Genèse de Philippe Lesage
Film soutenu

Genèse

Philippe Lesage

Distribution : Shellac

Date de sortie : 10/04/2019

Québec – 2018 – 2h11

La naissance des premières amours ébranle trois adolescents dans le tumulte de leur jeunesse.
Alors que Guillaume tombe secrètement amoureux de son meilleur ami, sa demi-sœur Charlotte quitte son petit ami pour s’essayer à des rencontres plus libres.
A la genèse de ces histoires, dans un camp de vacances, le jeune Félix connait son premier émoi…

Festival de Locarno – Compétition Internationale
Festival de Namur – Compétition internationale – Prix d’interprétation
Festival du Nouveau Cinéma de Montréal – Grand prix, Prix d’interprétation
Festival du Valladolid – Grand prix, Prix de la mailleure réalisation, Prix d’interprétation

Avec : Noée Abita, Théodore Pellerin, Édouard Tremblay-Grenier, Pier-Luc Funk, Émilie Bierre, Maxime Dumontier, Paul Ahmarani, Jules Roy Sicotte, Antoine Marchand-Gagnon, Vassili Schneider

Fiche technique Scénario et réalisation Philippe Lesage • Montage Mathieu Bouchard-Malo • Photographie Nicolas Canniccioni •  Production Galilé Marion Gauvin – Unité Centrale

Philippe Lesage

Philippe Lesage a commencé sa carrière comme documentariste, en réalisant quatre longs métrages remarqués dont Ce cœur qui bat (2010), qui a remporté plusieurs prix dont le Jutra du meilleur long métrage documentaire (2012). Son premier long métrage de fiction, Les Démons (2015), a été présenté en compétition offcielle à San Sebastian et a été sélectionné dans plus de soixante festivals internationaux. Il a entre autres remporté le réputé Golden Gate Award de San Francisco, en plus de faire partie du TIFF Top Ten et d’être nommé par le magazine Variety comme l’un des dix meilleurs flms de 2015.

Entretien avec Philippe Lesage

Documentaire/fiction

Pour citer Jean Eustache, j’aime bien le documentaire qui emprunte à la fiction, et la fiction qui ressemble à du documentaire.
Dans mon parcours, je suis passé par le documentaire parce que j’étais impatient de passer au long métrage, mais comme je n’avais aucun moyen pour y arriver, la façon la moins coûteuse de commencer à faire des films était de faire du documentaire. C’était l’époque où avec une caméra mini DV, on pouvait commencer à faire du cinéma. Évidemment, cela a changé complètement ma vision du cinéma. Je me suis rendu compte, qu’avec de la patience et du cadre, quelque chose d’extraordinaire pouvait se manifester. Je me suis mis à croire que la vraie vie était plus intéressante que la fiction. En fiction, l’erreur que l’on fait, lorsqu’on commence à faire des films, c’est qu’on est trop influencé par les derniers films que l’on a aimé et on ne regarde plus la vie, alors que l’essence du cinéma est de regarder la vie et de faire des films.

Filmer la vie

On demande souvent aux comédiens d’être naturels, alors que tout ce qui est devant eux ne l’est pas. J’ai souvent eu l’habitude de faire des films seul, donc je voulais réduire l’équipe, afin de pouvoir tourner plus longtemps, faire des prises plus fidèles au texte et d’autres où l’on puisse s’en éloigner, laisser aux acteurs la possibilité d’improviser, de ne jamais mettre de marque sur le plancher pour qu’ils suivent la lumière du chef opérateur, jamais. Ce sont des règles que j’impose aussi au chef opérateur ; les comédiens peuvent se lever et il faut les suivre dans leurs mouvements. Il ne faut pas rester figer dans une zone en particulier. Ce sont des petites stratégies que j’essaye de mettre en oeuvre pour enregistrer ces moments où les comédiens peuvent oublier qu’ils sont dans le film. Lorsque, moi-même, je n’ai plus l’impression de faire un film, ce sont les instants les plus précieux. Il y avait un proverbe taoïste qui disait que le meilleur nageur est celui qui oublie qu’il y a de l’eau dans la piscine [Rires.]

Teen movie

Je n’ai pas cherché à faire un teen movie, je ne sais pas d’ailleurs ce que c’est. Je ne suis pas très éloigné, de qui j’étais en tant qu’adolescent. Il m’était important de me replonger dans cette période pour puiser dans ma propre vie. Adolescent, je me posais beaucoup de questions, je me questionnais sur ma propre sexualité. C’est ce que j’explore dans GENÈSE. En écriture, à partir du moment où l’on écrit une scène qui est basée sur quelque chose qui nous est arrivé, il y a peu de chances que l’on tombe dans les clichés, parce que ces moments, dont on se souvient, sont chargés d’intensité et de tension, ils ont déjà un univers en soi. En tant que scénariste, si je n’avais utilisé que mon imagination, jamais je n’aurais pu imaginer de pareilles scènes.

« En écriture, à partir du moment où l’on écrit une scène qui est basée sur quelque chose qui nous est arrivé,
il y a peu de chances que l’on tombe dans les clichés, parce que ces moments, dont on se souvient,
sont chargés d’intensité et de tension, ils ont déjà un univers en soi. »

La musique

On construit tous la trame sonore de notre propre vie affective et émotionnelle lorsqu’on est adolescent. C’est comme si la musique prenait une importance particulière. On commence à associer notre vie à la musique qu’on découvre au même moment, on écoute des lentes lamentations à la Radiohead. Je voulais mettre, dans GENÈSE, la musique au premier plan et évidemment, en tant que cinéaste, je me fais plaisir. La musique fait constamment partie du processus d’écriture, j’ai toujours des écouteurs sur les oreilles ! Je vois déjà des scènes que j’anticipe. Lorsque deux ans après, je me retrouve en salle de montage, et qu’on essaie la première fois de mettre telle ou telle musique sur une séquence que j’avais en esprit deux ans auparavant, quand ça marche, ce n’est que du bonheur. Si j’ai la chair de poule en écoutant une musique et en voyant la scène, je me dis peut-être qu’un spectateur pourra en ressentir de même. Je serais très étonné un jour de faire un film sans musique… ça pourrait arriver ! [Rires.]

Les vingt dernières minutes

J’ai eu cette idée, après le récit de Charlotte et Guillaume, où l’on se retrouvait dans un lieu différent avec d’autres personnages. J’aime bien bousculer la structure des films. En cinéma, on ne se laisse pas beaucoup la chance de le faire. C’est un art qui reste assez conventionnel, de plus en plus d’ailleurs. On prend de moins en moins de risques. Mais il y a des libertés que l’on peut prendre plus facilement en littérature qu’en cinéma. En littérature, on peut changer de narrateur en plein milieu d’une histoire, on peut terminer un roman par un poème. Au cinéma, c’est plus rare. Je suis peut-être en réaction par rapport à cela, parce que je m’ennuie énormément au cinéma. J’ai envie de voir cette structure éclatée, d’être pris par surprise. J’essaye de faire les films que j’aimerais voir. Donc, on peut prendre la fin de GENÈSE de la manière que l’on veut, il y a des gens qui parlent de variation sur un même thème, d’autres qui essayent de trouver des liens entre les personnages… chacun voit ce qu’il a envie de voir. ● LA SEPTIÈME OBSESSION


Premières amours

par DAVID EZAN

On pourrait presque croire, depuis la France, que le cinéma québécois s’est restreint en quelques années aux seuls films de Xavier Dolan : « Grave erreur ! », nous dit GENÈSE, le troisième long métrage de fiction de Philippe Lesage. Venu du documentaire, où il a raflé plusieurs récompenses au Canada entre 2010 et 2012, le cinéaste n’a cessé depuis 2015 de se nourrir du réel qu’il a filmé pour mettre en scène la jeunesse contemporaine.
Il consacre même un documentaire (LAYLOU, 2012) au quotidien de deux adolescentes à l’été de leurs dix-sept ans, dont GENÈSE pourrait être le jumeau romancé. Narrant le destin croisé de Guillaume et Charlotte, deux adolescents demi-frères et sœurs dont le premier vit à l’internat de son lycée, GENÈSE tient plus de la chronique désillusionnée que du réel teen movie – dont les clichés habituels sont rapidement évacués au profit de la recherche d’une vérité pure, dépouillée d’effets poseurs ou synthétiques. GENÈSE est avant tout un film sur l’égarement de la jeunesse et la déception amoureuse qu’incarnent admirablement Théodore Pellerin et Noée Abita (qui irradiait déjà l’écran dans AVA, 2017 de Léa Mysius), deux âmes esseulées qui ne se croiseront d’ailleurs qu’à deux reprises au cours du film, et ce malgré leurs liens fraternels. Entre ces deux convergences succinctes, ils auront eu le temps de vivre deux expériences déceptives, qu’elles soient homosexuelles ou hétérosexuelles, et dont on imagine qu’elles marqueront leur avenir d’adulte.
De ce tourbillon de désir juvénile, les adultes sont d’ailleurs constamment mis en retrait, voire absents : exception faite du professeur de Guillaume, figure d’autorité que le cinéaste ne se priverapas de ridiculiser en se positionnant toujours, et avec une grande bienveillance, du côté des jeunes. Le regard que porte Philippe Lesage sur ses personnages est peut-être ce qui rend le film si exaltant.
Loin de les enfermer dans le cadre, il leur laisse constamment un large espace d’expression : la caméra les accompagne (et non l’inverse) avec une pudeur tangible malgré la grande violence à laquelle ils sont parfois confrontés, et plonge dans leurs regards avec une précision saisissante lors de quelques séquences – et notamment lors d’une bouleversante déclaration d’amour, courageusement prononcée devant une classe entière.
L’exaltation tient aussi de la façon dont le cinéaste libère radicalement la narration à vingt minutes de la fin du film pour s’intéresser aux premières amours de deux adolescents (Félix et Béatrice) encore plus jeunes dans un camp d’été, comme des fragments de souvenirs qu’auraient alors pu rêver Guillaume et Charlotte. Nous rappelant avec une nostalgie certaine nos propres émois, cette seconde partie fait office d’épilogue incandescent et étonnamment salvateur, en opposition à l’âpreté de ce qui s’est joué dans la première partie. Avec ce film purement séminal – dont le titre est par ailleurs très à propos – bercé par la musique entêtante et spleenétique du groupe TOPS, Philippe Lesage démontre que parler d’adolescence n’est ni plus ni moins qu’une affaire de délicatesse. ●