affiche FREDA
Film soutenu

Freda

Gessica Généus

Distribution : Nour Films

Date de sortie : 13/10/2021

Haïti / France / Bénin - 2021 - 1h33

Freda habite avec sa famille dans un quartier populaire de Port-au-Prince. Ils survivent grâce à leur petite boutique de rue. Face à la précarité et la montée de la violence en Haïti, chacun se demande s’il faut partir ou rester. Freda veut croire en l’avenir de son pays.

Un Certain Regard – Cannes 2021

SOUTIEN COMMUN AVEC L’AFCAE

Avec : Néhémie Bastien Freda • Djanaïna François Esther  • Fabiola Rémy Jeannette • Gaëlle Bien-Aimé Géraldine  • Jean Jean Yeshua • Rolaphton Mercure D-Fi • Cantave Kerven Moïse • Paula Clermont Pean Marlène

Écrit et réalisé par Gessica Généus • Image Karine Aulnette • Son Thomas Van Pottelberge • Montage Rodolphe Molla • Mixage Joël Rangon • Étalonnage Amine Berrada Et Laurent Navarri • Produit par Jean-Marie Gigon – Sanosi Productions ; Gessica Généus – Ayizan Production ; Faissol Gnonlonfin – Merveilles Production • Avec le soutien de Tv5monde, Ciclic, Région Centre-Val de Loire, Hubert Bals Fund Of International Film, Festival Rotterdam, Fonds Jeune Création Francophone, L’aide au Cinemas du Monde, Cnc, Institut Français, la Région Ile-De-France, Doha Film Institute, Fonds Images de la Francophonie, l’ambassade De Suisse En République D’haïti, La Fondation Fokal

Gessica Généus

Gessica Généus est une comédienne, chanteuse et réalisatrice haïtienne. Elle débute sa carrière à 17 ans. En 2010, après le séisme, elle s’implique dans la reconstruction de son pays, et travaille pour les Nations-Unies, puis obtient une bourse pour étudier à l’Acting International de Paris. Elle retourne ensuite en Haïti, et crée sa société de production, Ayizan Production, afin de développer ses propres réalisations. Entre 2014 et 2016, elle réalise Vizaj Nou, une série de courts portraits de grandes figures de la société haïtienne contemporaine. En 2017, son film documentaire Douvan jou ka leve (Le jour se lèvera) remporte sept prix. Il continue de faire l’objet de nombreuses projections dans le monde entier. Freda est son premier long-métrage de fiction pour le cinéma.

HAÏTI Contexte politique et social

Une décennie après le tremblement de terre qui a ravagé Haïti, les projets de reconstruction se comptent sur les doigts d’une main. Le pays continue à être frappé par la pauvreté et fait face à une grave crise politique, institutionnelle, économique et sociale. Haïti est en effet secoué depuis quelques années par d’importants mouvements de protestations populaires et s’enfonce dans une violence chronique grandissante.

En 2017, des milliers de personnes étaient dans les rues pour réclamer des hausses de salaires et protester contre des taxes frappant l’ensemble de la population. Une flambée des prix de l’essence en 2018, ainsi qu’un scandale de corruption autour de l’utilisation des fonds du programme pétrolier Petrocaribe impliquant plusieurs ministres et le président Jovenel Moïse, provoquent à nouveau la colère de la population. La mobilisation, qui débute sur les réseaux sociaux, s’amplifie ensuite à travers d’importantes manifestations réclamant la démission du président. Celles-ci sont émaillées de violences, tandis que les grèves, les pillages et les blocages routiers sur les principaux axes du pays aggravent une situation économique déjà délétère, et entraînent de nombreux départs de la jeunesse vers le Chili.

Cette crise socio-politique et les émeutes de plus en plus violentes qui l’accompagnent ont permis à des bandes criminelles de prospérer. Ces groupes ont profité de l’instabilité pour semer le chaos, multiplier les enlèvements, les vols à main armée ainsi que des assassinats ciblés. Aujourd’hui, face à la déliquescence du pouvoir, à la faible présence des forces de police et à la corruption, la sécurité de la population n’est plus garantie. Ces phénomènes sont d’autant plus difficiles à enrayer qu’il existe des collusions entre ces groupes criminels et des personnes de pouvoir.

Cette situation a de nouveau été mise en évidence avec l’assassinat du Président Jovenel Moïse le 7 juillet dernier par un commando armé. Le tournage de Freda, qui a démarré en 2019 en plein chaos politique, a pu se faire grâce à la mobilisation et à la protection de la population des quartiers où le film a été tourné.


ENTRETIEN AVEC LA RÉALISATRICE

Le film parle à la fois de social, de sociétal, de féminisme et de politique… Quelle était votre toute première ambition au moment de commencer l’écriture ?
Je voulais avant tout faire exister un point de vue féminin sur la société haïtienne, car c’est un point de vue qui est négligé. Les femmes existent peu et l’analyse de la situation de notre pays est monopolisée par les hommes. Je souhaitais le faire à travers la fiction car c’est avec elle que j’ai débuté lorsque je suis devenue comédienne à 17 ans. Je souhaitais également camper des personnages de femmes et tenter de comprendre leur complexité, liée à des choix humains qui disent ce à quoi les femmes et les hommes sont confrontés chaque jour en Haïti. Des questions basiques, concrètes comme comment faire chaque jour pour avancer et pour survivre ?

Qu’est-ce que les femmes apportent comme témoignage particulier par rapport aux hommes ?
Dans une société aussi patriarcale que la nôtre, les femmes ne sont pas en haut de l’échelle. Il y a donc un silence qui leur est imposé tant au niveau de la sphère publique que dans le quotidien. Mon film fait écho à ce que j’ai vécu en tant que jeune femme dans ce pays.

Les hommes ne font que passer dans le film. Ils ont tendance à disparaître…
C’est juste la réalité de ma vie où les hommes disparaissaient pour toutes sortes de raisons. Le comportement des garçons et des filles est préparé à la base, dès l’enfance. Les hommes disparaissent et ont le droit de le faire. Ils ont le droit d’aller ailleurs, d’exister ailleurs. Alors que la femme est comme dans un étau et doit vivre là.

Vous dites avoir voulu le film comme un exorcisme ?
Exposer les choses permet de voir ce qu’il faut garder et ce qu’il faut enlever pour pouvoir continuer le chemin. Ce qui m’intéressait dans le scénario, c’était de montrer les choix que l’on fait et de voir où cela nous mène. Chaque personnage va ainsi faire des choix par rapport à ses besoins, par rapport à ses valeurs.

Le récit commence un 1er novembre, le jour de la Fête des Morts…
Il y a une valeur symbolique dans cette date. Le film parle de se débarrasser des squelettes. De ce moment où il faut tout mettre dehors. On est dans une sorte d’autopsie de son corps, de son âme, de ses cauchemars comme de ses traumas. On balaye tout ça et on regarde les choses comme elles sont, pas comme on voudrait qu’elles soient. On n’a pas le choix. C’est pareil pour mon pays. Il faut qu’on commence à regarder Haïti. À regarder la manière dont nous l’avons transformé. Car ce qu’est Haïti aujourd’hui, c’est la somme de nos choix.

Les trois personnages féminins sont emblématiques de la condition de la femme en Haïti. Mais l’écriture dépasse cela et leur confère des contradictions, des doutes et de l’ambiguïté…
Je ne suis pas capable de peindre quelqu’un que je ne connais pas. Surtout dans ce genre de film dont l’objectif est de flirter avec la réalité. Je n’ai pas cette notion de bien, de mal, de bonne ou mauvaise personne. Toutes les nuances que l’on voit chez Jeannette, Freda ou Esther, je les comprends. Je ne connais pas de prince charmant, ni de mère omnipotente. Il fallait que je réécrive mes contes de fées. Je me suis dit que j’allais devoir composer avec ce que j’avais. Et c’est ce que font mes héroïnes.

Le film est majoritairement en langue créole. Il était primordial de faire entendre cette langue ?
Ce fut un vrai combat. Heureusement que mon producteur m’a soutenue, me permettant d’aller au bout de cette ambition et de cette envie. Comme nous sommes une ancienne colonie et que le créole dérive du français, on m’invitait souvent à faire le film directement en français. Mais je ne voyais pas comment faire le film autrement qu’en créole, même au-delà d’un combat personnel ou d’un désir d’affirmation de ma négritude. Je dis négritude car pour nous, en Haïti, c’est le plus beau mot qui existe. Il fallait que Freda soit en créole. Il n’y avait pas moyen pour moi que ce soit autrement.

Quitter Haïti ou rester est une question que se posent beaucoup de personnages dans votre film…
Nous sommes toutes et tous traversés par cette interrogation. Nous avons un rapport très violent avec cette question de l’expatriation. Il existe même une forme d’hypocrisie car certains affirment vouloir rester alors qu’ils préparent leur départ. Il y a ceux qui ne pourront jamais partir parce qu’ils n’ont pas les moyens de le faire. Et ils sont obligés de se battre, de faire face à ceux qui les empêchent d’exister dans leur propre pays. Et cela crée une frustration terrible. Cette question est omniprésente. Elle fait partie de notre quotidien. Elle définit ce que tous les Haïtiens ressentent aujourd’hui. Il était donc évident que Freda se la pose aussi. Elle fait partie de ces jeunes qui n’ont pas la possibilité de se projeter. Et comme son quotidien est ponctué de manifestations, de pneus qui brûlent, de tirs dans la rue… tout l’empêche d’imaginer un futur. En tant qu’être humain, on a besoin de penser que tout pourra aller bien un jour. Mais Freda, comme les Haïtiens, est privée de cette illusion. Alors cette question de la fuite se pose inévitablement.

L’autre scission haïtienne que vous filmez est d’ordre cultuelle. C’est celle qui oppose protestantisme et culture vaudou…
C’est un véritable dialogue de sourds qui peut déboucher sur une forme de violence. Aujourd’hui le protestantisme fait office de gouvernement dans notre pays. Comme l’état est absent, cette église gère les hôpitaux ou encore les administrations où l’on va demander des visas. C’est un espace où les gens vont chercher des réponses qu’ils ne trouvent pas ailleurs. Du coup ici tout le monde se tourne vers Dieu mais pas nécessairement pour une question de croyance. L’église protestante fait office d’état. Et donc elle fait la guerre au vaudou parce que quand on n’a pas de réponse, on attribue tout ce qui nous arrive au diable, à la malédiction. Le vaudou est utilisé comme symbole de cette malédiction. Mais c’est tellement ancré dans notre quotidien qu’il n’est pas possible de le déraciner et de s’en distancier. Ce qui provoque chez beaucoup d’Haïtiens un conflit intime d’une rare violence. Ils sont écartelés entre ces deux « religions ».

Quelle était l’ambition de la mise en scène ?
Je voulais manipuler le moins possible le réel car je voulais que mon film soit comme une quête de restitution. Il y a bien sûr une forme de subjectivité car c’est moi qui regarde. Je me questionne, j’écoute, j’observe, pour être toujours sûre d’être là où il faut. À la lecture du scénario, on m’a régulièrement reproché d’avoir recours à trop de décors, trop de lieux, d’aller partout. Mais pour moi, il fallait aller là où Freda allait. Ces lieux font partie de son cheminement. Il fallait donc qu’ils existent. Tout comme l’extérieur. Nous ne vivons pas à l’intérieur de nos maisons d’abord parce qu’il y fait trop chaud et qu’il n’y a pas l’espace suffisant. Du coup nous vivons dehors. C’est notre culture. C’est pour cela que la caméra est souvent de l’autre côté de la rue quand nous filmons la maison de Jeannette. Parce que dans notre pays, il y a toujours quelqu’un d’assis en face de chez vous et qui vous regarde. On observe les voisins, nous sommes un peu intrusifs, il n’existe pas de réelle intimité…

Vous venez du documentaire. Est-ce que cela vous a aidé à trouver cette juste place dont vous parlez ?
Tout à fait. Ma caméra est observatrice. Elle n’est pas impersonnelle. J’essaie de l’incarner. En plus, Karine Aulnette, ma directrice de la photo a fait beaucoup de documentaires, ce qui m’a offert encore plus de flexibilité. Son expérience et la mienne en la matière m’ont permis une liberté sur le tournage que je n’aurais peut-être pas eue si j’avais eu un parcours plus académique.

Les personnages sont souvent présents dans le même cadre. Vous évitez de trop découper votre film…
J’avais envie que tout le monde soit dans le plan en même temps. Quand on regarde les gens dans le réel, on ne les regarde pas l’un après l’autre. On fait un ping-pong constant. On fixe la personne qui parle puis un bruit entendu vous fait tourner la tête… du coup découper me paraissait bizarre. Le focus de la mise en scène est beaucoup plus sur l’énergie du groupe qui circule. D’autant que mes personnages sont souvent ensemble à l’écran. Je voulais faire ressentir leur dynamique.

Comment avez-vous découvert Néhémie Bastien qui interprète Freda ?
Longtemps j’ai pensé jouer Freda. J’en avais vraiment envie. Mais tout en écrivant je réalisais qu’il n’était pas possible de mettre en scène et de jouer. À la même période, il y avait un festival de théâtre où je me rendais pour voir des comédiens. Mais je pensais plutôt aux rôles secondaires. Et j’ai vu Néhémie Bastien. Elle jouait une fillette de huit ans dans Victor ou les enfants au pouvoir de Roger Vitrac alors qu’elle en avait vingt-cinq. C’était complètement décalé et cependant elle était formidablement crédible. Et ça a été comme une claque. Je voyais Freda. Sans l’ombre d’un doute. Elle n’avait jamais passé de casting de sa vie et c’était sa première expérience théâtrale. Quand elle a lu le scénario, elle était dans l’inconfort car elle était presque à nue. Elle était dans la complexité de Freda. Et je savais qu’elle allait transcender la notion de fiction en existant tout simplement.

Et pour Fabiola Rémy qui interprète Jeannette ?
Et quelques jours après, alors que j’étais dans l’immeuble de la production, je tombe sur Fabiola Rémy. Par hasard. Elle était avec une copine, elle marchait dans la cour. Je l’ai vue et suis restée figée à la regarder pendant cinq bonnes minutes. Et elle s’est mise à rire de façon hystérique en se demandant qui était cette folle qui la dévisageait. Un rire que j’ai d’ailleurs utilisé dans la scène où elle est dans la cuisine avec Géraldine. Je lui ai proposé de passer un casting. Elle ne savait pas ce que c’était mais elle a accepté de venir. Mais malgré son manque d’expérience et celui de Néhémie, je n’ai jamais eu peur. J’ai toujours su que cela fonctionnerait. Que Néhémie et Fabiola allaient comprendre que ce film, c’étaient elles. C’était nous. Et qu’il fallait juste faire exister notre réalité. Du coup, j’ai changé tout le casting à cinq jours du tournage. Tout le monde avait peur, sauf moi (rires).

Étant actrice vous-même, comment avez-vous travaillé la direction d’acteurs ?
Je donne peu d’indications. Ce que j’aime, c’est saisir le réel. Parfois, je filme les comédiens pendant les répétitions. Sur un plateau quand on dit « action », tout le monde est dans une posture. Moi aussi d’ailleurs. Du coup, j’ai besoin de voler des choses. De retirer des dialogues dès que je sens que ce n’est plus organique. J’aime tout particulièrement être surprise par les propositions des acteurs. Je suis toujours en quête de la fameuse prise magique. De ce moment où l’articulation opère parfaitement. C’est pour cela que sur un plateau, je laisse les choses exister le plus possible. Aller chercher, corriger, c’est pour moi une perte de temps.

Vous faites le choix d’une fin ouverte, non résolue…
L’idée est que les personnages sont encore là, même après la fin du film. Ils ne sont pas morts. Pour moi la résolution à la fin d’un film, c’est comme tuer les personnages. Le cinéma que je souhaite pouvoir faire c’est un cinéma où l’on saute dans le wagon, on rentre dans la vie de quelques personnages et on en sort pour aller ailleurs. Mais eux sont encore là et le train continue à avancer. Pour moi ce n’est pas une fin, c’est nous qui arrêtons de les observer. Mais elles sont toujours là, à continuer à comprendre, à faire des choix.

Il y a ce moment bouleversant à la toute fin du film avec ce plan prolongé sur Jeannette. Était-ce écrit ainsi dès le début ?
Non, je n’avais aucune idée de comment finir ce film, même pendant le tournage ! Où s’en va Jeannette ? Elle part. Estce qu’elle revient ? Est-ce qu’on la revoit ? Et lorsqu’on a filmé la séquence de son retour, je ne lui ai pas demandé de pleurer, car c’est pour moi une chose bizarre à demander. On a donc continué à filmer. On ne pouvait tout simplement pas se déplacer. Je la regardais, complètement perdue et là, elle s’est mise à pleurer. Il y avait un silence total dans une rue où, habituellement, il y a énormément de bruit. Et le silence s’est éternisé. Et là, j’ai pleuré plus qu’elle. Ça m’a bousculée, d’autant je ne m’y attendais pas. J’ai quitté le plateau. Je ne contrôlais plus rien. Je sentais que c’était un cadeau cinématographique mais également un moment de connexion entre toutes les personnes qui étaient là. Comme je vis dans un pays où le mystérieux est aussi vivant que le réel, j’ai ressenti ce moment comme un cadeau des dieux._