affiche Février
Film soutenu

Février

Distribution : UFO Distribution

Date de sortie : 30/06/2021

Bulgarie, France – 2020 – 2h05 – Son : 5.1 – Image : 1.66 – DCP (tournage en Super 8)

Aux confins de la Bulgarie rurale, Petar traverse les saisons et le temps de sa vie humble : le travail, la terre, les brebis… À l’écart du monde des hommes, il suit son chemin et accepte son destin sans regret.

Sélection officielle – Festival de Cannes 2020

AVEC : Lachezar Dimitrov : Petar (enfant) • Kolyo Dobrev : Peter (adulte) • Ivan Nalbantov : Petar (âgé)

Réalisation Kamen Kalev • Producteurs Filip Todorov, Kamen Kalev, Diane Jassem, Céline Chapdaniel • Scénario et dialogues Kamen Kalev • Image Ivan Chertov • Son Pierre-Yves Lavoué • Montage Kamen Kalev • Musique Petard Dundakov • Production Waterfront, Koro Films

Kamen Kalev

Son premier long-métrage Eastern Plays est sélectionné à la Quinzaine des Réalisateurs en 2009 et permet à Kamen Kalev de remporter de nombreux prix à travers les plus grands festivals internationaux, dont le prix du Meilleur Film et du Meilleur Réalisateur au Festival International du Film de Tokyo, et celui du Grand Prix du Jury au Festival Premiers Plans à Angers.

Son second film, The Island interprété par Thure Lindhardt et Laetitia Casta, fait également sa première à La Quinzaine des Réalisateurs et confirme le talent de ce réalisateur prometteur et audacieux qui ne cesse de questionner le langage cinématographique.

Son court-métrage My Dear Night (2014) ouvre le film omnibus Les ponts de Sarajevo, qui comporte également des films de 12 autres réalisateurs européens, dont Jean- Luc Godard, Sergei Loznitsa, Ursula Meier et Cristi Puiu. Ce film est également sélectionné au Festival de Cannes. Le troisième long-métrage de Kamen Kalev, Tête baissée est certainement son film le plus engagé. Inspiré d’une histoire vraie, ce film raconte l’histoire d’amour d’un criminel français avec une prostituée mineure bulgare.

Filmographie

2019 Février
2015 Tête baissée
2014 My Dear Night, court métrage pour Les ponts de Sarajevo  
2011 The Island
2009 Eastern Plays

ENTRETIEN AVEC KAMEN KALEV

Genèse
Le point de départ est l’envie d’un court métrage sur une histoire qui m’inspirait, celle de mon grand-père. Vers la fin de sa vie, il a cherché à récupérer sa sœur qui vivait dans un village voisin, afin qu’ils puissent vivre ensemble et s’entraider. C’est au cours d’un rêve que j’ai imaginé la deuxième partie, son parcours à l’armée. Un second chapitre également inspiré par les récits de mon grand-père. Comme dans le film, il s’est vraiment marié la veille de son départ à l’armée. Il s’est passé trois ans avant qu’il ne revoie sa femme, sans jamais lui donner de ses nouvelles pendant ce temps.
On lui a proposé une autre vie, mais il a refusé : il avait déjà ses brebis, sa famille. Ensuite, de toute sa vie il n’a quasiment plus quitté son village. Je me souviens toujours dans mon rêve d’avoir imaginé la scène finale de cette deuxième partie où, sur l’île, face à la mer, il fait le cri du goéland. J’ai alors pensé que toutes ces idées pouvaient faire un long métrage en trois parties. Du coup, j’ai  construit  plus consciemment la première partie, celle de l’enfance de mon grand-père.

Inspiration d’un personnage
Ce film est l’histoire assez intime d’une figure qui m’a toujours interloqué de par son opacité. Lorsque j’étais étudiant à la Fémis, j’ai essayé de faire plusieurs interviews filmées de lui. Mais je n’arrivais jamais vraiment à retranscrire sa réalité. Quand je lui demandais « qu’est-ce qui se passait dans ces journées que tu passais seul dans les champs ? », il ne donnait aucune réponse, mais je me souviens que son visage s’illuminait comme s’il se transportait dans son passé dans les champs, avec le calme et le bonheur d’y vivre, mais sans pouvoir me le décrire avec des mots. Il m’est donc venue l’idée de parler du geste qui se répète et qui structure le film, de ces moments qui se transmettent de génération en génération, d’un certain déterminisme, aussi. C’était un moyen, à partir de cette figure un peu opaque, de dresser un portrait poétique et symbolique de cet homme terrien. Un peu comme dans le texte de Camus L’été. Quelqu’un qui ne se projette pas dans une autre vie et qui accepte la sienne sans se poser de questions.

Scénario 
Ce n’est pas un scénario classique. Même s’il était très précis et assez conforme à ce qu’on attend d’un scénario,  il y avait une envie de conférer au texte une ambiance poétique. Le scénario n’était pas complètement descriptif. Il avait de petites nuances qui nourrissaient cette sensation de poésie et décalaient le réalisme vers quelque chose de plus riche en possibilités d’interprétations, de manière à exciter l’imagination. L’idée était avant tout de rendre à l’écran l’énergie de cette existence. De faire trois parties qui seraient dans la continuité d’un personnage tout en étant assez distinctes et différentes. Pour ce travail, j’avais envie de me fier à l’émotion, de suivre mon instinct et de moins réfléchir à la dramaturgie. En fait je voulais définir un cadre dans lequel je pourrais être libre de m’exprimer à travers la caméra. Le défi était de raconter un personnage qui ne change pas, ce n’est pas évident. C’est pour cela que, depuis le début du projet, le cadre et l’image étaient très importants. Ils devaient être comme une photographie qui reposerait moins sur la dramaturgie que sur la vibration et l’ambiance du plan.

Filmer dans la chronologie
Ce qui m’a vraiment aidé, c’est que pour la première fois j’ai tourné en blocs séparés. C’était un privilège par rapport à un tournage classique.
Nous étions censés commencer avec la troisième partie, mais la veille du tournage, l’acteur principal, âgé de 85 ans, a annulé sa participation. Il nous a donc fallu tout interrompre.
Pour moi, c’était la catastrophe. Imaginez toute l’énergie nécessaire pour commencer un tournage, qui est à son plus haut niveau et qui se brise nette. Mais avec le temps, j’ai pris conscience que c’était en réalité la meilleure chose qui soit arrivée au film car cela m’a permis de tourner le film dans sa chronologie. De cette façon, j’avais les deux premières parties achevées et montées lorsque j’ai commencé la troisième, qui finalement a un peu changé par rapport au scénario initial. Le contenu est resté plus ou moins le même mais le traitement est parti vers quelque chose de plus abstrait.

Une forêt, une île ou une grotte, des décors symboliques et universels
J’aime travailler comme ça. Les films qui m’excitent, que j’ai envie de voir, ce sont ceux qui laissent des portes grandes ouvertes, qui offrent un espace où le spectateur peut développer son imagination grâce à l’impact de l’image et du son. Je n’ai pas pensé à toutes les valeurs symboliques des lieux, mais évidemment il y a plein d’idées qui passent à travers moi au moment de faire des choix de récits ou de décors. J’ai juste envie de suivre mon émotion. Surtout ne pas donner de réponses car cela devient vite ennuyeux et morne. Je pense que le spectateur n’a pas envie d’avoir des réponses. Je préfère que les gens arrivent à se connecter avec le film, à dialoguer avec lui et à créer leur propre monde.

« À quoi rêves-tu ? » une réplique comme un sous-texte du film
C’est un peu la question de l’auteur, mon interrogation sur ce personnage opaque qui passe toute la journée dans les champs et sur la manière dont il traverse sa vie. Le commandant, qui est plutôt un homme de raison, est attiré par ce mystère. Tout comme moi d’ailleurs.

L’importance du cadre
J’ai commencé à faire de la photo avant de faire du cinéma. J’ai beaucoup photographié les lieux où se déroulent les trois intrigues. D’ailleurs quand j’écris, je vois les images et j’ai déjà le découpage en tête. C’est important pour moi de ne pas monter beaucoup. Cela consiste du coup à privilégier des plans qui peuvent faire vivre au maximum l’espace et le personnage, de façon à offrir au spectateur la possibilité de partir dans son propre rêve et se reconnecter ensuite au film sans avoir perdu le fil de la narration. Je cherche à composer des plans très calmes, mais sans complaisance.
J’ai passé beaucoup de temps sur les lieux du tournage. La maison où la dernière partie a été tournée est une maison où ma mère est née et où mon grand-père a toujours vécu. C’est lui qui l’a construite. Elle est totalement dans son jus (rires). J’ai passé énormément de temps à y faire des photos, ainsi que sur les collines alentours. Je connais par cœur tous ces endroits. A la fin, j’ai choisi ceux qui me donnaient le plus envie de raconter l’histoire.

Le plan final
Ce dernier plan était pour le coup un véritable hasard. Il y avait cette belle lumière et cette brume… On a décidé très rapidement de faire ce plan. Quand on l’a tourné, je savais que ce serait le dernier plan du film. Sinon, ma tentative, et c’est ce que j’admire dans la littérature et dans les films, c’est d’arriver à créer une logique totale de l’espace dont le temps fasse aussi partie. De pouvoir décrire un espace qui vit d’une manière logique. C’est le plus important pour moi. Avoir un film avec une narration très simple mais arriver à le faire entrer dans un espace qui soit logique, c’est quelque chose qui donne ensuite toutes ses réponses au spectateur. Ensuite, parvenir à créer cet espace reste complexe car cela repose non pas sur la théorie mais sur l’observation. Encore une fois, c’est une affaire d’instinct. C’est au moment de la prise qu’on trouve cela juste ou pas. C’est pour cela que je travaille  beaucoup avant le tournage, car plus on est préparé en amont, plus on a de temps à offrir aux petits détails imprévus et choisir les bons moments pour les capter.

La durée du plan et rythme du montage
Je travaille complètement au ressenti, rien n’est calculé. Comme le film était tourné en pellicule, je ne pouvais me permettre que très peu de prises. Nous montions les plans presque immédiatement, au fur et à mesure du tournage.  Il y a eu finalement très peu de changements, le montage n’a pas duré longtemps. Le temps était déjà travaillé à l’intérieur des plans.

La lumière du film
Je voulais absolument éviter l’écueil d’un film purement contemplatif ou esthétique. La lumière, à mon sens, possède une valeur sensorielle, organique. Elle ramène au corps et à la terre. Tout est filmé à des moments très précis de la journée. On ne peut pas arriver en retard, il faut être là au bon moment, au bon endroit. Je n’aime pas les images trop belles. Pour moi la beauté est ailleurs. Elle n’est pas dans le coucher du soleil. Évidemment ça fait de jolies images mais justement, elles sont un peu trop jolies. C’est avec mon corps que je « ressens » s’il s’agit de la bonne image.

Le son : entre réalisme et surréalisme
Je n’avais pas d’idée préconçue pour le travail du son pendant le tournage. En revanche, au moment du montage image, j’ai pu faire des choix et créer le langage sonore du film. J’ai eu pas mal de discussions avec le monteur son qui avait peur qu’on finisse par ne plus rien entendre…Mais c’était ce que je recherchais. Je voulais justement un traitement très spécifique qui éloigne le film de son réalisme. Prenez la séquence du rêve de l’enfant : si on la traite avec tous les bruits ‘normaux ‘ de la forêt, elle devient plate, alors qu’en atténuant le décor sonore à des moments particuliers, subitement on est dans son voyage intime. Cela devient beaucoup plus subjectif, comme une sensation. On a accès à ce monde extraordinaire où le bruit du quotidien n’intervient pas.

Les ruptures du film : variations entre concret et onirisme, monde réel et intimité
J’aime bien les contrastes. Pour moi, dans la vie il y a plusieurs niveaux de réalité. Ils font partie d’un même ensemble et pourtant ils se contredisent. Dans un film, à mon sens, cela excite l’imagination. Quand on crée des contradictions à l’intérieur d’une réalité, cela donne une approche plus juste de celle-ci.

La musique du film : narrative et intime
Si je dois parler de la partition principale que l’on retrouve sur les trois parties (le piano), elle n’était pas encore choisie pendant le tournage. J’étais même persuadé qu’il n’y aurait pas de musique dans ce film. Mais en commençant le montage j’ai essayé des choses et l’idée m’est venue de faire des séquences musicales, mais pas de manière traditionnelle. J’ai cherché comment appuyer une action avec la musique.

Le thème majeur du film c’est de suivre les générations et la répétition des gestes. Pour mieux rendre compte du déterminisme comme motif clé du film, la musique devait traduire  cette sensation. Le compositeur s’est basé sur des musiques des années 70, comme celles de Steve Reich par exemple, et sur la répétition musicale, avec un jeu de désynchronisation progressive pour traduire la représentation du cosmos.

Le choix des acteurs
A l’exception du grand-père, ce sont des comédiens non professionnels, et lui-même n’est pas un acteur très classique. J’ai souvent travaillé avec des gens dont ce n’était pas le métier. Le casting est très important. Je pense que le choix de l’acteur représente les trois quarts du travail avec les comédiens. Je voulais que les acteurs se sentent liés à cet endroit. Comme les deux premières parties se passent à une époque maintenant lointaine, il fallait aux protagonistes un certain type d’énergie, comme par exemple dans leur façon de parler. Je voulais que ce soient des gens du coin, qu’ils parlent le dialecte qui est très spécifique, même s’il y a très peu de dialogues. J’ai fait énormément de castings sauvages. On a commencé par rester dans la zone de mon village, mais n’ayant pas trouvé, on a cherché partout en Bulgarie, dans les écoles, dans les villes … C’est comme ça que j’ai découvert le garçon de la première partie. Idem pour celui qui interprète le jeune militaire. Il faisait partie d’un groupe de trois ou quatre personnes venues dans le village pour faire des travaux chez un voisin. J’ai commencé à l’observer, faire des photos et lui parler un peu. C’était un vrai gars du village et je n’étais pas sûr qu’il comprenait tout ce que je lui disais. Mais il possédait cette énergie que je ne pouvais pas fabriquer. Il avait cette énergie naturellement. Il ne connaissait absolument rien du scénario que je ne lui avais pas donné à lire. Je lui disais « tu te places là, tu racontes ça ». Pour l’enfant c’était la même chose. J’avais l’impression qu’il ne pourrait jamais dire une phrase en entier car il était tout le temps distrait, mais dès que la caméra tournait, il agissait comme s’il avait déjà fait plusieurs films.

Travailler avec eux
Même avec l’acteur professionnel de la troisième partie, on ne parlait jamais du scénario, ni du personnage. Mon but avec les comédiens est de capter le moment vrai, de provoquer une présence, d’obtenir un regard, une vibration de voix qui corresponde à la chair du film. Mais comme j’avais décidé de filmer en 35 mm, pour les trois quarts du film j’avais deux ou trois prises par plan. Pour les scènes plus importantes comme celles avec des dialogues, je m’en permettais un peu plus. Mais nous avons donc dû faire pas mal de répétitions. Ce n’étaient pas des répétitions classiques comme on peut en faire au bureau en travaillant le texte, c’était sur place, le jour du tournage, et j’essayais de les amener techniquement vers ce qui allait se passer. L’idée était de préserver leur énergie et de calmer leur stress, surtout avec les non professionnels.

Propos recueillis par Xavier Leherpeur