Au bout d’une allée, un café que personne ne s’attendrait à trouver. Les gens s’assoient et parlent de leur vie. Au fil du temps, les clients se côtoient et apprennent à se connaître. Une femme les observe et semble mettre par écrit leurs pensées. La nuit commence à tomber mais tous restent dans le café.
“ Entre mélancolie, drôlerie et cruauté, le petit théâtre d’Hong Sangsoo se livre une nouvelle fois aux délices d’un jeu narratif aussi conceptuel qu’aérien, à un propos existentiel aussi profond que badin. ” LES INROCKUPTIBLES
Festival du Film de Berlin – Forum – 2018
Festival des 3 continents – 40eme Édition – 2018
Festival du Film de Belfort 2018
Avec : Areum Kim Minhee • Kyungsoo Jung Jinyoung • Changsoo Ki Joobong • Sunghwa Seo Younghwa • Jiyoung Kim Saebyuk • Hongsoo Ahn Jaehong • Mina Gong Minjeung
Réalisation et scénario Hong Sangsoo • Photographie Kim Hyungkoo • Son Kim Mir • Montage Son Yeonji • Musique Franz Schubert, Richard Wagner, Jacques Offenbach, Johann Pachelbel • Directeur de production Jo Heeyoung • Production Jeonwonsa Film Co.
Hong Sangsoo
Fils
de parents divorcés, un officier de l’armée sud-coréenne, et une
employée de maison de production de films, Hong Sangsoo découvre le
cinéma en regardant les films hollywoodiens à la télévision. Au cours
d’une conversation bien arrosée, un homme de théâtre suggère à ce garçon
désoeuvré de se lancer dans la mise en scène. Hong Sangsoo s’inscrit
alors à l’université de Chungang, à Séoul, dans le département « théâtre
et cinéma ». Il part ensuite vivre aux Etats-Unis, étudiant au College of
Arts and Crafts de Californie et à l’Art Institute de Chicago, où il
réalise plusieurs courts métrages expérimentaux.
Il réalise en 1996 son premier long métrage, Le Jour où le cochon est tombé dans le puits suivi deux ans plus tard du Pouvoir de la province de Kangwon et en 2000 de La Vierge mise à nu par ses prétendants.
Salués par la critique et primés dans les festivals (Rotterdam,
Vancouver, Pusan), ces trois films sortiront en France en 2003. Sangsoo y
décrit avec un remarquable sens du détail le quotidien de jeunes
Coréens, leurs relations de couple conflictuelles et leur malaise
existentiel latent.
Suivront trois oeuvres coproduites par la France, Turning Gate en 2002, La femme est l’avenir de l’homme en 2004 et Conte de cinéma en 2005. Avec Woman on the Beach (2007), Night and Day (2008) et Les Femmes de mes amis (2009), le cinéaste confirme ses obsessions. Oscillant toujours entre l’expérimentation conceptuelle et le réalisme.
Ha Ha Ha et Oki’s Movie, réalisés en 2010, et Matins calmes à Séoul (The Day He arrives)
en 2011, confirment le fait que, si chacun des titres semble répéter le
précédent, il s’en distingue toujours subtilement et essentiellement.
En 2012, In Another Country dans lequel joue Isabelle Huppert est présenté en compétition officielle au Festival de Cannes.
En 2013, Haewon et les hommes (Nobody’s Daughter Haewon) est sélectionné au festival de Berlin. Sunhi (Our Sunhi) est présenté au festival du film asiatique de Deauville et reçoit le prix de la mise en scène au festival de Locarno. En 2014, Hill of Freedom reçoit la Montgolfière d’Or au festival des trois Continents à Nantes.
Filmographie
2018 Hotel by the river
2017 Grass
2017 Le jour d ‘après
2017 La caméra de Claire
2017 Seule sur la plage la nuit
2015 Un jour avec, Un jour sans
2014 Hill of freedom
2013 our Sunhi
2012 Haewon et les hommes
2012 In Another Country
2011 The Day he arrives (Matins calmes à Séoul)
2010 Oki’s movies
2010 ha ha ha
2009 Les femmes de mes amis
2008 Night and Day
2007 Woman on the beach
2005 Conte de cinéma
2004 La femme est l’avenir de l’homme
2002 Turning gate
2000 La vierge mise à nu par ses prétendants
1998 Le pouvoir de la province de Kangwon
1996 Le jour où le cochon est tombé dans le puits
ENTRETIEN (EXTRAITS) AVEC KIM HYUNG-KOO, LE DIRECTEUR DE LA PHOTOGRAPHIE DES FILMS DE HONG SANGSOO
Propos recueillis par Celia de www.cinemacoreen.fr
Traduction par LEE Young-joo
Ayant travaillé jusqu’à neuf fois avec M. Hong Sangsoo, pouvez-vous revenir sur votre rencontre ?
Il y a à peu près une quinzaine d’années, M. Hong et moi étions
professeurs dans la même école de cinéma, nous étions collègues et nous
nous croisions souvent dans les couloirs entre les cours. J’avais
beaucoup de travail, j’étais très demandé et assez occupé. De temps en
temps, M. Hong me proposait de travailler avec lui, mais je pensais que
c’était juste pour parler (rires). Finalement, entre deux films j’ai eu
un peu de temps libre, et à ce moment-là M. Hong renouvela sa
proposition, qui apparemment était sérieuse. J’ai donc accepté, et c’est
à partir de ce moment là que l’on a pu travailler sur notre premier
film La femme est l’avenir de l’homme en 2003.
Qu’est-ce
qui vous a amené à travailler en noir et blanc sur certains films et en
couleur sur d’autres ? M. Hong, a-t’il une idée très précise dès le
départ, ou est-ce vous qui lui suggérez ?
C’est toujours M. Hong qui a l’idée de départ. Avec lui, on ne peut pas
se préparer à l’avance, car le scénario est prêt le jour-même du
tournage. Tout est dans sa tête. Et nous les techniciens, nous ne
pouvons pas savoir sur quoi nous allons travailler. C’est toujours
improvisé quand il arrive sur le tournage : « aujourd’hui on va
essayer en noir et blanc ! » Un autre jour, il vient : « aujourd’hui on
va essayer de tourner en couleur ! » Il a cette façon de tourner très
spontanée et libre, mais c’est difficile de savoir si c’est déjà
réfléchi ou si c’est sa lubie du jour. Ce qui est le plus important,
c’est sa spontanéité, c’est le moteur principal du style de M. Hong, car
il aime bien montrer tout ce qui est cru, que ce soient les gestes ou
les paroles des personnages, tout est pris sur le vif. Il faut entrer en
scène sans préparation, c’est angoissant et stressant mais jouissif en
même temps. Il y a une sorte de plaisir qui se produit à cet
instant-là, c’est ça qui est exaltant ! M. Hong tient à maintenir cette
spontanéité, cette tension.
Convenez-vous ensemble du placement spécifique de la caméra pour les scènes de groupe, afin de mieux saisir les conversations intimes ou est-ce déterminé sur le moment ?
C’est lié à la particularité de sa mise en scène. En général, dans la plupart de ses films on voit les profils de ses personnages en plan fixe. Néanmoins, dans Grass, on voit pour la première fois un personnage de face, grâce à la technique « over the shoulder ». En travaillant avec M. Hong, je n’utilise qu’une seule caméra, en l’occurrence pour Grass la SONY F55, me permettant de changer et de choisir les différents types de plans. Avec d’autres réalisateurs, je suis amené à changer de caméra et de focale ou bien à faire des travellings, alors qu’avec M. Hong c’est toujours avec le même point de vue en plan fixe. Il joue avec le zoom dans les différents plans, c’est ce qui fait sa singularité.
Selon vous quelle est la particularité du cinéma de M. Hong mise à part la spontanéité évoquée ?
Ce qui rend M. Hong unique en son genre, c’est qu’il ne traite pas de grandes théories ou de grands sujets comme on peut le voir chez d’autres cinéastes (rires). Il a une grande acuité et une capacité à saisir les moments insignifiants à côté desquels on passe. Il est très observateur, il voit tout, il entend tout,
il note tout et il a l’art de rendre les choses du quotidien touchantes. Je pense que c’est surtout ça sa force. [extraits]
Les herbes folles
par Paola raiman
Les Cahiers du Cinéma – n° 750 – décembre 2018
Si l’automne venait juste après l’hiver, Grass pourrait se passer le
jour d’après du Jour d’après : on y retrouve à nouveau le dénuement du
noir et blanc mais cette fois légèrement moins travaillé dans ses ombres
et comme guetté par une forme de neutralité ; on y retrouve également
Areum, la jeune femme dont le prénom signifie « beauté » en coréen,
toujours interprétée par Kim Minhee assumant aussi bien le rôle de
centre et de marge, d’observatrice et de conductrice des affects,
semblant tantôt se retirer de la fiction, si infime que fût celle-ci,
tantôt faire voler en éclat les silences empruntés et les réponses
polies dans une de ces scènes de restaurant dont elle a le secret. Tapie
derrière l’écran de son ordinateur pendant la majeure partie du film,
elle écoute discrètement les conversations qui se tiennent autour d’elle
dans ce petit café où se rencontrent l’espace d’un après-midi quelques
personnes venues épancher leur solitude. C’est ainsi qu’elle écoute tout
en nous livrant le fil de ses pensées en voix off et en tapant,
songeuse, sur son clavier (à la manière dont elle composait une mélodie
enfantine dans Seule sur la plage la nuit) un texte qui semble n’avoir
aucune finalité précise.
Nulle velléité d’écrivain chez Areum-Kim Minhee qui tient bien moins de
l’artiste en quête d’inspiration que de la sentinelle des émotions.
Rarement le dispositif d’Hong Sangsoo n’aura été aussi simple, et
pourtant Grass frappe par son intensité.
Dès la première rencontre, on est saisi par la gravité de la
conversation : un homme et une femme se renvoient au visage la
responsabilité de la mort d’une jeune femme qui s’est probablement
suicidée d’un chagrin d’amour, comprenons-nous progressivement. Cette
ombre du suicide, relativement nouvelle dans le cinéma d’Hong Sangsoo,
sera dépliée tout au long du film dans chacune des conversations,
interrogeant tout autant la possibilité de mourir par amour que la
responsabilité des vivants face aux morts. Double conjecture qui
traverse les échanges des personnages pour être ensuite passée au tamis
de l’ouïe fine d’Areum triant les émotions comme on le ferait des grains
de café, rappelant que « l’humain n’est qu’émotions », et que certaines
sont « naïves, vitales, puissantes, en toc ». Son oreille semble
particulièrement attentive aux jeux de manipulation qui se mettent en
place – plus ou moins consciemment – comme ce comédien désespéré
cherchant à apitoyer son amie avec sa tentative de suicide ratée. Idée
géniale, chacune des conversations est aussi modulée par la bande-son du
café, et l’ironie musicale de son patron invisible qui n’est jamais à
cours d’inspiration en matière de musique classique. Ici, un impromptu
de Schubert excessivement sentimental fait enfler le mélodrame que
jouent deux jeunes gens qui cherchent à faire renaître leur amour malgré
une culpabilité commune ; là, le Canon de Pachelbel vient flanquer une
tension épique et comique aux retrouvailles de deux comédiens. C’est
qu’il y a toujours de l’espace pour creuser des intensités variables au
sein d’un même plan.
Grass est un véritable terreau
d’expérimentations, où il importe bien plus à Hong Sangsoo de chercher
que de trouver, en affichant une grande liberté à l’intérieur des cadres
de son dispositif. Certaines scènes détonnent alors par leur étrangeté,
à l’image de la séquence centrale marquée à la fois par une violence
rare du discours – un homme accuse lâchement une femme d’avoir provoqué
le suicide d’un professeur d’université dont elle était amoureuse – et
par la liberté déroutante de sa mise en scène : cet homme est cadré de
dos, la focale change soudainement laissant par intermittence le visage
de la femme dans le flou, la caméra pivote pour dévoiler l’ombre
solitaire de l’homme sur le mur du restaurant, une chanson pour enfants
amortit la cruauté de l’échange.
Autre exemple de cette liberté, Hong Sangsoo introduit un plan sublime
où l’on voit une femme monter un escalier plusieurs fois d’affilée, à
mesure qu’elle gravit les marches son visage maussade se mue en gaieté.
C’est l’un des signes de vitalité qui irriguent le film, comme le sont
les jeunes pousses d’herbes empruntées à Walt Whitman qui lui donnent
son titre. Dans le recueil Feuilles d’herbe, un enfant demande au poète
ce qu’est l’herbe ; d’abord démuni face à la simplicité de la question,
il tente quelques propositions : l’herbe c’est peut-être « la folle
chevelure des tombes », hypothèse sombre que l’on pourrait à bon droit
appliquer au film en observant les personnages se recueillir près des
petites touffes végétales, le temps d’y fumer une cigarette. Pourtant
insatisfait de cette réponse, le poète continue jusqu’à conclure que la
pousse d’herbe la plus frêle est la preuve qu’il n’y a pas de mort qui
ne s’incline devant la vie. N’est-ce pas plutôt cela que choisit de nous
montrer Hong Sangsoo avec ces jeunes tiges qui ont l’audace de pousser
au milieu de l’automne ?