Félicité, libre et fière, est chanteuse le soir dans un bar de Kinshasa.
Sa vie bascule quand son fils de 14 ans est victime d’un accident de moto.
Pour le sauver, elle se lance dans une course effrénée à travers les rues d’une Kinshasa électrique, un monde de musique et de rêves.
Ses chemins croisent ceux de Tabu.
Grand Prix du jury (Ours d’Argent) – Festival de Berlin 2017
Avec : Félicité Véro Tshanda Beya •Tabu Papi Mpaka • Samo Gaetan Claudia • Le Kasai Allstars • L’Orchestre Symphonique de Kinshasa (dirigé par Armand Wabasolele Diangienda) • Nadine Ndebo, Muambuyi, Leon Makola, Sylvie Kandala, Modero Totokani, Bavon Diana
Scénario Alain Gomis avec les collaborations de Delphine Zingg et Olivier Loustau • Image Céline Bozon• Images documentaires Dieudo Hamadi et Céline Bozon • Son Benoît de Clerck • Costumes et maquillage Nadine Otsobogo Boucher • Décors Oumar Sall (le grand) • Assistants à la mise en scène Demba Dieye, Delphine Daull • Coachs Delphine Zingg, Sylvie Kandala • Montage Fabrice Rouaud, Alain Gomis • Montage son Fred Meert, Ingrid Simon, Héléna Réveillere • Mixage Jean-Pierre Laforce • Coordinatrice musicale Anouk Khelifa • Musique KASAI ALLSTARS, ARVO PÄRT interprété par l’ORCHESTRE SYMPHONIQUE DE KINSHASA • Production exécutive RDC Roger Kangudia (Fixer Congo) / Oumar Sall (Cinékap) • Produit par Arnaud Dommerc, Oumar Sall, Alain Gomis • Coproduit par Anne-Laure Guégan, Géraldine Sprimont, Vanessa Ciszewski, Georges Schoucair • Une production ANDOLFI / GRANIT FILMS et CINEKAP • en coproduction avec NEED PRODUCTIONS, KATUH STUDIO et SCHORTCUT FILMS
Alain Gomis
Alain
Gomis est un réalisateur franco – bissau-guinéo – sénégalais. Il est né
en 1972 en France, où il a grandi. Ses premiers courts métrages, Tourbillons puis, Petite lumière sont sélectionnés et primés dans plusieurs festivals internationaux.
En 2001, son premier long métrage, L’Afrance, obtient le Léopard d’Argent au Festival du film de Locarno. Suivront Andalucia en 2007 avec Samir Guesmi puis Aujourd’hui avec
Saul Williams, qui est sélectionné en compétition à Berlin et obtient
l’Étalon d’or du FESPACO en 2013. Associé au sein de la société Granit
Films à NewtonAduaka (réalisateur nigérian de Ezra) et Valérie Osouf
(réalisatrice française), Alain Gomis collabore également avec le
producteur Oumar Sall (Cinékap) sur un programme de formation de jeunes
cinéastes et techniciens au Sénégal (Up Courts-métrages). Félicité est son quatrième long métrage.
Filmographie
LONGS MÉTRAGES
2016 Félicité
2012 Aujourd’hui
2007 Andalucia
2001 L’Afrance
COURTS-MÉTRAGES
2003 Petite Lumière
1999 Tourbillons
1998 Tout le monde peut se tromper
1996 Caramels et Chocolats
ENTRETIEN AVEC ALAIN GOMIS
Qu’est-ce qui fut premier dans votre désir de faire Félicité, quelle fut la porte d’entrée ? Écrire un portrait de femme, tourner à Kinshasa, filmer la musique ?
J’ai le sentiment qu’un film se construit sur des années, en convoquant
une multitude de choses différentes. À l’origine de celui-ci, il y a
des personnages existants, des femmes dont je suis proche, au Sénégal
principalement. Des femmes fortes qui n’acceptent pas la compromission,
qui prennent tout de plein fouet et ne plient pas sous les coups.
J’avais une admiration certaine pour cette droiture, tout en
m’interrogeant sur le fait de vouloir à tout prix plier la vie à sa
volonté. J’étais donc intéressé par cette dialectique de la lutte et de
l’acceptation qui est une idée qui traverse mes films. Sur cela est venu
se greffer l’accident d’un jeune cousin très proche qui a perdu sa
jambe, après qu’elle eut été mal soignée. Je me souviendrai toujours de
son regard de gosse de 17 ans qui a perdu la légèreté, pour qui la vie
est comme finie. Son histoire était aussi liée à celle de sa mère que
l’on soupçonnait de pratiques obscures. Cette réalité simple qui
confronte l’invisible au quotidien est à la base du film. J’avais alors
envisagé une sorte de Faust… et puis j’ai “rencontré” la musique du
Kasai Allstars qui contenait tout cela.
C’est la première fois qu’un personnage féminin est au centre de votre cinéma ?
J’avais cette envie-là, de travailler sur un personnage féminin, sans
non plus que cela soit une volonté cinématographique d’aller à
contre-courant de mes précédents films, qui étaient centrés sur des
hommes. Ces personnages masculins étaient assez proches de moi et
j’avais envie de moins maîtriser les choses, de changer de territoire,
d’inviter une forme d’étrangeté. Ça m’a également amené vers un type
d’interprétation très différent.
Justement, comment s’est opéré le choix de la comédienne, Véro Tshanda Beya ?
Un jour, face à une vidéo des Kasai Allstars, j’ai vu cette grande
chanteuse, Muambuyi. Son côté brut et le grain de sa voix… Tout se
réunissait. Elle me permettait d’imaginer une histoire autour de la
lutte quotidienne d’un personnage féminin dans des situations où la vie
n’est pas donnée et qui côtoyait, grâce à la musique, l’autre
face de la vie. Ensuite, j’ai été la rencontrer. Mais elle était trop
âgée pour le rôle que j’avais écrit. Je me suis mis à chercher celle qui
l’interpréterait, puis est apparue Tshanda. Je n’ai appris que
récemment qu’elle avait fait un peu de théâtre. Je me souviens qu’elle
était arrivée avec une tenue voyante et très maquillée. J’ai d’abord
pensé à elle pour un petit rôle mais elle envoyait tellement que je lui
ai demandé de revenir – sans ses artifices. Et elle s’est imposée au fur
et à mesure. Pendant quatre ou cinq mois, j’ai essayé de la repousser,
de me dire que ce n’était pas elle, qu’elle était trop jeune, trop
jolie, mais dès que je regardais les essais, j’étais aimanté. Donc un
mois avant de tourner, j’ai fini par accepter. Elle a un peu fait un
hold-up sur le film, et ça a été un cadeau, car j’ai rarement eu en face
de moi ce type de puissance.
Durant toute la phase du casting elle n’a cessé de montrer une envie, une détermination vitale et un grand sens du jeu.
Cette
détermination, c’est aussi celle de son personnage. Que lui avez-vous
dit de Félicité ? Et vous-même, comment, au-delà de la femme forte,
perceviez-vous son personnage ?
Tshanda me disait que c’était « une femme à moitié en vie, à moitié
morte ». Toute sa vie, elle s’était tenue droite, affrontant le monde,
et avec l’accident de son fils arrivait la défaite. Tout ce qu’elle
avait tenu à bout de bras jusque-là s’écroulait. Pour elle, la question
était « est-ce que cette vie vaut le coup, est-ce que je reste là ou
est-ce que je repars là d’où je viens ? » C’est un personnage qui se
tient à la frontière de ces deux options. Il était évident que Tshanda
comprenait absolument cette possibilité de renoncement.
Ensuite, moi je ne dis pas grand-chose du personnage à un comédien,
j’essaie de rester très concret sur la situation, mais c’était cette
espèce de ligne-là qu’on avait défini. Ce qui m’importait, c’était cette
question du retour à la vie. Comment allait-elle pouvoir laisser la vie
se ré-engouffrer en elle après cette chute ? Quand tu tombes, quand tu
es au fond du trou, la vie saisit toutes les opportunités et je trouve
cela fascinant. Au regard de mon âge, des différentes sociétés où je
vis, il me paraissait important de plonger, d’aller au fond. Il y une
forme d’évitement ou d’aveuglement face à la catastrophe qui m’était
pénible. On ne peut pas parler d’espoir, si on ne se coltine pas la
difficulté vraie, si on ne l’affronte pas absolument. Parler de
lendemains qui chantent, c’est forcément un mensonge, de la pommade. À
un moment il faut y aller, se confronter au présent, à l’instant, et
descendre dans le trou. J’avais l’intime conviction qu’au fond du
gouffre se trouvaient les germes d’une nouvelle possibilité. Nous
l’avons vécu ensemble.
Et Kinshasa était le théâtre idéal pour explorer ça ?
C’est une ville que je ne connaissais pas mais qui m’attirait depuis
toujours autant qu’elle me faisait peur. Comme l’endroit du renouveau
possible ou de la défaite définitive. C’est un endroit extrêmement
contradictoire. Proche de l’Équateur, la nature y est d’une force
incroyable, elle recouvre tout très vite.
On est face à une énergie qui vous domine et avec laquelle il vous faut composer.
Ensuite, l’histoire politique récente de la République démocratique du
Congo, sur ces cent dernières années, est allée de destructions en
destructions : la colonisation, la dictature, la guerre, les
déstabilisations, les pillages… Il y a ce paradoxe d’une immense
richesse du sous-sol en même temps qu’une grande pauvreté. Kinshasa est
une ville où les infrastructures ont explosé sous la pression
démographique. Et il y a ce faux article de la Constitution, l’Article
15, qui dit « Débrouillez- vous », devenu proverbe populaire. Il me
semblait que ces personnages, sans structures pour les soutenir, avaient
la puissance de personnages presque mythologiques. Face à eux-mêmes et
rien autour pour amortir. J’avais des personnages nus et du coup, d’une
force rare. Kinshasa, ça n’est rien d’autre que notre monde.
Comment filme-t-on dans une ville à ce point chaotique ?
C’est une ville comme les autres, avec ses tuyaux. Ce qui est
primordial, c’est d’avoir toujours le bon référent sur place. Grâce à
Dieudo Hamadi, un jeune et brillant documentariste congolais, j’ai pu
entrer en contact avec Roger Kangudia qui est régisseurproducteur, et
qui a pu m’emmener partout, sillonner la ville pour trouver les
différents endroits où j’imaginais le film. Le coeur de la possibilité
d’un film dans ce genre de cas, c’est la régie et la production
exécutive, en l’occurrence Oumar Sall, le coproducteur sénégalais. S’ils
sont bien connectés, savent se mouvoir dans les différents endroits où
on espère tourner, s’ils savent discuter, intégrer la population au
film, on peut filmer partout.
C’est à peu près la même chose que de tourner à Paris, sauf que les
modalités parfois diffèrent. On essaie d’être disponible pour utiliser
au maximum ce qui se passe, ne jamais jouer contre, être à l’écoute.
Après, il est certain que tu as toujours un type des renseignements
auprès de toi, une administration très forte avec laquelle il faut
parvenir à dialoguer. Tu as aussi les gens de la rue souvent rétifs à la
caméra parce que méfiants vis-à-vis de l’image véhiculée, et à qui il
faut parler. Tu tournes avec la ville, c’est elle qui fait le film.
La musique a-t-elle aussi eu une incidence dans le choix de Kinshasa ?
Oui. La véritable entrée, c’est le Kasai Allstars,
qui est un conglomérat de quatre ou cinq formations différentes. C’est à
la fois une musique traditionnelle et une musique qui s’est urbanisée,
qui sent le cambouis et la forêt. Transcendantale, électrique, presque
rock ou électro. Cette musique allie tradition et modernité et incarne
la ville africaine telle que je la vois.
Les membres du Kasai Allstars ont-ils tout de suite été réceptifs au projet ?
Je suis allé les rencontrer, un groupe après l’autre, pour leur parler
du film et ils ont montré beaucoup d’envie, de curiosité. Ça a été assez
simple et on a pu collaborer avec leur label Crammed Discs. Muambuyi,
la chanteuse, a coaché Tshanda, a eu la générosité de lui laisser
prendre sa place, de lui prêter sa voix, lui a appris les chansons, lui a
appris à danser… On a filmé les morceaux en live et en version
playback, sur des durées très longues, plusieurs nuits durant. Il y
avait partout à Kinshasa une énorme envie, une énergie à faire
fabriquer, à construire. On pourrait imaginer un peuple rendu amorphe à
force de coups reçus alors qu’on trouve ici une force de construction
délirante. Ce n’est d’ailleurs pas par hasard si c’est un des très rares
endroits en Afrique où on peut trouver un orchestre symphonique !
Quand soudain on entend l’orchestre entamer le Fratres d’Arvo Pärt, on éprouve un véritable sentiment d’élévation…
Quand je suis arrivé à Kinshasa, ma première réaction a été « Quand
est-ce que je me barre ? » Mais la ville a fini par me happer et j’ai
essayé de retranscrire cela, de faire en sorte que cette première image
repoussante devienne aimante. Donc, un des premiers jours, alors que je
me demandais comment j’allais rendre la réalité de cette ville à
l’écran, je suis entré en contact avec cet orchestre, dont je
connaissais l’existence grâce à un documentaire. Je débarque dans un
hangar, je m’assois et ils se mettent à jouer. J’étais juste épuisé et
soudain je décolle. C’est un orchestre amateur mais il y a une puissance
d’émotion incroyable dans leur jeu. C’est ce mouvement perpétuel entre
la démission, le scandale et la réconciliation avec la vie. La vie
frappe durement, fracasse. Et des gens comme eux entretiennent l’idée
qu’une réconciliation est possible.
Avez-vous des modèles, glanés dans la fiction, la littérature, ou dans la mythologie ?
Saul Williams – qui tenait le rôle principal dans Aujourd’hui – m’avait
offert un livre du poète et romancier nigérian Ben Okri, La Route de la
faim, qui relate le parcours initiatique d’un jeune garçon, Azaro, un «
enfant-esprit ». Les enfants-esprits refusent de vivre sur terre et
font éternellement le pacte de choisir de mourir le plus rapidement
possible afin de retourner dans leur monde merveilleux. Un jour, Azaro
décide de rompre ce pacte et d’affronter la réalité du monde. Dans L’Oiseau bleu de
Maeterlinck on trouve aussi des âmes qui sont en attente d’être
incarnées et dont certaines hésitent. Tomber dans un corps, tomber dans
une histoire, dans un contexte que tu subis. Cette étrangeté à soi-même,
qui existe fortement dans le conte, est quelque chose qui m’est très
proche et avec lequel je dialogue en permanence. C’est ce qui fonde en
partie mon envie, mon territoire de cinéma.
Interroger cette altérité, cela relève du besoin ?
Je la vis de façon très forte. Est-ce le fait d’être métis ?
C’est-à-dire de ne pas ressembler aux gens qui me sont proches, ne
ressembler ni à son père, ni à sa mère, ni aux gens de mes pays. Cette
étrangeté à soi, il me faut l’affirmer. Je crois que le doute sur notre
identité profonde est nettement plus répandu que ce que l’on prétend. Il
y a là une espèce de gouffre que je ne suis pas loin de trouver
merveilleux.
Revenons-en à la structure du film. Dans la
première partie, le récit repose sur un canon narratif qui a fait ses
preuves : le personnage principal a un laps de temps réduit pour trouver
une somme d’argent et sauver la jambe de son fils. Or, cette
trajectoire est assez rapidement interrompue et le film entre alors dans
une temporalité différente, avec un mode narratif plus lâche. Cette
structure contrariée s’est-elle imposée d’entrée ?
Dans un premier temps, j’avais la volonté de pouvoir m’adresser au plus
grand nombre, et faire en sorte que les gens dont je parle puissent
entrer facilement dans le film. Donc de leur donner les codes qu’ils
connaissent, et d’insister sur la motivation d’un personnage auquel ils
peuvent s’identifier. Ensuite, si je vais au bout de ça, ce que va
raconter le film ne m’intéressera pas. La grammaire cinématographique,
qui aujourd’hui est fortement corsetée par les modes de production,
entraîne toujours un type de discours. En tant que fabricant, ces codes
dominants, qui sont très politiques, ne me conviennent pas. Puisqu’ils
amènent à toujours retranscrire la même
image du monde. Quand on aborde ce genre d’histoire, l’enjeu c’est :
comment le personnage s’en sort ? La résolution s’opèrerait à partir du
moment où il sort de son milieu. Et pour moi, affirmer cela c’est un
grand mensonge doublé d’une grande oppression. Ne pas avoir la
possibilité d’aimer sa vie, c’est une des plus grandes violences qui
soit, et à laquelle le cinéma participe. Nous placer sans cesse en
vitrine d’un monde à venir ou réel pour une infime minorité, c’est nous
apprendre à nous détester. J’essaie de rendre la vie telle que je la
côtoie, se réapproprier des héros dont le but n’est pas la fuite. Ce ne
sont pas des vies au rabais, elles sont belles et dignes. Félicité a
besoin de tout perdre pour s’autoriser à être aimée. En revanche, je
suis pour donner une sensation du temps et des émotions en accord avec
celle que l’on vit. Je préfère tenter de m’engouffrer entre les
différents plots de reconnaissances dramatiques habituellement usités.
C’est là qu’adviennent les choses, dans les silences, dans une certaine
inefficacité. Quand on regarde un film, il n’a pas lieu sur l’écran, il a
lieu en soi. Je ne dis pas que je réussis, mais ça m’intéresse.
Vous
convoquez les termes de silence et d’inefficacité, on pourrait y
ajouter celui d’invisible. Je pense à ces plans tournés dans la forêt
avec une très basse lumière, où le spectateur est vraiment plongé dans
la nuit…
La nuit ou la forêt qui serait comme un sas entre deux mondes.
Dans la nuit, tes repères visuels n’existant plus, tu es dans le vide
d’une certaine façon, tu t’en remets au monde, tu déposes les armes,
comme un préalable nécessaire à toute nouvelle naissance. Et c’est ça
qu’on a essayé aussi de faire exister avec Céline Bozon, la directrice
de la photographie, qui a été essentielle au film. Elle a permis, par
son enthousiasme, de se rendre, de nous rendre, disponibles à tout ce
qui se passait.
Quel est ce poème que l’on entend dans la dernière partie du film ?
C’est un poème de Novalis, un extrait des Hymnes à la nuit, qui,
justement, est un appel à la nuit comme étant un territoire de
destination. Ce qui était drôle, c’était de partir d’une traduction
française du texte allemand et d’en faire une traduction en lingala.
J’ai un peu lu le travail du philosophe Souleymane Bachir Diagne, un
défenseur du concept d’universalité latérale, qui serait une façon de se
retrouver dans l’autre tout en lui laissant la place de sa spécificité.
Le film a été conduit par cela, il n’est pas un film sur Kinshasa, mais
sur « nous ». Ce poème, c’est un appel à la nuit, au silence, à la
réalité de l’invisible et à son empire. Cela m’intéressait d’avoir dans
ce film, en lien, une trace de la tradition européenne du XIXe siècle à
ce propos qui a presque disparu. L’Afrique la fait vivre, et pose les
enjeux, elle est centrale dans ce monde globalisé et le deviendra de
plus en plus. Pour moi, elle est le présent.
(Paris, novembre 2016)
AUTOUR DE FÉLICITÉ
www.felicite-lefilm.com / www.facebook.com/Felicitelefilm
contact : khelifa.anouk@free.fr
Galerie virtuelle et exposition itinérante
Œuvres de Evans Mbugua,
Bruce Clarke, Gastineau Massamba, …
Photographies de Léonard Pongo,
Mabeye Deme
Kasai Allstars & Remixes (sortie prévue courant mars)
Remix par Africaine 808,
Saul Williams,
Clap!Clap! Daedelus, …
AUTOUR DE FÉLICITÉ PAR JACQUES DENIS
Un film, c’est une histoire, des personnages, à l’image de Félicité, une personnalité avant d’être un personnage.
Un film, c’est aussi toute une histoire, une affaire de temps, de réminiscences, d’influences souterraines ou de références plus explicites.
Cela commence bien avant le premier plan et cela finit bien après le générique. Et c’est d’autant plus vrai dans le cas d’Alain Gomis, dont les projets sont des trajets avant d’être des objets.
Femme de tête, chanteuse à la voix rauque and soul, Félicité habite au micro le moindre de ses mots, telle une guerrière, fière et pas qu’un peu, rude et parfois trop, qui rappelle Nina Simone, autre dame versée dans la prose, combat sans pose. Son fantôme plane sur ce film qui fait songer au long blues Ain’t Got No…
Une histoire de bas-fonds au premier coup d’oreille, une affaire de résurrection pour qui ouvre les yeux. Ce n’est pas le seul spectre qui traverse l’écran, Félicité est tout autant l’écho d’une photographie de Léonard Pongo : noir et blanc diaphane, obturation lente, ambiance ambigüe… Tout ce qui fait le grain de cette image, comme souvent chez le photographe congo-belge, se réfléchit dans les réflexions du film.
Ce ne sont pas les seuls artistes qui ont nourri la pensée du réalisateur franco-sénégalais à l’heure de composer cette fresque intimiste et universelle. Ben Okri, le poète nigérian, Sony Labu Tansi, Congolais à l’écriture foisonnante, font partie de ces auteurs qui l’ont accompagné dans ce long voyage, au bout de la nuit. Tout comme Kiripi Katembo, immense photographe décédé trop tôt, qui participa au travail préparatoire du film, dont chaque image raconte une autre réalité, trouble, double, de la capitale de la RDC. Il y eut aussi des plasticiens, comme l’univers un brin enfantin, un peu trash, souvent drôle, parfois terrifiant, du Congolais Kura Shomali, ou le travail de Gastineau Massamba, qui détourne un medium classique, innocent, la broderie, pour un résultat un brin bancal, vraiment vrillé. Tous ceux-là et d’autres ont permis à Alain Gomis de tracer un territoire fantasmagorique pour formuler le film, l’imaginer avant même qu’il ne se réalise… Un film, c’est une histoire qui se fabrique à partir d’autres fragments d’histoires, c’est aussi un territoire de rencontres, de créations, une matière première à transformer.
C’est l’enjeu de cet Autour de Félicité,
dispositif multiforme et informel, lignes de fuite et remises en
perspective, dont la démarche consiste à ne pas effacer la trace de ceux
qui l’ont porté, de garder l’empreinte de ce sillon nourricier pour
mieux le fertiliser, en invitant d’autres créateurs à mettre leur marque
de fabrique, au regard du film, d’en donner leurs visions, originales. «
L’idée est que cela puisse être la matière pour rencontrer d’autres
gens qui s’en saisissent pour faire autre chose. Que cela devienne un
territoire de croisements. » Ce territoire, aux contours volontairement
ouverts, va prendre différentes formes : concerts et remixes,
expositions et
soirées dédiées, vidéos créées à partir de scènes filmées, mais non
montées. Tout ce travail d’après – autour, à partir, à côté – le film a
été présent avant même le premier plan tourné. Plus qu’un projet abouti,
il s’agit de bâtir un objet protéiforme,multimédia, aux contours finis
et indéfinis, un sujet mutant et déformant, où l’on
puisse zoomer sur un détail ou prendre une hauteur de vue panoramique.
– Un site permettra d’ailleurs d’accueillir sur la toile toute cette matière reconfigurée.
Tous forment un ensemble hétéroclite et cohérent, abstrait ou plus
concrete jungle, Body and Soul. Les Berlinois so deep d’Africaine 808,
le Californien trendy Daedelus, l’Anglais plus déluré Esa Williams
ouencore le Français, High Wolf aka Black Zone Myth Chant : percussions
tribales puis drone synthétique, chacun se met aux manettes pour un jeu
de multipistes qui nous envoie dans une autre dimension, ambiance
stratosféérique.
Au même diapason, d’autres peintres et plasticiens viennent
s’agglomérer pour à leur tour tracer des tangentes et des obliques : le
très engagé Sud-Africain Bruce Clark et ses personnages délavés, le
Sénégalais Soly Cissé et ses humanoïdes hybrides, le Kinois Mega
Mingiedi qui a réalisé, sans avoir vu une image du film, un portrait de
Félicité où se dessine comme par magie les contours de Kinshasa, ou
encore leKenyan Evans Mbugua qui a réalisé l’affiche, aux limites de la
photo,du graphisme et de la peinture… Chacun avec son style, la
plupart articulant plusieurs techniques, tous creusent la matière pour
interroger les identités, pour interpeller l’âme qui se trame
derrière le trait… Écouter et voir, ce que l’on ne croit pas percevoir.
Et même imaginer d’autres narrations, lorsque des cinéastes –
l’Americano Haïtien Michelange Quay, le Nigérian Newton Aduaka, la
Franco-Sénégalaise Mati Diop sont au casting, vont s’emparer du film
pour (re)décomposer un bout d’histoire, à leur manière…
Histoire sans fin.
Jacques Denis– Paris, le 6 janvier 2017