Film soutenu

Corpo Celeste

Alice Rohrwacher

Distribution : Ad Vitam

Date de sortie : 28/12/2011

Italie - 2011 - 1h40 - 35mm et DCP - 1:85 - Dolby SRD

« Que veut dire Eli, Eli, lama sabachthani ? » demande Marta au vieux prêtre. « C’est un cri, c’est Jésus qui hurle, mon Dieu pourquoi m’as-tu abandonné ? ». Ce cri résonne en elle. Marta scrute sa ville natale en Calabre, où elle vient tout juste de rentrer avec sa mère et sa soeur, après avoir grandi en Suisse. Du haut de ses treize ans, elle se sent comme une étrangère dans cette Italie du sud dévastée. Elle a maintenant l’âge de faire sa confirmation et le catéchisme est le meilleur endroit pour tenter de s’intégrer. Mais loin de ses rêves “célestes”, elle ne fait qu’y découvrir les petits arrangements de la communauté.

Quinzaine des Réalisateurs – Festival de Cannes 2011

Fiche artistique

Marta YILE VIANELLODon Mario SALVATORE CANTALUPOSanta PASQUALINA SCUNCIARita ANITA CAPRIOLIDon Lorenzo RENATO CARPENTIER

Fiche technique

Réalisatrice et scénariste ALICE ROHRWACHERProduction Italienne  TEMPESTA
Produit par CARLO CRESTO-DINA
Production France JBA Production
Produit par JACQUES BIDOU, MARIANNE DUMOULIN et TIZIANA SOUDANI 
Production : TEMPESTAJBA Production, AMKA Films Production
En association avec RAI CINÉMA

Alice Rohrwacher

Née en Toscane, Alice Rohrwacher est diplômée de littérature et de philosophie de l’Université de Turin. Elle a réalisé une partie du long-métrage collectif Checosamanca.
À 27 ans, elle écrit et réalise son premier long-métrage Corpo Celeste sélectionné à la Quinzaine des Réalisateurs du Festival de Cannes 2011.

Propos de Alice Rohrwacher

MARTA

Marta revient dans des lieux qu’elle ne connaît pas, à Reggio Calabria, la ville où elle est née. Le retour vers le sud est un phénomène récent et de plus en plus important en Italie, à un tel point que l’on peut parler « d’émigration du retour ». De nombreuses familles abandonnent tout espoir d’une vie meilleure dans le Nord où les usines ferment et préfèrent retourner sur leur terre d’origine où elles peuvent être soutenues et aidées par leurs amis et leurs parents. Marta ne retrouve pas la chaleur et l’esprit communautaire qui peuplent les souvenirs familiaux, mais une immense banlieue où son sentiment d’abandon et de solitude est exacerbé. Reggio Calabria est une ville où l’arrivée de la modernité a provoqué d’immenses dégâts, les plaies sont encore ouvertes. Des terrains attendent éternellement d’hypothétiques constructions, des immeubles, des maisons demeurent inachevées,d’immenses centres commerciaux voient le jour, traces d’un besoin inassouvi d’apparence, dans un monde qui accumule, qui ne jette rien, un Sud à l’opposé du soleil, de lamer, des couleurs vives. À Reggio Calabria Marta se retrouve plongée dans un univers glacé, inhospitalier. Sous la maison de Marta, comme une cicatrice sur le ventre de la ville, court le lit d’une rivière asséchée (ou fiumara). C’est là que les gens jettent tout ce dont ils n’ont plus besoin et qui pourrait servir à d’autres. D’autres fiumari traversent la ville. Ils sont larges, presque toujours à sec, formant des trous béants autour des maisons. En y regardant de plus près, ce ne sont pas des no man’s land, au contraire,ils sont plein de vie : de déchets bien sûr, mais aussi de jardins, de potagers secrets, de cabanes. Ce sont des endroits où la nature apparaît dans toute sa force et sa contradiction. Pour moi, c’est un lieu magnétique, ambigu et constamment en changement. Sans aucun doute un espace qui intrigue et attire Marta. Terrain de jeux pour des adolescents,comme des points à l’horizon, leurs mouvements microscopiques la fascinent, bien au delà de ce que lui propose son quotidien. Comment entrer dans cet espace, comment choisir à quel monde appartenir ?

LE CATÉCHISME

Vers 13-14 ans, les jeunes catholiques font leur confirmation. Ils doivent confirmer le choix que leurs parents ont fait à leur naissance. C’est en principe le premier acte spirituel qu’une jeune personne fait dans sa vie. Je souhaitais parler de ce moment parce qu’il s’agit d’un acte qui n’a pas grand chose à voir avec une maturité spirituelle, mais qui est plutôt une simple étape, basée sur des amitiés, des rencontres, des influences. L’oncle et la tante de Marta qui l’ont accueillie à Reggio Calabria voient la confirmation comme le meilleur moyen de l’intégrer à la communauté, pour se faire des amis et en fin de compte de la soulager d’un poids car « pour se marier, il faut avoir fait sa confirmation ». Au catéchisme, on enseigne aux élèves le « Bon Jésus » dont le corps est spirituel et sacré, le Jésus qui sourit à la classe depuis le mur où il est accroché, un blondinet aux yeux bleus entouré d’enfants, un enseignement qui par soucis d’efficacité s’inspire directement de la téléréalité. Mais Marta ne s’adapte pas, elle observe, s’isole et ignore comment choisir ou comprendre. Elle est troublée, un trouble lié à son âge, à sa personnalité, à l’isolement dans lequel elle est plongée depuis son retour.

LA CORRUPTION

Au début de mes recherches, je suis arrivée à Reggio Calabria en période électorale. La ville était couverte d’affiches, il y avait des haut-parleurs un peu partout, des discours, de la propagande. J’y ai rencontré une personnalité importante, un prêtre propriétaire de nombreux restaurants et de maisons de retraite. Ce qui m’a frappé c’était sa solitude, son anxiété et son ennui. Il récitait le Rosaire sur une machine à courir chaque matin pour rester en forme… Dans le film, le personnage de Don Mario est devenu un prêtre sans vocation. Il juge le monde en suivant exclusivement les préceptes de l’église. Il aimerait partir. Il imagine qu’un jour il sera en charge d’une grande paroisse, qu’il deviendra important. Afin d’y arriver, il fait son travail consciencieusement et aide un politicien qui, en retour, l’aidera à organiser une cérémonie de confirmation spectaculaire, du jamais vu, avec au centre l’arrivée d’un « crucifix figuratif ». L’histoire est vraie. Dans un village du sud de l’Italie, les paroissiens avaient récolté des signatures pour remplacer leur crucifix considéré comme trop « moderne » par un crucifix plus classique: un crucifix figuratif. L’église se modernise pour avoir l’air dans le coup, pour attirer plus de jeunes. Ainsi, apparaissent des crucifix en néon, des prières sous formes de rap et des jeux télévisés intitulés « Qui veut faire sa confirmation? ». Mais, parallèlement à cette vague de modernité, se maintient un conformisme très enraciné dans la tradition. Don Mario, qui veut faire du changement de crucifix un « grand événement », exprime la gêne, le recours à une tradition qui a perdu sa signification originelle à cette « nouvelle mode du vieux » qui secoue actuellement l’Italie.

LE VILLAGE ABANDONNÉ

Don Mario agit totalement à sa guise car personne ne le contrôle. On attend de lui qu’il soit un bon ministre du culte, qu’il utilise son petit pouvoir pour donner les sacrements, des conseils apaisants, sa protection et rendre des services. Mais l’isolement de Marta Le perturbe et le pousse à prendre une décision inattendue. Lorsqu’il la rencontre, perdue sur la route, au lieu de la ramener chez elle, il décide de l’emmener avec lui. Ils traversent ensemble une partie de la Calabre jusqu’au village abandonné de Roghudi. Ils apprennent à se connaître et, pendant un moment, deviennent extrêmement proches, puis se rejettent mutuellement et se séparent sur le chemin du retour. Roghudi appartient à un groupe de hameaux qui fut soudainement déserté entre les années 50 et 70. Le village est étrange, inquiétant, niché au milieu des montagnes, ni vieux, ni neuf, abandonné. C’est là qu’un vieux prêtre solitaire lit l’évangile à Marta et lui donne de nouvelles pistes de réflexion. Il ne lui présente pas Jésus comme un gentil saint mais comme un homme seul et furieux, plus proche de la souffrance de son adolescence que de l’image sirupeuse qu’en donne le catéchisme. Marta comprend alors qu’il n’est pas nécessaire de partir très loin puisque, le Corps Céleste, le monde au dessus, est Le village abandonné. Don Mario agit totalement à sa guise car personne ne le contrôle. On attend de lui qu’il soit un bon ministre du culte, qu’il utilise son petit pouvoir pour donner les sacrements, des conseils apaisants, sa protection et rendre des services. Mais l’isolement de Marta le perturbe et le pousse à prendre une décision inattendue. Lorsqu’il la rencontre, perdue sur la route, au lieu de la ramener chez elle, il décide de l’emmener avec lui. Ils traversent ensemble une partie de la Calabre jusqu’au village abandonné de Roghudi. Ils apprennent à se connaître et, pendant un moment, deviennent extrêmement proches, puis se rejettent mutuellement et se séparent sur le chemin du retour. Roghudi appartient à un groupe de hameaux qui fut soudainement déserté entre les années 50 et 70. Le village est étrange, inquiétant, niché au milieu des montagnes, ni vieux, ni neuf, abandonné. C’est là qu’un vieux prêtre solitaire lit l’évangile à Marta et lui donne de nouvelles pistes de réflexion. Il ne lui présente pas Jésus comme un gentil saint mais comme un homme seul et furieux, plus proche de la souffrance de son adolescence que de l’image sirupeuse qu’en donne le catéchisme. Marta comprend alors qu’il n’est pas nécessaire de partir très loin puisque, le Corps Céleste, le monde au dessus, est déjà là où nous sommes déjà là où nous sommes.