Rokas et Inga, un couple de jeunes lituaniens, se portent volontaires pour conduire un van d’aide humanitaire en Ukraine. Alors que leurs plans changent, ils se retrouvent livrés à eux-mêmes. Ils traversent les vastes terres enneigées de la région de Donbass à la recherche d’alliés et d’abris, dérivant entre les vies de ceux touchés par la guerre. En dépit du danger, ils s’approchent de la ligne de front et se lient de plus en plus l’un à l’autre, appréhendant peu à peu la vie en temps de guerre.
QUINAZINE DES RÉALISATEURS – FESTIVAL DE CANNES 2017
Avec : Mantas Janciauskas Rokas, Lyja Maknaviciute Inga, Andrzej Chyra Andrei, Vanessa Paradis Marianne)
Réalisation Sharunas Bartas • Scénario Sharunas Bartas & Anna Cohen Yanay• Image Eitvydas Doskus• Montage Dounia Sichov• Son Aline Huber, Sigitas Motoras, Nicolas D’Halluin, Benoit Gargonne, Jean-Guy Veran • Premier assistant réalisateur Jurga Dikciuviene• Directeurs de casting Jurga Dikciuviene, Constance Demontoy• Directeur de production Lyuba Knorozok• Directeur de post-production Fabien Trampont • Musique originale Pawel Mykietyn• Décors Oleg Dorychenko• Une production Studija Kinema, KinoElektron, Insight Media / Tato Film, Donten & Lacroix Films, KNM • En coproduction avec Reborn Production • En association avec Arte Cofinova • Avec le soutien du Lithuanian Film Centre, Ukrainian State Film Agency, Lithuanian Ministry of Culture, Lithuanian National Radio and Television, The Ministry of National Defence Republic of Lithuania, Aide aux Cinémas du Monde – Centre National du Cinéma et de l’Image Animée – Institut Français, Lithuanian Film Tax Incentive, Angoa, Polish Film Institute• Produit par Sharunas Bartas, Jurga Dikciuviene, Janja Kralj, Olena Yershova, Volodymyr Filippov, Maria Blicharska, Monika Sajko-Gradowska, Michel Merkt• Coproduit par Marc Simoncini, Remi Burah
Réalisateur
Né en 1964 à Siauliai, en Lituanie, Sharunas Bartas est diplômé de l’école de cinéma VGIK à Moscou. Il fonde en 1989 Studija Kinema, le premier studio de films indépendants en Lituanie. Dès ses premiers films, Sharunas Bartas rencontre un grand succès critique. Trois Jours, Corridor et Few Of Us ont construit un univers rare et sensible dont son huitième long-métrage, Peace To Us In Our Dreams, continue de témoigner.
Filmographie
2017 – Frost (Quinzaine des Réalsiateurs, Cannes 2017)
2015 – Peace To Us In Our Dreams (Quinzaine des réalisateurs, Cannes 2015)
2010 – Indigène d’Eurasie (Forum, Berlinale 2010)
2005 – Seven Invisible Men (Quinzaine des réalisateurs, Cannes 2005)
2000 – Freedom (Compétition, Mostra de Venise, 2000)
1997 – The House (Un Certain regard, Cannes 1997)
1996 – Few of Us (Un Certain regard, Cannes 1996)
1995 – Corridor (Compétition, Mostra de Venise 1995, prix FIPRESCI)
1991 – Three Days (Forum, Berlinale 1992, prix FIPRESCI)
1990 – In Memory of the Day Passed By (court métrage)
1986 – Tofolaria (court métrage)
ENTRETIEN
Il y a longtemps, je me suis rendu compte que je ne pouvais faire des films que sur ce que je sais intimement, sur ce que j’ai vécu.
FROST est un film sur la guerre, sur un combat pour l’indépendance.
Le film a lieu pendant la guerre, mais l’action militaire est presque absente de son contenu. Nous voyons ce que la guerre laisse derrière elle, ce qui l’entoure, ce qui reste en marge de celle-ci: les colonies abandonnées, ruinées et les villes, les personnes âgées et les enfants, ceux qui n’ont pas
d’endroit où aller ou ceux qui ne veulent simplement plus se retirer.
Pendant toute mon enfance, j’ai entendu des histoires de mon grand-père sur la lutte partisane lituanienne – à la fin de la Seconde Guerre mondiale, une grande partie de l’armée lituanienne s’est retirée dans les bois et a commencé une résistance armée d’une décennie à l’occupation soviétique. J’ai grandi parmi les gens qui croyaient qu’un jour la Lituanie retrouverait son indépendance. Déjà enfant, je me suis rendu compte qu’il fallait lutter pour la liberté, que la liberté n’est pas acquise.
Je savais qu’un jour j’aurai envie d’en parler, de faire un film. Seulement, je ne savais pas comment. Lorsque la Russie a occupé la Crimée, ce qui a conduit à un conflit armé et à des troubles dans l’Ukraine de l’Est, et après la quatrième année où les Ukrainiens luttaient pour leur souveraineté et leur indépendance, je me suis rendu compte que je ne pourrai que raconter cette histoire récurrente à travers les voix de ces personnes qui luttent encore pour leur indépendance et leur liberté. Je pense que j’ai réussi. SHARUNAS BARTAS
ENTRETIEN AVEC SHARUNAS BARTAS
Il s’était écoulé beaucoup de
temps avant que vous puissiez faire votre précédent film, PEACE TO US IN
OUR DREAMS. Mais cette fois vous avez enchainé deux films, et vous
retrouvez Cannes un an après.
Cela
m’est déjà arrivé de tourner plusieurs films à la suite. Je n’ai pas de
règle, quand je peux faire un film, je le fais. En fait, j’avais déjà
le projet de FROST avant PEACE TO US. Les deux films ont avancé séparément, dès que j’ai terminé l’un j’ai pu me mettre à l’autre. Le projet de FROST était
écrit, mais en ayant conscience que beaucoup d’éléments surgiraient
dans le processus de réalisation. J’avais rédigé une note d’intention
qui s’appuyait sur l’histoire des nombreuses invasions de pays de la
région par les Russes, depuis celle de mon pays, la Lituanie, en 1939
jusqu’à l’invasion de la Crimée en 2014. Ensuite, j’ai choisi de ne pas
montrer cette trame explicitement dans le film, même si ces événements
historiques en constituent la toile de fond.
Y a-t-il eu malgré tout un déclencheur pour la mise en route du projet ?
Oui,
les images de Maïdan à Kiev. Pendant l’occupation de la Place, jusqu’au
renversement du gouvernement pro-russe le 22 février 2014, on pouvait
suivre 24 heures sur 24 ce qui s’y passait sur Internet. J’ai passé
beaucoup, beaucoup de temps à regarder. Cela faisait écho à des
événements que j’ai vécu, au moment de la disparition de l’Union
soviétique, avec les mouvements d’indépendance des anciennes
républiques, mouvements qui n’ont pas tous aboutis. La crise ukrainienne
a suscité beaucoup d’émotion en Lituanie, les gens se sont sentis
concernés – je ne sais pas qu’elles ont été les réactions en France ? On
parle aujourd’hui de l’Europe, mais en Europe, il y a ceux qui ont été
envahis et opprimés, et les autres.
Comment avez-vous travaillé avec Anna Cohen-Yanay, qui cosigne le scénario ?
Pour
ce film, j’ai eu besoin d’un interlocuteur au moment de l’écriture,
comme cela m’était déjà arrivé pour Indigènes d’Eurasie. Anna est une
scénariste et réalisatrice israélienne. Je l’ai rencontrée grâce à ma
productrice française, Janja Kralj. Elle a développé les idées qui me
venaient, elle en a fait des scènes écrites. En travaillant avec Anna,
j’ai précisé et approfondi ce vers quoi j’allais.
Diriez-vous de FROST que c’est un road-movie ?
Je
ne sais pas. Il commence comme un road-movie, il a à l’évidence toutes
les caractéristiques d’un road-movie, mais il se pourrait bien qu’il se
transforme en autre chose à mesure qu’il avance.
Connaissiez-vous la route qu’empruntent les personnages du film avant d’y aller pour filmer ?
Oui.
Je suis allé dans cette région en temps de paix, j’ai filmé en Crimée
SEVEN INVISIBLE MEN, j’avais beaucoup circulé dans ces parages. Et j’y
suis retourné pour préparer le tournage, alors que la guerre avait
éclaté.
Qui sont les acteurs principaux ?
Mantas
Janciauskas, qui joue Rokas, est élève à l’Académie Lithuanienne de
Musique et de Théâtre, il prend des cours de mise en scène. Je le
connaissais déjà, je voulais travailler avec lui. Je ne connaissais pas Lyja Maknaviciute, qui joue Inga, elle est en deuxième année dans la même Académie. Mantas et Lyja ont accepté de se lancer dans l’aventure du film sans vraiment savoir ce qui allait se produire. Ils étaient un jeune couple qui prenait la route, comme leurs personnages.
Le film et en particulier leurs relations semblent très spontanées. Leur demandez-vous d’improviser ?
Cela
dépend, il y a des scènes entièrement écrites, et d’autres où je leur
demande de s’approprier la situation, et je laisse venir. Mais d’une
manière générale les scènes dans le van ne peuvent pas être improvisées,
il faut que la caméra se substitue à un des personnages pour filmer
l’autre qui parle, et ensuite on change de place. Cela demande de suivre
un plan précis, décidé à l’avance.
Et Vanessa Paradis ?
Je
la connais depuis longtemps. Mais jusqu’alors il n’y avait jamais eu
d’occasion de travailler ensemble, finalement cela s’est présenté. Après
la rencontre à l’hôtel avec Rokas, j’ai voulu qu’on la retrouve seule ;
pour cette unique fois le film s’éloigne des personnages principaux :
nous accompagnons la journaliste française sur Maïdan. Je voulais
montrer à quoi ressemble ce lieu aujourd’hui, et le montrer à travers ce
regard un peu distant, cadré, d’une photographe étrangère. Et les
autres personnes que les protagonistes rencontrent en chemin, les
soldats, les villageois… Ce sont des vrais soldats, des vrais
villageois.
Comment s’est passé le tournage ?
Ça
n’a pas été facile, cela a été une longue expédition. À partir du
moment où on est partis de Vilnius, nous avons roulé et filmé pendant
trois mois, sans jamais revenir à la maison. Nous avons parcouru environ
13 000 km, avec un convoi de 30 personnes dans 10 voitures – une équipe
cosmopolite, avec des personnes de quatre nationalités, Lituaniens,
Ukrainiens, Polonais et Français. J’ai beaucoup tourné, bien plus que ce
qui figure dans le film, c’était inévitable dans ces circonstances. Il y
a beaucoup d’épisodes qui ne sont pas dans le film. On tournait parfois
très près de la ligne de front, un jour on s’est fait tirer dessus à la
mitrailleuse. Tout le monde s’est jeté au sol. Au bout d’un moment nous
nous sommes relevés, et en face ils ont recommencé à tirer. Il faut
comprendre que les lignes de fronts sont parfois très proches, 20 ou 30
mètres. Certains jours, c’était véritablement dangereux.
Y a-t-il eu des endroits où vous souhaitiez tourner mais qui sont restés inaccessibles ?
C’est
arrivé, pas souvent. Il a surtout fallu dans de nombreux cas attendre
très longtemps avant de pouvoir avancer. Les dirigeants militaires
ukrainiens nous avaient donné un laissez-passer qui nous a permis de
circuler facilement, mais ce document n’était pas valable pour toute
l’équipe. Quand j’avais trouvé un endroit où je désirais filmer, il
fallait de longues négociations pour pouvoir s’y rendre – et beaucoup de
patience. Il faut comprendre que les militaires ne sont pas très
heureux de voir débarquer une équipe de film, ils ont peur qu’on les gêne, ou d’être sanctionnés s’ils nous arrive quelque chose. C’est tout à fait compréhensible.
On devine que les conditions physiques ont été difficiles également.
Par
moment oui, nous avons passé plusieurs semaines dans un village isolé,
nous avions constitué une sorte de campement, tout le monde a travaillé
dans le froid, la neige et la boue pendant assez longtemps. Un des
principaux soucis concernait les voitures, avec l’état des routes, elles
cassaient tout le temps, chaque jour certains véhicules étaient hors
d’usage. Et quand elles roulaient on ne pouvait pas dépasser les 30 km/h
sans risquer la casse ou un accident.
Diriez-vous que le film a pris forme au montage ?
Oui
mais en fonction de ce qu’on avait pu tourner, et aussi de ce qu’on
n’avait pas pu tourner. J’avais fait de nombreux repérages avant, je
connaissais bien la région, mais on ne sait jamais ce qui va se produire
dans une situation de conflit. Il y a eu des moments où il a fallu
interrompre le tournage parce que c’était trop dangereux, des moments où
on ne pouvait pas accéder à un site. Le film nait des contraintes de sa
réalisation autant que de mon projet, mais c’est ce que je souhaitais,
et finalement FROST correspond à ce que je voulais faire depuis le début.
Vous faites un grand usage des gros plans dans ce film.
C’est
ma façon d’essayer de percevoir les sentiments des gens, et de les
faire partager. Je préfère cela aux dialogues. Ce qui se passe sur les
visages est important.
Qu’est-ce qui pousse Rokas à continuer, à s’enfoncer dans ce territoire en guerre ?
Je
crois qu’il y a chez lui un sentiment d’inachèvement, il n’a pas rempli
la mission qu’on lui avait confiée. Mais surtout il éprouve une grande
curiosité. Il vient d’un pays qui est à l’écart de la guerre, mais qui a
en même temps une grande proximité avec le monde où elle a lieu. Rokas
veut dépasser ce fossé en lui, et chez ceux de sa génération. Il avance
poussé par une force, et sans avoir conscience des risques qu’il prend.
C’est quelqu’un qui n’a jamais connu la guerre, qui n’en a pas
intériorisé les dangers. Les gens oublient vite ce qu’est la réalité de
la guerre, il suffit d’une génération et la mémoire des souffrances
liées à la guerre s’évanouit rapidement.
Vous-même, pensez-vous avoir mieux perçu ce qu’est la réalité de la guerre ?
Oh
moi, pour avoir vécu à l’ère soviétique, je sais ce que c’est que la
violence. Mon vécu est différent de celui de la génération plus jeune. Au
terme d’un film si puissamment inscrit dans le territoire, la
matérialité de la boue et de la neige, le dernier plan est inattendu.
Tant mieux. J’ai gardé l’utilisation du drone pour la fin. Je voulais
qu’à la fin, le corps soit comme une pierre dans la neige, ou comme un objet parmi les autres, inscrit dans ce paysage glacé.
Propos recueillis par Jean-Michel Frodon