La communauté de Covas do Barroso, au nord du Portugal, découvre qu’une entreprise britannique envisage d’implanter sur ses terres la plus grande mine de lithium à ciel ouvert d’Europe. Pour protéger la montagne, les habitants décident de faire face.
Festival de Cannes 2024 – Quinzaine des Cinéastes
Réalisation | Paulo Carneiro · Scénario | Paulo Carneiro, Alex Piperno · Image | Duarte Domingos · Son | Ricardo Leal, Daniel Yafalián · Montage | Magdalena Schinca, Paulo Carneiro, Alex Piperno · Musique | Carlos Libo, Diego Placeres · Décors | Paulo Carneiro, Aida Fernandes, Nelson Gomes, Lúcia Esteves · Production | Bam Bam Cinéma, Paulo Carneiro-Migues de Jesus · Coproduction | La Pobladora Cine – Alex Piperno · Ventes internationales | Portugal Film – Portuguese – Film Agency



Paulo Carneiro
Né à Lisbonne, Paulo Carneiro a grandi à Pontinha. Il est diplômé en son et image de l’École d’Arts de Leiria, de l’ESTC de Lisbonne et de la HEAD à Genève. Il réalise en 2018 son premier film, Bostofrio, où le Ciel rejoint la Terre, présenté dans plus de 40 festivals à travers le monde et plusieurs fois primé. Son deuxième long métrage, Périphérique Nord, est présenté en première mondiale à Visions du Réel en 2022. Covas do Barroso, chronique d’une lutte collective (A savana e a montanha) a été présenté à la Quinzaine des Cinéastes en 2024.
FILMOGRAPHIE
2025 – Covas do Barroso, chronique d’une lutte collective
2022 – Périphérique Nord (72 minutes)
2018 – Bostofrio (70 minutes)
ENTRETIEN AVEC PAULO CARNEIRO
Ton film décrit la lutte d’une communauté d’habitants contre l’installation de quatre mines de lithium à Covas do Barroso, dans la région du Trás-osMontes au nord-est du Portugal. Je sais que tu as des liens familiaux avec la région, notamment parce que ton premier film a été tourné dans le village de Bostofrio, à quelques kilomètres de là. Comment as-tu été appelé à participer à ce combat ?
Lorsque Bostofrio – où le ciel rejoint la terre, mon premier film, est sorti dans les salles de cinéma au Portugal, des écologistes et des militants des partis politiques opposés au projet de Savannah Resources sont venus me rencontrer à l’issue de certaines projections. Ils m’ont expliqué par le menu ce qu’étaient les plans de l’entreprise pour la région dont est originaire ma famille. À l’époque, en 2019, je n’étais pas encore très au fait des détails, et Savannah n’avait pas encore commencé les forages d’exploration. C’est pendant la pandémie que je me suis rendu à Covas do Barroso, après que plusieurs habitants du village m’ont dit que, d’une manière ou d’une autre, toute aide serait la bienvenue. J’avais besoin de me rendre compte de ce qui se passait vraiment sur place. Et c’est alors que j’ai décidé de mettre mon savoir faire – le cinéma – au service de cette lutte.
La façon dont tu décris l’opposition de la communauté à Savannah est très allusive, presque indirecte : le film est à la fois un documentaire sur cette vallée et une fiction aux allures de western. Comment es-tu parvenu à ce mélange ?
Lorsque j’ai commencé à organiser le tournage à Covas do Barroso, la lutte traversait une période difficile. Plusieurs des habitants les plus engagés étaient au bout du rouleau, fatigués par des années de mobilisation et malmenés par les mensonges politiques du gouvernement. Après quelques séjours, je leur ai proposé de changer notre fusil d’épaule, de renverser la table et Entretien avec Paulo Carneiro par Ricardo Vieira Lisboa de créer ensemble une fiction, où ils rejoueraient leur propre rôle, autour de certains des épisodes qu’ils avaient réellement vécus. À ce moment-là, j’ai découvert chez eux une force que je n’avais pas perçue encore. Tout à coup, il m’a semblé que le défi du tournage les embarquait, qu’ils avaient pris la responsabilité du film, qu’ils arrivaient sur le plateau avec des idées nouvelles et la main ferme. Ils voulaient donner l’image d’un peuple combatif. En fait, ce sont eux qui ont apporté les éléments du western, j’ai simplement travaillé à partir de ce qu’ils m’ont donné. Et bien sûr, quand ils mettent eux-mêmes en scène le village comme un décor de western, c’est parce qu’ils ont la capacité de rire d’eux-mêmes et de la situation fragile dans laquelle ils se trouvent.
Est-ce que tu considères ton travail sur ce film comme du cinéma d’intervention ? Autrement dit, penses-tu que le film et sa diffusion peuvent contribuer à changer les décisions politiques pour l’extraction ? Car, même si le film est indirect, il pointe clairement du doigt les responsables politiques…
J’ai du mal à croire que le cinéma a la capacité de changer le cours des choses, et pourtant cela demeure un des objectifs du film. Ce n’est pas contradictoire. Je veux mettre le débat sur la table et rendre compte de l’extraordinaire vitalité de ce lieu. Un lieu qui risque de disparaître dans moins de dix ans si le projet se concrétise.
Il y a un esprit de communauté que le film semble mettre en mouvement : une communauté qui se rassemble autour d’un projet commun et contre un ennemi commun. Est-ce là la dimension politique du film ?
Oui, bien sûr. C’est pourquoi je n’ai jamais voulu faire un film de personnages, mais un film choral.
À cet égard, quel a été le rôle des chansons de résistance que l’on entend tout au long du film ? Comment ont-elles été intégrées dans le récit ?
La rencontre avec Carlos Libo à Covas a été extraordinaire. Petit à petit, nous l’avons convaincu de travailler avec nous, non pas en tant que musicien, mais en tant qu’acteur. Lorsque nous étions dans la phase finale du montage, la bande sonore originale ne fonctionnait pas et la solution était si claire que nous ne la voyions même pas. Les moments musicaux, que nous avions toujours imaginés comme une chose à part, hors-film, ont fini par devenir un noyau narratif fondamental. La raison en est très concrète : le film a été tourné sur le temps long, quatre saisons, et chaque fois que nous sommes allés à Covas, nous avons aussi tourné des vidéos pour les chants de résistance, afin de les partager sur les réseaux sociaux et aider la lutte. Nous avons tout simplement fini par les intégrer dans le film.
Puisqu’il s’agissait d’un film à tourner dans l’urgence, pourquoi as-tu décidé de le tourner entièrement sur pellicule ?
Le film est une sorte de reconstitution, de réinvention ou même de réinterprétation de certains des événements qui ont eu lieu pour cette communauté. Le désir de tourner sur pellicule n’est pas venu de moi, mais du directeur de la photographie Duarte Domingos. Quoi qu’il en soit, pour le film que nous voulions, je pense que c’était logique. Duarte avait le matériel de prise de vues et nous avons bénéficié du soutien du laboratoire et de Kodak. Le tournage sur pellicule s’est avéré plus avantageux que le tournage en numérique, en termes de production. J’aime m’imposer des restrictions qui me forcent à me concentrer et à savoir exactement ce que je veux filmer et comment je veux le faire.
Outre la dimension politique, l’humour est très présent dans le film, dans les performances des acteurs – qui sont bien sûr non-professionnels – et dans de nombreuses situations mises en scène. Comment ces éléments comiques ont-ils été intégrés ?
Je crois que pour parler d’un sujet sérieux, il faut utiliser l’humour, et les habitants de Covas do Barroso ont beaucoup d’autodérision, et leur ironie va aussi de pair avec l’absurdité de ce qui se passe là-bas. Comment peut-on envisager de construire la plus grande mine de lithium à ciel ouvert d’Europe dans une région qui a été inscrite au patrimoine agricole mondial de la FAO, l’organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture ? Il n’existe que 78 régions de ce type dans le monde. Personne ne s’attendait à ce que le gouvernement portugais autorise l’exploitation minière dans une région présentant ces caractéristiques. Et pourtant…
Il y a une séquence dans le film que je trouve très forte, qui consiste en une série de portraits des protagonistes, chacun·e au volant de son tracteur. Dans quelle mesure t’a-t-il semblé important, à ce moment-là, de suspendre la fiction pour nous donner à voir les gens ?
J’accorde beaucoup d’importance au pouvoir d’archivage du cinéma. J’y ai beaucoup réfléchi ces derniers temps : ce qui résiste au temps, ce qui ne meurt pas, ce qui laisse une trace. J’ai donc pensé qu’il était important de donner au spectateur une mémoire du peuple de Covas, un ensemble composé d’individus. Nous avons fait les portraits pour que les spectateurs puissent garder leurs visages en mémoire même après avoir quitté la salle de cinéma. J’ai essayé de rendre cette scène mémorable et je pense, en un sens, que c’est réussi : qu’elle ne laisse pas indifférent.
Covas do Barroso, chronique d’une lutte collective est ton troisième long métrage. Cependant, l’approche est très différente de celle de tes films précédents. Qu’est-ce qui, dans cette histoire, a conduit à cette transformation de ton cinéma ?
Je ne sais pas s’il s’agit d’une transformation parce que – s’il y en a une – elle a été progressive. Je pense que c’est la logique du cinéma : avoir de nouvelles choses à dire, et les dire à travers des dispositifs qui nous mettent à l’épreuve chaque fois différemment. Je m’amuse beaucoup en filmant. J’entends toujours le directeur de la photographie me dire qu’il est impossible de filmer de telle ou telle manière. Quand j’entends ça, ça me donne envie d’affronter des situations où les choses sont encore plus difficiles. J’ai la chance que Ricardo Leal, l’ingénieur du son avec lequel je travaille depuis tant d’années, soit encore plus mauvais que moi sur ce point [rires].
Ton prochain film, tourné à Chã das Caldeiras au Cap-Vert, est-il fondé sur cette approche ou revient-il au dispositif formel de tes premiers films ?
Je ne sais pas, nous sommes en train de monter les deux premières parties du tournage, mais il en reste encore une troisième. Je pense que ma méthode repose sur un processus d’absorption et, en tant que tel, chaque nouveau film intègre les expériences et les apprentissages de tout ce que j’ai fait jusqu’à présent. J’en suis heureux. Dans le prochain film, comme dans les précédents, il y a un village, des voitures, des lumières, une ville la nuit et, au milieu, une histoire d’espionnage, ce qui me permet de parler de ces gens et de cet endroit, Chã das Caldeiras. En fait, c’est ce qui m’intéresse, mais il faut toujours inventer une nouvelle façon de raconter une nouvelle histoire. Et pour y parvenir, il faut travailler avec des gens qui veulent s’emparer de ton scénario, qui veulent se l’approprier afin de créer un film ensemble. C’est comme un jeu de miroirs dans lequel les protagonistes font apparaître une version d’eux-mêmes à travers la caméra. Ce qui est amusant avec cette méthode, c’est qu’à Chã das Caldeiras, la communauté me prend pour une sorte de médium.