Retour sur 50 ans de vie de la guérilla colombienne. Des femmes et des hommes, qui ont pris les armes dans un contexte de profondes inégalités sociales et de violence politique, racontent leur vie de combattants et leur sortie du maquis, sans se renier. Depuis le début des négociations de paix en 2012, jusqu’à l’arrivée au pouvoir d’un gouvernement progressiste en 2022, l’histoire d’un nouveau combat.
Festival international du film de Rotterdam.
Festival Cinéma du réel. WIP ParisDoc
Réalisateurs : Pierre Carles • Scénario: Stéphane Goxe et Pierre Carles • Image : Pierre Carles, Georgi Lazareski • Chef opérateur du son : Cesar Salazar • Montage : Céline Kélépikis, Luz Balaña • Montage son : Robin Sebe • Mixage : Armin Reiland • Étalonnage : Félix Abt • Direction de post-production : Ludovic Raynaud • Productrice : Annie Gonzalez et C-P Productions
Pierre Carles
Né en 1962 à Bordeaux (France). Après des études d’animation socioculturelle et de journalisme, il tra- vaille comme caméraman d’actualité avant de tourner ses premiers courts-métrages documentaires dans l’émission belgo-française Strip Tease. En 1998, il réalise Pas vu pas pris, un film de critique des médias, sélectionné dans la programmation de l’Acid à Cannes et à Locarno, puis La Sociologie est un sport de combat (2001), un portrait du chercheur en sciences humaines Pierre Bourdieu. Depuis 25 ans, il a réalisé ou coréalisé une dizaine de longs-métrages, portant un regard critique sur le salariat, docu- mentant la décroissance, abordant la question du recours à la lutte armée, faisant découvrir la politique anti-FMI du président d’Équateur Rafael Correa… Il a également coréalisé des portraits de personnalités singulières comme le professeur Choron, le dessinateur utopiste Gébé ou l’improbable candidat à la Présidentielle Jean Lassalle. Il achève actuellement le montage de Who wants Georges Ibrahim Abdal- lah in jail?, un film-enquête sur le scandale de l’incarcération pendant 40 ans, sur le sol français, d’un résistant communiste libanais devenu le plus ancien prisonnier de la guerre israélo-palestinienne.
Filmograhie
2024 GUÉRILLA DES FARC, L’AVENIR A UNE HISTOIRE.
2020 GÉBÉ, ON ARRÊTE TOUT, ON RÉFLÉCHIT (56 mn).
2019 LE ROND-POINT DE LA COLÈRE (60 mn, coréalisateurs : Olivier Guérin, Bérénice Meinsohn, Clara Menais, Laure Pradal, Ludovic Raynaud).
2018 UN BERGER ET DEUX PERCHÉS À l’ÉLYSÉE (101 mn, coréalisateur : Philippe Lespinasse).
2016 ON REVIENT DE LOIN Opération Correa 2° partie
2015 LES ÂNES ONT SOIF (54 mn, en collaboration avec Nina Faure et Aurore Van Opstal).
ON A MAL A LA DETTE (29 mn),
2014 RÉPONSES DIPLOMATIQUES (8 mn, en collaboration avec Nina Faure et Brice Gravelle)
2012 HOLLANDE, DSK, ETC. (83 mn, coréalisateurs : Julien Brygo, Nina Faure, Aurore Van Opstal)
TANT PIS TANT MIEUX (88 mn, coréalisateur : Philippe Lespinasse),
2010 FIN DE CONCESSION (131 mn)
2009 GRUISSAN A LA VOILE (52 mn, coréalisateur : Philippe Lespinasse)
VAL EST VÉNÈRE (11 mn)
2008 CHORON DERNIÈRE (108 mn, coréalisé avec Eric Martin)
CHARLIE HEBDO SE FAIT HARA KIRI (18 mn)
2007 VOLEM RIEN FOUTRE AL PAÏS (107 mn, coréalisateurs : Christophe Coello et Stéphane Goxe).
QUI DIT MIEUX ? (90 mn, coréalisateurs : Christophe Coello et Stéphane Goxe)
BAGES-SIGEAN A LA RAME (52 mn, coréalisateur : Philippe Lespinasse)
2006 GAUCHE/DROITE PAR PIERRE BOURDIEU (12 mn.)
PATRONS-VOYOUS (8 mn.)
2005 NI VIEUX, NI TRAÎTRES (93 mn, coréalisateur : Georges Minangoy)
2003 ATTENTION DANGER TRAVAIL (105 mn. Coréalisateurs : Christophe Coello et Stéphane Goxe)
INGEBORG ET LES SOURIS DANSENT (34 mn, d’après une idée de Natacha Olejnik et Véronique Rossignol)
LOIC WACQUANT, SPARRING PARTNER (65 mn). Inédit
2002 ENFIN PRIS ? (89 mn.)
2001 LA SOCIOLOGIE EST UN SPORT DE COMBAT (150 mn.)
VU ET ENTENDU (14 mn.)
1998 PAS VU PAS PRIS (90 mn.)
1993-1998 Dix courts-métrages pour l’émission de télévision belgo-française Strip-Tease
1988 LA ROSIÈRE DE PESSAC, 20 ANS PLUS TARD (30 mn) Travail d’école.
Invitation du programmateur
Le nouveau film de Pierre Carles est un projet ambitieux et au long cours, dans lequel il retrace 50 ans de vie de la guérilla colombienne et pour lequel il a filmé pendant dix ans. Le tout pour un résultat passionnant et, si on maîtrise mal le sujet, très instructif. Il y interroge des hommes et des femmes qui ont pris les armes et qui racontent leurs vies de combattant.e.s ainsi que leur sortie du maquis. Depuis les négociations de paix en 2012 jusqu’à l’arrivée d’un gouvernement progressiste en 2022.
Mais Guérilla des FARC, l’avenir a une histoire n’est pas que cela, ce qui le rend plus ample, c’est que l’histoire de ces guérilleros rejoint l’histoire personnelle du réalisateur à travers la figure de Duna Kuzmanich. Ce dernier, cinéaste, notamment de Canaguaro en 1981, a été le premier à décrire les guérillas colombiennes des années 50, sans les dénigrer et en ne condamnant pas forcément la lutte armée. Duna Kuzmanich était le beau-père de Pierre Carles, compagnon de sa mère française et avec qui il a vécu toute son adolescence à Medellín. C’est cet aspect intime, cet hommage à ce beau-père décédé en 2008 qui rend le film très touchant. Semblant fendre l’armure bien plus que d’habitude, se réfugiant moins derrière l’ironie, Pierre Carles fait de Guérilla des FARC, l’avenir a une histoire un hommage tout autant aux combattant.e.s des FARC qu’à ce beau-père adoré.
JEAN-FRANÇOIS PELLE – Cinémas Studio à Tours
Note d’intention du réalisateur
Les hasards de la vie ont fait que j’ai vécu une partie de mon adolescence à Bogota, où ma mère, une institutrice française, fréquentait un cinéaste de gauche, Duni Kuzmanich, le premier cinéaste à avoir tour- né un film sur les guérillas colombiennes des années 50 sans dénigrer celles-ci, en ne condamnant pas la lutte armée, au contraire. Duni, mon beau-père, est mort en 2008, à Medellin, au plus fort de la confrontation entre l’État colombien et la guérilla des FARC.
À son époque, la presse nationale et internationale présentait les guérilleros comme des « narcoterroristes », afin de les disqualifier. Cela a duré longtemps et aucun film n’a documenté sérieusement cette histoire de résistance armée s’étalant sur plus d’un demi-siècle.
Tout comme Duni a dédiabolisé les rebelles colombiens des années 50, alors taxés de « bandidos », il m’a semblé utile de raconter l’histoire méconnue de ces femmes et hommes d’origine rurale, pour l’essentiel, ayant combattu les grands propriétaires terriens qui accaparent ou volent des terres, couverts par l’armée colombienne soutenue par les États-Unis. Duni ne pouvait pas imaginer que, peu de temps après sa mort, des négociations de paix verraient le jour entre le gouvernement colombien et les FARC, aboutissant au retour à la vie civile des rebelles, leur offrant la possibilité de poursuivre leur combat par la voie légale. Il ne pouvait pas imaginer non plus que l’ex-guérillero du M19 Gustavo Petro arriverait au pouvoir en 2022, porté par un puissant mouvement social. Dix ans (2012-2022) m’ont été nécessaires pour tourner ce film et pouvoir raconter à ce beau-père, à qui je dois tant, ce qu’il a « raté » depuis sa disparition, ce qui est source d’espoir et de… désespoir.
Ce film est aussi une tentative de reprendre le flambeau d’un certain cinéma engagé et de rendre hommage à deux réalisateurs Français, Bruno Muel et Jean-Pierre Sergent, qui avaient porté haut ce cinéma-là lorsqu’ils sont allés filmer les FARC à leurs débuts, en 1965.
Pierre Carles
Extrait du Scénario
« Ce film sera le lieu d’un questionnement, que l’on aimerait universel, sur les conditions de l’engagement politique. Celles-ci évoluent selon les périodes et les circonstances ; la manière dont elles sont perçues et évaluées, aussi. La lutte armée a pu constituer dans certaines circonstances une réponse adaptée, inévitable ou contrainte (“on n’a pas fait la guerre par plaisir, on ne nous a pas laissé le choix”, signalait Marulanda dans les années 90), comme elle a pu être dans d’autres contextes une erreur historique, un échec cuisant et prévisible. Mais nous remarquerons surtout que le même fait d’armes peut faire l’objet d’interprétations très différentes selon l’époque qui le considère. En abordant le cas particulier mais significatif de l’action guérillère des FARC, ce film sera aussi l’occasion de parler d’engagement et de perception de l’engagement en ce jeune XXIe siècle. Et de se demander, in fine, si la fin du plus vieux maquis communiste de la planète marque par là même la fin d’une forme de lutte caractéristique du XXe siècle : celle qui a vu des femmes et des hommes s’enfoncer dans la forêt, dans la montagne, les armes à la main, pour y mener une guérilla révolutionnaire et espérer ainsi changer la société ? »
À propos de Bruno Muel et Jean-Pierre Sergent
Septembre 1965 : Deux jeunes cinéastes s’enfoncent dans la jungle colombienne à la rencontre de guérilleros dont ils ignorent à peu près tout, si ce n’est qu’ils ont fondé quelques mois plus tôt un mouvement de guérilla nommé FARC, Forces Armées Révolutionnaires de Colombie. Quand Bruno Muel et Jean-Pierre Sergent débarquent dans le secteur de Rio Chiquito, en pleine offensive de l’armée régulière, les FARC ne sont composées que de quelques centaines de combattants, pour la plupart des paysans. Les journaux de la capitale les qualifient de bandits. Les deux réalisateurs français vont pour la première fois montrer leurs visages et dévoiler au monde l’existence d’une guérilla communiste en Colombie. La tonalité de leur reportage, Rio Chiquito, est clairement favorable aux insurgés : cela n’empêchera pas sa diffusion à la télévision d’Etat dans un programme prestigieux et de grande audience : Cinq colonnes à la Une.
Il faut dire qu’à cette époque le cinéma engagé avait droit de cité, dans les salles mais aussi à la télévision. Quantité de cinéastes filmaient alors comme l’on respirait l’air du temps, animés par des convictions, saisis par l’urgence de contester l’ordre établi, de dénoncer l’exploitation sous toutes ses formes ou d’embrasser la cause des mouvements de libération. Il s’agissait a minima de témoigner de ces combats, de les soutenir le plus souvent, d’y prendre part d’une façon ou d’une autre. Pour Muel et Sergent, tout commença avec la guerre d’Algérie. C’est dans ce contexte qu’ils filmèrent une lutte armée dont, sans ambiguïté, ils se proclamaient solidaires (Algérie année zéro, réalisé avec Marceline Loridan). Solidarité avec le peuple algérien en lutte pour l’indépendance, puis, plus tard, solidarité avec les peuples d’Amérique latine dressés contre les oligarchies nationales et l’impérialisme nord-américain (Camilo Torres, Rio Chiquito, Septembre chilien de Muel et Robichet). En France, c’est en milieu ouvrier que Bruno Muel s’investit intensément durant les années soixante et soixante-dix, au sein notamment du groupe Medvedkine.
Certains filmaient donc comme ils vivaient, en se battant, sans redouter l’étiquette de cinéaste militant, assumant même celle de cinéaste partisan. Ainsi Muel définissait-il son engagement cinématographique : « Un métier que j’ai toujours rêvé de pratiquer comme une déclaration d’amour, pensant que le meilleur moyen de s’attaquer à ceux du camp adverse était de faire aimer ceux du camp que j’avais choisi, parce que c’est le camp des humiliés, mais surtout parce que c’est celui des humiliés qui relèvent la tête et se battent. (…) C’est pourquoi j’ai fait par la suite tous ces films partisans parce qu’il me fallait dire le contraire, montrer le contraire, de ce qu’on nous serine tous les jours. Partisan ne veut pas dire menteur. Partisan veut dire qu’on a choisi son camp » (in Rushes de Bruno Muel, éditions Communes, sept. 2016).
Au début des années quatre-vingt, alors que le reflux du cinéma militant était une affaire entendue, Bruno Muel retournera en Colombie auprès des FARC pour y tourner un documentaire produit par TF1, quelque temps avant sa privatisation. Dans Longues marches, Muel ne cachait pas sa sympathie pour les guérilleros – c’est même un des ressorts du film. Visionner aujourd’hui ce documentaire en se souvenant qu’il a été diffusé sur la première chaîne de télévision française donnerait presque le vertige. Se ressaisissant, on se dira qu’une telle expérience permet aussi de mesurer ce qu’en terme de pluralité des points de vue, de diversité des approches, de marge de manoeuvre, nous avons perdus. Tous, cinéastes et spectateurs. La nostalgie n’étant d’aucun secours, lais- sons notre époque nous rattraper par la manche : elle est peu réjouissante et les raisons ne manquent pas de se frotter au réel, de prendre position et de passer à l’action, d’offrir un contre-champ radical. De fait, le cinéma dit « engagé » existe toujours. Il bruisse même de mille initiatives… qui de- meurent invisibles pour la plupart. Là est le hic. On filme tous azimuts, on décrypte, on dénonce, on hurle parfois… mais dans le vide, ou peu s’en faut. Si quelques salles ouvrent encore leurs portes, la télévision a refermé les siennes depuis belle lurette. La diffusion sur internet ? Elle compartimente et cloisonne le public au point de le dissoudre en tant que puissance collective. Restent les festivals et leur programmation éclectique, laquelle ouvre une large fenêtre sur les questions sociales et politiques. Mais en ces lieux privilégiés, ne finit-on pas par s’y sentir comme dans un musée du temps présent, avec sa collection des oeuvres de l’année que l’on remise une fois exhibées ? Comment donc faire en sorte que les films dotés d’une réelle puissance critique atteignent le plus grand nombre, irriguent une réflexion commune, bref, soient plus largement diffusés ? Vaste problème ! Sacré mal de tête… Pour se soulager, disons un peu, on se rappellera que le cinéma a commencé sa fabuleuse histoire de façon itinérante : de faubourgs en villages, de hameaux en quartiers. Au contact direct des habitants d’un lieu. Est-il permis de rêver qu’ainsi pourrait se déployer un cinéma dissident, dans sa diversité, son humanité, son goût pour la subversion ?
Stéphane Goxe