré-production, nous avons mené ensemble des recherches approfondies, principalement en parlant à des gens – des femmes soldats et des vétérans, d’anciens prisonniers militaires et civils. Un élément fondamental dans notre recherche a été que toutes ces personnes n’ont pas été brisées par leur expérience traumatique ; cela les a plutôt amenées à développer des qualités uniques et même à devenir des meilleures versions d’elles-mêmes. La préparation physique de Rita a également été longue et compliquée, et a inclus un travail avec un diététicien et un entraineur personnel pour l’aider à prendre ou perdre du poids pendant le tournage. Elle a également appris les bases de la médecine tactique et le maniement des drones, même si cela ne figure pas dans le film. Cette préparation l’a aidé à comprendre le langage corporel et la manière de penser d’une personne comme Lilia. Pendant les répétitions, nous avons également fait très attention au travail physique, avec un entraînement régulier. Rita a également écrit le journal de captivité de Lilia en se basant sur les témoignages de vétérans et anciens prisonniers. Nous nous sommes beaucoup référés à ce texte pendant le tournage. Nous nous sommes également concentrés sur un travail dans le volume et l’espace. Son jeu peut ainsi être délicat et subtil, éloquent même sans paroles.
En quoi le film reflète-t-il la situation socio-politique actuelle de l’Ukraine ?
Depuis le début de l’invasion russe à grande échelle, le monde a tourné son attention vers notre pays. Le film montre ce que vivaient les soldats qui défendaient l’Ukraine avant que tout le monde, dans notre pays et à l’international, n’admette qu’une guerre est une guerre. Il examine des évènements qui ont conduit au désastre actuel vus à travers une personne qui a survécu aux atrocités commises par l’agresseur, qui savait que l’agresseur ne s’arrêterait pas, et qui a considéré qu’il était de son devoir de se battre. Dans le film, j’ai essayé de souligner les problèmes sociaux que je considère comme étant les conséquences des traumatismes. En tant qu’Ukrainiens et que société mondialisée, nous sommes devenus durs, sourds et ignorants. La haine et la mort sont devenues ordinaires, ce qui augmente le besoin de désigner un ennemi. Durant les huit dernières années, des milliers de soldats sont revenus. Ils n’ont pas toujours été accueillis chez eux comme on pouvait s’y attendre. La vie civile, dans laquelle on a moins tendance à diviser le monde en noir ou blanc, peut être plus dure à vivre pour eux que la guerre. Mais la société a du mal à accepter, aider et resocialiser les personnes souffrant de SSPT (Syndrome de stress post-traumatique). Certaines de ces personnes peuvent se sentir humiliées ou deviennent agressives, envers elles-mêmes et les autres ou ne parviennent plus à trouver leur place. Nous acceptons cette tension, qui est devenue familière depuis le début de la guerre, et les défis qu’elle implique. Mais comme nous le voyons aujourd’hui, c’est une question de survie.