Film soutenu

Great Freedom

Sebastian Meise

Distribution : Paname Distribution

Date de sortie : 09/02/2022

France, Allemagne / 1h56 / 1.85 / Dolby Digital

À C’est l’histoire de Hans Hoffmann.
Il est gay et l’homosexualité, dans l’Allemagne d’après-guerre, est illégale selon le paragraphe 175 du Code pénal.
Mais il s’obstine à rechercher la liberté et l’amour même en prison…

Prix du Jury Un Certain Regard – Cannes 2021 / Grand Prix – Festival Chéries-Chéris 2021
Louve d’Or (Grand Prix du Festival du Nouveau Cinéma) – Montréal 2021

AVEC : Hans Franz Rogowski • Viktor Georg Friedrich • Leo Anton von Lucke • Oskar Thomas Prenn

Réalisation Sebastian Meise • Scénario Thomas Reider, Sebastian Meise • Image Crystel Fournier, afc • Décors Michael Randel • Costumes Tanja Hausner, Andrea Hölzl • Maquillage et coiffure Heiko Schmidt, Roman Braunhofer, Kerstin Gaecklein • Casting Eva Roth, Benjamin Roth • Son Jörg Theil, Atanas Tcholakov, Manuel Meichsner • Montage Joana Scrinzi, aea • Musique Nils Petter Molvaer, Peter Brötzmann • Une production FREIBEUTERFILM GMBH/ ROHFILM PRODUCTIONS GMBH • Producteurs Sabine Moser, Oliver Neumann, Benny Drechsel • Ventes internationales THE MATCH FACTORY

Sebastian Meise

Sebastian Meise est un scénariste et réalisateur autrichien. Son premier long métrage STILL LIFE a été présenté lors du Festival International du Film de San Sebastian et a remporté de nombreux prix parmi lesquels celui du Meilleur film au Diagonale Film Festival. Son documentaire OUTING a été présenté au Hot Docs Festival de Toronto. Son deuxième long métrage GREAT FREEDOM, avec dans les rôles principaux Franz Rogowski (Shooting Star de la Berlinale) et Georg Friedrich (Ours d’argent du Meilleur acteur), présenté en Compétition officielle, section Un Certain Regard, du Festival de Cannes 2021, a été récompensé par le Prix du Jury. Il est co-fondateur de la maison de production FreibeuterFilm, basée à Vienne.

Filmographie

2021 Great Freedom / Große Freiheit
2012 Outing (doc)
2011 Still Life / Stillleben
2006 Daemonen (cm)
2005 Random (cm)
2003 Prises de Vues (cm)

PRÉAMBULE ET CONTEXTE HISTORIQUE

Décrété en 1872, le Paragraphe 175 du Code Civil allemand a criminalisé les homosexuels pendant 123 ans. Les personnes reconnues coupables ont été condamnées à des peines pouvant aller jusqu’à dix ans de prison. Au cours des années d’après-guerre, 100 000 hommes ont été traduits en justice dans la seule Allemagne de l’Ouest.
Le Paragraphe 175 autorisait les autorités à intercepter et à confisquer des lettres d’amour et à les soumettre au tribunal comme preuves, ainsi qu’à installer des caméras derrière des miroirs, empiétant sur la vie privée de ces hommes, révélant leur vie intime et exposant des détails personnels délicats au public.
Surveillance, chantage, dénonciation, torture et meurtre. Ce qui avait été imposé et mis en place par le pouvoir judiciaire pendant le Troisième Reich a été appliqué ou toléré dans
les années d’après-guerre.
Le Paragraphe 175 a donné un nom à des générations d’homosexuels – «175er» signifiait homosexuel. Il n’a pas continué à exister par inadvertance puisqu’il a été, au fil des décennies, examiné, certifié et confirmé à plusieurs reprises.
Ainsi pour les homosexuels, la libération par les Alliés n’a pas signifié la liberté. Le Paragraphe 175 a été durci par les nazis et maintenu sans modification par l’Allemagne d’après-guerre, entraînant que les prisonniers des camps de concentration ont été transférés directement en prison afin de finir de purger leurs peines légales. Il n’est donc pas surprenant que les homosexuels aient gardé profil bas dans les années 50 et 60. Être homosexuel était en soi une infraction pénale. Et jusqu’en 1992, elle était officiellement considérée comme une maladie mentale.
L’interdiction totale de l’homosexualité est restée en place jusqu’en 1969. Mais il faudra encore 25 ans pour que le Paragraphe 175 disparaisse complètement du code civil allemand en 1994. Le 22 juillet 2017, l’Allemagne a enfin réhabilité les victimes d’après-guerre liées au Paragraphe 175. Très peu ont survécu pour connaître ce jour.
A travers le monde, la discrimination, la stigmatisation, l’ostracisme, la criminalisation, la punition et le meurtre d’homosexuels existent toujours : un pays sur trois punit encore l’homosexualité.


ENTRETIEN AVEC LE RÉALISATEUR

Quel a été le point de départ de Great Freedom ?

La découverte de l’ampleur des conséquences du paragraphe 175 criminalisant l’homosexualité. Je n’en croyais pas mes yeux. J’ai creusé le sujet, fait des recherches et je dois admettre que je ne connaissais pas grand-chose sur cette loi. Je savais que l’homosexualité a longtemps été illégale en Allemagne et en Autriche, le paragraphe 175 ayant été abrogé seulement en 1994, j’avais vu des films sur le sujet, mais je n’étais pas conscient de l’ampleur des persécutions et du nombre immense de personnes qui ont été affectées par cette loi. Cette chasse aux homosexuels a duré si longtemps, des hommes innocents ont été persécutés, emprisonnés et l’état les a poursuivis de toute sa puissance méticuleuse. Découvrir tout cela a été un choc pour moi.

Vous avez rencontré des victimes de cette loi ?

Oui. Avec Thomas Rieder, mon coscénariste, nous avons parlé à des hommes qui ont été emprisonnés dans les années soixante et c’est à partir de leurs témoignages que nous avons construit et écrit l’histoire de Great Freedom.

Great Freedom montre une continuité entre le nazisme et le post-nazisme en ce qui concerne la répression de l’homosexualité, ce qui est également choquant. Souhaitiez-vous provoquer une prise de conscience dans votre public ?

Au début, oui, c’était le but, montrer que des éléments de la politique nazie avaient longtemps perduré dans les sociétés allemande et autrichienne. Mais le film a évolué durant l’écriture et nous avons concentré notre récit sur l’emprisonnement de notre personnage principal, Hans. On a fait ce choix parce que la prison est le monde dans lequel Hans a vécu la majeure partie de sa vie. La prison est aussi la métaphore de son existence : Hans n’a jamais vécu librement, que ce soit dans la prison ou en dehors. A chaque fois qu’il est libéré, il se fait arrêter et y retourne. La persécution est permanente : Hans ne peut pas arrêter d’être ce qu’il est, comme tout le monde, comme tous les homosexuels, et exiger d’eux qu’ils ne soient pas eux-mêmes est complètement absurde.

En prison, le film devient aussi l’histoire de la relation entre Hans et son voisin de cellule, Viktor.

Il est entré dans notre histoire comme dans la vie de Hans, en s’imposant par sa force, sa personnalité. On n’avait pas prévu ce personnage au début de l’écriture mais Viktor s’est imposé à nous. A chaque fois que Hans retourne en prison, il tombe sur Viktor d’une façon ou d’une autre. A force de se côtoyer en prison, une relation s’établit entre eux, et il nous est apparu que le film devrait être centré sur cette relation. Le film est donc à la fois un regard sur le paragraphe 175 et ses conséquences, et une histoire d’amitié au long cours. Ces deux pistes sont étroitement mêlées. Il y a une toile de fond politique et un  récit humain, intimiste.

Quand ils se rencontrent la première fois, Viktor est clairement et violemment homophobe. Puis leur relation évolue au fil des ans jusqu’à un point où l’amitié et l’amour se confondent. Vouliez-vous montrer que la connaissance de l’Autre aide à effacer les préjugés ?

Complètement. Apprendre à connaître les autres est la meilleure façon de dépasser les préjugés. C’est en se connaissant qu’on voit que l’Autre n’est pas une abstraction, une figurine schématique, mais un être humain avec toute sa complexité.

Le paragraphe 175 a été abrogé en 1994, il y a bientôt trente ans. Great Freedom parle donc du passé. Néanmoins, les idées de droite dure et d’extrême droite font leur retour dans le monde et singulièrement en Europe. Votre film est-il aussi une alerte sur ce qui pourrait advenir aujourd’hui ou demain ?

Absolument. Les idées réactionnaires reviennent très fortement, elles sont au pouvoir en Hongrie, en Pologne, elles pèsent électoralement en Autriche, en France, et tous ces pays font partie de la Communauté Européenne. Le pire, c’est que personne ne semble avoir de bonne réponse à cette montée et la Communauté Européenne elle-même semble impuissante à endiguer cela. Toute cette situation est inquiétante. Great Freedom parle du passé mais évoque clairement un possible présent ou proche futur. Je crois aussi que le genre « film de prison » participe de l’aspect intemporel de Great Freedom. Une prison est un lieu qui n’a ni date ni spécificité géographique : les barreaux, les cellules, les couloirs sont les mêmes partout dans le monde et à toutes époques.

Vous avez vu beaucoup de films de prison avant de tourner Great Freedom ?

J’en ai vu plein ! Certains m’ont inspiré, mais pas de la manière à laquelle vous pourriez penser. En fait, ils m’ont montré ce que je ne devais surtout pas reproduire. Par exemple, mes personnages de prisonniers ne tentent pas de s’évader, alors qu’ils le font dans la plupart des films de prison. Autre exemple, la violence en prison, présente dans la plupart des films. Bien sûr, ce n’est pas seulement un cliché, la violence peut toujours éclater à tous moments dans un lieu où beaucoup de personnes vivent dans la promiscuité, mais les gens que nous avons rencontrés ont surtout insisté sur la solidarité qui existait en prison : j’ai préféré montrer cet aspect. Mon film est basé sur les témoignages que nous avons recueillis, il s’appuie sur de vraies vies, pas sur d’autres films.

Vos acteurs principaux, Franz Rogowski et Georg Friedrich, sont remarquables. Pouvez-vous commenter ces choix ?

Thomas et moi avons pensé à eux durant l’écriture du scénario. Ensuite, on a quand même réfléchi à faire un casting mais nous n’avons pas gambergé longtemps, leurs noms se sont imposés assez vite dans notre esprit. C’était une intuition, on sentait dans nos tripes que Franz et Georg seraient les meilleurs pour ces rôles. Je connaissais ces deux comédiens, particulièrement Georg Friedrich, parce qu’il est autrichien. Quand j’étais étudiant, je l’avais découvert dans Dog days de Ulrich Seidl et j’avais pensé que j’aimerais vraiment travailler avec cet acteur dans le futur. Il hantait mon esprit depuis toujours. J’ai découvert Franz Rogowski plus tardivement, mais j’ai suivi attentivement sa carrière, j’ai vu tous ses films. Je crois que c’était un beau défi pour chacun d’eux de travailler avec l’autre, ils s’admiraient mutuellement et jouer ensemble constituait une de leur principale motivation.

Georg Friedrich a un jeu extraverti alors que Franz Rogowski est tout en intériorité avec peu de dialogues. Comment s’est passé le tournage avec eux ?

Ils sont tous les deux très intenses et très précis dans le travail. Ils sont perfectionnistes et impliqués à 1000% ! En effet, Franz avait des scènes avec peu de dialogue, il devait jouer avec son corps et son visage, mais au vu de ses films précédents, je savais qu’il en était parfaitement capable. Franz a un talent fondamental, c’est qu’il parvient à donner l’impression qu’il ne joue pas mais qu’il est le personnage, dès que la caméra tourne. Il impose sa pure présence, il a un physique qui imprime l’image, on ne voit absolument pas son travail. C’est fantastique.

Votre cheffe opératrice est Crystel Fournier. Aviez-vous décidé de certaines options esthétiques en amont du tournage ?

Elle est entrée tardivement dans ce projet en remplacement d’une technicienne qui s’est désistée, donc nous n’avons pas eu beaucoup de temps de préparation. Notre travail sur ce film a été très intuitif, ce qui m’a plu car Crystel a justement beaucoup d’intuition. On a bien sûr discuté des éclairages, de la caméra, si elle devait être posée sur pied ou portée à l’épaule, mais chaque décision a été prise naturellement en fonction de chaque scène et en fonction des contraintes de décor. J’ai aimé cette façon de travailler, ça nous a donné plus de souplesse et de liberté.

Avez-vous tourné dans une vraie prison ou dans un décor de studio ?

On a tourné dans une vraie prison à Magdebourg, dans l’ex-Allemagne de l’est, mais c’était un établissement qui n’était plus en activité. C’était un décor naturel idéal, nous avions les vrais murs d’une prison sans les contraintes d’une prison en activité. J’ai préféré cela à un décor en studio parce que l’atmosphère d’une prison, fut-elle vide, a imprégné tout notre travail à tous les postes. Certes, il y faisait froid, c’était sale, les éclairages étaient plus compliqués à mettre en place, mais cela a mis toute l’équipe dans l’esprit de l’histoire racontée et donné un cachet de vérité supplémentaire au film. Chaque membre de l’équipe pouvait ressentir ce que cela fait d’être enfermé dans les murs d’une prison même si nous mêmes étions libres. Quand je tourne une fiction, j’aime bien qu’elle soit connectée à un certain degré de réalité.

La fin du film est très forte, surprenante, ouverte à diverses interprétations. Quel sens vouliez-vous lui donner ?

Je crains ne pas pouvoir répondre à cette question… Je veux justement laisser cette fin la plus ouverte possible et laisser libre de sa lecture chaque spectateur. La seule chose que je puis dire, c’est que je suis très content de cette fin. Je suis aussi parfaitement conscient que cette fin peut irriter certains spectateurs, j’ai déjà eu des retours en ce sens. C’est une fin qui divise mais chacun est libre d’y voir le sens qu’il veut y voir. J’aime les films qui laissent un espace de réflexion au spectateur, je n’aime pas trop sortir d’un film en me disant « ah, j’ai tout compris au message ».

Cette fin ouverte est sans doute à relier au titre du film, Great Freedom. Intituler un film « La Grande liberté » pourrait sembler ironique puisque l’essentiel du film se passe en prison et sous une loi stupidement répressive, mais ce n’est pas si ironique que ça quand on pense à l’issue finale du film : la liberté est une notion subjective et se trouve peut-être plus à l’intérieur de soi qu’à l’extérieur ?

Votre lecture est possible, absolument. Mais je reste ouvert à plein de lectures différentes et d’une certaine manière, elles sont justes.

Pour le dire autrement et plus concrètement, ou moins métaphysiquement : Hans préfère vivre une relation pleine et profonde en prison que des relations sexuelles superficielles et vides en dehors ? Et ce choix est sa liberté suprême et inaliénable ? Ou alors, l’amour est plus fort que la liberté ?

Peut-être… Encore des lectures possibles et justes. Je ne peux vraiment pas vous répondre catégoriquement car cela fixerait des limites au film et imposerait une lecture univoque au spectateur.