En Syrie, les Youtubeurs filment et meurent tous les jours. Tandis que d’autres tuent et filment. A Paris, je ne peux que filmer le ciel et monter ces images youtube, guidé par cet amour indéfectible de la Syrie. De cette tension entre ma distance, mon pays et la révolution est née une rencontre. Une jeune cinéaste Kurde de Homs m’a « Tchaté » : « Si ta caméra était ici à Homs que filmerais-tu ? » Le film est l’histoire de ce partage.
FESTIVALS
Cannes 2014 Sélection officielle – Séances spéciales
Londres 2014 Prix Grierson du meilleur documentaire
Toronto 2014 (TIFF) Sélection officielle
New York Film Festival 2014 Sélection
FIDMarseille 2014 Écrans parallèles – États généraux du film documentaire – Séance spéciale
Réalisation Ossama Mohammed et Wiam Simav Bedirxan • Scénario Ossama Mohammed • Musique originale et interprétation Noma Omran • Image Wiam Simav Bedirxan, 1001 Syriens et Ossama Mohammed • Montage Maïsoun Assad • Montage additionnel Dani Abo Louh et Léa Masson • Montage son Raphaël Girardot• Mixage Jean-Marc Schick• Production déléguée LES FILMS D’ICI (Serge Lalou, Camille Laemlé), PROACTION FILM (Orwa Nyrabia, Diana El Jeiroudi) • En association avec Arte France – La Lucarne • Avec la participation de CNC, Procirep/Angoa, Sundance et Arab Fund for Arts and Culture
Ossama Mohammed et Wiam Simav Bedirxan
Ossama Mohammed, est un cinéaste syrien à la filmographie “compacte”. Deux longs métrages, Etoiles du Jour sélectionné et primé à la Quinzaine des Réalisateurs en 1990, Sacrifices, en Sélection Officielle à Un Certain Regard à Cannes en 2003 et un court métrage, Step by Step, sélectionné à Berlin en 2012. Ces films ont été censurés par les autorités syriennes et n’ont jamais été montrés en Syrie.
Aujourd’hui en exil en France suite à une conférence fracassante au Festival de Cannes 2011 lors de la présenation de son film Eau Argentée,
Ossama jouit auprès des Syriens, et particulièrement des jeunes, d’une
réputation d’irréductible. Son aura auprès de ce public invisible est
inaltérée. De Paris, Ossama suit depuis mai 2011 l’évolution de la
révolution syrienne qu’il a tant souhaitée.
DEPUIS 2011, LES CHIFFRES DE L’ONU FONT ÉTAT DE :
• PLUS DE 190 000 MORTS
• 6, 5 MILLIONS DE PERSONNES DÉPLACÉES À L’INTÉRIEUR DU PAYS (DONT 50% SONT DES ENFANTS)
• PRÈS DE 9000 DÉCÈS DE MINEURS DONT PLUS DE 2000 ENFANTS DE MOINS DE 10 ANS
• PLUS DE 3 MILLIONS DE RÉFUGIÉS
• 10.8 MILLIONS DE PERSONNES ONT BESOIN D ’ASSISTANCE,
DONT 4.6 MILLIONS D’UNE ASSISTANCE HUMANITAIRE EN URGENCE, ILS SE TROUVENT DANS DES ZONES ASSIÉGÉES
OSSAMA MOHAMMED
NOTES SUR LE FILM
À L’ORIGINE DU FILM, À L’ORIGINE DU CINÉMA
J’étais convaincu qu’il fallait que je fasse ce film. En réalité, je
me sentais “en état de siège” sur un plan personnel. Il m’était
difficile d’admettre que je puisse être à Paris, loin de la Syrie et
que, là-bas, la population soit massacrée : alors que je voyais le
nombre de victimes augmenter sans cesse, j’observais les expressions sur
le visage de mes semblables et leur plaidoyer pour la liberté. Quand je
dis “mes semblables”, je veux parler de la fontaine de beauté qui se
dégageait de cette jeunesse syrienne, à l’origine de la révolution.
Encore une fois, j’étais très assombri et malheureux à ce moment-là de
ma vie, et je me demandais indéfiniment ce que je pouvais bien faire
pour mon peuple. Je me suis mis à collaborer à des journaux arabophones,
et j’ai tenté d’imaginer une langue poétique destinée à évoquer cette
période particulière. Mais je ne cessais de me demander : “Qu’est- ce
que je pourrais faire de plus ?”
L’élément déclencheur pour moi a été de découvrir sur YouTube, les
images d’un adolescent arrêté et torturé. Cette scène est ma “scène
primitive”. L’image comme archétype de la violence, mais aussi la
diffusion de cette violence. C’est d’ailleurs une scène que l’on
retrouve dans le film et qui a été un des moteurs de la révolution
syrienne.
Lorsque j’ai reçu le tout premier message de Simav, depuis Homs,
j’étais à Paris, le jour de Noël, et en commençant à lire ces lignes, je
me suis rendu compte qu’il s’agissait d’un texte magnifique – un poème
sublime. Cette jeune femme qui tâchait de réaliser son premier film me
demandait : “Si vous étiez à ma place, que feriez-vous ? Par où
commenceriez-vous ?” Et puis il y a eu toutes ces images en ligne qui
témoignaient de l’horreur du quotidien. Qu’il s’agisse de YouTube, ou de
quoi que ce soit d’autre, ce sont avant tout des “images” – autrement
dit, des gens qui tentent d’exprimer leurs sentiments profonds, des gens
qui tentent de survivre et qui implorent qu’on leur vienne en aide.
Et toutes ces images étaient tournées par de jeunes Syriens. J’avais l’impression que l’histoire du cinéma, en Syrie, était en train d’être réécrite. Et ce qui me fascinait, c’est que j’avais le sentiment que ce langage cinématographique, avec ses gros plans, ses plans larges et ses travellings, se réinventait. C’était un moment de vérité, qui frôlait la mort, un moment d’extrême urgence qui avait besoin de s’exprimer. Car dès lors qu’on commence à tourner des images, on se sent davantage exister. Du coup, lorsque j’ai reçu le message de Simav, et qu’elle m’a envoyé d’autres images, je me suis dit qu’il fallait que j’entame ce projet et qu’à partir de ces images anonymes, quelque chose allait émerger. J’ai dit à Simav – “Vous m’avez sauvé” – tandis que je sortais peu à peu de ma période d’isolement.
L’ÉLABORATION DU FILM
Toute ma vie, j’ai cherché à protéger et à défendre le cinéma, ou en
tout cas, ce que j’entends par “cinéma”. Pour moi, il s’agit d’un
langage particulier, où les images et le son peuvent proposer un nouveau
regard sur la vie, sur l’art et la langue. Depuis le début, la
révolution syrienne est une révolution d’images. J’ai visionné des
milliers et des milliers d’images. Comme si c’était les rushes d’un seul
et même grand film. Je me disais que les images envoyées par Simav
pouvaient raconter une histoire. Lorsqu’elle est apparue dans ma vie,
j’ai pensé qu’elle incarnait une nouvelle génération de cinéastes. Ce
qui me plaît, c’est lorsqu’il y a différents niveaux de narration. Je
tenais à respecter ceux qui ont tourné ces images, en tant que
cinéastes, et c’est pour cette raison que ce film est aussi réalisé par
“des milliers de Syriens”. Dès l’instant où j’ai pris conscience que ces
images racontaient une histoire, j’ai compris que j’étais sur la bonne
voie.
Au départ, j’ai refusé la voix-off. Mais en m’engageant dans ce projet,
dans cette communauté de poètes disparus à l’origine de ces images,
j’ai peu à peu accepté l’idée d’une voix-off, car le récit se densifiait
et que j’avais le sentiment qu’elle n’était pas lourdement explicative.
L’ESPRIT GRAND OUVERT
Quand j’ai entamé le casting de mon dernier long métrage de fiction,
Sacrifices, j’ai publié une annonce à Damas pour faire savoir que ma
porte était ouverte aux comédiens professionnels et non professionnels
pendant un mois. Je souhaitais rencontrer quiconque avait envie de jouer
dans mon film, parce que je me disais qu’il était essentiel de garder
l’esprit aussi ouvert que possible. De même, lorsque je me suis attelé à
Eau argentée, je me suis lancé dans une mission à la limite du
supportable, mais qui me semblait indispensable : tout voir, sans
choisir la facilité.
J’ai travaillé avec une jeune femme syrienne qui a su dénicher les
images sur Internet très facilement. Si elle a débuté comme assistante,
je me suis aperçu qu’elle avait un regard formidable pour le montage, si
bien qu’elle a fini par être monteuse du film. Progressivement, nous
avons trouvé des liens entre les images et le sujet du film. C’était une
recherche extrêmement longue et difficile, et pourtant fascinante. Mais
cela m’a permis de bien comprendre ce qui se passait dans mon pays.
Ensuite, nous avons trié toutes ces images, et tandis que des rapports
poétiques s’établissaient entre les images, un fil conducteur a surgi de
ce chaos.
LE CHOIX DES IMAGES
J’ai compris que le matériau dont nous disposions était d’une telle
richesse que j’aurais pu réaliser au moins cinq films, de styles
cinématographiques différents, ou qu’on aurait pu tourner un film de
cinq heures. Mais je tenais absolument à rechercher les images qui
correspondaient à mon langage cinématographique, autrement dit celles
qui n’étaient pas trop explicatives. C’est ce qui a influé mes choix
artistiques, et c’était parfois extrêmement difficile d’éliminer
certaines scènes. J’étais bêtement obsédé par les plans fixes. Mais j’ai
pris conscience que j’annihilais les choix d’autres que moi en faisant
en sorte que ces images cadrent avec mon obsession pour les
plans-séquences. À la fin du montage, j’ai décidé de réintégrer une
scène dans le film. Au bout de deux semaines, j’en ai réintégrée une
autre. En réalité, en revoyant toutes ces images, je me suis rendu
compte qu’il y avait des plans de jeunes Syriens qui se demandaient
comment filmer. Car, pour eux, cette première tentative de faire un film
était aussi leur premier plaidoyer pour la liberté.
Tout comme Simav qui a filmé tout ce qui se passait autour d’elle à
Homs pendant deux ans. Elle dormait et se réveillait avec la caméra à
ses côtés. C’était sa façon de rester vivante, sa caméra est devenue un
outil de survie. Quand on est en état de siège, même le simple mouvement
de la caméra est la preuve que quelque chose est en train de bouger, et
qu’on est toujours en vie. C’est précieux pour l’avenir.
L’ESTHÉTIQUE DE LA VIE HUMAINE
Au départ, je ne savais pas que les images allaient être aussi atroces
et montrer autant de tueries. Mais il est impossible de raconter cette
histoire en faisant l’impasse là-dessus. D’abord, au nom de la vérité :
oui, il y a des cadavres dans la rue. Ensuite, parce que certains sont
prêts à se sacrifier pour sauver des cadavres et leur donner une
sépulture digne, ce qui revient
à sauver l’esthétique de la vie humaine. Il s’agit de défendre les
droits de l’Homme, même lorsque des êtres humains sont tués. Un cadavre
en soi ne dit rien. Il faut donc le réinscrire dans le mouvement du
temps et de la vie. C’était un vrai défi de cerner les sentiments les
plus profonds de la victime et de celui qui filme. Cela changeait le
niveau de lecture. Et le dialogue entre Simav et moi a également
amplifié le niveau de lecture et de la narration. Pour moi, il s’agit de
l’esthétique de la tragédie : dès lors que des jeunes gens qui ont
encore tant à donner et qui incarnent une force pour l’avenir, sont
tués, la tragédie domine.
L’IMPORTANCE DE LA MUSIQUE
Ce qui m’a fasciné, c’est que la musique est présente dans toutes
sortes de sonorités, comme les coups de feu, le bruit des bottes des
soldats qui martèlent le sol, le son d’alerte des messages de Facebook,
et le fredonnement de la femme au début du film. Peu à peu, c’est devenu
un chant d’une grande richesse, qui ajoute un niveau de narration
supplémentaire au film.
J’ai décidé que la femme qui fredonne était la voix de Simav. J’étais
convaincu que Simav regardait la même scène que moi, et qu’elle se
posait les mêmes questions, même si on ne se connaissait pas à ce
moment-là. Lorsqu’elle n’était pas là, la musique incarnait sa présence
au cœur même des images. Quand on la voit en train d’écrire sur
l’immeuble, on ne peut pas s’empêcher de penser que c’est elle qui
fredonne. La musique en dit long sur elle, sur son isolement, sur sa
décision d’être seule, mais de ne pas abandonner les autres à leur
solitude.
Noma Omran, la compositrice et interprète a construit le film avec
nous. Nous avons vraiment travaillé ensemble : j’ai bâti le rythme du
film à partir de sa voix. Elle est à la fois un personnage et une
collaboratrice du film. Sa voix est un fil conducteur. Aussi Noma, tout
comme la monteuse, est l’une des auteurs du film.
CHAPLIN LE SAUVEUR
Nous autres, cinéastes syriens, avons toujours voulu que le cinéma
fasse partie des programmes scolaires pour les jeunes enfants. Et tout à
coup, Simav, cette femme merveilleuse, m’a demandé de lui envoyer
quelque chose pour sauver l’âme de notre peuple, alors même qu’un enfant
venait d’être tué. Je lui ai donc envoyé un film de Chaplin. Par la
suite, elle m’a raconté qu’elle avait projeté le film à des enfants.
C’était un moment de pur bonheur de savoir que Chaplin les avait
réconfortés. Vers la fin du film, la manière dont le petit Omar marche
rappelle Chaplin. Il est livré à lui- même, son père a été tué, mais il
imagine des dialogues avec son père. Il incarne l’avenir de la Syrie.
Tout comme lui, Simav est libre – elle défend la liberté, et elle
incarne également l’avenir du pays. Elle ne transige pas avec les droits
de l’Homme. Elle est une métaphore de la Syrie. Nous traversons une
tragédie épouvantable, mais au sein même de l’horreur, on décèle
l’avenir du pays. J’ai eu le sentiment d’être face à une femme qui
apprenait à un homme à bâtir sa vie.
ENTRETIEN AVEC WIAM SIMAV BEDIRXAN
Pouvez-vous nous parler un peu de votre histoire personnelle ?
Je suis née à Riyad. Ma famille a été renvoyée en Syrie en 1982.
Jusqu’en 1997, nous avons vécu dans la ville d’où est originaire ma
mère. Puis nous avons déménagé à Homs. Le 26 mars 2012 est une date
capitale pour moi : c’est là que nous avons dû fuir l’armée syrienne. Je
suis alors restée pendant deux jours sans aucun contact avec ma
famille. Je rêve souvent que je revois mon père et ma mère, même cinq
minutes. Aujourd’hui je n’ai plus de peuple ni de ville, plus de pays…
Je suis comme tous les Syriens, je vis dans l’attente qu’un jour tout
nous revienne.
Comment a eu lieu votre premier contact avec Ossama Mohammed ?
Je ne savais pas grand-chose de lui lorsque nous sommes entrés en
rapport via Facebook. J’ai été frappée par la profondeur et par
l’émotion de ses mots. J’ai senti que ce film serait fidèle à la
signification de mon histoire. Mon souhait était d’évoquer les
différents combats ayant lieu à Homs. Je voulais les dépeindre avec
réalisme, afin que les gens puissent se sentir proches d’une révolution
se déroulant pourtant loin d’eux. Quand vous êtes à Homs sous les
bombardements, vous êtes sans cesse hanté par la sensation d’une mort
imminente. Mes images devaient montrer cela. Je ne voulais pas d’un film
sanglant ou morbide, mais d’un témoignage sur l’expérience de ceux qui
continuent à vivre, malgré les bombardements.
Ossama Mohammed raconte qu’il a été saisi par la beauté des messages que vous lui envoyiez quotidiennement, il parle de vous comme d’une grande poétesse…Au début de la révolution syrienne, j’écrivais tous les jours, à chaque fois que l’électricité le permettait. J’évoquais tout ce qui se passait autour de nous, la guerre bien sûr, mais aussi le soleil, ma souffrance et parfois mon désespoir… Quand j’étais enfant, notre mère attachait la plus grande importance à la culture. Ses punitions étaient justes et avaient toujours trait à cela, à la culture, à l’éducation. Même si j’étais la plus jeune, de tous mes frères et mes sœurs — nous étions sept —, j’étais la plus apte pour la lecture et l’écriture. Ma connaissance de la littérature m’a sans doute permis d’éviter les obscénités sur les assassinats ou la laideur de la mort. Elle ne m’a pas empêché, en revanche, de ressentir une douleur très profonde…
De quelle manière Ossama Mohammed et vous avez-vous collaboré à distance, lui étant à Paris et vous à Homs ?
Ce qui se passe en Syrie est en dehors des lois de la nature et de
l’humanité, particulièrement les actions des militants. Ossama souffrait
de son manque de connaissance quant aux événements et ,à leur
perception, c’est pour cela que j’ai veillé à être aussi précise que
possible à travers mes images et mes textes. Je tournais comme une
folle, afin de ne rien laisser échapper, puis lui envoyais les séquences
par Internet. Ce n’était pas toujours facile. Le résultat n’a rien
,d’académique. Il n’appartient à aucune école. Je ne plaisante pas quand
j’affirme que ce film jette les bases d’un nouveau cinéma.
Eau argentée a-t-il changé votre vie ? Quels sont à présent vos projets ?
Eau argentée m’a beaucoup appris, il a été comme une école de la vie. J’ignore toutefois s’il va changer quelque chose… Ma vie continue, pour l’instant. Je vais rester avec les gens qui souffrent le plus dans notre pays et faire en sorte de continuer à être un témoin libre de l’histoire, même si je dois recevoir la balle qui mettra fin à mes jours. Tant que notre pays continuera de souffrir, je me lèverai et poursuivrai le combat au côté de ceux qui se sacrifient. Je le dis toujours : qu’importe ce qui arrive, il y aura toujours une rose, du blé et des oiseaux, il y aura toujours des enfants pour lesquels nous devrons peut-être mourir afin qu’ils aient une vie complète.
PROPOS RECUEILLIS PAR EMMANUEL BURDEAU.