Début des années 90 : la guerre en Yougoslavie a débuté. Des hommes jeunes venus de toute l’Europe y prennent part. Le 7 janvier 1992, un journaliste suisse est retrouvé mort en Croatie, vêtu de l’uniforme d’un groupe international de mercenaires. Vingt ans plus tard, sa cousine, la réalisatrice Anja Kofmel mène des recherches sur le contexte de l’époque pour comprendre pourquoi ces hommes furent à ce point fascinés par la guerre.
Semaine de la Critique 2018 – En compétition
Avec : Anja Kofmel, Hedi Rinke, Julio César Alonso, Aduardo Rosza Flores, Alejandro Hernandez Mora, Paul Jenks, Ilich Ramírez Sánchez.
Réalisé par Anja Kofmel • Ecrit par Anja Kofmel • Production Dschoint Ventschr Filmproduktion AG, Nukleus Film, MA.ja.de Filmproduktion, IV Films, SRF Schweizer Radio und Fernsehen • Producteurs Sereina Gabathuler, Samir, Sinisa Juricic, Iikka Vehkalahti • Images Simon Guy Fässler, Philipp Künzli, Gabriel Sandru
Montage Stefan Kälin, Sophie Brunner, Vladimir Gojun, Višnja Skorin
Son Daniel Hobi, Marco Teufen, Hrvoje Petek
Montage son Markus Krohn
Conception sonore Markus Krohn
Musique Marcel Vaid
Animation Simon Eltz, Serge Valbert
Compositeurs Falk Büttner, Jan Mildner, Camilo De Martino
Anja Kofmel
Anja
Kofmel est née en 1982 à Lugano et a grandi dans les environs de
Zurich. Elle obtient le diplôme fédéral de fin de scolarité obligatoire
en 2002.
Entre 2005 et 2009, elle étudie l’animation à la Haute École de design
et d’art de Lucerne (HSLU). Durant cette période, elle passe un semestre
à l’École Nationale Supérieure des Arts Décoratifs (ENSAD) à Paris. En
2009, elle termine ses études et reçoit un diplôme en conception
visuelle, spécialisation animation. Son projet de fin d’études intitulé
Chrigi, court-métrage qui traite de la mort brutale de son cousin
Christian Würtenberg a reçu des récompenses et a reçu un accueil très
enthousiaste.
Après l’obtention de son diplôme, Anja se concentre sur l’animation, la
réalisation de documentaires et sur l’illustration en tant
qu’indépendante. Toujours désireuse d’approfondir ses connaissances,
elle participe à divers ateliers dans les domaines du storytelling, du
story-boarding et de la production. Parmi lesquels le Temple Clark
workshops ou le Kami Naghdi Film Law Development Production and
exploitation Deals tous les deux situés à Londres (Royaume-Uni).
Entre 2015 et 2017, elle passe la plupart de son temps en Croatie ou en
Allemagne où elle pilote une équipe internationale d’animateurs en tant
que réalisatrice et directrice artistique du documentaire animé Chris the Swiss,
une étude plus élaborée sur l’assassinat de son cousin. Durant cette
période elle fonde sa propre maison de production «Asako GmbH» à Zurich.
2018 Elle termine Chris the Swiss.
Filmographie
2018 Chris the Swiss, doc animé,
2009 Chrigi, cm d’animation,
2006 Boxer Box, cm d’animation
2005 Je Suisse, cm d’animation
2004 Strichcode, cm d’animation
ENTRETIEN AVEC LA RÉALISATRICE
La mort de votre cousin suscite votre intérêt depuis plus de
vingt-cinq ans. Vous en aviez déjà fait le sujet de votre projet de fin
d’études, un court-métrage de sept minutes : Chrigi, en 2010. À présent,
vous avez réalisé un long métrage. Pourquoi ce cousin vous
préoccupe-t-il encore ?
Avec cette terrible nouvelle, pour ainsi dire, le mal est entré dans ma
vie. Enfant, j’avais un point de vue différent, j’ai perçu le message
différemment. Je ne le connaissais même pas si bien que ça, mais je
l’admirais, ce journaliste qui voyageait beaucoup, en Thaïlande, en
Afrique du Sud. Il a nourri mon imagination, ma propre soif d’aventure.
Plus tard, quand j’ai eu son âge, je me suis retrouvée confrontée à la
question : Pourquoi quelqu’un meurt-il si jeune et de façon aussi
sauvage ? Que s’est-il passé là-bas ? D’une part, il y avait ce cousin,
d’autre part la question de savoir ce qu’était ce monde et comment une
telle guerre pouvait se produire. Comment aurais-je réagi ?
Le processus a été long, de l’idée à la réalisation. Vous avez travaillé sur le film pendant sept ans.
La production a été difficile. C’était mon premier long-métrage depuis
l’école, mon premier documentaire. Je n’avais jamais écrit de scénario
auparavant. Beaucoup de nouveaux éléments sont arrivés en même temps.
Qui plus est, durant la production, nous avons rencontré divers
problèmes, dont la plupart n’étaient pas de notre fait, mais relevaient
de circonstances extérieures et de questions politiques.
Vous
venez du film d’animation et avez maintenant mêlé des séquences
d’animation et des scènes documentaires. Quelle était votre intention ?
J’ai utilisé l’animation pour, d’une part, montrer la perspective de
l’enfant, mes souvenirs pour ainsi dire. D’autre part, je voulais
exposer mon point de vue, mes idées de ce qu’ont pu être les derniers
jours de la vie de mon cousin. Mais même ce niveau fictionnel se base
sur des recherches, sur des articles écrits par Chris, sur des
déclarations de personnes qui l’ont connu. Un autre facteur décisif qui
m’a incitée à recourir à l’animation était la liberté narrative qu’elle
procure. La possibilité d’aller au-delà de la simple illustration de ce
qui a pu se produire et de donner plutôt une forme visuelle à la guerre
et aux atrocités de la guerre, de visualiser les sentiments et les
émotions.
Ce procédé, cette forme s’appelle « documentaire animé », est-ce qu’il y a des réalisateurs de référence dans ce domaine ?
Il y a des exemples, mais seuls quelques-uns ont réussi. En
l’occurrence, il n’y en a pas pour moi. Je voulais imbriquer les deux
formes, les fusionner à ma manière et selon ma propre optique
D’un côté, votre film propose une vision personnelle,
familiale, et de l’autre, décrit une situation politique, des conditions
sociales. Comment vous y êtes-vous prise pour chercher des pistes ?
Le point de départ a été cet événement pendant mon enfance et la
question : Qui a tué Chris ? Mais au cours du travail, cette question
n’a plus occupé la place centrale. Il ne s’agissait plus du cas
particulier de Chris, mais de la guerre et de la question : Qu’est-ce
que les individus sont prêts à faire ? Pourquoi prendre part à une
guerre de son plein gré ?
Espériez-vous résoudre le mystère de la mort de votre cousin ?
Au début peut-être, mais vingt ans après, ça ne sert plus à rien. Le
film ne fournit que de vagues réponses, il soulève de nouvelles
questions.
Il y a certainement des réponses pour expliquer sa mort
violente, des témoignages de personnes qui l’ont approché, par exemple.
Le film nous propose différents scénarios de l’assassinat de Chris.
Ce qui deviendra clair c’est la réalité historique, mais aussi, avec le
temps et les gouvernements qui vont se succéder à l’avenir, les pistes
seront brouillées.
« Chris the Swiss», comme le brigadier général Chicol’appelle
presque par moquerie, était un reporter suisse,un chercheur, un
mercenaire, un guerrier, une victime.« Il a joué avec sa vie », se
souvient un témoin. Etait-il fasciné par la guerre ?
J’en suis convaincue. Rien n’était tout noir ou tout blanc pour lui, sa
personnalité était plus complexe, ce n’était pas un « Rambo» typique
qui part à la guerre. Je l’ai perçu dans ses notes, qu’il a laissées
derrière lui. C’était un observateur et un guerrier.
Un témoin dit que Chris a rejoint « une bande de criminels
d’extrême droite », le PIV, la « première section internationale de
volontaires », une milice armée. Pourquoi a-t-il fait ce choix ?
Des journalistes, qui se connaissaient, ont été impliqués dans cette
guerre complètement déroutante. Parmi eux, il y avait l’Espagnol Chico,
fondateur du PIV. Certains ont participé. C’est l’une des raisons de son
choix, une autre concerne la rumeur selon laquelle l’Opus Dei était
partie prenante et a financé la brigade. Chris a pu imaginer une
histoire exaltante. Et il voulait toujours aller au fond des choses quel
que soit le prix à payer.
Je pense qu’il n’avait même pas envisagé la possibilité de mourir, mais
qu’il pensait rentrer avec une histoire géniale et devenir célèbre.
C’est mon interprétation.
Le frère de Chris, Michael, lui aussi journaliste, a dit un jour que Chris avait joué avec sa vie. Vous le pensez aussi ?
Selon moi, c’était quelqu’un qui cherchait toujours la limite,
l’extrême. Il ne se satisfaisait pas d’assister à des conférences de
presse, il voulait être sur le terrain des événements. Cette période –
la fin de la Guerre froide, la chute de l’URSS, et la guerre en
Yougoslavie, cette zone sensible, – était très excitante pour les
journalistes.
Chris s’est-il retrouvé pris dans une spirale dont il ne pouvait plus sortir ?
Oui. Il est parti seul et a franchi les limites. C’est facile de dire
que Chris était un aventurier, mais la guerre est une situation
exceptionnelle. C’étaient de jeunes combattants, de 16, 17 ans, remplis
d’adrénaline dans une situation extrême, qui sont devenus fous et sont
passés à l’acte.
Chris n’est pas un personnage très
émouvant. Vous n’avez pas brossé le portrait d’un homme héroïque, mais
celui du « héros », plutôt sombre. Le journaliste armé peut servir de
modèle à des jeunes gens fascinés par la guerre qui prennent le chemin
du Moyen-Orient. Partagez-vous ce point de vue ?
Cela peut se produire pendant une certaine période de la vie d’un jeune
homme. Il peut se retrouver instrumentalisé et utilisé par n’importe
quel parti. L’histoire se répète.
Vous êtes-vous délestée d’un fardeau personnel, êtes-vous parvenue à surmonter quelque chose en réalisant ce film ?
Il est difficile de répondre à cette question. C’est assurément un
sujet en lien avec mes souvenirs d’enfance, un mystère que je voulais
percer, quelque chose que je voulais surmonter. Maintenant, je dois le
laisser derrière moi.
Comment Joel Basman, l’acteur célèbre, est-il entré en jeu ?
Le
casting pour la voix de Chris a été difficile. J’avais l’intention de
faire intervenir deux voix-off : celle de Chris et la mienne..
Il m’a semblé que la mienne ne convenait pas bien au film. On entend
Chris dans un reportage à la radio, les séquences D’animation et les
passages dans lesquels ses articles sont lus. J’ai fait un casting et
Joel avait la voix adéquate. Je cherchais une voix authentique, celle de
quelqu’un qui avait vécu quelque chose. Joel a été capable de le faire,
il a réussi à briser sa voix. Je pense que Chris était un personnage
ambigu, un homme déchiré.
Y avait-il un cahier des charges pour le dessin ?
Oui, c’était important pour moi que le film soit proche de mes propres dessins. J’ai aussi dessiné pendant le tournage.
Votre travail est-il un film de guerre sur la Croatie?
On n’entend pas beaucoup parler croate dans le film. C’est un film sur
de jeunes hommes qui pouvaient être des personnes proches de vous et
aller faire la guerre. Il parle de la brigade et de l’environnement en
Croatie. C’est pour cette raison que la Serbie n’est pas prise en
compte. Je me suis concentrée sur les quelques semaines qui ont précédé
la mort de mon cousin.
Quelles ont été les difficultés du
tournage en extérieur, en Croatie. Le tournage a-t-il rencontré des
obstacles de la part des autorités ou d’autres groupes de pression ?
Ç’a été difficile de trouver des témoins. Soit ils étaient morts comme
Eduardo, soit ils avaient des surnoms, soit ils se cachaient. Nous avons
reçu de l’aide des États-Unis et bénéficié d’un répertoire de vétérans
en Croatie. Pendant la production, il y a eu un changement de
gouvernement dans le pays. Il est passé d’un gouvernement plutôt de
gauche et progressiste, à un gouvernement d’extrême-droite. Les
séquences d’animation ont été produites en Croatie ; nous y avions
installé un studio d’animation. La production a été interrompue en 2016 à
cause de manifestations contre la fondation cinématographique qui
soutenait notre projet. Son directeur a dû démissionner. Le financement
croate a cessé. Le problème a été résolu peu avant Noël 2017. Cependant,
les récents événements ont conduit la Croatie à ne pas reconnaître Chris the Swiss comme un film croate.