Certaines femmes de Kelly Reichardt
Film soutenu

Certaines femmes

Kelly Reichardt

Distribution : LFR Films

Date de sortie : 22/02/2017

Etats-Unis - 2016 - 1h47

Quatre femmes font face aux circonstances et aux challenges de leurs vies respectives dans une petite ville du Montana, chacune s’efforçant à sa façon de s’accomplir en tant que femme.

Selection Officielle – Festival de Toronto 2016
Selection Officielle – New-York Film Festival 2016
Festival de Deauville 2016, Festival International du Film de La Roche-sur-Yon 2016

Avec : Laura Dern Laura • Michelle Williams Gina • Kristen Stewart Elizabeth • Lily Gladstone The Rancher • Jared Harris Fuller • James Le Gros Ryan • Rene Auberjonois Albert

Scénario Kelly Reichardt • Réalisation Kelly Reichardt • Image Christopher Blauvelt • Montage Kelly Reichardt • Musique Jeff Grace • Production Film Science – Stage 6 Films – Anish Savjani, Vincent Savino, Neil Kopp, Todd Haynes

Kelly Reichardt

Cinéaste indépendante, plutôt à contre-courant, Kelly Reichardt est la fille d’un officier de police et d’une mère employée de l’Agence fédérale de lutte anti-drogue. Elle s’est tout d’abord passionnée pour la photographie, découvrant celle-ci à travers l’objectif que son père utilisait pour photographier les scènes de crime. En 1988, elle s’installe à New York. Ses débuts au cinéma datent de 1989 : elle est directrice artistique pour le film L’Incroyable Vérité (The Unbelievable Truth) de Hal Hartley. Puis elle collabore, en 1991, à la réalisation du film de Todd Haynes : Poison. Elle tourne en 1995 son premier long métrage, River of Grass, et obtient trois nominations aux Independent Spirit Awards ainsi que le Prix du grand jury au festival de Sundance. C’est avec Old Joy (2006), son deuxième film, que Kelly Reichardt acquiert en Europe un début de reconnaissance. Wendy et Lucy (2008), sélectionné dans la sélection Un certain regard au Festival de Cannes 2008, et le western très atypique La Dernière Piste (Meek’s Cutoff, 2010) confirment la prédilection de Kelly Reichardt pour un cinéma pastoral minimaliste.

Filmographie

Courts et moyens métrages
1999 : Ode (moyen métrage) et scénariste
2001 : Then a Year (moyen métrage)
2004 : Travis (moyen métrage)

Longs métrages
1994 : River of Grass,
2006 : Old Joy,
2008 : Wendy et Lucy (Wendy and Lucy)
2010 : La Dernière Piste (Meek’s Cutoff)
2014 : Night Moves
2016 : Certaines femmes (Certain Women)

Inspiré de nouvelles de Maile Meloy, Certaines Femmes reste fidèle au style qui a valu à Kelly Reichardt sa renommée, avec des personnages qui sont des chefs-d’œuvre de minimalisme, et une utilisation du décor  et des paysages comme des personnages à part entière. 


FEMMES FATALES

par Loris Dru Lumbroso / cinephilia.fr
Depuis Old Joy en 2006, Kelly Reichardt s’est aisément imposée comme une des cinéastes les plus importantes de son époque grâce à des œuvres éblouissantes associant superbement drame et lyrisme par une mise en scène ample et lente comme dans Wendy & Lucy (2008). Désormais un poil plus rare il faudra attendre trois ans entre La Dernière Piste (2010), sublime western sur l’errance, et Night Moves (2013) son thriller écologique qui magnifiait Jesse Eisenberg et Dakota Fanning puis quatre longues années, pour la France du moins, avant de pouvoir enfin s’émerveiller devant sa dernière œuvre Certaines Femmes. Son dernier film est l’occasion de retrouver Michelle Williams, véritable muse de Reichardt sur Wendy & Lucy et La Dernière Piste, parmi un casting 100% féminin de toute beauté : Laura Dern, Kristen Stewart et Lily Gladstone. Ce retour au drame rural intimiste marque aussi le retour de Kelly Reichardt à la pellicule après avoir tourné Night Moves en numérique. Ça semble être un détail mais le 16mm est le support idéal de son cinéma et notamment pour Certaines Femmes qui tend sans cesse vers la peinture impressionniste.

Certaines Femmes est comme son nom l’indique un film de femmes et il est nécessaire de dire d’emblée que son casting est d’une justesse inouïe avec Laura Dern (qui a le rôle le moins intéressant face à un excellent Jared Harris), une Michelle Williams toujours parfaite chez sa cinéaste fétiche et surtout un couple Kristen Stewart et Lily Gladstone qui nous rappelle que Reichardt n’est pas juste une grande esthète visuelle mais aussi une fantastique directrice d’actrices.

Il est peu dire qu’on est enchanté par ce drame hypnotique tant on aime le style de Kelly Reichardt. Dans ce magnifique format 16mm, elle sublime quatre portraits de femme dans leur vie quotidienne du Montana à travers trois segments vaguement liés entre eux.
Qu’il s’agisse de Laura Dern, avocate devant gérer un client déséquilibré, Michelle Williams en proie à ses troubles familiaux cherchant à bâtir sa propre maison ou la rencontre étrange entre une agricultrice et une professeur en droit interprétées par Lily Gladstone et Kristen Stewart, chacune porte son fardeau, traîne avec elle un profond mal-être que Reichardt traite avec une simplicité et une poésie étourdissante.

Reichardt nous plonge dans un moment de vie de manière extrêmement fluide et direct pour nous extirper trente minutes plus tard (durée moyenne d’un segment) en passant de façon plutôt abrupte à une autre personne. C’est à la fois impressionnant que ces portraits soient si intenses car en une durée record Reichardt en dit très long sur ses personnages mais c’est tout aussi déceptif de ne pas s’accrocher plus longtemps à eux, de nous en montrer qu’une minuscule facette malgré toute l’ambiguïté qui les caractérisent. Mais Reichardt maîtrise parfaitement cette explosion dans la narration (qu’il s’agisse de l’adaptation d’une nouvelle, Both Ways Is the Only Way I Want It de Maile Meloy y est certainement pour beaucoup) puisqu’elle laisse de nombreux blancs sur lesquels le spectateur peut projeter beaucoup de choses, elle laisse en suspens bon nombre de questions au final accessoires pour se concentrer réellement sur la psyché de ces femmes à un moment crucial de leur vie.

Ne jamais combler le vide, laisser parler le silence, voir défiler à l’image les non-dits c’est par exemple ce qui rend le deuxième segment, avec Michelle Williams, aussi majestueux tant il en montre énormément tout en étant dans l’économie d’actions et de parole. Son travail sur le montage est à ce titre remarquable puisqu’il parvient dans la troisième partie à retranscrire une routine et un jeu de séduction d’une subtilité et d’une douceur sans commune mesure par la répétition et les échanges de regard.

Comme toujours chez elle les plans sont très contemplatifs, la photographie très élégante (entre ces lents mouvements de caméra et sa lumière très douce et contrastée), une pesanteur dans le rythme laissant la part belle au silence. C’est d’ailleurs fascinant de voir à quel point l’œuvre de Reichardt s’émancipe de tout impératif de récit ou de rythme tant Certain Women est d’une épure folle dans son écriture et sa mise en scène qui confine à l’abstraction. Il est d’autant plus impressionnant de constater la puissance cinématographique qui se dégage du film de manière si paisible, de voir comment Reichardt construit une ampleur émotionnelle essentiellement par la force de sa mise en scène.

On pourrait craindre l’ennui devant le style minimaliste de Reichardt or il se révèle toujours passionnant dans la manière qu’elle a de se concentrer avant tout sur des sensations ou des sentiments en ayant recours le moins possible au dialogue. C’est un pur cinéma de mise en scène (même si le dialogue est l’élément qui a le plus besoin de mise en scène) dans le sens ou toutes les émotions passent par l’image, elles transparaissent par le cadre, le découpage, le montage.

Il y a paradoxalement au milieu de cette retenue permanente (cette réalisation posée, ces émotions qui n’explosent jamais), un tempête de sentiments qui est continuellement contenue par les personnages et qu’ils évacuent chacun à leur manière (l’alcoolisme, le burn-out, l’obsession proche du voyeurisme) en esquissant à peine ce trait. C’est par cette pudeur et cette subtilité que Reichardt parvient à trouver cette profondeur, en laissant les personnages évoluer dans ces paysages ruraux et gelés et montrer cette incommunicabilité. Comme dans La Dernière Piste, elle montre sa capacité à filmer la nature (le désert est remplacé par les plaines et les petites villes du Montana), à utiliser l’espace et à magnifier sans cesse son environnement que ce soit une forêt vue à travers la vitre d’une voiture ou une route de campagne qui se dévoile au rythme d’une ballade à cheval grâce notamment à la photographie sublime de Christopher Blauvelt.

Certaines Femmes est un film d’une beauté inouïe dans ses envolées lyriques automnales et crépusculaires, Kelly Reichardt par la seule force de sa mise en scène parvient à sublimer ses personnages interprétées par des actrices en état de grâce. Par l’épure de son récit, son rythme paisible et sa perfection picturale, Certaines Femmes est hypnotique et émotionnellement bouleversant. Kelly Reichardt démontre encore une fois (comme Kenneth Lonergan dans son Manchester by the Sea l’an dernier) que le cinéma indépendant américain est capable de somptueux mélodrames car Certaines Femmes est un film féministe d’une justesse et d’une pureté rarement égalée ces derniers temps.Kelly Reichardt construit trois histoires qui se croisent comme des instantanés photographiques. D’une absolue pureté, la mise en scène magnifie des destins de rien, des récits de vie ancrées dans l’Amérique profonde.


PRISON POUR FEMMES

par Gregory Coutaut / filmdeculte.com
Dans les précédents de films de Kelly Reichardt (Old Joy, La Dernière piste), la nature jouait souvent un rôle de catalyseur: le rapport à la foret, au désert, ou même à un projet écologique finissait par en révéler davantage sur les personnages que n’importe quel dialogue ou action. Cette fois-ci, la nature prend les traits d’une chaine de montagne, unique horizon qui semble encercler la ville et ses environs sous un ciel lourd. Une prison géographique autant que psychologique, où même les trains se trainent péniblement vers un possible ailleurs. Les héroïnes de Certaines Femmes ne rêvent pas de quitter leur lieu de vie, leur travail ou leur famille, mais plutôt d’y trouver enfin leur vraie place. Ce sont des femmes rendues solides par leur quotidien, mais que le film nous montre dans de bouleversants moments de demande affective frustrée.

Certaines Femmes raconte successivement trois épisodes dans la vie de ces femmes d’âge et de situations différentes. Le mot « épisode », à défaut d’événement, n’est pas choisi au hasard. Ceux qui ne sont pas familiers avec le cinéma de Kelly Reichardt, et qui s’attendent (légitimement) à un film familier, à cheval entre un cinéma indépendant américain bien identifié et le simple portrait-de-femme-digne, risquent fort en effet d’être surpris par la démarche de la réalisatrice. Reichardt confirme ici son talent pour une écriture particulièrement économe (en actions, en dialogues psychologiques). Il y a beaucoup de subtilité dans sa manière de lier ou non les récits, de suggérer en passant une certaine condescendance chez des personnages masculins, ou bien un désir qui ne dit pas son nom, voire même de détourner quelques clichés de cinéma de mec (la prise d’otage, le prince charmant sur son cheval).

Mais cette subtilité ne rentre jamais dans le cliché du « film féminin délicat », cette idée idiote qui voudrait que les réalisatrices soient exclusivement douées pour décrire des émois fébriles et les petites choses de la vie. Tout en restant d’une discrétion qui risque de passer au-dessus de la tête de certains spectateurs pressés, la démarche de Kelly Reichardt est vraiment radicale. A travers ces histoires où en surface, il semble presque ne rien se passer, ce ne sont pas les petites choses qu’elles nous donne à voir, mais au contraire les plus grandes: des gouffres d’émotions refoulées. Pas de cri, pas de larme, pas de baiser, c’est précisément cette absence-là (et la violence sans éclat de ce vide-là) que Reichardt et ses formidables comédiennes parviennent à nous faire sentir. Malgré (ou plutôt « grâce à ») sa sobriété sans compromis, Certaines Femmes est peut-être bien le film le plus émouvant de son auteure.